La Fortine des Rougon
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La Fortine des Rougon

  1. 492 pages
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La Fortine des Rougon

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Citations

À propos de ce livre

Ce roman sert d'introduction à toute l'oeuvre. Il montre certains membres de la famille dont je veux écrire l'histoire, au début de leur carrière, fondant leur fortune sur le coup d'État, comptant sur l'Empire qu'ils prévoient pour contenter leurs appétits.

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Informations

Année
2020
ISBN
9782322234745
Édition
1

VI

Rougon, vers cinq heures du matin, osa enfin sortir de chez sa mère. La vieille s’était endormie sur une chaise. Il s’aventura doucement jusqu’au bout de l’impasse Saint-Mittre. Pas un bruit, pas une ombre. Il poussa jusqu’à la porte de Rome. Le trou de la porte, ouverte à deux battants, béante, s’enfonçait dans le noir de la ville endormie. Plassans dormait à poings fermés, sans paraître se douter de l’imprudence énorme qu’il commettait en dormant ainsi les portes ouvertes. On eût dit une cité morte. Rougon, prenant confiance, s’engagea dans la rue de Nice. Il surveillait de loin les coins des ruelles ; il frissonnait, à chaque creux de porte, croyant toujours voir une bande d’insurgés lui sauter aux épaules. Mais il arriva au cours Sauvaire sans mésaventure. Décidément, les insurgés s’étaient évanouis dans les ténèbres, comme un cauchemar.
Alors Pierre s’arrêta un instant sur le trottoir désert. Il poussa un gros soupir de soulagement et de triomphe. Ces gueux de républicains lui abandonnaient donc Plassans. La ville lui appartenait, à cette heure : elle dormait comme une sotte ; elle était là, noire et paisible, muette et confiante, et il n’avait qu’à étendre la main pour la prendre. Cette courte halte, ce regard d’homme supérieur jeté sur le sommeil de toute une sous-préfecture, lui causèrent des jouissances ineffables. Il resta là, croisant les bras, prenant, seul dans la nuit, une pose de grand capitaine à la veille d’une victoire. Au loin, il n’entendait que le chant des fontaines du cours, dont les filets d’eau sonores tombaient dans les bassins.
Puis des inquiétudes lui vinrent. Si, par malheur, on avait fait l’Empire sans lui ! si les Sicardot, les Garçonnet, les Peirotte, au lieu d’être arrêtés et emmenés par la bande insurrectionnelle, l’avaient jetée tout entière dans les prisons de la ville ! Il eut une sueur froide, il se remit en marche, espérant que Félicité lui donnerait des renseignements exacts. Il avançait plus rapidement, filant le long des maisons de la rue de la Banne, lorsqu’un spectacle étrange, qu’il aperçut en levant la tête, le cloua net sur le pavé. Une des fenêtres du salon jaune était vivement éclairée, et, dans la lueur, une forme noire qu’il reconnut pour être sa femme, se penchait, agitait les bras d’une façon désespérée. Il s’interrogeait, ne comprenait pas, effrayé, lorsqu’un objet dur vint rebondir sur le trottoir, à ses pieds. Félicité lui jetait la clef du hangar, où il avait caché une réserve de fusils. Cette clef signifiait clairement qu’il fallait prendre les armes. Il rebroussa chemin, ne s’expliquant pas pourquoi sa femme l’avait empêché de monter, s’imaginant des choses terribles.
Il alla droit chez Roudier, qu’il trouva debout, prêt à marcher, mais dans une ignorance complète des événements de la nuit. Roudier demeurait à l’extrémité de la ville neuve, au fond d’un désert où le passage des insurgés n’avait envoyé aucun écho. Pierre lui proposa d’aller chercher Granoux, dont la maison faisait un angle de la place des Récollets, et sous les fenêtres duquel la bande avait dû passer. La bonne du conseiller municipal parlementa longtemps avant de les introduire, et ils entendaient la voix tremblante du pauvre homme, qui criait du premier étage :
« N’ouvrez pas, Catherine ! les rues sont infestées de brigands. »
