Les Essais - Livre I
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Michel de Montaigne

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Michel de Montaigne

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Über dieses Buch

« Ce ne sont mes gestes que j'escris; c'est moy, c'est mon essence. Je tien qu'il faut estre prudent a estimer de soy, et pareillement conscientieux a en tesmoigner: soit bas, soit haut, indifferemment. Si je me sembloy bon et sage tout a fait, je l'entonneroy a pleine teste. De dire moins de soy, qu'il n'y en a, c'est sottise, non modestie: se payer de moins, qu'on ne vaut, c'est lascheté et pusillanimité selon Aristote. Nulle vertu ne s'ayde de la fausseté: et la verité n'est jamais matiere d'erreur. De dire de soy plus qu'il n'en y a, ce n'est pas tousjours presomption, c'est encore souvent sottise. Se complaire outre mesure de ce qu'on est, en tomber en amour de soy indiscrete, est a mon advis la substance de ce vice. Le supreme remede a le guarir, c'est faire tout le rebours de ce que ceux icy ordonnent, qui en defendant le parler de soy, defendent par consequent encore plus de penser a soy. L'orgueil gist en la pensée: la langue n'y peut avoir qu'une bien legere part. »

Livre II, chapitre VI.

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Information

Chapitre 1 Par divers moyens on arrive à pareille fin

LA plus commune façon d'amollir les coeurs de ceux qu'on a offencez, lors qu'ayans la vengeance en main, ils nous tiennent à leur mercy, c'est de les esmouvoir par submission, à commiseration et à pitié : Toutesfois la braverie, la constance, et la resolution, moyens tous contraires, ont quelquesfois servy à ce mesme effect.
Edouard Prince de Galles, celuy qui regenta si long temps nostre Guienne : personnage duquel les conditions et la fortune ont beaucoup de notables parties de grandeur ; ayant esté bien fort offencé par les Limosins, et prenant leur ville par force, ne peut estre arresté par les cris du peuple, et des femmes, et enfans abandonnez à la boucherie, luy criants mercy, et se jettans à ses pieds : jusqu'à ce que passant tousjours outre dans la ville, il apperçeut trois gentils-hommes François, qui d'une hardiesse incroyable soustenoient seuls l'effort de son armee victorieuse. La consideration et le respect d'une si notable vertu, reboucha premierement la pointe de sa cholere : et commença par ces trois, à faire misericorde à tous les autres habitans de la ville.
Scanderberch, Prince de l'Epire, suyvant un soldat des siens pour le tuer, et ce soldat ayant essayé par toute espece d'humilité et de supplication de l'appaiser, se resolut à toute extremité de l'attendre l'espee au poing : cette sienne resolution arresta sus bout la furie de son maistre, qui pour luy avoir veu prendre un si honorable party, le reçeut en grace. Cet exemple pourra souffrir autre interpretation de ceux, qui n'auront leu la prodigieuse force et vaillance de ce Prince là.
L'Empereur Conrad troisiesme, ayant assiegé Guelphe Duc de Bavieres, ne voulut condescendre à plus douces conditions, quelques viles et lasches satisfactions qu'on luy offrist, que de permettre seulement aux gentils-femmes qui estoient assiegees avec le Duc, de sortir leur honneur sauve, à pied, avec ce qu'elles pourroient emporter sur elles. Elles d'un coeur magnanime, s'adviserent de charger sur leurs espaules leurs maris, leurs enfans, et le Duc mesme. L'Empereur print si grand plaisir à voir la gentillesse de leur courage, qu'il en pleura d'aise, et amortit toute cette aigreur d'inimitié mortelle et capitale qu'il avoit portee contre ce Duc : et dés lors en avant traita humainement luy et les siens. L'un et l'autre de ces deux moyens m'emporteroit aysement : car j'ay une merveilleuse lascheté vers la miséricorde et mansuetude : Tant y a, qu'à mon advis, je serois pour me rendre plus naturellement à la compassion, qu'à l'estimation. Si est la pitié passion vitieuse aux Stoiques : Ils veulent qu'on secoure les affligez, mais non pas qu'on flechisse et compatisse avec eux.
Or ces exemples me semblent plus à propos, d'autant qu'on voit ces ames assaillies et essayees par ces deux moyens, en soustenir l'un sans s'esbranler, et courber sous l'autre. Il se peut dire, que de rompre son coeur à la commiseration, c'est l'effet de la facilité, debonnaireté, et mollesse : d'où il advient que les natures plus foibles, comme celles des femmes, des enfans, et du vulgaire, y sont plus subjettes. Mais (ayant eu à desdaing les larmes et les pleurs) de se rendre à la seule reverence de la saincte image de la vertu, que c'est l'effect d'une ame forte et imployable, ayant en affection et en honneur une vigueur masle, et obstinee. Toutesfois és ames moins genereuses, l'estonnement et l'admiration peuvent faire naistre un pareil effect : Tesmoin le peuple Thebain, lequel ayant mis en Justice d'accusation capitale, ses capitaines, pour avoir continué leur charge outre le temps qui leur avoit esté prescript et preordonné, absolut à toute peine Pelopidas, qui plioit sous le faix de telles objections, et n'employoit à se garantir que requestes et supplications : et au contraire Epaminondas, qui vint à raconter magnifiquement les choses par luy faites, et à les reprocher au peuple d'une façon fiere et arrogante, il n'eut pas le coeur de prendre seulement les balotes en main, et se departit : l'assemblee louant grandement la hautesse du courage de ce personnage.
