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Jean-Luc Nancy, Richard A. Rand

  1. 208 Seiten
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Jean-Luc Nancy, Richard A. Rand

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Über dieses Buch

How have we thought "the body"? How can we think it anew? The body of mortal creatures, the body politic, the body of letters and of laws, the "mystical body of Christ"—all these (and others) are incorporated in the word Corpus, the title and topic of Jean-Luc Nancy's masterwork.Corpus is a work of literary force at once phenomenological, sociological, theological, and philosophical in its multiple orientations and approaches. In thirty-six brief sections, Nancy offers us at once an encyclopedia and a polemical program—reviewing classical takes on the "corpus" from Plato, Aristotle, and Saint Paul to Descartes, Hegel, Husserl, and Freud, while demonstrating that the mutations (technological, biological, and political) of our own culture have given rise to the need for a new understanding of the body. He not only tells the story of this cultural change but also explores the promise and responsibilities that such a new understanding entails.The long-awaited English translation is a bold, bravura rendering. To the title essay are added five closely related recent pieces—including a commentary by Antonia Birnbaum—dedicated in large part to the legacy of the "mind-body problem" formulated by Descartes and the challenge it poses to rethinking the ancient problems of the corpus. The last and most poignant of these essays is "The Intruder, " Nancy's philosophical meditation on his heart transplant. The book also serves as the opening move in Nancy's larger project called "The deconstruction of Christianity."

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Hoc est enim corpus meum: nous provenons d’une culture dans laquelle cette parole rituelle aura été prononcée, inlassablement, par des millions d’officiants de millions de cultes. Dans cette culture, tous la (re)connaissent, qu’ils soient ou non chrétiens. Parmi les chrétiens, les uns lui donnent valeur de consécration réelle—le corps de Dieu est —, les autres, de symbole—où communient ceux qui font corps en Dieu. Elle est aussi parmi nous la répétition la plus visible d’un paganisme obstiné, ou sublimé: pain et vin, autres corps d’autres dieux, mystères de la certitude sensible. Elle est peut-être, dans l’espace de nos phrases, la répétition par excellence, jusqu’à l’obsession—et jusqu’à faire que «ceci est mon corps» est aussitôt disponible pour une foule de plaisanteries.
C’est notre Om mani padne…, notre Allah ill’allah…, notre Schema Israël… Mais l’écart de notre formule mesure aussitôt notre différence la plus propre: nous sommes obsédés de montrer un ceci, et de (nous) convaincre que ce ceci, ici, est ce qu’on ne peut ni voir, ni toucher, ni ici, ni ailleurs—et que ceci est cela non pas de n’importe quelle manière, mais comme son corps. Le corps de ça (Dieu, absolu, comme on voudra), et que ça a un corps ou que ça est un corps (et donc, peut-on penser, que ça est le corps, absolument), voilà notre hantise. Le ceci présentifié de l’Absent par excellence: sans relâche, nous l’aurons appelé, convoqué, consacré, arraisonné, capté, voulu, absolument voulu. Nous aurons voulu l’assurance, la certitude sans mélange d’un VOICI: voici, sans plus, absolument, voici, ici, ceci, la même chose.
Hoc est enim… défie, apaise tous nos doutes sur les apparences, et donne au réel la vraie dernière touche de son Idée pure: sa réalité, son existence. De cette parole, on n’en finirait pas de moduler les variantes (au hasard: ego sum, le nu en peinture, le Contrat social, la folie de Nietzsche, les Essais, le Pèse-nerfs, «Madame Bovary, c’est moi», la tête de Louis XVI, les planches de Vésale ou de Léonard, la voix—de castrat, de soprano, etc.—, le roseau pensant, l’hystérique, en vérité, c’est toute la texture dont nous sommes tissés …). Hoc est enim… peut générer le corpus entier d’une Encyclopédie Générale des Sciences, des Arts et des Pensées de l’Occident.
Le corps: voilà comment nous l’avons inventé. Qui d’autre au monde le connaît?
Mais bien sûr, on devine l’angoisse formidable: «voici» n’est donc pas sûr, il faut s’en assurer. Il n’est pas certain que la chose même puisse être là. , où nous sommes, n’est peut-être jamais que reflet, ombres flottantes. Il faut insister: «hoc est enim, je vous le dis, en vérité, et je vous le dis: qui serait plus certain de ma présence en chair et en sang? Ainsi, cette certitude sera la vôtre, avec ce corps que vous aurez incorporé.» Mais l’angoisse n’en finit pas: qu’est ceci, qui est le corps? Ceci, que je vous montre, mais tout«ceci»? tout l’indéterminé du «ceci» et des «ceci»? Tout ça? Sitôt touchée, la certitude sensible vire au chaos, à la tempête, tous les sens s’y dérèglent.
Corps est la certitude sidérée, mise en éclats. Rien de plus propre, rien de plus étranger à notre vieux monde.
Corps propre, corps étranger: c’est le corps propre que montre, fait toucher, donne à manger hoc est enim. Le corps propre, ou la Propriété même, l’Être-à-Soi en corps. Mais à l’instant, toujours, c’est un corps étranger qui se montre, monstre impossible à avaler. On n’en sort pas, empêtré dans un vaste gâchis d’images qui vont d’un Christ rêvant sur son pain azyme jusqu’à un Christ s’extirpant un Sacré-Cœur pantelant, sanguinolent. Ceci, ceci … ceci est toujours trop ou pas assez, pour être ça.
Et toutes les pensées du «corps propre», laborieux efforts pour réapproprier ce qu’on croyait fâcheusement «objectivé», ou «réifié», toutes ces pensées du corps propre sont des contorsions comparables: elles n’aboutissent qu’à l’expulsion de cela qu’on désirait.
L’angoisse, le désir de voir, de toucher et manger le corps de Dieu, d’être ce corps et de n’être que ça font le principe de (dé)raison de l’Occident. Du coup, le corps, du corps, n’y a jamais lieu, et surtout pas quand on l’y nomme et l’y convoque. Le corps, pour nous, est toujours sacrifié: hostie.
Si hoc est enim corpus meum dit quelque chose, c’est hors de parole, ce n’est pas dit, c’est excrit—à corps perdu.

