1 Phonologie
Le système phonologique de l’arabe andalou comporte 34 phonèmes : 31 consonnes et 3 voyelles, dont 28 consonnes, à l’instar des trois voyelles,28 existaient déjà en arabe ancien, au titre de phonèmes définis par des oppositions entre paires minimales.29
En ce qui concerne les trois autres consonnes, il s’agit de phonèmes marginaux, empruntés aux dialectes romans ou berbères, mais qui sont également identifiables par des oppositions phonologiques.30 Parfois, quelques-unes de ces oppositions sont neutralisées à cause de facteurs diachroniques, diatopiques ou diastratiques ; ce qui entraine la réduction du nombre total de phonèmes dans certains sub-dialectes, coupes diachroniques du faisceau, voire dans certains de ses registres.
1.1 Vocalisme
Le faisceau dialectal arabe andalou, à l’instar de l’arabe ancien et du protosémitique, ne comporte que trois phonèmes vocaliques, /a/, /i/ et /u/, définis par les oppositions suivantes : /a/ - /i/ - /u/, comme dans IQ 27/3/1 /ḥább/ « il aima », 14/0/1 /ḥíbb/ « amoureux », 9/5/2 /ḥúbb/ « amour », dans VA >nār< « feu », >nīr< « indigo », >nūr< « lumière »,31 bien qu’elles aient des allophones légèrement plus allongés ou arrondis, ouverts ou fermés, conditionnés par l’entourage consonantique,32 ce qui était favorisé par la pauvreté du système vocalique, puisque ces ajustements n’amenaient pas le risque de confusions homophoniques.
1.1.1 /a/
Le phonème /a/ était en arabe andalou une voyelle cardinale centrale, héritée de l’arabe ancien et du proto-sémitique et préservée telle quelle dans la plupart des langues sémitiques. En conséquence, elle est reflétée comme fatḥah ou alif dans les graphies arabe,33 comme dans VA >qanāṭir< « ponts » = Alcalá canátir et reflétée comme >a< dans les transcriptions latines des mots arabes, dans les emprunts faits à cette langue par les langues ibéro-romanes et dans les noms de lieu d’origine arabe, à condition qu’il n’y ait pas eu une influence palatalisante ou labio-vélarisante des consonnes voisines comme en castillan albacara « rouelle » < arabe andalou /albakkára/ > arabe standard bak(a)rah « poulie », madraza « collège d’études islamiques » < arabe andalou /madrása/ < arabe standard /madrasah/ « école », Alcanadre (Logroño) < arabe andalou /alqanáṭir/ « les ponts », Alacuás (Valence) < arabe andalou /alaqwáṣ/ « les arcs ».34
En revanche, l’arabe andalou a hérité, de quelques vieux dialectes arabes, non seulement une tendance à palataliser légèrement les /a/ dans le voisinage des consonnes palatales, comme en castillan ajedrez « échecs » < arabe andalou /aššaṭránǧ/ ; ce qui ne se produisait pas toujours, voir en portugais xadrez, où le /ǧ/ a eu son effet même à distance, comme dans dans IH 327 >ḫinǧal< arabe standard /ḫanǧar/ « poignard », mais pas le /š/ ; 35 mais également une tendance à articuler le /a/ de façon plus franche et vigoureuse, notamment lorsqu’il s’agit des /ā/ de l’arabe standard, qui, phonologiquement, étaient longs36, comme dans Magacela (Badajoz) < arabe andalou /úmma ġazála/, littéralement « mère d’une gazelle », probablement un nom propre, Vélez (Almería) < arabe andalou /bádis/, nom propre berbère, castillan acequia = portugais acéquia = catalan sèquia « rigole » < arabe andalou sáqya < arabe standard sāqiyah, castillan rabel = catalan rabec = portugais rabeca « rebab » < arabe andalou /rabáb/.
Parfois, ce deuxième type de palatalisation, appelé imālah par les grammairiens natifs,37 ne s’est pas arrêté à ce premier degré, l’allophone [e] du phonème /a/, mais il est allé jusqu’à un deuxième degré, convergeant avec /i/ dans un archiphonème /I/. Cela est une des caractéristiques du dialecte tardif de Grenade, comme dans Bibarrambla, nom d’un quartier à côté de la 'Porte de la sablonnière’, ce qui correspond à /bāb arramlah/ en néo-arabe, ainsi que Purchil < arabe andalou /burǧ hilál/, littéralement « tour de Hilal ».
