Léon Tolstoï: Enfance, Adolescence et Jeunesse
eBook - ePub

Léon Tolstoï: Enfance, Adolescence et Jeunesse

  1. 350 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub

Léon Tolstoï: Enfance, Adolescence et Jeunesse

Détails du livre
Aperçu du livre
Table des matières
Citations

À propos de ce livre

Ce livre numérique comprend des oeuvres autobiographiques de Tolstoï. L'édition est méticuleusement éditée et formatée.Léon Tolstoï (1828 -1910), est un des écrivains majeurs de la littérature russe, surtout connu pour ses romans et ses nouvelles, riches d'analyse psychologique et de réflexion morale et philosophique (Guerre et Paix, Anna Karénine). Ses premières publications sont des récits autobiographiques Enfance, Adolescence, Jeunesse (1852-1856). Ils rapportent comment un enfant, fils de riches propriétaires terriens, réalise lentement ce qui le sépare de ses camarades de jeu paysans. Il est frappé dès son enfance par le sentiment de l'absurdité de la vie (à la suite de la mort de son père) et il refuse l'hypocrisie des relations sociales. Sa beauté même venait à le chagriner, alors qu'il se désolait d'un physique ingrat. Il écrivit à ce propos: "Je suis laid, gauche, malpropre et sans vernis mondain. Je suis irritable, désagréable pour les autres, prétentieux, intolérant et timide comme un enfant. Je suis ignorant. Ce que je sais, je l'ai appris par-ci, par-là, sans suite et encore si peu!...Mais il y a une chose que j'aime plus que le bien: c'est la gloire. Je suis si ambitieux que s'il me fallait choisir entre la gloire et la vertu, je crois bien que je choisirais la première." Cette ambition ne s'exprima pas immédiatement, et lorsqu'il quitta l'université en 1847, à dix-neuf ans, il pensait trouver sa raison d'être dans les travaux des champs et la bienfaisance: propriétaire terrien boyard, il raconte qu'il lui arrive de fouetter ses serfs, ce qu'il regrette. Pourtant, il se détourna vite de ceux-ci, préférant une vie décousue de Toula à Moscou, rythmée par le jeu (de cartes surtout) et l'alcool...

Foire aux questions

Il vous suffit de vous rendre dans la section compte dans paramètres et de cliquer sur « Résilier l’abonnement ». C’est aussi simple que cela ! Une fois que vous aurez résilié votre abonnement, il restera actif pour le reste de la période pour laquelle vous avez payé. Découvrez-en plus ici.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptés aux mobiles peuvent être téléchargés via l’application. La plupart de nos PDF sont également disponibles en téléchargement et les autres seront téléchargeables très prochainement. Découvrez-en plus ici.
Les deux abonnements vous donnent un accès complet à la bibliothèque et à toutes les fonctionnalités de Perlego. Les seules différences sont les tarifs ainsi que la période d’abonnement : avec l’abonnement annuel, vous économiserez environ 30 % par rapport à 12 mois d’abonnement mensuel.
Nous sommes un service d’abonnement à des ouvrages universitaires en ligne, où vous pouvez accéder à toute une bibliothèque pour un prix inférieur à celui d’un seul livre par mois. Avec plus d’un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu’il vous faut ! Découvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l’écouter. L’outil Écouter lit le texte à haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l’accélérer ou le ralentir. Découvrez-en plus ici.
Oui, vous pouvez accéder à Léon Tolstoï: Enfance, Adolescence et Jeunesse par Léon Tolstoï, Arvède Barine en format PDF et/ou ePUB ainsi qu’à d’autres livres populaires dans Littérature et Biographies littéraires. Nous disposons de plus d’un million d’ouvrages à découvrir dans notre catalogue.

