Michel Bastarache
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Michel Bastarache

Ce que je voudrais dire à mes enfants

  1. 344 pages
  2. French
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  4. Disponible sur iOS et Android
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Michel Bastarache

Ce que je voudrais dire à mes enfants

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Citations

À propos de ce livre

Dans une lettre qu'il adresse à ses deux enfants, morts d'une maladie incurable, Michel Bastarache se rappelle son enfance en Acadie puis sa carrière, jusqu'à devenir le premier juge acadien à siéger à la Cour suprême du Canada. M e Bastarache raconte sa constante lutte pour l'égalité des communautés francophone et anglophone.Il revient sur son engagement au sein des groupes de défense des francophones hors Québec, puis sur sa carrière de professeur, de fonctionnaire, d'avocat et de juge. Dans ce récit, il amène le lecteur dans les coulisses de ses plus importantes causes et révèle certains secrets du plus haut tribunal canadien. M e Bastarache réagit également à la polémique entourant la Commission d'enquête sur le processus de nomination des juges du Québec et sur son travail à titre de médiateur dans le processus de réconciliation et de compensation pour les victimes alléguées d'agressions sexuelles par d'anciens prêtres au Nouveau-Brunswick.
Ce livre est publié en français.
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In this intimate volume, MichelBastarache reveals details of his youth in Acadia and his multiple professionalroles before becoming the first Acadian justice to sit on the Supreme Court ofCanada. In a letter addressed to his two children who died from an incurabledisease, Me. Bastarache recounts his constant fight for equality betweenfrancophone and anglophone communities. He reminisces on his commitment amonggroups protecting francophones outside Québec, then on his careers as teacher, civil servant, lawyer, and juge. In this story he takes the reader backstage tohis most important causes and he reveals some of the secrets of the highestcourt in Canada. Me. Bastarache weighs in on the controversy surrounding theInquiry Commission on the process for appointing judges of the Court of Québec, as well as his mediator work for reconciliation and compensation of allegedvictims of sexual abuse by ex-priests in New Brunswick.

This book is published in French.

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Informations

Année
2019
ISBN
9782760330924

1

« Speak white »

