Pour une clinique du psychanalyste
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Pour une clinique du psychanalyste

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À propos de ce livre

L'idĂ©e portĂ©e par le titre du prĂ©sent recueil de textes mĂ©rite d'ĂȘtre soutenue, car il n'en existe pas encore, de « clinique » du psychanalyste, alors que bien d'autres professions Ă  risque en sont pourvues, depuis celle de l'enseignant jusqu'Ă  celle du sapeur-pompier, en passant par celle du sportif de haut niveau. Non pas que chaque mĂ©tier n'ait pas ses risques, mais certains en ont de plus spĂ©cifiques: quand on enseigne, quand on s'expose Ă  la fournaise des incendies de forĂȘt ou quand on vise le podium des Jeux olympiques, on est spĂ©cialement exposĂ©, c'est sĂ»r.
À l'image du psychanalyste confortablement tassĂ© dans son fauteuil, il convient donc, pour entrer du bon pied dans ce livre, de substituer celle de praticiens soumis Ă  rude Ă©preuve. C'est que la pratique analytique n'est pas seulement le « divertissement suprĂȘme », elle est aussi un champ de bataille oĂč viennent exploser les mines dĂ©faites, les cƓurs contrariĂ©s, les Ăąmes branlantes, les pensĂ©es enchevĂȘtrĂ©es, les hontes Ă©touffĂ©es, bref, tout ce que l'humanitĂ© endure lorsque les idĂ©es claires et distinctes deviennent sombres et confuses.

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Informations

Année
2017
ISBN
9788899193263
POUR UNE CLINIQUE DU PSYCHANALYSTE

UN FIL DÉFAIT DÉLIVRE

I. Préliminaires
Dans la nuit du 8 au 9 avril de 1978. À la tĂ©lĂ© ce soir-lĂ , il y avait une Ă©mission sur Barrault dont j’ai attrapĂ© un bout. De considĂ©rations portant sur l’éphĂ©mĂšre et la mort, j’ai retenu cette phrase de Vitez: « Être acteur, c’est gĂącher sa vie ». Puis j’ai revu un film de Delvaux, avec l’impression soudaine d’avoir trouvĂ© la clĂ© de son titre: Belle dĂ©signe on ne peut mieux l’imprononçable du nom d’une femme, quand on la dĂ©sire.
Puis j’ai fait l’amour Ă  une femme, celle qui porte mon nom, trĂšs amoureuse ce soir-lĂ . Elle m’a dit: « Ma peau t’aime ». De ma part, c’était l’acte Ă  corps perdu. J’ai dĂ» me dire: « Maintenant, tu pourrais mourir ».
Ce qui a tout de suite dĂ©clenchĂ© cette interrogation: ma mĂšre lui a-t-elle fait l’amour ce soir-lĂ ? En est-il mort, pour finir ce samedi-lĂ , Ă  trois heures du matin, le cƓur emportĂ©?
Je ne l’ai appris que le dimanche soir, il y a quinze jours maintenant. On donnait aussi un film de Delvaux: Un soir, un train, que je n’avais pas vu. J’avais ouvert la tĂ©lĂ© en dĂ©sespoir de cause, et c’était pour tomber encore une fois sur la mort et la sĂ©paration.
La mort est Ă©crite dans le nom de ce mĂ©dicament (quand on sait qu’échec au Roi se dit Shah met et que Roi se dit aussi Aga) dont Anibal nous a vantĂ© les mĂ©rites sur le pas de la porte. Cette drogue biochimique supprimant l’aciditĂ© dans l’estomac, stoppe aussi bien l’ulcĂšre, et donc, pour lui, le besoin d’analyse. Mais – ĂŽ surprise! –, c’est la mĂȘme que celle dont mon pĂšre avait Ă©pelĂ© au tĂ©lĂ©phone les lettres, pour me demander son prix en France, au demeurant fort cher. A. s’est contentĂ© de montrer la boĂźte, sans prononcer le nom, Ă  prĂ©sent fatidique: Tagamet.
