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- 350 pages
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La princesse du gaz. L'affaire Ioulia Timochenko
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Citations
Ă propos de ce livre
A l'EtĂ© 2012, Frank Schumann part en Ukraine. Il doute en effet de l'image de Timochenko telle qu'elle est prĂ©sentĂ©e par les mĂ©dias occidentaux: la victime de rivalitĂ©s politiques. Qui est rĂ©ellement cette femme, ex-premiĂšre ministre d'Ukraine, Ă©gĂ©rie de la "rĂ©volution orange"? Le journaliste va mener son enquĂȘte sur place; ce long pĂ©riple va lui permettre de dĂ©nouer l'incroyable Ă©cheveau d'intrications politiques et Ă©conomiques autour de cette femme. Il nous rĂ©vĂšle comment l'oligarque continue Ă instrumentaliser l'Ouest Ă des fins trĂšs personnelles...
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Informations
Kharkiv, prison de femmes N° 54
Il fait dĂ©jĂ sombre et un peu orageux, quand je pose le pied sur lâesplanade de lâaĂ©roport. Sa taille est trĂšs modeste et il fait vraiment provincial par rapport Ă celui de Kiev, la capitale. Il y a Ă©galement peu de taxis en attente. A lâun dâeux je dis: A lâhĂŽtel »Tchitchikov«, rue Gogol.
»Allemand?« me demande lâhomme au volant, ce que je peux difficilement nier, et il se met aussitĂŽt Ă me parler gaiement. DâaprĂšs son Ăąge, on peut supposer que les seuls Allemands en uniforme quâil ait jamais vus sont les supporters de lâĂ©quipe nationale de football allemande, qui a jouĂ© rĂ©cemment Ă Kharkiv. Dans lâunique match de qualification pour la coupe dâEurope quâelle a disputĂ© sur place, la sĂ©lection allemande a remportĂ© 2 Ă 1 un match remarquable contre la sĂ©lection hollandaise. Câest pourquoi le Russe sâextasie encore sur la »machine allemande« (lâĂ©quipe de foot allemande). Et, selon lui, les supporters ont eu un comportement exemplaire car les Allemands sont des gens vraiment corrects.
Je garde mon avis pour moi et lui laisse le »bĂ©nĂ©fice dâune naissance tardive« comme disait lâancien chancelier allemand Helmut Kohl. Il voulait dire par lĂ combien il Ă©tait soulagĂ©, combien il considĂ©rait comme une grĂące le fait dâavoir Ă©tĂ© trop jeune, pendant la Seconde Guerre mondiale, pour ĂȘtre mĂȘlĂ© Ă des crimes. A moins que ce ne soit par pure politesse que le chauffeur de taxi passe sous silence les crimes de mes ancĂȘtres. Cette ville qui Ă©tait Ă lâĂ©poque la quatriĂšme plus grande ville de lâUnion SoviĂ©tique avait Ă©tĂ© conquise par la sixiĂšme armĂ©e dâHitler, en route pour Stalingrad, 240.000 soldats de lâArmĂ©e rouge avaient alors Ă©tĂ© faits prisonniers. Pendant lâoccupation qui avait durĂ© prĂšs de deux ans, plus dâun quart de million de personnes avaient trouvĂ© la mort dans la rĂ©gion. A Drobizki Jar, un ravin situĂ© Ă lâest de la ville, 250 Ă 300 Juifs Ă©taient fusillĂ©s chaque jour. Dans les »camions Ă gaz« câĂ©taient surtout des femmes et des enfants qui mouraient. Le responsable Ă©tait le gĂ©nĂ©ral de division Jesco von Puttkamer dĂ©jĂ tristement cĂ©lĂšbre pour sa rĂ©pression des Ă©meutes au Cameroun quand il Ă©tait officier colonial, avant la PremiĂšre Guerre mondiale. Les ravages quâil faisait Ă©taient Ă ce point terribles, mĂȘme aux yeux du Haut Commandement de la Wehrmacht, quâon Ă©loigna cet officier de 66 ans de Kharkiv, le mettant Ă la retraite quâil passa Ă Neustrelitz, prĂšs de Berlin. En 1952, il sâenfuit de lĂ vers lâOuest, craignant dâĂȘtre arrĂȘtĂ© pour les crimes de guerre commis Ă Kharkiv. Sept ans plus tard, ce retraitĂ© mourut Ă Wiesbaden, sans avoir jamais Ă©tĂ© inquiĂ©tĂ© âŠ
Le chauffeur de taxi fait partie de cette catĂ©gorie dâUkrainiens qui prĂ©fĂšrent »regarder vers lâavenir«. DâaprĂšs eux, regarder en arriĂšre ne sert Ă rien. A un moment ou Ă un autre, dit-il, il faut bien laisser cicatriser tranquillement les blessures que lâon sâest infligĂ©es mutuellement.
