Amour et courage
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Amour et courage

Mon histoire de famille et de résilience

  1. 320 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Amour et courage

Mon histoire de famille et de résilience

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Citations

À propos de ce livre

Le chef du Nouveau Parti démocratique du Canada, Jagmeet Singh, nous livre le récit fascinant et bouleversant de sa famille: une histoire de courage et de résilience face à l'adversité. En octobre 2017, Jagmeet Singh est devenu le premier membre d'une minorité visible à diriger un parti politique majeur au Canada. Cet événement marquant a été célébré à travers le pays.Un mois plus tÎt, durant la course à la chefferie du NPD, Jagmeet a tenu des assemblées publiques partout au pays. Durant l'un de ces événements, une perturbatrice dans la foule l'a interrompu avec des accusations racistes. Jagmeet lui a répondu calmement, appelant les Canadiens et Canadiennes à répondre à la haine avec « l'amour et le courage ». Cette réponse est immédiatement devenue virale, et les gens à travers le pays sont devenus curieux. Qui est Jagmeet Singh? Et pourquoi « amour et courage »?Dans ce récit personnel et touchant, Jagmeet répond à ces questions. Il nous invite à revivre avec lui son passage de l'enfance à l'ùge adulte, alors qu'il apprend des leçons importantes et parfois traumatisantes sur les hauts et les bas de la vie, la dépendance, et l'impact de ne pas se sentir à sa place. Nous découvrons sa courageuse famille, notamment sa mÚre, qui lui enseigne que « nous ne faisons qu'un, nous sommes tous connectés », une leçon inestimable qui a considérablement influencé la personne qu'il est devenu.Il ne s'agit pas de mémoires politiques. C'est l'histoire d'une famille, un récit sur l'amour et le courage, un vibrant rappel que renforcer les liens qui nous unissent est la premiÚre étape dans l'édification d'un monde meilleur.