Il était dans sa chambre à coucher, sans lumière. Quand il reconnut ses deux bons amis, il fut soulagé ; mais il ne voulut pas que la bonne apportât une lampe, de peur que la clarté ne lui attirât quelque balle. Il semblait croire que la ville était encore pleine d’insurgés. Renversé sur un fauteuil, près de la fenêtre, en caleçon et la tête enveloppée d’un foulard, il geignait :
« Ah ! mes amis, si vous saviez !… J’ai essayé de me coucher ; mais ils faisaient un tapage ! Alors je me suis jeté dans ce fauteuil. J’ai tout vu, tout. Des figures atroces, une bande de forçats échappés. Puis ils ont repassé ; ils entraînaient le brave commandant Sicardot, le digne M. Garçonnet, le directeur des postes, tous ces messieurs, en poussant des cris de cannibales !… »
Rougon eut une joie chaude. Il fit répéter à Granoux qu’il avait bien vu le maire et les autres au milieu de ces brigands.
« Quand je vous le dis ! pleurait le bonhomme ; j’étais derrière ma persienne… C’est comme M. Peirotte, ils sont venus l’arrêter ; je l’ai entendu qui disait, en passant sous ma fenêtre : « Messieurs, ne me faites pas de mal. » Ils devaient le martyriser… C’est une honte, une honte… »
Roudier calma Granoux en lui affirmant que la ville était libre. Aussi le digne homme fut-il pris d’une belle ardeur guerrière, lorsque Pierre lui apprit qu’il venait le chercher pour sauver Plassans. Les trois sauveurs délibérèrent. Ils résolurent d’aller éveiller chacun leurs amis et de leur donner rendez-vous dans le hangar, l’arsenal secret de la réaction. Rougon songeait toujours aux grands gestes de Félicité, flairant un péril quelque part. Granoux, assurément le plus bête des trois, fut le premier à trouver qu’il devait être resté des républicains dans la ville. Ce fut un trait de lumière, et Rougon, avec un pressentiment qui ne le trompa pas, se dit en lui-même :
« Il y a du Macquart là-dessous. »
Au bout d’une heure, ils se retrouvèrent dans le hangar, situé au fond d’un quartier perdu. Ils étaient allés discrètement, de porte en porte, étouffant le bruit des sonnettes et des marteaux, racolant le plus d’hommes possible. Mais ils n’avaient pu en réunir qu’une quarantaine, qui arrivèrent à la file, se glissant dans l’ombre, sans cravate, avec les mines blêmes et encore tout endormies de bourgeois effarés. Le hangar, loué à un tonnelier, se trouvait encombré de vieux cercles, de barils effondrés, qui s’entassaient dans les coins. Au milieu, les fusils étaient couchés dans trois caisses longues. Un rat de cave, posé sur une pièce de bois, éclairait cette scène étrange d’une lueur de veilleuse qui vacillait. Quand Rougon eut retiré les couvercles des trois caisses, ce fut un spectacle d’un sinistre grotesque. Au-dessus des fusils, dont les canons luisaient, bleuâtres et comme phosphorescents, des cous s’allongeaient, des têtes se penchaient avec une sorte d’horreur secrète, tandis que, sur les murs, la clarté jaune du rat de cave dessinait l’ombre de nez énormes et de mèches de cheveux roidies.
Cependant la bande réactionnaire se compta, et, devant son petit nombre, elle eut une hésitation. On n’était que trente-neuf, on allait pour sûr se faire massacrer ; un père de famille parla de ses enfants ; d’autres, sans alléguer de prétexte, se dirigèrent vers la porte. Mais deux conjurés arrivèrent encore ; ceux-là demeuraient sur la place de l’Hôtel-de-Ville, ils savaient qu’il restait, à la mairie, au plus une vingtaine de républicains. On délibéra de nouveau. Quarante et un contre vingt parut un chiffre possible. La distribution des armes se fit au milieu d’un petit frémissement. C’était Rougon qui puisait dans les caisses, et chacun, en recevant son fusil, dont le canon, par cette nuit de décembre, était glacé, sentait un grand froid le pénétrer et le geler jusqu’aux entrailles. Les ombres, sur les murs, prirent des attitudes bizarres de conscrits embarrassés, écartant leurs dix doigts. Pierre referma les caisses avec regret ; il laissait là cent neuf fusils qu’il aurait distribués de bon cœur ; ensuite il passa au partage des cartouches. Il y en avait, au fond de la remise, deux grands tonneaux, pleins jusqu’aux bords, de quoi défendre Plassans contre