Lorsque jâentends de telles formules parfaitement sincĂšres, je me mords toujours les lĂšvres pour ne pas rĂ©agir. Que signifie »mutuellement«? Mes compatriotes nâont-ils pas envahi et ravagĂ© lâUkraine comme des barbares? Tout ce qui a suivi nâest que la consĂ©quence directe de ce crime originel.
Vue sur la rue Gogol de Kharkiv; Ă lâarriĂšre, lâhĂŽtel«Tschitschkov«, devant, lâAcadĂ©mie de thĂ©Ăątre
Je le laisse jacasser et regarde par la fenĂȘtre. Les blocs dâimmeubles rĂ©cents sâalignent les uns Ă cĂŽtĂ© des autres. Ce nâest que lorsque nous atteignons le centre-ville que jâaperçois quelques rares bĂątiments anciens. Sur une place se dresse une tour arborant lâĂ©toile soviĂ©tique et manifestement construite au dĂ©but des annĂ©es 1950. Câest lĂ que se trouveraient les appartements les plus chers de la ville; le plus grand, tout en haut, aurait mĂȘme coĂ»tĂ© un million de dollars. Les constructions staliniennes sont aussi recherchĂ©es, ajoute-t-il, Ă cause de leur soliditĂ©. A lâĂ©poque, les ouvriers du bĂątiment savaient que sâils faisaient du sale boulot, ils seraient fusillĂ©s, alors ils sâappliquaient. Il rit. Aujourdâhui il y aurait beaucoup de sale boulot dans le bĂątiment. Il faudrait tous les fusiller. Il ne dit pas sâil pense aux ouvriers ou aux maĂźtres dâoeuvres qui Ă©conomisent sur tout. Mais il rit de sa plaisanterie, quâil trouve visiblement bonne.
LâhĂŽtel est un immeuble neuf, qui a peut-ĂȘtre Ă©tĂ© construit juste avant la coupe dâEurope. Petit mais agrĂ©able. MalgrĂ© la bonne tenue de cet Ă©tablissement, les prix sont trĂšs accessibles, rien Ă voir avec ceux de lâhĂŽtel »Salut« Ă Kiev. Et il y a quelque chose que je nâai jamais vu auparavant: des fleurs fraĂźchement coupĂ©es dans la salle de bain. Dans le tiroir de la table de nuit se trouve, Ă la place du Nouveau Testament, les oeuvres complĂštes de Gogol, en russe. Rien dâĂ©tonnant: cet hĂŽtel porte bien le nom dâun personnage du roman de Gogol »Les Ăąmes mortes«. Gogol a Ă©crit son roman au XIXe siĂšcle alors que Ukraine appartenait encore Ă lÂŽEmpire russe.
Gogol, comme livre de chevet en guise de Nouveau Testament
Quelle mĂ©taphore, me dis-je en moi-mĂȘme, compte tenu des circonstances de ma venue ici. Tchitchikov, petit receveur des impĂŽts de la province ukrainienne, issu dâun milieu modeste, est douĂ© en affaires, flexible et malin. Ainsi il sâĂ©lĂšve constamment dans la sociĂ©tĂ©, lutte contre la corruption, puis sâhabitue au luxe et devient aussitĂŽt corrompu lui-mĂȘme, ce qui le fait dĂ©gringoler de lâĂ©chelle sociale pour finir comme avocat marron. Câest lĂ que lui vient une idĂ©e commerciale de gĂ©nie: Ă la campagne rĂšgne encore la loi du servage, et les propriĂ©taires doivent sâacquitter auprĂšs de lâEtat dâune taxe sur leurs serfs. Mais lâEtat nâa pas de vue dâensemble et encaisse aussi pour ceux qui sont morts, car ce nâest que lorsque la liste est rĂ©visĂ©e â de temps en temps â, que lâon raye les »ùmes mortes«. GrĂące Ă son Ă©loquence, Tchitchikov embobine les propriĂ©taires et leur achĂšte les »ùmes mortes«. Pour moins de 300 roubles, il acquiert quatre cents de ces cadavres sur papier, grĂące auxquels il fera valoir un droit dâhypothĂšque dâenviron 100.000 roubles.