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Informations

Année
2019
ISBN
9781982135256
TroisiĂšme partie

Chapitre 11

FRATERNITÉ

Gurratan et moi formions tout un duo quand on est allĂ©s l’inscrire Ă  sa nouvelle Ă©cole secondaire, dans une Mercedes noire. Dead Prez sortait de mes haut-parleurs de voiture, j’avais adoptĂ© un style inspirĂ© du hip-hop du dĂ©but des annĂ©es 2000, et je portais la barbichette, un pantalon de jogging lĂ©gĂšrement ample et un t-shirt gris ajustĂ©. Gurratan dĂ©couvrait sa propre identitĂ©, dĂ©veloppant un style possiblement inspirĂ© du mien, mais par rapport auquel il Ă©tait beaucoup plus confiant que moi je l’étais, Ă  son Ăąge. Notre diffĂ©rence d’ñge avait sans doute peu de sens pour quiconque y aurait portĂ© attention. On est sortis de la voiture. J’ai marchĂ© vers les portes bleu acier en tentant de dĂ©gager de la confiance. Gurratan m’a regardĂ© d’un air sceptique.
— Tu sais ce que tu fais?
— À quel point ça peut ĂȘtre difficile d’inscrire quelqu’un Ă  l’école? ai-je dit.
On a montĂ© les escaliers et marchĂ© dans les couloirs dĂ©corĂ©s des chansons thĂšmes de l’école composĂ©es de lettres en forme de bulles. On est arrivĂ©s Ă  une porte ouverte sous un Ă©criteau indiquant BUREAU. J’ai regardĂ© mon frĂšre et j’ai vu qu’il Ă©tait Ă  l’aise et emballĂ© : il avait assurĂ©ment hĂąte Ă  ce nouveau dĂ©part. J’ai souri Ă  l’idĂ©e de le voir s’épanouir.
— Jagmeet Singh Dhaliwal, ai-je dit, me prĂ©sentant Ă  l’administratrice. Et voici mon frĂšre, Gurratan.
L’administratrice m’a regardĂ©, puis lui, puis moi de nouveau.
— EnchantĂ©e de vous rencontrer tous les deux, a-t-elle dit. Êtes-vous d’anciens Ă©lĂšves, Gou
 Zut, je suis dĂ©solĂ©e, vos noms encore?
— Gu-ra-tann, a dit mon frùre.
— Et Jagmeet. Ça se prononce jog-meet, ai-je dit. Gurratan a 15 ans, il vient d’arriver de Windsor. J’aimerais l’inscrire en onziĂšme annĂ©e pour septembre.
Elle a imprimĂ© un formulaire et l’a placĂ© sur un porte-bloc pour que je le remplisse avec le nom de Gurratan, son numĂ©ro d’assurance sociale et tout le reste. À la surprise de mon frĂšre, j’étais prĂ©parĂ©. J’ai signĂ© mon nom sur la ligne au-dessus du mot tuteur.
Sur le chemin du retour, j’ai passĂ© en revue notre arrangement.
— On t’a inscrit Ă  l’école, ai-je dit. Ça fait ça de moins sur la liste de choses Ă  faire.
— Qu’est-ce qu’il y a d’autre sur cette liste?
— J’ai promis Ă  maman que tu ferais tes devoirs, que tu irais Ă  l’école, que tu serais bien nourri et que tu rĂ©ussirais Ă  l’école.
— Pour l’instant, concentrons-nous sur me nourrir, a dit Gurratan. Je meurs de faim.
Quand on est rentrĂ©s au condo, j’ai disposĂ© le dĂźner sur l’ülot de cuisine dans des plats de service. Gurratan s’est assis sur un tabouret et s’est servi plusieurs grosses cuillerĂ©es de dhal, de roti et de riz dans son assiette. Un autre Ă©lĂ©ment de rayĂ© de la liste, ai-je pensĂ©, savourant mon sentiment d’accomplissement. Ça va ĂȘtre facile.
« Il en reste d’autre? » a demandĂ© Gurratan devant son assiette vide.
Je suis descendu de mon nuage. « T’es sĂ©rieux? »
PremiĂšre leçon du mĂ©tier de tuteur : rien ne peut vous prĂ©parer Ă  vous occuper d’un adolescent en pleine croissance. Gurratan Ă©tait insatiable. J’appelais constamment ma mĂšre pour qu’elle me partage des recettes. Je suivais ses instructions et je faisais d’énormes sautĂ©s, vĂ©ritables montagnes dans la poĂȘle, pour ensuite voir Gurratan n’en faire qu’une bouchĂ©e. Il ne laissait aucun restant pour les lunchs du lendemain et, aprĂšs la plupart des repas, il avait encore besoin de fouiller dans le garde-manger pour satisfaire son appĂ©tit.
