Mes conversations avec Claude
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Mes conversations avec Claude

  1. 140 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Mes conversations avec Claude

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Citations

À propos de ce livre

Claude était éminemment habile à converser. Car il écoutait. Il écoutait attentivement et pesamment. Il jaugeait les paroles qu'il entendait, et réfléchissait longuement avant de hasarder une réponse. Si longuement que le narrateur en est perplexe, au début. De toute évidence, il n'était pas de ces gens qui, selon La Bruyère, « parlent un moment avant que d'avoir pensé ».

Il y a donc un paradoxe: un livre de conversations avec quelqu'un qui ne parlait guère! Pourtant, malgré tout, des liens se sont noués. Il y a eu rencontre de ces êtres, qui sont sans doute, au départ tout au moins, un dilemme l'un pour l'autre: d'un côté un quasi analphabète, mais homme sage; d'autre part un universitaire, littéraire en plus, prolixe par déformation professionnelle…

Le livre de dialogues a une longue et vénérable histoire. Il a eu cours, en particulier aux XVIIe et XVIIIe siècles, mais on peut retracer son origine jusqu'aux dialogues platoniques, mettant en scène Socrate et divers interlocuteurs.

Certes, ce petit livre n'a pas la prétention de s'insérer dans la prestigieuse série des dialogues illustrée entre autres par Platon, Sénèque, Diderot, Fontenelle, David Hume, voire Marguerite de Navarre ou encore Voltaire, celui-ci sur un mode satirique.

Tout simplement, il fait état d'une rencontre.

Ce livre est publié en français.

-

Claude was eminently skilled in conversation. Because he listened. He listened attentively and intently. He measured the words he heard and thought long before risking an answer. So long, in fact, that in the beginning it confused the narrator. This man was clearly not one of those people who, in the words of La Bruyère, "speak one moment before they think."

And so here we have a paradox: a book of conversations with someone who hardly spoke! Yet, despite everything, bonds have been forged: encounters between people who, at least initially, posed a dilemma for one another—a nearly illiterate but wise man on the one hand, and an academic, a literary man to boot, made verbose through professional deformation on the other…

As a genre, the dialogue has a long and venerable history in literature. It was especially popular in the 17th and 18th centuries, but the history of this literary form can be traced back to the Platonic dialogues with Socrates and various other interlocutors.

To be sure, this small book makes no claim to join in the august ranks of the dialogues of Plato, Seneca, Diderot, Fontenelle, David Hume, Marguerite de Navarre, or even Voltaire and his satirical approach.

It simply tells of an encounter.

This book is published in French.