une armée. Et, comme ce coin n’était pas éclairé, et qu’un de ces messieurs apportait le rat de cave, un autre des conjurés – c’était un gros charcutier qui avait des poings de géant – se fâcha, disant qu’il n’était pas du tout prudent d’approcher ainsi la lumière. On l’approuva fort. Les cartouches furent distribuées en pleine obscurité. Ils s’en emplirent les poches à les faire crever. Puis, quand ils furent prêts, quand ils eurent chargé leurs armes avec des précautions infinies, ils restèrent là un instant, à se regarder d’un air louche, en échangeant des regards où de la cruauté lâche luisait dans de la bêtise.
Dans les rues, ils s’avancèrent le long des maisons, muets, sur une seule file, comme des sauvages qui partent pour la guerre. Rougon avait tenu à honneur de marcher en tête ; l’heure était venue où il devait payer de sa personne, s’il voulait le succès de ses plans ; il avait des gouttes de sueur au front, malgré le froid, mais il gardait une allure très martiale. Derrière lui, venaient immédiatement Roudier et Granoux. À deux reprises, la colonne s’arrêta net ; elle avait cru entendre des bruits lointains de bataille ; ce n’était que les petits plats à barbe de cuivre, pendus par des chaînettes, qui servent d’enseigne aux perruquiers du Midi, et que des souffles de vent agitaient. Après chaque halte, les sauveurs de Plassans reprenaient leur marche prudente dans le noir, avec leur allure de héros effarouchés. Ils arrivèrent ainsi sur la place de l’Hôtel-de-Ville. Là, ils se groupèrent autour de Rougon, délibérant une fois de plus. En face d’eux, sur la façade noire de la mairie, une seule fenêtre était éclairée. Il était près de sept heures, le jour allait paraître.
Après dix bonnes minutes de discussion, il fut décidé qu’on avancerait jusqu’à la porte, pour voir ce que signifiait cette ombre et ce silence inquiétants. La porte était entrouverte. Un des conjurés passa la tête et la retira vivement, disant qu’il y avait, sous le porche, un homme assis contre le mur, avec un fusil entre les jambes, et qui dormait. Rougon, voyant qu’il pouvait débuter par un exploit, entra le premier, s’empara de l’homme et le maintint, pendant que Roudier le bâillonnait. Ce premier succès, remporté dans le silence, encouragea singulièrement la petite troupe, qui avait rêvé une fusillade très meurtrière. Et Rougon faisait des signes impérieux pour que la joie de ses soldats n’éclatât pas trop bruyamment.
Ils continuèrent à avancer sur la pointe des pieds. Puis, à gauche, dans le poste de police qui se trouvait là, ils aperçurent une quinzaine d’hommes couchés sur un lit de camp, ronflant dans la lueur mourante d’une lanterne accrochée au mur. Rougon, qui décidément devenait un grand général, laissa devant le poste la moitié de ses hommes, avec l’ordre de ne pas réveiller les dormeurs, mais de les tenir en respect et de les faire prisonniers, s’ils bougeaient. Ce qui l’inquiétait, c’était cette fenêtre éclairée qu’ils avaient vue de la place ; il flairait toujours Macquart dans l’affaire, et comme il sentait qu’il fallait d’abord s’emparer de ceux qui veillaient en haut, il n’était pas fâché d’opérer par surprise, avant que le bruit d’une lutte les fît se barricader. Il monta doucement, suivi des vingt héros dont il disposait encore. Roudier commandait le détachement resté dans la cour.
Macquart, en effet, se carrait en haut, dans le cabinet du maire, assis dans son fauteuil, les coudes sur son bureau. Après le départ des insurgés, avec cette belle confiance d’un homme d’esprit grossier, tout à son idée fixe et tout à sa victoire, il s’était dit qu’il était le maître de Plassans et qu’il allait s’y conduire en triomphateur. Pour lui, cette bande de trois mille hommes qui venait de traverser la ville était une armée invincible, dont le voisinage suffirait pour tenir ses bourgeois humbles et dociles sous sa main. Les insurgés avaient enfermé les gendarmes dans leur caserne, la garde nationale se trouvait démembrée, le quartier noble devait crever de peur, les rentiers de la ville neuve n’avaient certainement jamais touché un fusil de leur vie. Pas d’armes, d’ailleurs, pas plus que de soldats. Il ne prit seulement pas la précaution de faire fermer les portes, et tandis que ses hommes poussaient la confiance plus loin encore, jusqu’à s’endormir, il attendait tranquillement le jour qui allait, pensait-il, amener et grouper autour de lui tous les républicains du pays.