Par la suite, ma formation en biologie s’est rĂ©veillĂ©e et j’ai trouvĂ© une solution : les pĂątes. Mais, pas n’importe lesquelles – les pĂątes les plus complĂštes, les plus riches en glucides et en protĂ©ines que l’on puisse imaginer. Rigatoni de blĂ© entier, morceaux de tofu, blocs de beurre. Je faisais fondre le mozzarella directement dans la sauce tomate, j’y ajoutais des oignons et de l’ail sautĂ©s, puis je garnissais chaque assiette d’un autre monticule de fromage. Ça l’assommait.
Heureusement, on a vite eu beaucoup de soutien de la part de maman. Elle nous rendait visite toutes les quelques semaines pour prendre des nouvelles, et remplissait notre congĂ©lateur de repas. Une fois, la grand-mĂšre d’une amie de Gurratan, une sympathique Polonaise, nous a fait ce qui semblait ĂȘtre assez de pierogis pour un an, Ă  un prix trĂšs raisonnable. Et certains amis pendjabis de Gurratan nous envoyaient des plats qu’on mettait au frigo. Manjot vivait aussi Ă  London maintenant, et elle m’aidait Ă  m’occuper de Gurratan. Elle mĂ©ritait toutefois d’avoir son espace pour dĂ©couvrir et profiter de son indĂ©pendance comme j’avais pu le faire. Je sentais qu’en tant qu’aĂźnĂ©, j’étais responsable de prendre soin de mon frĂšre.
Le pendjabi rĂ©sume en un mot l’expression « Dis-moi qui tu hantes, je te dirai qui tu es. » : sangat. L’idĂ©e est que l’on devient notre sangat. Heureusement, Gurratan en avait un solide, une clique de camarades de classe avec de bonnes tĂȘtes sur les Ă©paules. Ils sortaient, s’amusaient et finissaient souvent chez nous, mais ils ne faisaient jamais rien qui me prĂ©occupait. Gurratan Ă©tait toujours le bienvenu chez ses amis, dont les parents le chouchoutaient comme un fils.
Comme Gurratan Ă©tait digne de confiance, j’ai peut-ĂȘtre eu le rĂ©flexe de lui donner trop de libertĂ©. Mais c’était de cette façon que j’avais Ă©tĂ© Ă©levĂ©. Je savais qu’il avait de bonnes valeurs et j’étais certain de pouvoir lui faire confiance, j’étais donc plutĂŽt dĂ©tendu. Peut-ĂȘtre un peu trop, quand il s’agissait de l’école, par contre.
Je me souviens de m’ĂȘtre rĂ©veillĂ© Ă  onze heures un matin et d’avoir trouvĂ© Gurratan en train de manger des cĂ©rĂ©ales devant la tĂ©lĂ©.
— Yo, qu’est-ce que tu fais encore ici? ai-je demandĂ©.
— J’ai pas envie d’aller Ă  l’école, a-t-il dit.
— T’es malade?
— Non, j’ai juste pas envie d’y aller.
— T’es sĂ»r?
— Ouais, a-t-il dit.
J’ai pris une pause, essayant de rĂ©flĂ©chir Ă  comment rĂ©pondre. Je n’avais pas vraiment Ă©tabli un bon modĂšle. Moi-mĂȘme, ce n’était pas ma force d’assister Ă  mes propres cours, surtout ceux du matin.
— OK, ai-je enfin dit, mais assure-toi d’avoir fait tes devoirs et d’ĂȘtre prĂ©parĂ© pour les tests Ă  venir.
Mon attitude détendue était en partie le fruit de mon « style parental », et en partie due au fait que je voulais que Gurratan passe du bon temps aprÚs ses moments difficiles à Windsor.
Mon rĂŽle parental non conventionnel comprenait aussi l’exposition Ă  mes amis, qui venaient rĂ©guliĂšrement chez nous. Mes amis Ă©tudiaient dans diffĂ©rents domaines : certains en biologie humaine en annĂ©e prĂ©paratoire de mĂ©decine, d’autres en ingĂ©nierie, en programmation informatique ou en philosophie. On parlait d’un sujet ou d’un autre et Gurratan Ă©coutait, comme une Ă©ponge. Plus tard, quand il Ă©tait Ă  l’universitĂ©, j’ai constatĂ© que l’avoir exposĂ© Ă  toutes ces discussions allait me coĂ»ter cher; encore aujourd’hui, nos querelles sur la sĂ©mantique et les erreurs logiques ou nos dĂ©bats hypothĂ©tiques peuvent rapidement vider une piĂšce.
MalgrĂ© quelques erreurs et grasses matinĂ©es, je me suis engagĂ© Ă  enseigner de saines habitudes Ă  Gurratan et Ă  faire de lui un jeune homme confiant. Je lui ai appris des techniques d’autodĂ©fense dans le stationnement et je lui ai montrĂ© Ă  soulever des poids. Je l’ai emmenĂ© magasiner pour m’assurer que son apparence reflĂ©tait sa confiance intĂ©rieure, et je lui ai montrĂ© comment attacher ses cheveux pour le sport. J’aimais pouvoir partager mes passions avec mon petit frĂšre, et chaque jour nous rapprochait. Mais certaines choses Ă©taient plus difficiles Ă  enseigner.