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Les livres


« Il paraît que t’as écrit un livre ? », m’annonça Claude, avec un petit sourire en coin, et le regard scrutateur.
La question me surprit. J’étais en train de traverser le champ d’en face, le nez rempli des odeurs du foin coupé, tout occupé à observer les mulots et les taupes qui se faufilaient d’un andain à l’autre, car ils ne se reconnaissaient plus dans leur univers saccagé, et admiratif devant les corneilles qui se régalaient du festin d’insectes et des nids de carouges qui leur étaient offerts. La table était mise pour elles, toujours opportunistes !
L’odeur capiteuse du foin me rappelait, du coup, les propos acides de Claude Dunneton, dans Parler croquant, se moquant des jolies phrases de Madame de Sévigné qui croyait que la fenaison n’était que batifolage gracieux dans les champs odorants. Pour la noblesse, sans doute, qui, le plaisir dissipé, pouvait se retirer dans le manoir pour prendre le thé. Mais pour les paysans comme le jeune Dunneton, c’était autre chose. Pour avoir fait quelquefois les foins, dans ma jeunesse, dans la canicule et la poussière, les mains meurtries par les cordes des balles, la peau des bras et des jambes écorchée par les tiges, toute la peau du corps irritée par la poussière du foin, je pouvais comprendre les remarques scandalisées de Dunneton. Certes, la mécanisation était passée par là, et les travaux étaient moins rudes. Mais tout de même ! C’était un lourd travail. Surtout quand venait le temps de remiser la récolte.
Claude, en m’apercevant à l’extrémité du champ, avait immobilisé le tracteur pour m’attendre et m’annoncer cette nouvelle. Depuis quelques jours, il fauchait au volant du tracteur du voisin, machine impressionnante, bien pourvue en perfectionnements divers, dont une cabine climatisée.
« Je viens de l’entendre à la radio », reprit-il.
« À la radio ? » Mon étonnement s’accrut d’autant. Je ne savais pas que les tracteurs avaient des radios, et j’étais étonné que Claude y ait écouté une quelconque émission littéraire, ou même qu’une telle émission ait existé, et encore qu’elle soit diffusée à 10 h le matin…
« Oui. Ils viennent d’annoncer aux nouvelles que tu as gagné un prix littéraire. En France. »
Alors, là, ce fut la stupéfaction. Ce fut comme s’il me parlait latin. Je pris un long moment pour réagir.
« Je ne savais pas que t’écrivais des livres », ajouta Claude. « Pourquoi faire ? »
Effectivement, la question était bonne. Pourquoi ?
En riant, je lui répondis que je me posais la même question. Assez souvent. Sans vraiment trouver de réponse.
Pourquoi faire ? Pourquoi écrire quand il y a si peu de lecteurs ? N’y a-t-il pas déjà assez de livres dans le monde ? Pourquoi en ajouter ? « J’iray autant qu’il y aura d’ancre et de papier au monde », avait avoué Montaigne de ses essais, pour expliquer pourquoi ceux-ci drageonnaient follement, s’allongeaient, poussaient dans tous les sens leurs racines adventives. Présentant ainsi son mode de composition, Montaigne avouait peut-être la pulsion de tous ceux qui présentent la plume au papier, ou les doigts au clavier.
Je lui répondis en badinant. « Oui, c’est ça que tu me vois faire, Claude, quand tu m’aperçois assis à l’ombre de l’orme, devant la vieille table de la laiterie, avec un paquet de feuilles et de livres. J’essaie d’écrire. Toi tu pensais que je faisais de la paresse, n’est-ce pas ? Que je me coulais du temps doux ? Que j’étais un flanc mou, peut-être ? Avoue-le ! »
Il eut un petit rire. Le laissant médusé, et avec la promesse de lui expliquer la chose, je fis demi-tour et arrivai à la maison juste à temps pour prendre l’appel de mon éditeur enchanté.
Les jours suivants furent étonnants. Je recevais des félicitations venant d’horizons surprenants : le quincaillier, la caissière à l’épicerie, le cordonnier. Même le conseil municipal, tout étonné de compter un écrivain dans sa population, m’envoya une belle lettre. Je compris que les gens écoutaient la radio, et que les nouvelles circulaient !
Du fait même, je pris un certain galon parmi mes voisins. Ou, du moins, je m’imaginai qu’ils me prendraient moins pour un fainéant, quand ils me verraient assis sur la galerie ou à l’ombre, un livre entre les mains !
Claude, avec sa discrétion habituelle, et peut-être regrettant ses questions qu’il jugeait possiblement indiscrètes, ne me relança pas. Je crois bien que la surprise d’entendre mon nom à la radio l’avait interpellé et avait forcé sa réserve habituelle. En somme, nous avions tous deux été surpris, lui d’entendre cela, moi de l’apprendre par une source aussi insolite.