Ah! la pharmacie de mon pĂšre! Les mĂ©langes surtout. Cercle infernal de l’hypocondrie: du mal au remĂšde au mal. L’ingestion de cette drogue Ă©tait-elle sans consĂ©quences? N’est-ce point aussi bien de son fait, que de cet acte plus haut imaginĂ©, qu’il est mort en fin de compte?
Mais revenons de ces conditions Ă  la consĂ©quence de cette nuit-lĂ : mon rĂȘve.
II. RĂ©cit
Mes consultations d’un aprĂšs midi, dans un amphithĂ©Ăątre encaissĂ©, comme pour une leçon d’anatomie Ă  la Morgue. Elles sont interrompues par un groupe qui fait irruption chez moi, avec Michel Foucault Ă  leur tĂȘte, pour entonner le panĂ©gyrique de l’une de mes clientes, morte sans doute de la psychanalyse. Ils manifestent.
Je me fais trĂšs vite des rĂ©flexions sur l’esclandre que ça va faire parmi les clients qui me restent et qui vont devoir attendre. Je me dis qu’il ne faut pas se laisser impressionner, que la foire chez moi, ça les changera, que mĂȘme, pour certains qui ronronnent, ce sera une aubaine.
Je suis, en revanche, plus inquiet Ă  propos de ce qui m’attend. Est-ce pour elle ou contre moi qu’ils manifestent? Ils me laissent quand mĂȘme la parole, aprĂšs que le cortĂšge qu’ils ont formĂ© a eu fini sa ronde dans mes lieux, en fait agrandis, depuis ma porte grande ouverte, aux proportions d’un hall d’entrĂ©e: celui de mon lycĂ©e ou de ma grande Ă©cole, rue d’Ulm.
Je reconnais justement parmi eux un de mes condisciples du lycĂ©e perdu de vue: le poĂšte, mon plus vieil ami en France. Il me revient que je n’avais pas trouvĂ© son nom sur la liste des enseignants en architecture opposĂ©s Ă  la rĂ©forme d’Ornano et qui Ă©tait publiĂ©e dans le Monde. Le non-lu de ce nom, je pourrais l’écrire tout de suite, puisqu’il condense les prĂ©noms de mes deux frĂšres, morts de mort violente, avec celui de mon ex psychanalyste.
Ils ont fini de crier. On me laisse prendre la parole en premier, avant M. Foucault. Ils ne seraient donc pas venus me dĂ©nigrer en personne. C’est Ă  l’institution qu’ils en ont. J’ai le trac. Il faut ĂȘtre bref pour leur rendre la parole au plus vite. Il ne me vient qu’une phrase banale sur la dissociation, dĂ©sormais dĂ©finitive, entre le nom et le corps de
 – et c’est le blanc! Son nom ne me revient plus et je me sens la langue trĂšs pĂąteuse. Faisant parade d’émotion ou de respect du secret professionnel, je m’écrase. D’ailleurs, puisqu’ils sont lĂ  pour elle, ils doivent bien savoir de qui il s’agit.
Suit alors la confĂ©rence de M. Foucault. Je respire: il ne dit pas un mot, ni sur elle ni sur moi. Il y a au tableau une sorte de gĂ©nĂ©alogie, non d’une famille, mais des rĂ©volutionnaires. Je lis, par exemple, les noms de BabƓuf et de Fourier, effectivement rencontrĂ©s dans la journĂ©e (un article du Monde des Livres et un texte de F. Perrier dans La ChaussĂ©e d’Antin que je suis en train de lire).
Les acolytes de M. Foucault, dans le style de H., militant de sa cause, inscrivent ces noms Ă  la craie sur le vieux tableau vert. Leur place sur l’arbre est prĂ©dĂ©terminĂ©e: mais le blanc de leur nom reste quand mĂȘme Ă  complĂ©ter.