Informations

Éditeur
e-artnow
Année
2019
ISBN
9788027302277

Jeunesse (1855)

Table des matières


Contenu

XLVI - OÙ JE FAIS COMMENCER MA JEUNESSE
XLVII - LE PRINTEMPS
XLVIII - RÊVERIES
XLIX - NOTRE CERCLE DE FAMILLE
L - LES RÈGLES DE VIE
LI - LA CONFESSION
LII - AU COUVENT
LIII - LA SECONDE CONFESSION
LIV - PRÉPARATION AUX EXAMENS
LV - JE SUIS GRAND
LVI - À QUOI S’OCCUPAIENT VOLODIA ET DOUBKOF.
LVII - OÙ L’ON ME FÉLICITE
LVIII - JE ME PRÉPARE À FAIRE DES VISITE
LIX - CHEZ LES VALAKHINE
LX - CHEZ LES KORNAKOF
LXI - CHEZ LES IVINE
LXII - LE PRINCE IVANOVITCH
LXIII - CONVERSATION INTIME AVEC MON AMI
LXIV - LES NÉKHLIOUDOF
LXV - LES TROIS AMOURS
LXVI - OÙ JE FAIS CONNAISSANCE
LXVII - À LA CAMPAGNE
LXVIII - NOS RELATIONS AVEC LES FILLES
LXIX - MES OCCUPATIONS
LXX - LE « COMME IL FAUT »
LXXI - JEUNESSE
LXXII - NOS VOISINS DE CAMPAGNE
LXXIII - LE MARIAGE DE MON PÈRE
LXXIV - COMMENT NOUS ACCUEILLÎMES CETTE NOUVELLE
LXXV - AFFAIRES DE CŒUR
LXXVI - LES NÉKHLIOUDOF
LXXVII - MON AMITIÉ AVEC NÉKHLIOUDOF
LXXVIII - NOTRE BELLE-MÈRE
LXXIX - OÙ JE M’EFFONDRE

XLVI - OÙ JE FAIS COMMENCER MA JEUNESSE

Table des matières

J’ai dit que ma liaison avec Dmitri m’avait ouvert de nouveaux points de vue sur la vie, son but et notre place dans l’ensemble des choses. Le fond de cette nouvelle manière de voir était la conviction que la destinée de l’homme est de tendre au progrès moral et que ce progrès est possible, facile et indéfini. Je me bornais néanmoins, pour le moment, à jouir des idées nouvelles découlant de cette conviction et à former des plans de vertu magnifiques pour l’avenir. Du reste, il n’y avait rien de changé à ma vie; elle s’écoulait toujours dans les futilités et le désœuvrement.
Les pensées vertueuses que j’échangeais, dans nos conversations, avec mon ami adoré, « cet étonnant Dmitri », comme je me disais alors à demi-voix, n’avaient encore séduit que mon esprit; je ne m’en étais pas encore emparé par le sentiment. Il vint un moment où elles s’imposèrent à moi avec une force nouvelle et m’apparurent comme une révélation morale, tellement que je fus effrayé en songeant au temps perdu et que je résolus de faire à l’instant même, sans perdre une seconde, l’application de mes idées à la vie: j’avais la ferme intention de ne plus jamais en modifier aucune.
C’est à ce moment que je fais commencer ma Jeunesse.
J’allais avoir seize ans. Je prenais toujours des leçons; Saint-Jérôme continuait à surveiller mon éducation et je me préparais, bien à contrecœur, à entrer à l’Université. En dehors des leçons, mes occupations consistaient en rêveries solitaires et décousues; en exercices de gymnastique, afin de devenir l’homme le plus fort de toute la terre; en flâneries sans but, sans penser à rien de précis, dans toutes les pièces de la maison, plus spécialement dans le corridor des chambres des servantes; enfin, en séances devant mon miroir, que je ne quittais du reste jamais sans un sentiment de profond découragement et même de dégoût.
J’étais persuadé que non seulement j’étais laid, mais que je n’avais pas les consolations, usitées en pareil cas. Je ne pouvais pas me dire que j’avais une figure expressive, ou spirituelle, ou noble. Rien d’expressif: de gros traits communs et laids, de petits yeux gris beaucoup plutôt bêtes que spirituels, surtout quand je me regardais dans la glace. Encore moins quelque chose de mâle: bien que je fusse assez grand et très fort pour mon âge, tous les traits de mon visage étaient mollasses, sans contours arrêtés. Rien de noble non plus: au contraire, je ressemblais tout à fait à un moujik, et j’avais des pieds, des mains, d’une grandeur! À l’époque dont je parle, cela me paraissait une grande honte.