Dionysius le vieil, apres des longueurs et difficultés extremes, ayant prins la ville de Rege, et en icelle le Capitaine Phyton, grand homme de bien, qui l'avoit si obstinéement defendue, voulut en tirer un tragique exemple de vengeance. Il luy dict premierement, comment le jour avant, il avoit faict noyer son fils, et tous ceux de sa parenté. A quoy Phyton respondit seulement, qu'ils en estoient d'un jour plus heureux que luy. Apres il le fit despouiller, et saisir à des Bourreaux, et le trainer par la ville, en le fouëttant tres ignominieusement et cruellement : et en outre le chargeant de felonnes parolles et contumelieuses. Mais il eut le courage tousjours constant, sans se perdre. Et d'un visage ferme, alloit au contraire ramentevant à haute voix, l'honorable et glorieuse cause de sa mort, pour n'avoir voulu rendre son païs entre les mains d'un tyran : le menaçant d'une prochaine punition des dieux. Dionysius, lisant dans les yeux de la commune de son armee, qu'au lieu de s'animer des bravades de cet ennemy vaincu, au mespris de leur chef, et de son triomphe : elle alloit s'amollissant par l'estonnement d'une si rare vertu, et marchandoit de se mutiner, et mesmes d'arracher Phyton d'entre les mains de ses sergens, feit cesser ce martyre : et à cachettes l'envoya noyer en la mer.
Certes c'est un subject merveilleusement vain, divers, et ondoyant, que l'homme : il est malaisé d'y fonder jugement constant et uniforrme. Voyla Pompeius qui pardonna à toute la ville des Mamertins, contre laquelle il estoit fort animé, en consideration de la vertu et magnanimité du citoyen Zenon, qui se chargeoit seul de la faute publique, et ne requeroit autre grace que d'en porter seul la peine. Et l'hoste de Sylla, ayant usé en la ville de Peruse de semblable vertu, n'y gaigna rien, ny pour soy, ny pour les autres.
Et directement contre mes premiers exemples, le plus hardy des hommes et si gratieux aux vaincus Alexandre, forçant apres beaucoup de grandes difficultez la ville de Gaza, rencontra Betis qui y commandoit, de la valeur duquel il avoit, pendant ce siege, senty des preuves merveilleuses, lors seul, abandonné des siens, ses armes despecees, tout couvert de sang et de playes, combatant encores au milieu de plusieurs Macedoniens, qui le chamailloient de toutes parts : et luy dit, tout piqué d'une si chere victoire (car entre autres dommages, il avoit receu deux fresches blessures sur sa personne) Tu ne mourras pas comme tu as voulu, Betis : fais estat qu'il te faut souffrir toutes les sortes de tourmens qui se pourront inventer contre un captif. L'autre, d'une mine non seulement asseuree, mais rogue et altiere, se tint sans mot dire à ces menaces. Lors Alexandre voyant l'obstination à se taire : A il flechy un genouil ? luy est-il eschappé quelque voix suppliante ? Vrayement je vainqueray ce silence : et si je n'en puis arracher parole, j'en arracheray au moins du gemissement. Et tournant sa cholere en rage, commanda qu'on luy perçast les talons, et le fit ainsi trainer tout vif, deschirer et desmembrer au cul d'une charrette.
Seroit-ce que la force de courage luy fust si naturelle et commune, que pour ne l'admirer point, il la respectast moins ? ou qu'il l'estimast si proprement sienne, qu'en cette hauteur il ne peust souffrir de la veoir en un autre, sans le despit d'une passion envieuse ? ou que l'impetuosité naturelle de sa cholere fust incapable d'opposition ?
De vray, si elle eust receu bride, il est à croire, qu'en la prinse et desolation de la ville de Thebes elle l'eust receue : à veoir cruellement mettre au fil de l'espee tant de vaillans hommes, perdus, et n'ayans plus moyen de defence publique. Car il en fut tué bien six mille, desquels nul ne fut veu ny fuiant, ny demandant mercy. Au rebours cerchans, qui çà, qui là, par les rues, à affronter les ennemis victorieux : les provoquans à les faire mourir d'une mort honorable. Nul ne fut veu, qui n'essaiast en son dernier souspir, de se venger encores : et à tout les armes du desespoir consoler sa mort en la mort de quelque ennemy. Si ne trouva l'affliction de leur vertu aucune pitié et ne suffit la longueur d'un jour à assouvir sa vengeance. Ce carnage dura jusques à la derniere goute de sang espandable : et ne s'arresta qu'aux personnes desarmées, vieillards, femmes et enfants, pour en tirer trente mille esclaves.

