II. La nouvelle organisation de la production internationale introduit une nouvelle phase dans le développement de l’impérialisme
1. L’effondrement de l’Union soviétique sur fond de l’internationalisation de la production capitaliste
Le capitalisme fut progressivement restauré dans la plupart des pays socialistes suite à la prise de pouvoir par une bourgeoisie dégénérée lors du XXe Congrès du parti en Union soviétique en février 1956. La bureaucratie centrale dans les directions du parti, de l’État et de l’économie reprit le rôle de la classe dominante en tant que personnification collective et monopoliste du capital national, et établit sa dictature bourgeoise sur l’ensemble de la société. L’Union soviétique perdit son caractère socialiste et évolua en un capitalisme bureaucratique monopoliste d’État de type nouveau.
Alors qu’en 1960, l’Union soviétique était encore la deuxième puissance économique du monde après les États-Unis et devant l’Europe occidentale et le Japon, elle déclina à tel point qu’en 1990 ses forces économiques représentaient moins d’un tiers de celles de l’Europe occidentale et à peine plus de la moitié de celles du Japon. Les taux de croissance de l’économie soviétique ne cessèrent de ralentir après la restauration du capitalisme. Dans les années 1951 à 1955, ils s’élevaient à II, 3 pour cent en moyenne annuelle, mais pour la période de 1986 à 1990, ils chutèrent à 2,5 pour cent en moyenne. La petite fluctuation à la hausse entre 1966 et 1970 fut une exception essentiellement imputable aux traités de l’Allemagne avec les pays de l’Est1. Ils entraînèrent temporairement une reprise relative de l’économie soviétique car le commerce avec les pays capitalistes occidentaux s’intensifia.
Graphique 15 :
Taux de croissance de l’économie soviétique (taux moyens de croissance annuels en pourcentages)
La base décisive de l’effondrement des taux de croissance fut la baisse de la productivité du travail dans la production industrielle de l’Union soviétique.
La haute productivité socialiste du travail s’écroula lorsque, dans le processus de restauration du capitalisme, ses bases, à savoir la conscience socialiste et l’initiative des masses, furent de plus en plus remplacées par des stimulants matériels, des méthodes de négriers capitalistes et la concurrence entre les ouvriers. Cela eut les conséquences funestes auxquelles renvoyait déjà Willi Dickhut en 1972 dans son livre «La Restauration du capitalisme en Union soviétique »:
«Les directions d’usine ont eu recours aux méthodes les plus raffinées pour s’assurer des avantages matériels. On rendit les ouvriers coresponsables de la mauvaise planification et des erreurs dans la mise en œuvre du plan, bien qu’ils n’aient été associés d’aucune façon à l’élaboration du plan, ni au contrôle de son exécution. Pour ne pas voir diminuer encore plus leur salaire par la perte de primes, les ouvriers se taisaient sur les manipulations de la direction. Ceci mina la morale prolétarienne et la conscience socialiste. Le mensonge et la tromperie, le gaspillage du matériel et de la force de travail, la désorganisation du marché, la rétention d’investissements nécessaires, les fausses déclarations sur les frais d’exploitation et la capacité de production, la détérioration de la qualité, etc., devinrent finalement monnaie courante. » («Die Restauration des Kapitalismus in der Sowjetunion», nouvelle édition allemande 1988, p. 177 – TDLR)
Alors que de source officielle, la productivité du travail augmentait encore en moyenne de 4,5 pour cent par an entre 1971 et 1975, la hausse annuelle chuta à 3,1 pour cent entre 1981 et 1985 (Sowjetunion 1988/89, p. 125). La putréfaction et le déclin du capitalisme bureaucratique monopoliste d’État de type soviétique sautaient aux yeux.
Lénine mit à jour une «tendance à la putréfaction qui distingue tout monopole sous le régime de la propriété privée des moyens de production.»(Lénine, « L’Impérialisme et la scission du socialisme », Œuvres, t. 23, Paris/Moscou 1959, p. 117). Les monopoles produisent la putréfaction et la décomposition car ils éliminent la concurrence. Dans le capitalisme, elle est orientée sur la maximalisation des profits, mais est aussi en même temps la force motrice décisive pour la révolutionnarisation des forces productives. En Union soviétique, la tendance à la putréfaction était particulièrement marquée car, depuis la fin des années 1950, l’économie planifiée socialiste avait été transformée en un système de planification et de contrôle bureaucratique et centralisé.
Avec la restauration du capitalisme, les relations économiques avec l’extérieur se modifièrent également en Union soviétique. Ainsi, le « Conseil d’assistance économique mutuel» (CAEM, dit « Comecon ») devint un instrument du pillage néocolonialiste des « pays frères » révisionnistes. Avec l’espace économique du Comecon, l’Union soviétique sociale-impérialiste atteignit une autarcie relative et devint relativement indépendante des impérialistes occidentaux et du marché mondial dominé par eux. Dans le Comecon, la concurrence de l’extérieur devait être largement éliminée et, en même temps, la dépendance économique des autres membres du Comecon par rapport à l’Union soviétique devait être garantie. L’Union soviétique resta toujours la seule économie nationale relativement développée dans tous les domaines au sein du Comecon. Les autres États devaient s’engager à acheter une partie de ses matières premières à des prix excessifs, et à livrer en contrepartie des machines et autres produits industriels à des prix inférieurs à ceux du marché mondial.
Après la crise de Cuba en 1962 et le passage à la « politique de détente », le Comecon s’intégra de plus en plus dans le marché mondial, ce qui affaiblit de plus en plus fortement l’autarcie relative. Entre 1970 et 1990, les exportations des pays du Comecon connurent une croissance fulgurante de 463,4 pour cent. Alors qu’en 1970, encore 60,3 pour cent de ces exportations s’effectuaient dans le cadre du Comecon et étaient destinées à satisfaire les besoins des pays du Comecon, cette part ne représentait plus que 37,8 pour cent en 1990.