Déjà il songeait aux grandes mesures révolutionnaires : la nomination d’une Commune dont il serait le chef, l’emprisonnement des mauvais patriotes et surtout des gens qui lui déplaisaient. La pensée des Rougon vaincus, du salon jaune désert, de toute cette clique lui demandant grâce, le plongeait dans une douce joie. Pour prendre patience, il avait résolu d’adresser une proclamation aux habitants de Plassans. Ils s’étaient mis quatre pour rédiger cette affiche. Quand elle fut terminée, Macquart, prenant une pose digne dans le fauteuil du maire, se la fit lire, avant de l’envoyer à l’imprimerie de l’Indépendant, sur le civisme de laquelle il comptait. Un des rédacteurs commençait avec emphase : « Habitants de Plassans, l’heure de l’indépendance a sonné, le règne de la justice est venu… » lorsqu’un bruit se fit entendre à la porte du cabinet, qui s’ouvrait lentement.
« C’est toi, Cassoute ? » demanda Macquart en interrompant la lecture.
On ne répondit pas ; la porte s’ouvrait toujours.
« Entre donc ! reprit-il avec impatience. Mon brigand de frère est chez lui ? »
Alors, brusquement, les deux battants de la porte, poussés avec violence, claquèrent contre les murs, et un flot d’hommes armés, au milieu desquels marchait Rougon, très rouge, les yeux hors des orbites, envahirent le cabinet en brandissant leurs fusils comme des bâtons.
« Ah ! les canailles, ils ont des armes ! » hurla Macquart.
Il voulut prendre une paire de pistolets posés sur le bureau ; mais il avait déjà cinq hommes à la gorge qui le maintenaient. Les quatre rédacteurs de la proclamation luttèrent un instant. Il y eut des poussées, des trépignements sourds, des bruits de chute. Les combattants étaient singulièrement embarrassés par leurs fusils, qui ne leur servaient à rien, et qu’ils ne voulaient pas lâcher. Dans la lutte, celui de Rougon, qu’un insurgé cherchait à lui arracher, partit tout seul, avec une détonation épouvantable, en emplissant le cabinet de fumée ; la balle alla briser une superbe glace, montant de la cheminée au plafond, et qui avait la réputation d’être une des plus belles glaces de la ville. Ce coup de feu, tiré on ne savait pourquoi, assourdit tout le monde et mit fin à la bataille.
Alors, pendant que ces messieurs soufflaient, on entendit trois détonations qui venaient de la cour. Granoux courut à une des fenêtres du cabinet. Les visages s’allongèrent, et tous, penchés anxieusement, attendirent, peu soucieux d’avoir à recommencer la lutte avec les hommes du poste, qu’ils avaient oubliés dans leur victoire. Mais la voix de Roudier cria que tout allait bien. Granoux referma la fenêtre, rayonnant. La vérité était que le coup de feu de Rougon avait réveillé les dormeurs ; ils s’étaient rendus, voyant toute résistance impossible. Seulement, dans la hâte aveugle qu’ils avaient d’en finir, trois des hommes de Roudier avaient déchargé leurs armes en l’air, comme pour répondre à la détonation d’en haut, sans bien savoir ce qu’ils faisaient. Il y a de ces moments où les fusils partent d’eux-mêmes dans les mains des poltrons.
Cependant Rougon fit lier solidement les poings de Macquart avec les embrasses des grands rideaux verts du cabinet. Celui-ci ricanait, pleurant de rage.
« C’est cela, allez toujours… balbutiait-il. Ce soir ou demain, quand les autres reviendront, nous réglerons nos comptes ! »
Cette allusion à la bande insurrectionnelle fit passer un frisson dans le dos des vainqueurs. Rougon surtout éprouva un léger étranglement. Son frère, qui était exaspéré d’avoir été surpris comme un enfant par ces bourgeois effar...

Table des matières

  1. La Fortine des Rougon
  2. PRÉFACE
  3. I
  4. II
  5. III
  6. IV
  7. V
  8. VI
  9. VII
  10. Page de copyright