IL S’APPELLE ALFRED, ALFRED BASTARACHE. Le 11 janvier 1921, Michel Bastarache et Claire Allain accueillent dans leur nid mon père, que plusieurs appellent simplement « Fred ». Mon père est issu d’une famille de six enfants, dont un est décédé à un jeune âge. C’est une famille très pauvre dans une région infortunée. Dans son village natal de Bouctouche, l’emploi est limité et l’éducation aussi. Encore aujourd’hui, le comté de Kent au Nouveau-Brunswick est l’une des régions pauvres de la province, avec un taux de chômage extrêmement élevé.
Mais à l’époque, il n’y a pas d’éducation en français après le primaire, et bien sûr votre grand-père est unilingue francophone. Ainsi, la seule façon qu’il puisse étudier en français est de fréquenter l’école privée. Les seules vraies écoles du genre sont alors les séminaires ou les collèges. Rapidement, les gens voient en votre grand-père un garçon vif d’esprit et doté d’une intelligence vraiment exceptionnelle.
C’est pour cela qu’il obtient une des bourses que l’archevêque de Moncton réserve alors à une poignée d’étudiants de la région pour aller au Petit Séminaire de Rimouski. Il est intelligent comme ça ! Le hic, entre nous, c’est que cette formation le prédestinait seulement à la médecine ou… à la prêtrise. À une époque où la religion domine la société française, mon père n’est pas le plus pratiquant des catholiques. Un mouton noir, tiens. Il réussit avec grande distinction ses études à Rimouski et a le privilège d’être admis à la Faculté de médecine de l’Université Laval. C’est là où le déclic se fait. Il marche alors dans les corridors d’une institution qui a accueilli au fil des ans de grands noms de la politique québécoise et canadienne. Parce qu’avant même d’avoir de l’intérêt pour la médecine, mon père est intéressé par tout. De la science dure à la molle. Côtoyer des jeunes qui étudient les sciences sociales avec le « père de la Révolution tranquille », le père Georges-Henri Lévesque, un prêtre dominicain qui a fondé l’école des Sciences sociales à l’Université Laval, est pour lui tout aussi important que la médecine. Le père Lévesque a eu une grande influence sur bon nombre d’étudiants qui ont par la suite marqué la société québécoise et acadienne.
Sans même l’avoir fréquenté, mon père a adopté l’idéologie libérale de justice sociale du père Lévesque et l’a même ramenée avec lui, si on veut, au Nouveau-Brunswick. Mais ce n’est pas la seule chose qu’il allait rapporter dans son patelin. À Québec, il rencontre une Québécoise pure laine de Chicoutimi dont la famille a déménagé dans la région de Québec lorsqu’elle était jeune. Elle s’appelle Madeleine Claveau.
Née le 27 février 1918, fille de Jean-Arthur Claveau et d’Yvonne Rouleau, Madeleine a tout un caractère. Une main de fer dans un gant d’acier. Une véritable patronne qui étudie pour devenir garde-malade. Comment expliquer ce trait de personnalité ? Difficile à dire. Était-ce parce qu’elle était issue d’une famille de 14 enfants ? Je n’en sais rien. Ce que je sais, c’est que votre grand-père fait tourner les têtes à Québec et que c’est cette Madeleine Claveau de Chicoutimi qui hérite de son comportement flamboyant. Elle est de trois ans l’aînée de votre grand-père. Une infirmière et un médecin.
Fred Bastarache et Madeleine Claveau se sont mariés le 13 juillet 1946 en l’église Saint-Dominique de Québec, sur la Grande-Allée. Un an plus tard, le 10 juin 1947, je viens au monde à Québec. Je suis québécois… de naissance.
***
Les enfants, nous avons cette habitude en Acadie de nous intéresser à nos ascendances et de chercher à comprendre d’où nous venons.
Les enfants, nous avons cette habitude en Acadie de nous intéresser à nos ascendances et de chercher à comprendre d’où nous venons. Un jour, des amis me remettent l’arbre généalogique de ma famille paternelle et j’apprends alors que mes ancêtres ont émigré de Bayonne en 1640. Je sursaute d’étonnement lorsque je constate qu’ils sont décrits comme des flibustiers. Des flibustiers ? Essentiellement, ils auraient été des pirates commandités par le gouvernement. Leur nom était Besteretchea avant d’être francisé. Il faut croire qu’ils n’ont pas changé beaucoup en s’installant dans le village de Paradis, dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, non loin de l’Université Sainte-Anne. Je dis cela parce que j’ai appris en lisant le magnifique ouvrage A Great and Noble Scheme que mes deux ancêtres masculins, déportés en Caroline du Nord, ont, contrairement à presque tous les autres déportés, été emprisonnés en raison du fait qu’ils auraient coulé des navires anglais avec Beausoleil Broussard. J’ai aussi appris qu’ils se sont évadés et qu’ils se sont rendus au Nouveau-Brunswick. Durant leur périple à pied, ils ont été arrêtés par des Indiens et ont été libérés grâce à l’intervention d’un prêtre. Ils sont passés par Memramcook pour finalement s’installer à Bouctouche. Un des deux frères aurait ensuite poursuivi sa route jusque dans le nord de ce territoire pour fonder la ville de Tracadie. Là-bas, ils portent le nom Basque.
