Vivre, c’est changer pour s’adapter tout en restant soi-même. Ce processus de changement personnel, qui correspond à un travail d’ajustement progressif entre nos semblables et nous-mêmes, s’accomplit souvent de manière inconsciente. Dans le cas des personnalités difficiles, ce changement se fait mal, imparfaitement, incomplètement. Mais comment changer des façons d’être problématiques ? Est-ce au sujet, et à lui seul, de faire des efforts ? Est-ce à l’entourage, qui s’agace ou qui souffre des comportements du sujet, de faire pression sur lui ? Est-ce au « psy », enfin, d’intervenir pour modifier certains traits de personnalité ? On s’en doute, aucune de ces questions ne trouve de réponse simple…
Se changer
« Quand on s’est trompé, on se dit : la prochaine fois, je saurai comment faire. Alors qu’on devrait se dire : la prochaine fois, je sais déjà comment je ferai… » Par ces quelques mots, et avec le pessimisme qui caractérise son œuvre, l’écrivain italien Cesare Pavese soulignait cruellement cette évidence : il est particulièrement difficile de modifier sa personnalité. Dans toutes les langues et à toutes les époques, les proverbes abondent pour traduire cela : « On ne se refait pas », « Chassez le naturel, il revient au galop »…
Comment expliquer que l’esprit humain, capable de composer des symphonies ou d’envoyer des sondes sur Mars, s’avère impuissant à modifier quelques habitudes comportementales ? Changer volontairement sa manière d’être représente sans doute l’entreprise la plus difficile qui soit. Y compris pour des personnalités exceptionnelles : une très intéressante étude conduite sur environ trois cents personnages célèbres des deux siècles derniers montrait une forte proportion de personnalités difficiles, pour ne pas dire franchement pathologiques. On y retrouve nombre de nos gloires nationales, comme Pasteur et Clemenceau. Ces hommes capables de modifier le cours de l’histoire, des sciences ou des arts n’avaient pu modifier leur propre caractère. Mais, après tout, ce caractère n’a-t-il pas contribué à leur grandeur ? La créativité de certains grands artistes aurait-elle survécu à une psychothérapie rondement menée, ou à un traitement antidépresseur bien conduit ? Et si Churchill n’avait été doté d’une personnalité difficile, compliquée de surcroît d’alcoolisme, peut-être n’aurait-il pas fait preuve de la même détermination face à Hitler et à la menace nazie ?
Mais si les personnalités difficiles peuvent se révéler, voire s’épanouir, dans des circonstances exceptionnelles, elles vont la plupart du temps s’avérer peu adaptées à la vie quotidienne… Pour quelles raisons éprouve-t-on autant de mal à se changer soi-même ?
« J’ai toujours été comme ça ! »
Notre personnalité se construit dès les premiers jours de notre vie (et même avant pour certains traits comportant une part de prédisposition génétique). Lorsque nous prenons clairement conscience que nos façons d’être devraient être changées, nous avons au moins 20 ou 30 ans, et le sillon est déjà profondément creusé. Plus une habitude comportementale est précoce, plus les efforts à faire pour la modifier vont s’avérer importants, ce qui entraîne souvent un sentiment de découragement anticipé de la part des sujets qui veulent changer. Écoutons Yasmine, 27 ans, personnalité évitante.
Je sais qu’il faudrait que j’aille davantage vers les gens, que je sois moins sensible à la critique, que je me pose moins de questions sur ma valeur aux yeux des autres… Mais je n’y arrive pas, tout cela me semble une tâche tellement énorme, tellement compliquée, tellement longue que je renonce à l’avance. En y réfléchissant, je m’aperçois qu’au fond je n’ai jamais essayé de bousculer mes habitudes et mes certitudes. Je fais le constat, je m’en désole, et puis c’est tout. J’ai toujours été comme ça : enfant, je redoutais le regard des autres, et je me protégeais en me tenant à l’écart. Mes parents m’ont transmis leur propre façon de voir les choses : nous ne sommes pas grand-chose, et il vaut mieux que les autres ne s’en aperçoivent pas… Tant d’années passées avec ça dans la tête, est-ce que cela peut se modifier ?
« Un problème, quel problème ? »
Du fait de l’ancienneté de leur façon d’être, les sujets à la personnalité difficile ne perçoivent pas toujours leurs comportements comme inadaptés. En général, c’est leur entourage, familial, amical, ou professionnel, qui attire leur attention sur leurs attitudes, de manière directe, par des remarques ou des critiques, ou indirecte, par une mise à distance ou un refroidissement de la relation. Et encore, ces messages de l’entourage ne sont-ils pas toujours perçus ou acceptés comme fondés : il n’est jamais facile de remettre en question à chaud ses propres attitudes (« Je ne m’énerve pas, je m’explique », vous diront les personnalités de type A). Pourtant, la prise de conscience du problème posé aux autres est souvent la première étape, indispensable, de tout processus de changement personnel. Écoutons Yanis, 34 ans, ingénieur, personnalité obsessionnelle.
C’est en vivant avec une petite amie pour la première fois que j’ai commencé à réaliser que ma façon d’être posait des problèmes. Jusque-là, j’avais vécu chez mes parents, qui étaient un peu comme moi et qui avaient l’habitude de me supporter comme je suis… Mais partager mon quotidien avec une personne qui n’avait pas les mêmes habitudes s’est vite avéré un enfer. Je suis plutôt du genre maniaque, j’aime que les choses soient à leur place, j’ai besoin d’exactitude et de régularité, je n’exprime pas facilement mes sentiments, je suis têtu… Cette copine était tout l’inverse. Mon côté vieux garçon qui l’avait beaucoup attendrie au début l’a peu à peu exaspérée. Elle me reprochait sans arrêt d’accorder plus de temps à mon travail et aux objets qu’à elle-même. Au bout d’un moment, elle a fait exprès de mettre du désordre, a commencé à me critiquer devant nos amis, à leur révéler des petits détails vexants à mon sujet… J’en ai été extrêmement malheureux, et nous avons fini par nous séparer. Je lui en ai beaucoup voulu pendant longtemps, et je l’ai même traitée d’hystérique lors de certaines disputes. Mais, avec le recul, je m’aperçois qu’elle n’avait pas tort, au fond. C’était la première fois que quelqu’un m’approchait suffisamment pour que mes problèmes apparaissent…
« C’est plus fort que moi ! »
Freud et les psychanalystes ont depuis longtemps identifié, sous le nom de « compulsion de répétition », la tendance incoercible qui parfois nous conduit à répéter systématiquement les mêmes erreurs, à notre corps défendant. Même dûment identifiés, nos traits de caractère ont une remarquable tendance à persévérer et, malgré toutes nos bonnes résolutions, à se manifester lorsque nous sommes confrontés à ce que nous pourrions appeler des « situations-gâchettes ». Voici le témoignage d’Amandine, 45 ans, infirmière, personnalité passive-agressive.
J’ai essayé tant de fois de changer que je me demande si c’est quelque chose de possible dans mon cas. J’ai lu des livres, j’ai écouté les bons conseils de tous mes proches, j’ai même suivi une psychanalyse. Je crois avoi...