Les forts taux de croissance des exportations vers les pays occidentaux, qui dépassèrent 900 pour cent entre les années 1970 et 1990, accompagnés d’une baisse des taux de croissance de l’économie soviétique, montrent que la dépendance économique par rapport aux débouchés en Occident ne cessait de s’accroître. En renforçant ses activités sur le marché mondial, l’Union soviétique espérait pouvoir rattraper son retard technologique et surpasser ses rivaux occidentaux. De leur côté, les impérialistes occidentaux espéraient accélérer la restauration du capitalisme par une percée économique, politique et idéologique, et finalement intégrer complètement l’espace Comecon dans le marché mondial dominé par eux. En fin de compte, ils ne se trompèrent pas dans leurs calculs ; l’Union soviétique perdit ce combat pour la concurrence.
Tableau 34 :
Évolution des exportations de l’Europe de l’Est (en millions de $US)
Sources : ONU, Annales statistiques ; propres calculs
Alors que pendant les années 1970 et 1980, les grands pays industrialisés occidentaux dotaient leur économie de bases modernes avec l’introduction de l’automatisation et de l’électronique, l’économie soviétique perdait de plus en plus de terrain. En 1990, les ordinateurs soviétiques avaient un niveau qui avait déjà été atteint 15 ans plus tôt en Occident. Dans son livre « Socialisme, la fin ? », Willi Dickhut écrit à propos des causes de ces développements inégaux :
«Le capitalisme bureaucratique avec son régime de commandement, unilatéralement centraliste, était loin d’atteindre la vitesse actuellement courante dans l’introduction de nouvelles technologies. Ceci signifiait son arrêt de mort et la dénonciation de tout verbiage.» (« Sozialismus am Ende ? », Essen 1992, p. 95 – TDLR)
En conséquence, l’Union soviétique pouvait écouler de moins en moins de produits industriels. La part des exportations du Comecon dans le marché mondial s’effondra de 9,8 pour cent en 1970 à 5 pour cent en 1990. De surcroît, une part de plus en plus importante de ces exportations était constituée de matières premières énergétiques, pour atteindre pas moins des deux tiers à la fin des années 1980. Cela fut une impasse pour l’Union soviétique, car l’écart entre les prix des matières premières en baisse et les prix des produits industriels en hausse sur le marché mondial se creusait de plus en plus. Alors qu’une tonne de pétrole brut soviétique avait une valeur de référence encore égale à 100 au début de 1985, rapportée à l’importation de produits industriels de la RFA, cette valeur chuta à moins de 30 fin 1998 (Sowjetunion 1988/89, p. 196 – TDLR).
À partir du milieu des années 1980, la lutte concurrentielle entre les impérialistes occidentaux et le social-impérialisme soviétique devint de plus en plus acharnée. En Occident, les principaux biens d’exportation du Comecon tels que le charbon, l’acier, les textiles et les produits agricoles furent frappés de droits de douane massifs et de strictes limitations de quantité. Ni les États-Unis, ni les pays de l’UE n’accordèrent aux pays du Comecon la clause dite « de la nation la plus favorisée »: les droits de douane, les taxes et les impôts à l’exportation et à l’importation étaient nettement supérieurs à ceux des concurrents occidentaux. De surcroît, les impérialistes occidentaux introduisirent des «listes d’embargo » et empêchèrent ainsi les pays du Comecon d’acheter des « marchandises stratégiques » telles que des équipements informatiques. Par ailleurs, avec une politique de change motivée par des considérations politiques, les marchandises des pays du Comecon furent systématiquement proposées sur le marché mondial à des prix inférieurs à leur valeur.
En raison de l’aggravation de la rivalité entre les deux superpuissances, mais aussi pour compenser les problèmes croissants d’écoulement sur le marché mondial, l’Union soviétique concentra de plus en plus de ressources économiques sur la course aux armements avec les États-Unis. Selon des estimations occidentales, l’Union soviétique consacrait 18 pour cent du produit intérieur brut à l’équipement militaire en 1987. Sur dix roubles dépensés à la fin des années 1980 pour la recherche et le développement, 7 à 8 l’étaient dans le domaine militaire.
Le rôle de l’Union soviétique comme superpuissance militaire fut la base, dans le domaine de la politique de force, de son hégémonie au sein du Comecon. En même temps, le complexe militaro-industriel garantissait des profits maximaux calculables aux capitalistes bureaucratiques. Le gonflement gigantesque du budget militaire accéléra la putréfaction et la décomposition du capitalisme bureaucratique monopoliste d’État d’obédience soviétique.
Les révisionnistes et néo-révisionnistes modernes avancent toujours que l’Union soviétique aurait été mise au pied du mur par l’Occident et se serait armée à mort. C’est renverser la réalité ! Aucune puissance au monde n’a pu imposer sa volonté à l’Union soviétique tant que cette dernière était encore socialiste. Sur la base de l’enthousiasme révolutionnaire, du dévouement et de la conscience socialiste des masses, l’Union soviétique, à l’époque encore socialiste, sortit renforcée de la Seconde Guerre mondiale, bien qu’elle eût à supporter les plus grandes pertes humaines et des destructions incommensurables. Les défenseurs de Khrouchtchev, Brejnev et Gorbatchev ferment les yeux devant la réalité de la restauration du capitalisme pour attribuer un rôle de victime à l’Union soviétique, et pour justifier la trahison au socialisme et l’évolution...