Les enfants, je vais faire une parenthèse généalogique ici pour vous parler de mon premier voyage en Louisiane. Je dois prononcer un discours au Codofil, l’agence pour le développement du français dans cet État. J’arrive tôt aux bureaux de l’agence et je marche tranquillement vers l’entrée. Ne voyant pas de signe de vie, je retourne marcher en attendant la rencontre. Tout à coup, un homme âgé sort et me fait signe d’approcher.
— M. Mouton, venez, entrez, me dit-il en français.
— Vous vous trompez, monsieur, je m’appelle Michel Bastarache et je suis un Acadien du Nouveau-Brunswick.
— Jeune homme, je reconnais un Mouton quand j’en vois un. Allez, entrez !
Je le suis tout en lui répétant qu’il se trompe sur mon identité. Il me demande ensuite de m’asseoir. Il se tourne pour chercher quelque chose. Il sort alors un gros volume, l’ouvre à une page où se trouve la photo d’un monsieur Mouton. Je crois qu’il m’a dit qu’il s’agissait d’un fondateur de Vermillonville ou de Lafayette. La surprise, c’est que cette personne me ressemblait tellement que j’aurais cru me voir dans un costume d’époque. Devant mon étonnement, il me raconte que lors de la déportation, trois sœurs Bastarache ont été envoyées en Louisiane et y ont épousé trois frères Mouton. La ressemblance, c’était simplement le fait de la parenté.
Chez les Bastarache, on raconte que bon nombre de Basques étaient des pêcheurs. Des pêcheurs de baleine et de morue qui sont venus travailler en Atlantique, comme au Labrador par exemple. Vers le XIVe siècle. Il y a très peu de familles d’origine basque à l’époque, au Nouveau-Brunswick. À Port-Royal, on en a quelques-unes et on a aussi des Besteretchea. C’est une petite famille, qui n’a rien à voir avec les LeBlanc, les Cormier, les Robichaud, qui sont beaucoup plus nombreux.
***
Mon aventure québécoise n’a initialement duré que quelques mois. Bien que je sois né au Québec et que j’y aie passé une période de ma vie, je ne suis pas québécois. L’Acadie est à ce point dans les veines et dans l’âme de mon père qu’il est parvenu à convaincre ma mère de l’accompagner au Nouveau-Brunswick pour y vivre. Une francophone qui ne connaît pas un traître mot d’anglais débarque alors dans la grande région de Moncton.
L’Acadie est à ce point dans les veines et dans l’âme de mon père qu’il est parvenu à convaincre ma mère de l’accompagner au Nouveau-Brunswick pour y vivre.
C’est que, voyez-vous, mon père fait partie de cette génération de jeunes hommes qui partaient pour étudier à l’extérieur du Nouveau-Brunswick, mais qui sentaient qu’ils avaient une obligation morale de revenir chez eux. C’est comme une mission. Du type « j’ai été choyé, donc j’ai quelque chose à redonner ». Il avait cette vocation, un peu comme les curés. Puis, il est revenu dans sa province natale beaucoup plus francophone qu’il ne l’était avant de partir. Dès lors, et pour le reste de sa vie, il entreprend plusieurs grands chantiers pour les francophones et les Acadiens du Nouveau-Brunswick, surtout dans le sud-est de la province.
Il veut faire quelque chose et amener un sentiment de fierté dans la communauté et chez les Acadiens individuellement. Provoquer une autonomie. C’est assez singulier. Le Nouveau-Brunswick des années 1940 et 1950 vit une période bien noire, alors que le filet social est quasi inexistant et que la population se bat pour survivre. C’est le cas en particulier dans les régions rurales, comme le sud-est de la province. Et c’est d’autant plus vrai pour les francophones.