Étranges corps étrangers

Qui d’autre au monde connaît quelque chose comme «le corps»? C’est le produit le plus tardif, le plus longuement décanté, raffiné, démonté et remonté de notre vieille culture. Si l’Occident est une chute, comme le veut son nom, le corps est le dernier poids, l’extrémité du poids qui bascule dans cette chute. Le corps est la pesanteur. Les lois de la gravitation concernent les corps dans l’espace. Mais tout d’abord, le corps pèse en lui-même: il est descendu en lui-même, sous la loi de cette gravité pro-pre qui l’a poussé jusqu’en ce point où il se confond avec sa charge. C’est-à-dire, avec son épaisseur de mur de prison, ou avec sa masse de terre tassée dans le tombeau, ou bien avec sa lourdeur poisseuse de défroque, et pour finir, avec son poids spécifique d’eau et d’os—mais toujours, mais d’abord en charge de sa chute, tombé de quelque éther, cheval noir, mauvais cheval.
Précipité de très haut, par le Très-Haut lui-même, dans la fausseté des sens, dans la malignité du péché. Corps immanquablement désastreux: éclipse et tombée froide des corps célestes. Aurions-nous inventé le ciel dans le seul but d’en faire déchoir les corps?
Ne croyons surtout pas en avoir fini avec ça. Nous ne parlons plus de péché, nous avons des corps sauvés, des corps de santé, de sport, de plaisir. Mais qui ne voit que le désastre s’en aggrave: le corps est toujours plus tombé, plus bas, puisque sa chute est toujours plus imminente, plus angoissante. «Le corps» est notre angoisse mise à nu.
Oui, quelle civilisation a su inventer ça? Le corps si nu: le corps, enfin …
Étranges corps étrangers, doués de Yin et de Yang, de Troisième Œil, de Champs de Cinabre et d’Océan des Souffles, corps incisés, gravés, marqués, taillés en microcosmes, en constellations: ignorants du désastre. Étranges corps étrangers soustraits à la pesée de leur nudité, et voués à se concentrer en eux-mêmes, sous leurs peaux saturées de signes, jusqu’à la rétraction de tous les sens en un sens insensible et blanc, corps délivré-vivants, points purs d’une lumière toute en soi éjaculée.
Certes, pas un de leurs mots ne nous parle de notre corps. Le corps des Blancs, le corps qu’ ils trouvent blafard, toujours au bord de se répandre au lieu de se resserrer, tenu par aucune marque, ni entaille, ni incrustation—ce corps leur est plus étranger qu’une chose étrange. A peine quelque chose
Nous n’avons pas mis le corps à nu: nous l’avons inventé, et il est la nudité, et il n’y en a pas d’autre, et ce qu’elle est, c’est d’être plus étrangère que tous les étranges corps étrangers.
Que «le corps» nomme l’Étranger, absolument, telle est la pensée que nous avons menée à bien. Je le dis sans ironie, je n’abaisse pas l’Occident. J’ai plutôt peur de mal estimer l’extrémité de cette pensée, sa force d’arrachement, et qu’il faut la traverser. Surtout, ne pas faire comme si elle n’avait pas eu lieu, et comme si le corps nu et blafard de Dieu, de l’Étranger, n’était pas jeté pour longtemps en travers du tableau.
(Qu’on ne se demande pas, en tout cas, pourquoi le corps suscite tant de haine.)
(Qu’on ne se demande pas pourquoi c’est un mot pincé, étroit, mesquin, distant, dégoûté—mais aussi bien dégoûtant, gras, louche, obscène, pornoscopique.)
(Ce mot, il vient à l’idée qu’on ne le sauve qu’avec de belles épures de géométrie à trois ou à n dimensions, avec d’élégantes axonométries: mais alors, tout flotte suspendu en l’air, et le corps doit toucher terre.)