La Maison de la culture de Kharkiv, restée en construction pendant un quart de siÚcle
Mais lâescroquerie est dĂ©couverte et la tentative dâun multimillionnaire pour blanchir Tchitchikov Ă©choue Ă cause du comportement de ce dernier: »Mais je ne ressens aucune aversion pour le pĂ©chĂ©. Je suis indiffĂ©rent, je nâĂ©prouve aucun amour pour le bien.« A la fin, lâimpĂ©nitent est graciĂ© puis chassĂ© du pays. Peu avant son dĂ©part il se fait confectionner, avec lâargent qui lui reste, un Ă©lĂ©gant costume sur mesure â pour continuer dans les affaires.
Câest le hasard qui mâa conduit ici, et je tombe sur une telle idĂ©e littĂ©raire! Maintenant, je peux difficilement dire, avec Karl Marx et sa thĂšse du »Dix-Huit Brumaire de Louis Bonaparte«, que les Ă©vĂ©nements historiques se produisent habituellement deux fois: la premiĂšre fois comme tragĂ©die, la fois dâaprĂšs comme farce, car tout cela nâest que sorti de lâimagination de Gogol. Tchitchikov Ă©tait un personnage fictif, Timochenko, au contraire, est bien rĂ©elle. Mais quelle analogie, jusque dans les moindres dĂ©tails!
AprĂšs une excellente nuit, je me mets en route. Jâai encore un peu de temps avant le rendez-vous Ă la prison et je baguenaude dans le parc, qui â comment pourrait-il en ĂȘtre autrement â porte le nom dâun autre poĂšte et peintre national ukrainien. Sur une place sâĂ©lĂšve le monument de Taras Schewtschenko, Ă©rigĂ© en 1935 et manifestement Ă©pargnĂ© par les troupes nazies. La tempĂȘte de la veille a visiblement malmenĂ© les arbres du parc, plusieurs Ă©quipes de jardiniers sont en train de dĂ©gager les troncs tombĂ©s sur les chemins. Des joggeurs courent dans le soleil du matin, des Ă©couteurs dans les oreilles. Des femmes promĂšnent leurs petits chiens. Le jour se lĂšve, lâair est doux.
Le monument à la mémoire du poÚte national Taras Shevchenko
Je me promĂšne en flĂąnant jusquâĂ une maison de la culture, dont lâarchitecture rĂ©vĂšle aisĂ©ment lâĂ©poque de sa construction. Les horribles lampes sphĂ©riques sur le chemin trahissent le manque de goĂ»t de quatre architectes qui se sont vraiment dĂ©foulĂ©s dans les derniĂšres annĂ©es de lâUnion soviĂ©tique. Mais personne nâa retenu leurs bras, car, au temps de la Perestroika et de la Glasnost, cela aurait Ă©tĂ© considĂ©rĂ© comme une mise sous tutelle inadmissible. AchevĂ© en 1991, aprĂšs 25 ans de construction, lâimmeuble abrite le thĂ©Ăątre dâopĂ©ra et de ballet fondĂ© Ă Kharkiv en 1829. Ce bloc comporte Ă©galement un cinĂ©ma. Mais il se peut que les locaux qui sont Ă lâintĂ©rieur soient acceptables et que je f...
Table des matiĂšres
- Le livre
- Lâauteur
- Copyright
- Couverture
- Lukjanowo
- Lâadministration pĂ©nitentiaire
- Le Procureur général
- Lâaffaire Chtcherban
- En route pour aller voir Ioulia
- Kharkiv, prison de femmes N° 54
- LâhĂŽpital des cheminots
- Retour par lâexpress
- Le premier enquĂȘteur
- Ioulia Timochenko et Pussy Riot â issue incertaine
- Timochenko: dates importantes de sa vie