Ce cours magistral, Ă©blouissant de virtuositĂ© et d’érudition, est accompagnĂ© de la projection de slides. Tel nom indiquĂ© du doigt au tableau est censĂ© correspondre Ă  telle case du Savoir, Ă©clairĂ©e en regard par son image sur l’écran. Mais lĂ , c’est franchement la rigolade, le savoir Ă©tant grossiĂšrement reprĂ©sentĂ© par une invention technique, illustrĂ©e en image d’Epinal. Il ne faut pas oublier, est-il doctement rappelĂ©, qu’il n’y avait pas encore l’éclairage Ă©lectrique ou le tout-Ă -l’égout.
Certes il s’agit de rĂ©futer l’idĂ©alisme qui consisterait Ă  confondre le travail de la pensĂ©e avec les progrĂšs de la technique. Mais en fait, tout l’enseignement du maĂźtre est ainsi ramenĂ© Ă  sa juste dimension de simple application du principe selon lequel il ne faut pas faire d’anachronismes. Je ris sous cape.
Pendant que passent ces slides qui parlent d’eux-mĂȘmes, M. Foucault se tourne vers moi pour dire en apartĂ© qu’il a reçu ces derniers temps un ou deux coups de fil de ma mĂšre, laquelle, sous divers prĂ©textes, cherchait Ă  lui faire part de l’inquiĂ©tude que lui inspirait le fait de me voir ainsi toujours attelĂ© Ă  l’Ɠuvre dĂ©mesurĂ©e de mon gros livre. Il me rĂ©vĂšle cela avec un sourire entendu.
Du coup, je suis censĂ© retrouver instantanĂ©ment le nom qui m’avait fait dĂ©faut. Mais c’est, en l’occurrence, une sorte de ficelle qui se dĂ©vide dans ma bouche, bloquĂ©e qu’elle Ă©tait entre deux dents. Je tire, et tout vient.
Je me rĂ©veille, avec l’envie de boire et d’uriner. Il doit ĂȘtre pas loin de trois heures du matin, l’heure de la mort de mon pĂšre

III. Analyse
À l’heure oĂč j’écris, le nom m’échappe encore, mĂȘme la bouche dĂ©liĂ©e. Je sais pourtant de qui il s’agit. Il lui est arrivĂ© de tĂ©lĂ©phoner Ă  M. Foucault avec lequel elle a eu des entretiens Ă©pisodiques, mais assez intenses, au point qu’il a dĂ» la foutre carrĂ©ment Ă  la porte; ce qu’elle m’a racontĂ©, en laissant suffisamment entendre que c’est toujours ce qu’elle provoque.
Toutes les portes ne se sont quand mĂȘme pas refermĂ©es. Elle n’est donc pas morte, du moins Ă  ma connaissance, bien qu’elle ne soit plus actuellement sur mon divan. Ayant interrompu son analyse, aprĂšs une affectation en Province, elle m’a rappelĂ© un dimanche matin de chez son pĂšre, pour me dire qu’elle lirait mon livre, qui vient en fait de paraĂźtre, et qu’on verrait ce qu’on verrait.
L’analyse du rĂȘve, ai-je pensĂ©, Ă  quoi je m’emploie maintenant, lĂšvera sans doute le refoulement du nom. En dĂ©sespoir de cause, je consulterai mon agenda, celui qui est lĂ , sur la table oĂč j’écris, et qui est en mĂȘme temps ma table d’écoute (comment peut-on dans un fauteuil, sans rien devant soi pour Ă©crire?).