— Au fait, il y a une danse Ă  l’école la semaine prochaine, a dit Gurratan, un soir.
— Ç’a l’air le fun, ai-je dit.
Gurratan m’a regardĂ© en silence jusqu’à ce que je m’en rende compte.
— Attends, Gurratan, tu sais danser?
— Pas vraiment, a-t-il dit.
— C’est quel genre de danse?
— Le genre oĂč je pourrais danser tout seul ou peut-ĂȘtre avec d’autre monde.
— Quel genre de danse avec d’autre monde?
— Genre un slow
, a-t-il dit timidement.
— Oh, ai-je dit en souriant. J’imagine qu’on ferait bien de t’apprendre à danser un slow.
On a tassĂ© la table basse sur le cĂŽtĂ© pour faire de la place dans le salon, et j’ai mis une chanson de Mary J. Blige.
— Je vais te montrer comment diriger, ai-je dit.
HĂ©sitant, j’ai mis mes mains sur ses hanches et je lui ai dit de me prendre par les Ă©paules. On s’est retrouvĂ©s dans un two-step maladroit.
— ArrĂȘte de regarder tes pieds, ai-je dit.
— Je suis pas capable, s’est-il plaint.
— Regarde-moi, ai-je ordonnĂ©.
Il a levĂ© la tĂȘte. Pendant un bref instant, on s’est regardĂ©s dans les yeux, avant d’éclater de rire. Impossible qu’il prenne ça au sĂ©rieux en me regardant dans les yeux.
— OK, peut-ĂȘtre pas. Regarde le mur, mais essaie quand mĂȘme de sentir le rythme. Laisse-moi diriger pour te faire une idĂ©e et Ă  la prochaine chanson, ce sera ton tour.
— Je pense pas pouvoir passer à travers une autre chanson.
Au mĂȘme moment, on a laissĂ© retomber nos bras et on a ri.
— Ça marche pas, ai-je conclu.
— Pas vraiment, a dit Gurratan.
— J’ai une idĂ©e, ai-je dit en prenant le tĂ©lĂ©phone.
— T’appelles qui? a-t-il demandĂ©.
— Une experte, ai-je dit.
Quelques heures plus tard, mon amie de l’universitĂ© est arrivĂ©e Ă  la rescousse. Mon frĂšre la connaissait, donc il Ă©tait Ă  l’aise avec elle, et en prime, c’était une grande danseuse. Je suis parti faire quelques courses et chercher Ă  manger avec Jugnu. Quand je suis rentrĂ© chez moi, Gurratan menait le two-step comme s’il l’avait inventĂ©. À la moitiĂ© de la chanson, il m’a fait signe que tout allait bien.
J’ai comptĂ© sur la gĂ©nĂ©rositĂ© de nombreux d’amis qui se sont impliquĂ©s et ont veillĂ© sur Gurratan comme s’il Ă©tait leur petit frĂšre. Peu importe ce dont il avait besoin – se faire reconduire Ă  l’école, de l’aide avec ses devoirs –, je savais que je pouvais appeler n’importe quel ami et quelqu’un de notre groupe serait lĂ  pour nous. Notre appartement Ă©tait un peu comme une maison de jeunes. Les tĂ©lĂ©phones cellulaires n’étaient pas encore courants, donc la plupart du temps, nos amis passaient Ă  l’improviste et, trop paresseux pour marcher jusqu’à la sonnette de l’autre cĂŽtĂ© de l’immeuble, ils criaient nos noms sous le balcon pour qu’on les laisse entrer par la porte arriĂšre.
L’un d’eux, Amneet Singh, un ami proche de mon frĂšre, Ă©tait un garçon de quatorze ans Ă  l’esprit vif et involontairement drĂŽle. Je n’oublierai jamais le jour oĂč je l’ai rencontrĂ© chez sa famille Ă  London, quelques annĂ©es avant d’emmener Gurratan vivre avec moi.
— C’est quoi ta verticale? m’a-t-il demandĂ© quand j’ai enlevĂ© mes chaussures.
Je l’ai regardĂ©, ce garçon dont le patka m’arrivait Ă  peine au menton, qui me fixait avec l’expression la plus sincĂšre.
— Ma quoi?
— À quelle hauteur tu peux sauter? a-t-il demandĂ©.
— Pourquoi cette question?
— Tu joues au basket? a demandĂ© Amneet.
— Des fois, ai-je dit.
— Cool, a-t-il dit.
Et il est parti.
Je n’aurais jamais imaginĂ© que ce garçon me pousserait un jour Ă  me lancer en politique et deviendrait mon premier conseiller de campagne. À l’époque, je n’aurais jamais imaginĂ© devenir un politicien. En fait, je ne savais plus ce que je voulais faire.