Chapitre 2 De la Tristesse

JE suis des plus exempts de cette passion, et ne l'ayme ny l'estime : quoy que le monde ayt entrepris, comme à prix faict, de l'honorer de faveur particuliere. Ils en habillent la sagesse, la vertu, la conscience. Sot et vilain ornement. Les Italiens ont plus sortablement baptisé de son nom la malignité. Car c'est une qualité tousjours nuisible, tousjours folle : et comme tousjours couarde et basse, les Stoïciens en defendent le sentiment à leurs sages.
Mais le conte dit que Psammenitus Roy d'Ægypte, ayant esté deffait et pris par Cambysez Roy de Perse, voyant passer devant luy sa fille prisonniere habillee en servante, qu'on envoyoit puiser de l'eau, tous ses amis pleurans et lamentans autour de luy, se tint coy sans mot dire, les yeux fichez en terre : et voyant encore tantost qu'on menoit son fils à la mort, se maintint en cette mesme contenance : mais qu'ayant apperçeu un de ses domestiques conduit entre les captifs, il se mit à battre sa teste, et mener un dueil extreme.
Cecy se pourroit apparier à ce qu'on vid dernierement d'un Prince des nostres, qui ayant ouy à Trente, où il estoit, nouvelles de la mort de son frere aisné, mais un frere en qui consistoit l'appuy et l'honneur de toute sa maison, et bien tost apres d'un puisné, sa seconde esperance, et ayant soustenu ces deux charges d'une constance exemplaire, comme quelques jours apres un de ses gens vint à mourir, il se laissa emporter à ce dernier accident ; et quitant sa resolution, s'abandonna au dueil et aux regrets ; en maniere qu'aucuns en prindrent argument, qu'il n'avoit esté touché au vif que de cette derniere secousse : mais à la verité ce fut, qu'estant d'ailleurs plein et comblé de tristesse, la moindre sur-charge brisa les barrieres de la patience. Il s'en pourroit (di-je) autant juger de nostre histoire, n'estoit qu'elle adjouste, que Cambyses s'enquerant à Psammenitus, pourquoy ne s'estant esmeu au malheur de son filz et de sa fille, il portoit si impatiemment celuy de ses amis : C'est, respondit-il, que ce seul dernier desplaisir se peut signifier par larmes, les deux premiers surpassans de bien loin tout moyen de se pouvoir exprimer.
A l'aventure reviendroit à ce propos l'invention de cet ancien peintre, lequel ayant à representer au sacrifice de Iphigenia le dueil des assistans, selon les degrez de l'interest que chacun apportoit à la mort de cette belle fille innocente : ayant espuisé les derniers efforts de son art, quand ce vint au pere de la vierge, il le peignit le visage couvert, comme si nulle contenance ne pouvoit rapporter ce degré de dueil. Voyla pourquoy les Poëtes feignent cette miserable mere Niobé, ayant perdu premierement sept filz, et puis de suite autant de filles, sur-chargee de pertes, avoir esté en fin transmuee en rocher,
diriguisse malis,
pour exprimer cette morne, muette et sourde stupidité, qui nous transsit, lors que les accidens nous accablent surpassans nostre portee.