Soit à écrire le corps

Soit à écrire, non pas du corps, mais le corps même. Non pas la corporéité, mais le corps. Non pas les signes, les images, les chiffres du corps, mais encore le corps. Cela fut, et sans doute cela n’est déjà plus, un programme de la modernité.
Désormais, il ne s’agit plus que d’être résolument moderne, et il n’y a pas programme, mais nécessité, urgence. Le motif, il suffit d’allumer la télévision pour l’avoir, chaque jour: il y a un quart ou un tiers du monde où fort peu de corps circulent (mais des chairs, des peaux, des visages, des muscles— les corps sont plus ou moins cachés: hôpitaux, cimetières, usines, lits parfois), et dans le reste du monde, il n’y a que ça, des corps toujours plus nombreux, le corps toujours multiplié (souvent affamé, abattu, meurtri, in-quiet, et parfois rieur, danseur).
De cette manière encore, le corps est en limite, en extrémité: il nous vient du plus loin, l’horizon est sa multitude qui vient.
Écrire: toucher à l’extrémité. Comment donc toucher au corps, au lieu de le signifier ou de le faire signifier? On est tenté de répondre à la hâte, ou bien que cela est impossible, que le corps, c’est l’ininscriptible, ou bien qu’il s’agit de mimer ou d’épouser le corps à même l’écriture (danser, saigner …). Réponses sans doute inévitables—pourtant rapides, convenues, insuffisantes: l’une comme l’autre parlent au fond de signifier le corps, directement ou indirectement, comme absence ou comme présence. Écrire n’est pas signifier. On a demandé: comment toucher au corps? Il n’est peutêtre pas possible de répondre à ce «comment»? comme à une demande technique. Mais ce qu’il faut dire, c’est que cela— toucher au corps, toucher le corps, toucher enfin—arrive tout le temps dans l’écriture.
Cela n’arrive peutêtre pas exactement dans l’écriture, si celleci a un «dedans». Mais en bordure, en limite, en pointe, en extrémité d’écriture, il n’arrive que fa. Or l’écriture a son lieu sur la limite. Il n’arrive donc rien d’autre à l’écriture, s’il lui arrive quelque chose, que de toucher. Plus précisément: de toucher le corps (ou plutôt, tel et tel corps singulier) avec l’incorporel du «sens». Et par conséquent, de rendre l’incorporel touchant, ou de faire du sens une touche.
(Je n’essaierai même pas de protester que je ne fais pas l’éloge d’une douteuse «littérature touchante». Car je sais distinguer l’écriture de l’eau de roses, mais je ne sache pas d’écriture qui ne touche pas. Ou bien, ce n’est pas de l’écriture, c’est du rapport, de l’exposé, comme on voudra dire. Écrire touche au corps, par essence.)
Mais il ne s’agit pas du tout de trafiquer avec les limites, et d’évoquer on ne sait quels tracés qui viendraient s’inscrire sur les corps, ou quels improbables corps qui viendraient se tresser aux lettres. L’écriture touche aux corps selon la limite absolue qui sépare le sens de l’une de la peau et des nerfs de l’autre. Rien ne passe, et c’est là que ça touche. (Je déteste l’histoire kafkaïenne de La colonie pénitentiaire, fausse, facile et grandiloquente de bout en bout.)
Les «corps écrits»—incisés, gravés, tatoués, cicatrisés—sont des corps précieux, préservés, réservés comme les codes dont ils sont les glorieux engrammes: mais enfin, ce n’est pas le corps moderne, ce n’est pas ce corps que nous avons jeté, là, devant nous, et qui vient à nous, nu, seulement nu, et d’avance excrit de toute écriture.
L’ excription de notre corps, voilà par où il faut d’abord passer. Son inscription-dehors, sa mise hors-texte comme le plus propre mouvement de son texte: le texte même abandonné, laissé sur sa limite. Ce n’est plus une «chute», ça n’a plus ni haut, ni bas, le corps n’est pas déchu, mais tout en limite, en bord externe, extrême, et que rien ne referme. Je dirais: l’anneau des circoncisions est rompu, il n’y a plus qu’une ligne in-finie, le trait de l’écriture elle-même excrite, à suivre infiniment brisé, partagé à travers la multitude des corps, ligne de partage avec tous ses lieux: points de tangence, touches, intersections, dislocations.
Nous ignorons quelles «écritures» ou quelles «excriptions» se préparent à venir de ces lieux. Quels diagrammes, quels réticules, quelles greffes topologiques, quelles géographies des multitudes.
Le temps vient en effet d’écrire et de penser ce corps dans l’éloignement infini qui le fait nôtre, qui le fait nous venir de plus loin que toutes nos pensées: le corps exposé de la population du monde.
(D’où cette nécessité, qui nous reste pour le moment tout à fait indéchiffrable: ce corps exige une écriture, une pensée populaire.)