XLVII - LE PRINTEMPS

Table des matières

L’année où j’entrai à l’Université, Pâques était à la fin d’avril, en sorte que les examens se trouvaient dans la semaine de la Quasimodo. Je fus donc obligé de mener de front, pendant la semaine sainte, la préparation de mes examens et la préparation à la communion.
Le dégel était fini. Nous étions sortis de la période dont Karl Ivanovitch disait: « Le fils vient après le père. » Depuis trois jours déjà, le temps était doux, tiède et clair. On ne voyait plus trace de neige dans les rues. À la boue épaisse avaient succédé un pavé humide et luisant et des ruisseaux rapides. Les dernières gouttes d’eau brillaient au soleil sur le toit, les bourgeons des arbres de l’enclos se gonflaient, un petit sentier sec conduisait à l’écurie en passant devant le tas de fumier encore gelé, des brins d’herbe verdissaient entre les pierres, autour du perron. On était au moment, où le printemps agit le plus fortement sur l’âme humaine: un soleil brillant, mais sans beaucoup de force, illumine tout; la neige fondue a laissé des flaques et de petits ruisseaux; l’air sent la fraîcheur, et le ciel d’un bleu tendre est semé de nuages allongés et transparents. Je ne sais pourquoi, mais il me semble que l’impression produite par cette naissance du printemps est encore plus vive et plus profonde dans une grande ville — on voit moins, mais on devine davantage.
J’étais debout près de la croisée, occupé à résoudre sur le tableau noir une longue équation. Le soleil matinal envoyait à travers les doubles fenêtres, sur le plancher de la classe, des rayons où voltigeait de la poussière. Cette classe me paraissait ennuyeuse à mourir. Je tenais dans une main une Algèbre brochée et déchirée de Francœur, dans l’autre un petit morceau de craie avec lequel j’avais déjà blanchi mes deux mains, ma figure et les manches de ma veste. Kolia, en tablier et les manches retroussées, enlevait le mastic de la fenêtre donnant sur l’enclos et redressait les clous avec des tenailles. Son travail et son bruit me donnaient des distractions. Ajoutez à cela que j’étais de très mauvaise humeur. Tout allait de travers: je m’étais trompé au commencement de mon calcul, de sorte qu’il fallait tout recommencer; j’avais laissé tomber ma craie deux fois; je sentais que j’avais la figure et les mains sales; j’avais perdu mon éponge; le bruit de Kolia me portait sur les nerfs. J’avais besoin de me fâcher et de grogner. Je jetai ma craie et mon livre et me mis à arpenter la chambre. Mais je me rappelai que nous devions nous confesser dans la journée et qu’il fallait s’abstenir de tout ce qui est mal; je devins tout à coup d’une humeur spéciale, toute bénigne, et je m’approchai de Kolia.
« Attends, Kolia, je vais t’aider, » dis-je en m’efforçant de prendre une voix très douce; l’idée que j’agissais bien en surmontant mon irritation et en aidant Kolia avait encore augmenté ma douceur.
Le mastic était enlevé, les clous redressés, mais Kolia avait beau tirer de toutes ses forces, le châssis ne bougeait pas.
« Si le châssis sort tout d’un coup, quand je tirerai avec lui, dis-je en moi-même, cela voudra dire péché, et qu’il ne faut plus travailler aujourd’hui. » Le châssis glissa de côté et sortit.
« Où faut-il le porter? Demandai-je.