Le poids du RĂ©el m’a fait diffĂ©rer le moment de cette Ă©criture. Elle a rappelĂ© le surlendemain de mon rĂȘve, transcrit la nuit mĂȘme pour plus de sĂ»retĂ©. Et elle a tout de suite clamĂ© son nom au tĂ©lĂ©phone (qui m’est donc revenu en pleine figure!) pour m’annoncer qu’elle se jugeait coupable d’avoir provoquĂ© l’attaque de son pĂšre, et surtout son transfert Ă  l’hĂŽpital, bientĂŽt suivi de sa mort. Et elle va donc reprendre son analyse? On verra bien.
Il importe maintenant d’écrire – pour faire la diffĂ©rence entre la sienne, d’analyse, et celle de mon rĂȘve, sans me laisser emporter par « le fleuve de boue de l’occultisme », comme s’exprime le bon Freud, lui qui croyait pourtant Ă  la transmission de pensĂ©e. Tout ce que je sais, tant qu’analyste je reste, c’est que ce n’est pas le bon fil.
Il s’agit, en effet, d’en dĂ©nouer un, et d’abord sur mon corps, mais Ă  mon ventre, et non en bouche, puisque je sors de l’hĂŽpital, pour une intervention depuis longtemps programmĂ©e, prĂ©vue, comme je l’avais fixĂ©, pendant les vacances scolaires. On m’enlĂšvera les fils lundi de la semaine prochaine, et non le matin du rĂȘve. L’inconscient ne fait pas, bien sĂ»r, la diffĂ©rence. Mais l’allusion est trop transparente pour que ce soit lĂ  que se niche le dĂ©sir du rĂȘve: il ne s’agit que de son Ă©tayage dans la rĂ©alitĂ©.
La confusion des dates, plutĂŽt que le dĂ©placement sur le corps, rapproche de son dĂ©chiffrage. « Que j’aimerais, se traduit-il, pouvoir me dĂ©filer (sic!) de ce travail d’analyste, ne serait-ce qu’une semaine! ». M. Foucault, intronisĂ© confident de ma mĂšre, et qui interrompt mon travail Ă  point nommĂ©, ne vient-il pas m’en octroyer la possibilitĂ©?
Mais cela m’ouvre une autre piste. Ce maĂźtre ne se fait-il pas par son acte l’interprĂšte du dĂ©sir de ma mĂšre? Il viendrait, envoyĂ© par elle, pour me dire: « Tout de mĂȘme, une semaine de deuil, pour la mort d’un pĂšre, c’est bien le moins, non? ». En fait, c’est bien lĂ  ce que je viens de m’octroyer, et Ă  l’hĂŽpital, un lieu propice Ă  la rĂ©flexion

Fausse piste: ma mĂšre ne s’est-elle pas, au contraire, arrangĂ©e pour que la cĂ©rĂ©monie religieuse ait lieu, en Suisse et en milieu de semaine, mais un jour de repos pour moi, elle le sait trĂšs bien, de telle sorte en tout cas que le cours de leurs sĂ©ances ne se voie pas dĂ©rangĂ©, serait-ce par la mort de son mari, ou, pour dire les choses, afin que je n’y perde pas un sou!
Reprendre le collier, j’y suis contraint. Ma femme, avec douceur, mais fermetĂ©, ne s’est pas privĂ©e, prĂ©cisĂ©ment la veille au soir de mon rĂȘve, de me faire remarquer: « Tu n’as pas osĂ© lui dire! ». Lui dire, Ă  ma premiĂšre femme, lorsqu’elle m’a ramenĂ© notre enfant, plutĂŽt que de rester bouche cousue, c’était, en l’occurrence, lui rĂ©clamer l’argent qu’elle me doit pour la pension, car c’est moi qui ai sa garde, et qui Ă©quivaut Ă  peu prĂšs, le calcul fait, Ă  ce que me rapporterait cette semaine de travail.
C’est bien Ă©vident, quand j’y repense. Mon divorce est passĂ© par la nĂ©cessitĂ© de trancher la difficultĂ© que j’ai toujours eue Ă  lui rĂ©clamer quelque chose, Ă  lui signifier la dette, Ă  faire exister mon pĂšre (et le sien aussi d’ailleurs) Ă  ses yeux. J’y ai renoncĂ©, et maintenant, il est mort.