Aphalle et acéphale

Platon veut qu’un discours ait le corps bien constitué d’un grand animal, avec tête, ventre et queue. C’est pourquoi nous autres, bons et vieux platoniciens, nous savons et nous ne savons pas ce que c’est qu’un discours sans queue ni tête, aphalle et acéphale. Nous savons: c’est du non-sens. Mais nous ne savons pas: nous ne savons quoi faire du «non-sens», nous n’y voyons pas plus loin que le bout du sens.
Toujous nous faisons signe au sens: au-delà, nous lâchons pied (Platon nous lâche, sacré corps de Dieu !).
«Le corps», c’est où on lâche pied. «Non-sens» ne veut pas dire ici quelque chose comme l’absurde, ni comme du sens à l’envers, ou comme on voudra contorsionné (ce n’est pas chez Lewis Carroll qu’on touchera aux corps). Mais cela veut dire: pas de sens, ou encore, du sens qu’il est absolument exclu d’approcher sous aucune figure de «sens». Du sens qui fait sens là où c’est, pour le sens, limite. Du sens muet, fermé, autistique: mais jutement, il n’y a pas d’autos, pas de «soi-même». L’autisme sans autos du corps, ce qui le fait infiniment moins qu’un «sujet», mais aussi infiniment autre chose, jeté non «sub-jeté», mais aussi dur, aussi intense, aussi inévitable, aussi singulier qu’un sujet.
Ni queue, ni tête, donc, puisque rien ne fait support ni substance à cette matière. Je dis «aphalle et acéphale», je ne dis pas «anoure», qui est bon pour les batraciens. Corps impuissant et inintelligent. Ses possibles sont ailleurs, ses forces, ses pensées.
Mais «impuissant» et «inintelligent» sont ici des mots impuissants et inintelligents. Le corps n’est ni bête, ni impotent. Il lui faut d’autres catégories de force et de pensée.
Que seraient les forces, les pensées, qui tiendraient tout d’abord à cet êtrejeté-là qu’est le corps? Cet être-abandonné, répandu et resserré sur la limite du «là», de l’ «ici-maintenant» et du «ceci»? Quelles forces, quelles pensées du hoc est enim? Il n’y a là ni action, ni passion, ni concept, ni intuition. Quelles forces et quelles pensées—quelles forces-pensées, peut-être—exprimeraient l’étrangeté si familière de cet être-là, de cet être-ça?
On dira que pour répondre, il faut au plus vite quitter la page d’écriture et le discours, que les corps n’auront jamais leur place ici. Mais ainsi, on se tromperait. Ce qu’on appelle «écriture» et ce qu’on appelle «ontologie» n’ont à faire qu’à ceci: de la place pour ce qui reste, ici, sans place. Artaud pourrait nous crier que nous ne devrions pas être ici, mais à nous tordre, suppliciés, sur des bûchers: je réponds qu’il n’est pas très différent de s’efforcer à écarter, dans le présent et dans le plein du discours et de l’espace que nous occupons, la place, l’ouverture des corps.
Les corps ne sont pas du «plein», de l’espace rempli (l’espace est partout rempli): ils sont l’espace ouvert, c’est-à-dire en un sens l’espace proprement spacieux plutôt que spatial, ou ce qu’on peut encore nommer le lieu. Les corps sont des lieux d’existence, et il n’y a pas d’existence sans lieu, sans , sans un «ici», «voici», pour le ceci. Le corps-lieu n’est ni plein, ni vide, il n’a ni dehors, ni dedans, pas plus qu’il n’a ni parties, ni totalité, ni fonctions, ni finalité. Aphalle et acéphale dans tous les sens, si l’on peut dire. Mais c’est une peau diversement pliée, repliée, dépliée, multipliée, invaginée, exogastrulée, orificée, évasive, invasie, tendue, relâchée, excitée, sidérée, liée, déliée. Sous ces modes et sous mille autres (il n’y a pas ici de «formes a priori de l’intuition», ni de «table des catégories»: le transcendantal est dans l’indéfinie modification et modulation spacieuse de la peau), le corps donne lieu à l’existence.
Et très précisément, il donne lieu à ceci que l’existence a pour ess...

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