Jean-François, Émilie, je ne dis pas cela pour me plaindre, au contraire ! Je n’ai pas eu une enfance malheureuse. Certes, nous sommes alors perçus comme une famille bourgeoise. Nous vivons au centre-ville de Moncton, nous sommes propriétaires d’un chalet près de la mer, et mon père est médecin. Vos grands-parents ont quand même vécu la « grande noirceur », comme on dit au Québec. Lui médecin, elle garde malade, ils se promènent de maison en maison dans le comté de Kent, à Saint-Antoine, Bouctouche ou Sainte-Marie, pour soigner les gens malades ou aider des femmes à accoucher. On paye bien souvent mon père en lui donnant une poule, un cochon, des légumes ou simplement un « merci ».
La bourgeoisie, soit, mais mes parents ont le cœur sur la main. Aider leur prochain fait partie de leur ADN. Pareil pour l’aspect familial. Dans aucune circonstance n’avons-nous le droit de manquer un repas, en particulier la fin de semaine. Ça, c’est surtout en raison de ma mère. Mais mon père adhère également à ce principe. Très souvent, les dimanches, c’est assez régulier, nous rendons visite à la famille élargie. Mes parents lancent un avis dans le foyer familial : « On s’en va faire un tour ! » Les quatre enfants sont invités et souvent nous allons en groupe faire le tour de la famille. Mon père est un hyperactif et ne peut pas rester en place. Nous faisons donc « un tour » pour prendre les nouvelles et nous partons.
Cette proximité familiale, donc, est importante pour nous tous. Pour mon père, elle dépasse même les frontières familiales. Il aime discuter et nous raconter toutes sortes d’histoires. Il a un sens de l’humour très développé. Alors qu’il est à quelques semaines de la mort, il demande à mon frère Marc de lui faire voir le cimetière où il sera enterré. Marc est troublé. Mon père lui dit alors : « Ce n’est pas de mourir qui est difficile, c’est de ressusciter. » Les histoires concernant l’hôpital sont sans doute les meilleures. Je constate rapidement que mon père s’attache à des personnes qu’il ne connaît pas du tout. Elles sont souvent en phase terminale, à des poussières du couloir de la mort. On ne les connaît pas du tout, mais mon père s’attache à elles. Il veut leur assurer la meilleure qualité de vie possible.
***
Martin, Louis, Joe et les autres entrent à la maison. Ils enlèvent leur chapeau, nous saluent puis s’assoient à table. Ils sont tous là dans notre cuisine de la rue Dominion, à Moncton. Les cigarettes s’allument et un épais nuage de fumée valse sous les ampoules au plafond. Ils sont peut-être trois, quatre ou cinq hommes à table. Parfois plus. Ils boivent, ils fument. Des petites assemblées de cuisine. J’ignore souvent l’objet de ces rencontres. J’ai compris par la suite qu’on y parle d’à peu près tout. D’éducation, de finances et de santé. La politique, évidemment, revient toujours. Mon père est fou de politique, sans la partisanerie qui va avec. Le politique, quoi, ces nouvelles idées pour améliorer le sort des gens de façon pragmatique et efficace. Ce sont les coulisses politiques dans sa plus simple expression. Rarement les apparatchiks du Parti libéral le voient aux assemblées politiques. Mais quand mon cousin Bertin LeBlanc, qui a habité chez moi après la mort de son père, est élu député de Kent-Sud à l’Assemblée législative en 1978, mes parents célèbrent sans gêne.
Donc, Fred n’est pas un joueur influent du Parti libéral, mais il a un certain poids, puisque son opinion est considérée par des personnes importantes. Dans les années 1950, toutes les idées sont bonnes pour chasser du pouvoir les conservateurs de Hugh John Flemming. Son ami Louis pratique alors le droit à Richibouctou, au nord du comté de Kent. Il est un peu plus jeune que mon père, mais les deux s’entendent à merveille. Leur affection dépasse les valeurs communes d’engagement. C’est une amitié profonde. Je me souviens encore d’être éveillé au chalet de Shediac Bridge et d’entendre Louis rentrer et s’asseoir avec mes parents. S’il ne prend pas un coup avec mon père, il arrive déjà assez ivre, au point où ma mère s’engage à le dégriser. Leur amitié est telle que lorsque mon père est décédé, il a écrit une longue lettre à la main à ma mère. Une lettre très émouvante que la famille n’oubliera jamais.
Louis se lance en politique assez jeune. Il a 27 ans en 1952 quand il devient député de Kent à l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick. Il est ensuite réélu en 1956, puis devient chef du Parti libéral. En 1960, Louis Joseph Robichaud est élu premier ministre du Nouveau-Brunswick. C’est la consécration. Notre ami, « P’tit Louis », devient le premier Acadien de l’histoire à être élu au poste de premier ministre de notre belle province.