Quelques jours plus tard, les foins étaient terminés et je passai le voir. Avec un exemplaire du livre, dédicacé. Je crois bien que ce serait le seul livre dans la maison, autre que le bottin téléphonique.
J’essayai de lui expliquer en quoi consistait le travail d’un universitaire, l’importance de contribuer à l’extension du savoir et non seulement à sa diffusion par l’enseignement ; le volet recherche, aussi important pour les humanités que pour les sciences ; les changements socio-historiques qui exigeaient de nouvelles tentatives de compréhension ; la littérature qui cherchait à appréhender les mystères de la vie et du destin humain ; l’importance d’offrir de nouvelles lectures, même des œuvres anciennes, qui étaient constamment recréées par leurs nouveaux lecteurs… Je crois bien que je parlai avec une certaine passion.
Il m’écouta attentivement, hochant de la tête, le regard franc et ouvert. Nous étions assis à l’ombre, derrière sa remise, sur un banc bas sur pattes, lui les avant-bras posés sur ses genoux, moi tantôt le dos appuyé sur le mur, tantôt me levant, retrouvant tout naturellement mes poses de professeur, regrettant presque de ne pas avoir de tableau noir à portée de la main !
« Ah bon ! Ah bon ! » lâcha-t-il finalement, après avoir tiré de longues bouffées sur sa cigarette. « Tu en as fait d’autres ? »
« C’est le premier. Mais d’autres sont prévus. Et il y a aussi les articles de revues. » J’avais apporté quelques exemplaires de revues, qu’il examina attentivement, pendant que je lui expliquais le fonctionnement des revues savantes.
Je crois bien que tout un pan de la réalité humaine s’ouvrait devant ses yeux. Auquel il n’avait jamais songé, à vrai dire, mais que maintenant qu’on lui en parlait, lui semblait tout naturel. Il fallait bien que les livres soient faits, puisqu’ils étaient là. Tout ainsi qu’il y avait des gens astucieux pour inventer les machines et les outils qu’il avait sous la main.
« Je ne me suis jamais demandé qui faisait les livres », m’avoua-t-il. Il savait que les bibliothèques en étaient pleines. Il lui était arrivé quelquefois d’aller lire le journal et examiner des revues de mécanique à la bibliothèque municipale. Les livres étaient là, tout simplement. Ils venaient de quelque part. Il pensait qu’ils étaient faits depuis toujours, en quelque sorte. Il y en avait beaucoup. Qui aurait eu l’idée d’en ajouter d’autres ?
Qui, en effet, et pourquoi ? « Pourquoi faire ? », avait demandé Claude. Sa question initiale me trottait dans la tête pendant que je parlais. M’assoyant sur le banc, je fus saisi d’une légère nausée, la même qui m’attendait toujours quand je rentrais dans une librairie et que je voyais ces étalages, ces rayons remplis de livres, la plupart promis au pilon dans les mois qui suivraient, livres dont la plupart étaient sans intérêt, de plus en plus racoleurs, d’ailleurs, avec leurs pages-titres et leurs illustrations de couvertures. Tous ces livres que je ne lirais jamais, de toute façon ! Mais combien méritaient d’être lus ?
Étonnamment, je ne ressentais pas la même chose en entrant dans une bibliothèque universitaire, car ces bibliothèques, pour moi, étaient purifiées de la fureur marchande pour devenir des reposoirs et des conservatoires du savoir humain, précieusement inscrit dans les pages des volumes. Mais même alors, je n’étais pas loin de penser quelquefois que ces bibliothèques n’étaient que des catacombes littéraires, où auteurs et livres étaient des momies enterrées pieusement pour retourner lentement en poussière. Toutes ces heures de lente cogitation, toutes ces nuits de studieuse solitude pour faire ces objets dérisoires qui occuperaient quelques pouces sur un rayon et seraient bientôt oubliés…
Claude, dont les simples questions m’avaient si rudement interpellé, fumait en silence. Il n’avait pas besoin d’en savoir davantage. Il avait compris. Sans doute trouvait-il d’ailleurs que j’avais forcé la note et parlé plus que de raison, alors que nos échanges étaient plutôt laconiques, d’ordinaire. Mais il n’en fit rien paraître. Nous restâmes silencieux, appuyés sur les planches rugueuses de sa remise. Il me prit une envie furieuse de rouler une cigarette et de fumer.
Son voisin faisait des livres, soit ; et lui faisait du bois. Chacun son métier.