D’autres marques plus anciennes et septentrionales attestent également cette caractéristique, comme dans IQ 11/9/3 >ridī< « manteau », 14/3/1 >wildī< « mon père »,38 15/1/1‒2 >hawī< « passion » et >dawī< « médicine », 21/8/1 >kirī< « loyer », au lieu de l’arabe standard /ridāʔ/, /wālid/, /hawà/, /dawāʔ/ et /kirāʔ/, VA>sarīsil< « chaînes », >murazzā/ī< « malheureux »), à côté des traits plus tardifs de Grenade, comme dans AC 66 /lisÍnak/ « ta langue », Alcalá guíld « père », ridí « rideau », dans PES 1/0/1, où /albidíya/ « le commencement » et /annihíya/ « la fin » riment avec /anníya/ « que je », à côté des traits plus tardifs de Valence qu’on retrouve dans Hv. 100.2 >iltihim< « rappel », dans DC 4b guíld, ainsi que les cas de >bīb< et >kīn< au lieu de arabe andalou /báb/ « porte » et /kán/ « il était », etc. de Hv. 102 et 101, dans les emprunts tel que le castillan albañil ‒ mais le portugais alvanel < arabe andalou /albanná/ « maçon », ainsi que castillan adoquín = portugais adoquim « pavé » < arabe andalou /addukkÍn/39 et les noms de lieu plus anciens d’autres régions tels que Gimileó (Logroño) < arabe andalou /ǧámiʕ alʕuyún/ « la mosquée des fontaines » et Gerindote (Tolède) < arabe andalou /ǧinán dáwud/ « le jardin de Dawud ».40
La présence de ce phénomène a également été décelée dans quelques ultra-corrections, comme dans IH 313 >šāʕin<, c’est-à-dire /šáʕi/ au lieu de l’arabe standard /šīʕī/ « chiite »). On peut donc supposer que ce phénomène phonétique a été apporté par des groupes arabe, autres que les 'Yéménites’, qui ont envahi la Péninsule Ibérique, et qu’il a atteint une certaine popularité sous l’égide des Omeyyades, jusqu’au point de se généraliser et être caractéristique de la koiné arabe andalou qui a atteint sa maturité au 10ème siècle. Ce phénomène s’est ensuite intensifié dans le royaume de Grenade, plus encore qu’à Valence. Cependant, dans presque tous les cas, l’imālah était neutralisée au contact des consonnes vélaires ou vélarisées, pharyngales et uvulaires, ainsi qu’au contact de /p/ et parfois de /w/ comme dans le castillan alhaja = portugais alfaia « joyau » < arabe andalou /alḥáǧa/, le castillan arcaduz « godet de noria » < arabe andalou /alqadús/, le castillan alcarraza « aiguière » < arabe andalou /alkarráza/, dans Alcalá rapáç pluriel rapápiç « garçon » < roman andalou */RAPÁC/, et le nom de lieu Guadix (Grenade) < arabe andalou /wád Íš/, littéralement « fleuve d’Acci », etc.41
La présence d’un entourage consonantique vélarisant42 ou labialisant produit des allophones postérieurs, voire arrondis de /a/. Ces derniers ont parfois été analysés par l’ouïe romanophone comme des voyelles postérieures arrondies. On les trouve dans les nom propre ou dans les noms de lieu d’origine arabe, ainsi que dans des emprunts comme en castillan et en catalan Mahoma = portugais Mafoma < arabe andalou /muḥammád/, nom propre, Almodóvar (Ciudad Real) < arabe andalou /almudáwwar/ < « le (village) rond », alfombra « tapis » < arabe andalou /alḥánbal/) ;43 ce qui n’est parfois pas sans pareil dans la prononciation documenté en graphie arabe de l’arabe andalou comme dans VA >sumrah< « lance » < arabe standard /samrāʔ/, >muftāḥ< « clé » < arabe standard /miftāḥ/, >armul< = Alcalá ármula « veuve » < arabe standard /armal/, dans Alcalá budí = DC 21 bodé « commencement », dans IQ 5/8/3 >fum(m) < « bouche » < arabe standard /fam/, 79/8/3 >mubītu< « qui passe la nuit », 88/12/1 >muǧīk< « ta venue », 94/5/3 /šúffa/ « lèvre » < arabe standard /šafah/, 86/2/2 /muḥálla/ < arabe standard /maḥallah/ « campement », d’où le vieux castillan almofalla, dans IA /muḥássa/ « étrille »,44 ainsi que le castillan almohaza = portugais almofaça, dans LA 137 >ḍurr< « dommage » < arabe standard /ḍarr/, dans LA 178 >ḫušāš< < arabe standard /ḫašāš/ « vermine ».45
Des manifestations d’ultra-corrections se trouvent dans les exemples suivants : dans IH 180 >maqʕad< « estropié », 169 >marqad< (sic Alcalá márcad, corrigé dans GL >murqid<) « endroit pour dormir » et 173 >maṣmat< « d’une seule couleur », dont les formes arabe standard ont le préfixe {mu+}, à côté d’autres permutations entre les préfixes {mv+}, bien qu’il faille aussi considérer la possibilité de la préférence pour {ma+} dans les dialectes influencés par le sudarabique (Corriente 1979).
Parfois, le /a/ de l’arabe standard se trouve en arabe andalou sous la forme /i/. Cela se produit en l’absence d’un contexte clairement palatalisant, comme dan...