De vray, l'effort d'un desplaisir, pour estre extreme, doit estonner toute l'ame, et luy empescher la liberté de ses actions : Comme il nous advient à la chaude alarme d'une bien mauvaise nouvelle, de nous sentir saisis, transsis, et comme perclus de tous mouvemens : de façon que l'ame se relaschant apres aux larmes et aux plaintes, semble se desprendre, se desmeller, et se mettre plus au large, et à son aise,
Et via vix tandem voci laxata dolore est.
En la guerre que le Roy Ferdinand mena contre la veufve du Roy Jean de Hongrie, autour de Bude, un gendarme fut particulierement remerqué de chacun, pour avoir excessivement bien faict de sa personne, en certaine meslee : et incognu, hautement loué, et plaint y estant demeuré. Mais de nul tant que de Raiscïac seigneur Allemand, esprins d'une si rare vertu : le corps estant rapporté, cetuicy d'une commune curiosité, s'approcha pour voir qui c'estoit : et les armes ostees au trespassé, il reconut son fils. Cela augmenta la compassion aux assistans : luy seul, sans rien dire, sans siller les yeux, se tint debout, contemplant fixement le corps de son fils : jusques à ce que la vehemence de la tristesse, aiant accablé ses esprits vitaux, le porta roide mort par terre.
Chi puo dir com'egli arde è in picciol fuoco,
disent les amoureux, qui veulent representer une passion insupportable :
misero quod omnes
Eripit sensus mihi. Nam simul te
Lesbia aspexi, nihil est super mi
Quod loquar amens.
Lingua sed torpet, tenuis sub artus
Flamma dimanat, sonitu suopte
Tinniunt aures, gemina teguntur
Lumina nocte.
Aussi n'est ce pas en la vive, et plus cuysante chaleur de l'accés, que nous sommes propres à desployer nos plaintes et nos persuasions : l'ame est lors aggravee de profondes pensees, et le corps abbatu et languissant d'amour.
Et de là s'engendre par fois la defaillance fortuite, qui surprent les amoureux si hors de saison ; et cette glace qui les saisit par la force d'une ardeur extreme, au giron mesme de la jouïssance. Toutes passions qui se laissent gouster, et digerer, ne sont que mediocres,
Curæ leves loquuntur, ingentes stupent.
La surprise d'un plaisir inesperé nous estonne de mesme,
Ut me conspexit venientem, Et Troïa circum
Arma amens vidit, magnis exterrita monstris,
Diriguit visu in medio, calor ossa reliquit,
Labitur, et longo vix tandem tempore fatur.
Outre la femme Romaine, qui mourut surprise d'aise de voir son fils revenu de la routte de Cannes : Sophocles et Denis le Tyran, qui trespasserent d'aise : et Talva qui mourut en Corsegue, lisant les nouvelles des honneurs que le Senat de Rome luy avoit decernez. Nous tenons en nostre siecle, que le Pape Leon dixiesme ayant esté adverty de la prinse de Milan, qu'il avoit extremement souhaittee, entra en tel excez de joye, que la fievre l'en print, et en mourut. Et pour un plus notable tesmoignage de l'imbecillité humaine, il a esté remerqué par les anciens, que Diodorus le Dialecticien mourut sur le champ, espris d'une extreme passion de honte, pour en son escole, et en public, ne se pouvoir desvelopper d'un argument qu'on luy avoit faict.
Je suis peu en prise de ces violentes passions : J'ay l'apprehension naturellement dure ; et l'encrouste et espessis tous les jours par discours.