Mais de quoi? A coup sĂ»r, de ne pas exister Ă  ses yeux, de ne pas ĂȘtre parvenu Ă  se faire un nom, de n’avoir pas pu Ă©crire, de n’avoir pas fini d’écrire son livre (alors que j’y suis parvenu). Car cette idĂ©e – et elle seule! – Ă©tait susceptible de lui faire supporter son passage imminent Ă  la retraite. Ni sa femme, quĂ©rulente, ni son travail, dĂ©cevant, ne pouvaient suffire Ă  lui donner des raisons de vivre: seul un livre donne vie ici-bas, susceptible qu’il est de rendre un nom immortel. Être pĂšre serait donc l’inconsistance mĂȘme: point de salut, si l’on n’est auteur!
Or c’est bien lĂ  ce qui m’est arrivĂ© il y a peu. Étais-je sauvĂ© pour autant? Ce livre, mon pĂšre ne l’a ni lu (il est prĂ©tendument illisible) ni reconnu (ce n’est certes pas un enfant lĂ©gitime). Mais il n’a pas Ă©tĂ© lu ou reconnu par quelqu’un comme M. Foucault justement, auquel je l’ai pourtant adressĂ© avec une dĂ©dicace nullement dĂ©risoire Ă  mes yeux (“à M. Foucault, l’homme Ă  convaincre”.)
Celui-lĂ , joli mari pour ma mĂšre: auteur chevronnĂ©, s’il en est, et porteur d’un nom qui est aussi le signifiant du Saint au dĂ©sert, celui qui a sa vie sacrifiĂ©e. À qui? Mon ex analyste porte le mĂȘme prĂ©nom que ce saint et que le cousin de ma mĂšre, seul fou authentifiĂ© dans ma famille et frĂšre de celui qui, Ă  force de me raconter son analyse, m’y a finalement amenĂ©, il y a belle lurette maintenant.
Mais fallait-il au bout du compte que j’en fasse un mĂ©tier? Je n’y Ă©tais vraiment pas allĂ© pour ça! Ou fallait-il plutĂŽt que je m’y sente autorisĂ©, en tant que philosophe, par la capacitĂ© que je m’étais donnĂ©e d’en Ă©crire des choses pertinentes? À vrai dire, s’il faut Ă©crire pour justifier sa vie, peu importait le mĂ©tier, pourvu qu’on puisse y ĂȘtre reconnu par le biais de l’écriture, c’est-Ă -dire, en devenant cet Ă©crivain qui se voit justifiĂ© par l’écrit. Étais-je devenu analyste pour autant?
Ici mĂȘme, n’ai-je pas l’impression que la plume que je tiens est, pour ainsi dire, la corde du grimpeur; cela, pour faire entendre que j’écris comme s’il Ă©tait vital de suivre un fil sans lever la plume, comme dans certains dessins de Picasso ou Masson, jusqu’à ce que l’image (les lettres, le nom) apparaissent, au fur et Ă  mesure que la bobine se dĂ©vide.
Autant dire que la main qui Ă©crit se fait explicitement ici l’instrument de ce dĂ©placement que le rĂȘve accomplit, du ventre Ă  la bouche: pas de parole sans Ă©criture prĂ©alable, tout comme il ne saurait y avoir de cicatrisation par le temps, si le fil qui suture la blessure n’a pas Ă©tĂ© bien serrĂ©, puis bien dĂ©fait, et au bon moment.
Ce qui me ramĂšne tout naturellement Ă  la morgue, c’est-Ă -dire, aussi bien Ă  l’imposition de la lettre sur le corps qu’elle tue, qu’à la transformation de mon lieu de travail en un amphithĂ©Ăątre oĂč l’on voit de partout ce qui se dissĂšque sur la table ou ce qui se projette au tableau.