Faucher


J’avais, ce printemps-là, dès le dégel, planté deux rangées de pins rouges le long de ma propriété à l’est et le long du chemin du rang également. Ceux à l’est pour me protéger quelque peu du mauvais vent nordet, limiter les bancs de neige dans mon entrée, et aussi, pourquoi pas, m’isoler des voisins ; les plants en bordure du chemin étaient pour le coup d’œil. Les semis m’avaient été fournis par le ministère des Terres et Forêts, qui avait alors un programme de reboisement assez actif. Certes, les plants devaient servir à reboiser et non pour ce que j’avais fait. Mais j’ai pensé que sur les quelques milliers que j’avais plantés dans mes vieilles prairies désaffectées, je pouvais certainement en soustraire quelques centaines pour l’agrément et le confort. Ces plants étaient à peine des brindilles, à racines nues, hauts de dix ou douze pouces. Rapides à planter. Mais je voyais déjà les pins majestueux, aux branches graciles, et aux aiguilles sombres, réunies en balais, qui feraient mes délices dans quelques années. « Mes arrière-neveux me devront cet ombrage », me disais-je, à l’instar du vieillard de La Fontaine.
Malheureusement, en juin, lorsque le voisin est venu faire les foins, je n’étais pas à la maison et les petits pins, invisibles dans le foin, et que j’avais négligé de marquer par une ligne quelconque, sont passés sous les lames de la faucheuse et ont été proprement pressés avec le mil et le trèfle. Ce sont les vaches qui ont dû être surprises l’hiver suivant, en recevant leur ration de foin.
De fait, c’est Claude qui avait été embauché par le voisin pour faucher et qui, fidèle à son caractère, travaillant proprement, était passé consciencieusement le plus près possible de la clôture. Quand je suis arrivé, en fin de journée, je n’ai pu m’empêcher de pousser un cri. Claude, qui fauchait le champ d’en face, n’entendit pas le cri, certes, mais il me vit ensuite marcher le long du champ, les yeux au sol, fouillant la terre du bout de mes bottines, et il s’approcha, pensant peut-être que j’avais perdu quelque objet. Il fut consterné d’apprendre ce qu’il avait fait.
« Mais comment aurais-tu pu le savoir ? », que je lui répétai plusieurs fois. « C’était à moi de bien marquer mon champ. Tant pis, dans le fond. Cela retarde mon projet d’un an. Tu me donneras un coup de main l’an prochain pour la plantation, si tu le veux bien. »
Malgré mes paroles, je voyais bien qu’il était en quelque sorte blessé dans sa fierté de travailleur. Je compris alors qu’il y avait chez lui, sous ses airs de réserve et d’effacement, sous sa retenue que j’avais d’abord prise pour de la timidité lors de nos premières conversations, un certain orgueil, ou plutôt un regret ou une souffrance de se faire prendre en défaut, trait que j’allais constater de nouveau, d’ailleurs, peu de temps plus tard, dans d’autres circonstances.
Il ne dit rien, mais je le voyais serrer les lèvres et se frotter la nuque, enlevant et remettant sa casquette. Il retrouva le tracteur et se remit au travail.
Le printemps suivant, le ministère avait mis fin à son programme ; il ne fournissait plus de plants, sauf par l’entremise d’une société forestière, et après examen par un ingénieur ou un technicien en foresterie. Il était certain que je ne me qualifierais pas pour un projet d’embellissement.
Claude m’offrit d’arracher dans mes clairières quelques-uns des petits pins que j’y avais mis, d’effectuer une ponction en quelque sorte, pour remplacer ceux qu’il avait fauchés. Cela ne me semblait pas correct. Je m’achetai plutôt une souffleuse pour le tracteur, en prévision des prochaines giboulées de mars, poussées par le nordet.

La richesse


En voyant Claude arriver, fièrement perché sur un nouveau VTT, je ne pus m’empêcher de pousser des exclamations. Il arrêta tout près, et me regarda, les yeux souriants.
« Eh bien ! Claude ! Toute une machine ! Qu’est-ce qui se passe ? As-tu hérité ? »
Je regrettai la question aussitôt posée, et m’en voulus de ma spontanéité intempestive. Je connaissais sa dévotion pour sa mère, je la savais toujours vivante malgré son âge avancé. Et de toute façon, elle n’avait certainement pas d’économies elle non plus. D’ailleurs, personne dans sa famille ne disposait de ressources ou d’un patrimoine quelconque. Attirer l’attention sur cela, bien involontairement, pouvait certainement le blesser. Ma blague de mauvais goût était tout à fait inopportune dans les circonstances. Je parlais trop !
Sans répondre il débarqua de son ...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Prologue
  5. Avant-propos
  6. Introduction
  7. Aiguiser
  8. Des écureuils et des hommes
  9. Travailler seul
  10. Misère !
  11. La taverne et l'église
  12. On ne peut tout avoir dans la vie…
  13. Le mariage
  14. Le verglas
  15. L'érablière
  16. L'éducation
  17. La palissade
  18. La vieillesse
  19. Le spleen
  20. Comment peut-on être Persan ?
  21. Les livres
  22. Faucher
  23. La richesse
  24. La chaloupe
  25. Berga
  26. Les chiens
  27. Le dernier chantier
  28. Table des matières
  29. Résumé du livre