Chapitre 3 Nos affections s'emportent au delà de nous

CEUX qui accusent les hommes d'aller tousjours beant apres les choses futures, et nous apprennent à nous saisir des biens presens, et nous rassoir en ceux-là : comme n'ayants aucune prise sur ce qui est à venir, voire assez moins que nous n'avons sur ce qui est passé, touchent la plus commune des humaines erreurs : s'ils osent appeller erreur, chose à quoy nature mesme nous achemine, pour le service de la continuation de son ouvrage, nous imprimant, comme assez d'autres, cette imagination fausse, plus jalouse de nostre action, que de nostre science. Nous ne sommes jamais chez nous, nous sommes tousjours au delà. La crainte, le desir, l'esperance, nous eslancent vers l'advenir : et nous desrobent le sentiment et la consideration de ce qui est, pour nous amuser à ce qui sera, voire quand nous ne serons plus. Calamitosus est animus futuri anxius.
Ce grand precepte est souvent allegué en Platon, « Fay ton faict, et te congnoy. » Chascun de ces deux membres enveloppe generallement tout nostre devoir : et semblablement enveloppe son compagnon. Qui auroit à faire son faict, verroit que sa premiere leçon, c'est cognoistre ce qu'il est, et ce qui luy est propre. Et qui se cognoist, ne prend plus l'estranger faict pour le sien : s'ayme, et se cultive avant toute autre chose : refuse les occupations superflues, et les pensees, et propositions inutiles. Comme la folie quand on luy octroyera ce qu'elle desire, ne sera pas contente : aussi est la sagesse contente de ce qui est present, ne se desplait jamais de soy.
Epicurus dispense son sage de la prevoyance et soucy de l'advenir.
Entre les loix qui regardent les trespassez, celle icy me semble autant solide, qui oblige les actions des Princes à estre examinees apres leur mort : Ils sont compagnons, sinon maistres des loix : ce que la Justice n'a peu sur leurs testes, c'est raison qu'elle l'ayt sur leur reputation, et biens de leurs successeurs : choses que souvent nous preferons à la vie. C'est une usance qui apporte des commoditez singulieres aux nations où elle est observee, et desirable à tous bons Princes : qui ont à se plaindre de ce, qu'on traitte la memoire des meschants comme la leur. Nous devons la subjection et obeïssance egalement à tous Rois : car elle regarde leur office : mais l'estimation, non plus que l'affection, nous ne la devons qu'à leur vertu. Donnons à l'ordre politique de les souffrir patiemment, indignes : de celer leurs vices : d'aider de nostre recommandation leurs actions indifferentes, pendant que leur auctorité a besoin de nostre appuy. Mais nostre commerce finy, ce n'est pas raison de refuser à la justice, et à nostre liberté, l'expression de noz vrays ressentiments. Et nommément de refuser aux bons subjects, la gloire d'avoir reveremment et fidellement servi un maistre, les imperfections duquel leur estoient si bien cognues : frustrant la posterité d'un si utile exemple. Et ceux, qui, par respect de quelque obligation privee, espousent iniquement la memoire d'un Prince mesloüable, font justice particuliere aux despends de la justice publique. Titus Livius dict vray, que le langage des hommes nourris sous la Royauté, est tousjours plein de vaines ostentations et faux tesmoignages : chascun eslevant indifferemment son Roy, à l'extreme ligne de valeur et grandeur souveraine.
On peult reprouver la magnanimité de ces deux soldats, qui respondirent à Neron, à sa barbe, l'un enquis de luy, pourquoy il luy vouloit mal : Je t'aimoy quand tu le valois : mais despuis que tu és devenu parricide, boutefeu, basteleur, cochier, je te hay, comme tu merites. L'autre, pourquoy il le vouloit tuer ; Par ce que je ne trouve autre remede à tes continuels malefices. Mais les publics et universels tesmoignages, qui apres sa mort ont esté rendus, et le seront à tout jamais, à luy, et à tous meschans comme luy, de ses tiranniques et vilains deportements, qui de sain entendement les peut reprouver ?
Il me desplaist, qu'en une si saincte police que la Lacedemonienne, se fust meslée une si feinte ceremonie à la mort des Roys. Tous les confederez et voysins, et tous les Ilotes, hommes, femmes, pesle-mesle, se descoupoient le front, pour tesmoignage de deuil : et disoient en leurs cris et lamen...