Alors que le compte Ă  rebours du vingtiĂšme siĂšcle s’achevait, mon parcours professionnel semblait lointain. Pendant la plus grande partie de ma vie, j’avais prĂ©vu devenir mĂ©decin, mais maintenant, je n’étais plus certain, mĂȘme si j’étais toujours fascinĂ© par le corps humain et la guĂ©rison. À ma derniĂšre annĂ©e de baccalaurĂ©at, je devais faire un choix quant Ă  mon cheminement professionnel. Je ne me suis toutefois pas laissĂ© stresser par cette dĂ©cision. J’avais bien d’autres soucis que l’école et ma carriĂšre.
* * *
Quelques mois plus tard, mon frĂšre, ma sƓur et moi avons cĂ©lĂ©brĂ© l’arrivĂ©e du nouveau millĂ©naire Ă  Brampton avec ma famille, rĂ©unis chez mon cousin Sharanjeet.
Le pĂšre de Sharanjeet, Baljinder Singh, mon mama-ji (oncle maternel), est arrivĂ© tĂŽt dans la soirĂ©e pour le souper. Baljinder Ă©tait chauffeur de taxi et, comme pour beaucoup d’autres immigrants rĂ©cents qui ont fait de la conduite leur gagne-pain, c’était difficile de le faire prendre une pause de son emploi. Chaque heure sans compteur Ă©tait une heure sans revenu. Ce soir-lĂ , il s’est vite mis Ă  faire les cent pas quand la table a Ă©tĂ© dĂ©barrassĂ©e. Peu de temps aprĂšs, il a annoncĂ© qu’il partait Ă  la recherche de passagers. Son frĂšre cadet, Satnam, a rechignĂ©.
— Y’a rien à faire aujourd’hui, tout le monde se repose à la maison. Relaxe.
— Y’a toujours du travail, a dit Baljinder.
Il a mis son manteau et est parti dans son taxi. Quand le téléphone a sonné quelques heures plus tard, Satnam a quitté la piÚce pour y répondre. Il est revenu dans le salon le teint vert :
— Baljinder est blessĂ©, a-t-il dit.
— Qu’est-ce qui s’est passĂ©? a dit Sharanjeet en se levant.
— Il s’est fait dĂ©valiser, a dit Satnam. Ils l’emmĂšnent Ă  l’hĂŽpital.
On a tous sautĂ© dans nos voitures vers l’hĂŽpital. Quand on est arrivĂ©s, mon oncle Ă©tait dĂ©cĂ©dĂ©, laissant dans le deuil sa femme et ses deux fils.
Au cours des heures qui ont suivi, on a Ă©tĂ© mis au courant des horribles circonstances qui ont causĂ© sa mort. Baljinder n’avait pas seulement Ă©tĂ© cambriolĂ©. Peu de temps aprĂšs avoir quittĂ© la maison, il a embarquĂ© deux passagers, des hommes de 18 et 19 ans, et a Ă©tĂ© poignardĂ© Ă  plusieurs reprises au cou et aux Ă©paules aprĂšs s’ĂȘtre fait voler tout l’argent qu’il avait. Ce n’était probablement pas plus de 100 $, peut-ĂȘtre mĂȘme aussi peu que 25 $. On l’a laissĂ© se vider de son sang dans une partie dĂ©serte de la ville. Baljinder a rĂ©ussi Ă  remonter dans la voiture et Ă  se rendre Ă  une pizzeria, oĂč il a alertĂ© les passants. Mais c’était trop tard.
Plus tĂŽt cette semaine-lĂ , lors d’un incident non reliĂ©, un immigrant afghan – un ancien mĂ©decin qui subvenait aux besoins de sa famille au Canada en conduisant un taxi – s’était fait trancher la gorge et Ă©tait mort au bout de son sang, dans son auto. Les dizaines de chauffeurs de taxi prĂ©sents aux funĂ©railles de mon oncle connaissaient trop bien cette violence. Plusieurs ont d’ailleurs pris le micro pour condamner les trĂšs nombreuses attaques contre eux, rarement reconnues. L’anglais des chauffeurs Ă©tait imparfait, mais leur indignation Ă©tait sans Ă©quivoque. Ils en avaient assez que la police et le grand public traitent la violence faite aux chauffeurs de taxi comme Ă©tant un danger courant inhĂ©rent Ă  l’emploi. Ils avaient le sentiment qu’en tant que personnes Ă  la peau brune, qu’en tant qu’immigrants, leur vie avait moins de valeur.
La nuit oĂč mon oncle a Ă©tĂ© tuĂ©, Gurratan, Manjot et moi avons dormi dans le sous-sol de la maison de Sharanjeet, pour les consoler, sa famille et l...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. DĂ©vouement
  3. Prologue: Amour et courage
  4. PremiĂšre partie
  5. DeuxiĂšme partie
  6. TroisiĂšme partie
  7. Épilogue : Congrùs à la chefferie : 1er octobre 2017
  8. Remerciements
  9. Droits D’auteur