— Je le rangerai moi-même, répondit Kolia visiblement étonné et, à ce qu’il me sembla, contrarié de mon zèle. Il ne faut pas les mêler, je leur mets des numéros dans le grenier.
— Je le marquerai, » dis-je en prenant le châssis.
Je crois que si le grenier avait été à deux verstes de là et le châssis deux fois plus lourd, j’en aurais été enchanté. J’aurais voulu m’exténuer de fatigue en rendant ce service à Kolia. Quand je rentrai dans la classe, les petites briques et les petites pyramides de sel étaient déjà arrangées sur l’appui de la fenêtre et Kolia balayait avec une aile d’oiseau, par la fenêtre ouverte, le sable et les mouches endormies. L’air frais et parfumé était déjà entré dans la chambre et la remplissait. On entendait par la fenêtre la rumeur de la ville et le pépiement des moineaux dans l’enclos.
Tous les objets étaient très éclairés; la chambre s’était égayée, un léger vent printanier agitait les feuillets de mon Algèbre et les cheveux de Kolia. Je m’approchai de la fenêtre, m’assis dessus, me penchai au-dessus de l’enclos et me mis à rêver.
Un sentiment nouveau pour moi, violent et délicieux, pénétra dans mon âme. La terre humide, où paraissaient et là des herbes jaunies, aux pointes verdissantes; les petits ruisseaux qui brillaient au soleil et entraînaient de petites mottes de terre et de petits morceaux de bois; les rameaux et les bourgeons gonflés du lilas se balançant juste sous ma fenêtre; le gazouillement affairé des petits oiseaux s’agitant dans le lilas; le mur de clôture noirâtre, humide de la fonte des neiges; par-dessus tout, cet air humide, sentant bon, et ce gai soleil: tout me parlait clairement de quelque chose de nouveau et de magnifique, que je ne saurais rendre tel qu’il se révéla à moi, mais dont j’essaye de donner l’impression — tout me parlait de beauté, de bonheur et de vertu, tout me disait que l’un m’était aussi facile et aussi possible que l’autre, que l’un ne pouvait pas exister sans l’autre, et que beauté, bonheur et vertu ne font même qu’un. « Comment ai-je pu ne pas comprendre cela! Combien j’étais mauvais! Comme j’aurais pu et comme je pourrais à l’avenir être bon et heureux! Disais-je en moi-même; il faut commencer au plus vite, à la minute même, à devenir un autre homme et à vivre autrement! » Je restai néanmoins, longtemps encore, assis sur la fenêtre, rêvant et ne faisant rien.
Vous est-il arrivé, en été, de vous étendre pour dormir par un temps sombre et pluvieux et de vous réveiller au coucher du soleil? Vous ouvrez les yeux et, par l’embrasure de la fenêtre, sous le store de coutil gonflé par le vent et dont la tringle vient battre l’appui de la croisée, vous apercevez le côté à l’ombre de l’allée de tilleuls, humide de pluie et couleur lilas, la petite allée du jardin, toute mouillée et illuminée par de brillants rayons obliques; vous entendez soudain la vie, joyeuse des oiseaux; vous voyez les insectes qui tournoient dans l’échancrure de la fenêtre briller au soleil; vous respirez la bonne odeur qui suit la pluie, et vous pensez: « Comment n’ai-je pas honte de passer une soirée pareille à dormir? Vite, levons-nous et courons au jardin nous réjouir de la vie. » Si cela vous est arrivé, vous avez un échantillon du sentiment violent que j’éprouvai en ce jour.