***
Je grandis dans un Nouveau-Brunswick en pleine mutation. Ce sont les années qui mènent à la Révolution tranquille au Québec. Je me souviens très peu de mon enfance, une période banale sans grandes histoires personnelles. Les années 1940 et 1950 ne sont pas particulièrement roses au Nouveau-Brunswick. Malgré notre poids démographique considérable, nous, francophones, sommes traités comme des bons à rien. Une sous-classe, vraiment. Les loyalistes, ces anglophones fiers de leurs origines britanniques et farouches défenseurs de la monarchie, s’entraident sans considération pour les « frenchies ». Le film L’Acadie, l’Acadie !?! de Michel Brault et Pierre Perrault montre très bien l’ambiance de l’époque, en particulier cette scène où l’on voit des centaines de loyalistes se rencontrer dans des salles communautaires ou des sous-sols d’église. Non seulement les francophones n’y sont pas invités, leur présence est prohibée. Ces hommes et ces femmes entonnent d’abord le God Save the Queen, puis des personnes défilent sur scène, s’arrêtent devant un micro et font des discours. Généralement, ce n’est pas très gentil à l’égard des francophones. Pour ces gens, la présence de deux langues n’est pas une richesse culturelle, mais plutôt un affront à l’identité britannique et canadienne. Disons que cette opinion n’est pas partagée dans une famille acadienne comme la nôtre, dont certains ancêtres ont été déportés en 1755. Nous ne sommes plus au XVIIIe siècle, mais c’est tout comme. Lorsque nous avons des problèmes avec les Anglais et que nous débattons, ces derniers nous lancent comme argument qui doit en principe clore le débat : « C’est nous qui avons gagné la guerre, l’Angleterre contre la France. » Cela fait plus de 300 ans, et on en est encore là. D’ailleurs, dans le rapport de la commission Poirier-Bastarache sur l’égalité des deux langues officielles au Nouveau-Brunswick, en 1982, j’allais demander au sociologue René-Jean Raveau de mener une étude sur l’attitude des gens envers la langue française. Ses conclusions glacent toujours le sang. En rapportant les faits, il avancera qu’environ 40 % des anglophones considèrent, au début des années 1980, que le bilinguisme est inacceptable parce qu’ils ont gagné la guerre des plaines d’Abraham. Il faut savoir cela pour essayer de comprendre et de développer une façon d’amener un changement dans les attitudes des gens.
Dans ma jeunesse, c’est beaucoup plus complexe puisque la plupart des dispositions de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick ne seront en vigueur que six années après son adoption, en 1969. La loi a quand même une portée juridique à l’époque, mais au fond, dans la pratique, une loi n’abolit pas les attitudes racistes. N’ayons pas peur des mots, les enfants, il s’agit bel et bien de racisme.
***
N’ayons pas peur des mots, les enfants, il s’agit bel et bien de racisme.
Tout jeune, je fais régulièrement les courses avec ma mère et mon frère Marc. Nous partons de la maison, puis nous nous rendons aux magasins du centre-ville pour faire l’épicerie, acheter des vêtements ou autres choses. Cette activité, a priori assez simple, peut toutefois comporter son lot de défis. Voyez-vous, ma mère ne parle presque pas l’anglais et elle n’a aucune tendance à se croire inférieure aux autres. Jamais n’a-t-elle accepté d’être humiliée.
Bref, nous habitons Moncton, une des grandes villes des Maritimes, et nous avons la chance d’avoir un magasin Eaton’s. C’est en plein centre-ville, là où le Highfield Square a ensuite été bâti, puis démoli dan...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Page titre
  3. Page de droit
  4. Table des matières
  5. Préface
  6. Remerciements
  7. Introduction
  8. Chapitre 1 « Speak white »
  9. Chapitre 2 La route
  10. Chapitre 3 Debout
  11. Chapitre 4 Le militant
  12. Chapitre 5 Les dead ducks
  13. Chapitre 6 L’Acadie… Ô l’Acadie
  14. Chapitre 7 Tiens, la dualité
  15. Chapitre 8 La commission qui changera tout
  16. Chapitre 9 Le rêve
  17. Chapitre 10 La bataille de l’Alberta
  18. Chapitre 11 Le vendeur, le professeur, le fonctionnaire et l’avocat
  19. Chapitre 12 L’Assomption
  20. Chapitre 13 La politique
  21. Chapitre 14 Le nouveau juge
  22. Chapitre 15 Le globe-trotter
  23. Chapitre 16 Une cause historique
  24. Chapitre 17 Pas dans ma cour
  25. Chapitre 18 La guerre n’est pas gagnée
  26. Chapitre 19 Au revoir, chère Cour
  27. Chapitre 20 La commission maudite
  28. Chapitre 21 Un dernier épisode bien singulier
  29. Conclusion
  30. Couvertures arrières