Mais que rĂ©alise ce dĂ©sir de voir qui s’accomplit si franchement dans le rĂȘve? Je repense Ă  celui qui est effectivement mort, Ă  ce Michel qui n’est pas venu Ă  sa quatriĂšme sĂ©ance et qui a tout organisĂ©, aprĂšs la troisiĂšme, quand nous avons eu mis en place les conditions du bon dĂ©part de son analyse, pour se faire passer par la fenĂȘtre, avant de la commencer. L’analyse, longtemps cĂŽtoyĂ©e par quelqu’un comme Foucault, autre Michel, ne comportait-elle pas Ă  ses yeux le danger d’avoir pour consĂ©quence de permettre d’adopter un tel moyen d’en finir?
Ce Michel qui a l’ivresse dans son nom de famille, je ne me reproche pas d’avoir menĂ© les sĂ©ances prĂ©liminaires qu’il a eues, comme je l’ai fait, mĂȘme s’il en a conclu que je l’autorisais Ă  ce tu-es-lĂ . Ce qui me chiffonne, c’est d’avoir acceptĂ© de recevoir sa mĂšre dans l’aprĂšs-coup, me mettant dans la position perverse de celui qui veut savoir, ou mĂȘme voir Ă  tout prix, ce qui lui a Ă©chappĂ©: dĂ©duire la mort, en quelque sorte.
Mais tout voyeurisme a son pendant. Cet Ă©pisode, ce triste baptĂȘme de ma condition d’analyste, n’a-t-il pas coĂŻncidĂ© avec le dernier sĂ©jour de mon pĂšre Ă  Paris? Et ne suis-je pas allĂ© jusqu’à raconter en deux phrases l’évĂ©nement Ă  ma mĂšre, pas peu fier de lui dire que j’avais endurĂ© d’écouter une mĂšre qui avait eu Ă  supporter le suicide de son enfant, alors qu’elle, c’était seulement l’accident d’avion qui avait emportĂ© l’un et l’assassinat dans une guerre civile qui avait tuĂ© l’autre? N’était-ce pas pire encore?
La dĂ©pression qui s’en est suivie n’est pas difficile Ă  imaginer. C’était durant ces vacances de NoĂ«l oĂč nous nous sommes constamment croisĂ©, mon pĂšre et moi, sans jamais parvenir Ă  vraiment nous rencontrer, pour nous dire la diffĂ©rence Ă  faire entre l’enfant et le livre prĂ©cisĂ©ment, alors que les choses Ă©taient mĂ»res pour cela, puisque mon dĂ©licieux petit enfant est bien lĂ , tandis que le livre, une fois publiĂ©, est tombĂ© comme son enveloppe pĂ©rimĂ©e, comme la coquille de l’Ɠuf d’autruche crevĂ© que j’ai cassĂ©, en voulant d’un geste brusque prendre un exemplaire de ce livre dans les rayons de la bibliothĂšque, pour expliquer Ă  mon pĂšre ce qu’il prĂ©tendait ne pas y comprendre, en lui en lisant un passage.
Mon enfant, qui est encore tout petit, se sert de sa bouche pour cacher l’objet interdit; et il comprend fort bien le mot cracher, alors mĂȘme qu’il ne prononce aucun des deux distinctement. Dans le rĂȘve – entre deux dents – c’est sans doute de ce fil qu’il s’agit, Ă  l’s prĂšs.
Mais ce qui apparaĂźt pour voiler ce contenu laten...

Table des matiĂšres

  1. Table des matiĂšres
  2. Page Titre
  3. Colophon
  4. QUI FAIT L’ANGE FAIT LA BÊTE (Pierre Eyguesier)
  5. LIMINAIRE
  6. POUR UNE CLINIQUE DU PSYCHANALYSTE
  7. Liste de Mots-Clé