Inhaltsverzeichnis

  1. Titre
  2. Au Lecteur
  3. Chapitre 1 - Par divers moyens on arrive à pareille fin
  4. Chapitre 2 - De la Tristesse
  5. Chapitre 3 - Nos affections s'emportent au delà de nous
  6. Chapitre 4 - Comme l'ame descharge ses passions sur des objects faux, quand les vrais luy defaillent
  7. Chapitre 5 - Si le chef d'une place assiegee, doit sortir pour parlementer
  8. Chapitre 6 - L'heure des parlemens dangereuse
  9. Chapitre 7 - Que l'intention juge nos actions
  10. Chapitre 8 - De l'Oysiveté
  11. Chapitre 9 - Des Menteurs
  12. Chapitre 10 - Du parler prompt ou tardif
  13. Chapitre 11 - Des Prognostications
  14. Chapitre 12 - De la constance
  15. Chapitre 13 - Ceremonie de l'entreveuë des Rois
  16. Chapitre 14 - On est puny pour s'opiniastrer en une place sans raison
  17. Chapitre 15 - De la punition de la couardise
  18. Chapitre 16 - Un traict de quelques Ambassadeurs
  19. Chapitre 17 - De la peur
  20. Chapitre 18 - Qu'il ne faut juger de notre heur qu'apres la mort
  21. Chapitre 19 - Que Philosopher, c'est apprendre a mourir
  22. Chapitre 20 - De la force de l'imagination
  23. Chapitre 21 - Le profit de l'un est dommage de l'autre
  24. Chapitre 22 - De la coustume, et de ne changer aisément une loy receüe
  25. Chapitre 23 - Divers evenemens de mesme Conseil
  26. Chapitre 24 - Du pedantisme
  27. Chapitre 25 - De l'institution des enfans
  28. Chapitre 26 - C'est folie de rapporter le vray et le faux à nostre suffisance
  29. Chapitre 27 - De l'Amitié
  30. Chapitre 28 - Vingt et neuf sonnets d'Estienne de la Boëtie
  31. Chapitre 29 - De la Moderation
  32. Chapitre 30 - Des Cannibales
  33. Chapitre 31 - Qu'il faut sobrement se mesler de juger des ordonnances divines
  34. Chapitre 32 - De fuir les voluptez au pris de la vie
  35. Chapitre 33 - La fortune se rencontre souvent au train de la raison
  36. Chapitre 34 - D'un defaut de nos polices
  37. Chapitre 35 - De l'usage de se vestir
  38. Chapitre 36 - Du jeune Caton
  39. Chapitre 37 - Comme nous pleurons et rions d'une mesme chose
  40. Chapitre 38 - De la solitude
  41. Chapitre 39 - Consideration sur Ciceron
  42. Chapitre 40 - Que le goust des biens et des maux despend en bonne partie de l'opinion que nous en avons
  43. Chapitre 41 - De ne communiquer sa gloire
  44. Chapitre 42 - De l'inequalité qui est entre nous
  45. Chapitre 43 - Des loix somptuaires
  46. Chapitre 44 - Du dormir
  47. Chapitre 45 - De la battaille de Dreux
  48. Chapitre 46 - Des noms
  49. Chapitre 47 - De l'incertitude de nostre jugement
  50. Chapitre 48 - Des destries
  51. Chapitre 49 - Des coustumes anciennes
  52. Chapitre 50 - De Democritus et Heraclitus
  53. Chapitre 51 - De la vanité des paroles
  54. Chapitre 52 - De la parsimonie des anciens
  55. Chapitre 53 - D'un mot de Cæsar
  56. Chapitre 54 - Des vaines subtilitez
  57. Chapitre 55 - Des Senteurs
  58. Chapitre 56 - Des prieres
  59. Chapitre 57 - De l'aage
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Montaigne, M. Les Essais - Livre I. [edition unavailable]. Booklassic. Available at: https://www.perlego.com/book/542834/les-essais-livre-i-pdf (Accessed: 14 October 2022).

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Montaigne, Michel. Les Essais - Livre I. [edition unavailable]. Booklassic. Web. 14 Oct. 2022.