XLVIII - RÊVERIES

Table des matières

Je pensais: « Aujourd’hui, je me confesse; je me purifie de tous mes péchés. Je ne le ferai plus jamais (ici, je passai mentalement en revue les péchés qui me tracassaient le plus). J’irai régulièrement, tous les dimanches, à l’église; en revenant, je lirai encore l’Évangile pendant une heure entière; ensuite, sur l’argent qu’on me donnera tous les mois quand je serai à l’Université, je distribuerai deux roubles et demi (un dixième) aux pauvres. Personne n’en saura rien. Ce n’est pas aux mendiants que je donnerai; je découvrirai des pauvres dont personne ne se doute: un orphelin, ou une vieille femme.
« J’aurai une chambre pour moi tout seul (probablement celle de Saint-Jérôme); je la rangerai moi-même et j’y entretiendrai une propreté admirable. Je n’exigerai rien du domestique. C’est un homme comme moi. J’irai toujours à l’Université à pied (si l’on me donne une voiture, je la vendrai et l’argent sera, aussi pour les pauvres), et j’aurai soin de faire tout ce qu’il faudra. (Ce que représentait ce tout, j’aurais été bien en peine de le dire; mais je sentais vivement ce tout d’une vie intelligente, vertueuse et irréprochable.) Je rédigerai mes cours et je les préparerai même d’avance, de sorte que je serai premier, et je ferai une thèse. En entrant en seconde année, je saurai déjà mon cours d’avance; on me fera sauter en troisième année, et à dix-huit ans je serai premier candidat, avec deux médailles d’or. Ensuite je passerai ma licence, mon doctorat, et je deviendrai le premier savant de la Russie… pourquoi pas de l’Europe?
« Et après? »
Ici je m’aperçus que je retombais dans le péché d’orgueil, celui dont je devais précisément me confesser le soir même, et je revins à mon premier sujet.
« Pour préparer mes cours, j’irai grimper à pied sur la colline des Moineaux; je choisirai une bonne place sous un arbre et je lirai; J’emporterai quelque chose à manger: du fromage, ou des gâteaux de chez Pédotta, ou n’importe quoi. Je me reposerai un peu, et puis je me mettrai à lire un bon livre, ou à dessiner d’après nature, ou à jouer d’un instrument quelconque (il faudra que j’apprenne la flûte). Elle viendra aussi se promener sur les Moineaux et elle m’abordera en me demandant « qui je suis ». Je la regarderai tristement (comme ça) et je lui répondrai que je suis le fils d’un prêtre et que je ne suis heureux que sous cet arbre et quand je suis seul, absolument seul. Elle me donnera la main, dira quelque chose et s’assoira à côté de moi. Nous nous retrouverons tous les jours au même endroit, nous deviendrons amis et je l’embrasserai…… Non, voilà qui n’est pas bien. Au contraire, à dater d’aujourd’hui, je ne regarderai plus les femmes. Je n’entrerai plus jamais, jamais, dans la chambre des servantes; je tâcherai même de ne pas passer devant la porte; dans trois ans je serai émancipé et je me marierai.
« Je ferai beaucoup d’exercice, tous les jours de la gymnastique: à vingt-cinq ans, je serai plus fort que Rappo. Le premier jour, je tiendrai un poids de quinze livres, à bras tendu, pendant cinq minutes; le lendemain, un poids de seize livres; le surlendemain, un de dix-sept livres, et ainsi de suite jusqu’à ce que j’arrive à soixante livres dans chaque main. Je serai alors plus fort que tous nos domestiques. Quand n’importe qui s’avisera de m’offenser ou de parler d’Elle irrespectueusement, je le prendrai tout simplement comme ça, par son gilet, je l’enlèverai d’une seule main, je le tiendrai en l’air à deux ou trois pieds de terre pour lui montrer ma force, et je ne lui ferai rien… Non, ça n’est pas bien non plus…; mais si, puisque je ne lui fais pas de mal, que je lui montre seulement ce que je peux… »
Qu’on ne vienne pas me reprocher mes rêves de jeunesse sous prétexte qu’ils étaient aussi enfantins que lorsque j’étais tout petit. Je suis convaincu que si je suis destiné à vivre très vieux, à soixante-dix ans je ferai des rêves aussi enfantins et aussi fantastiques qu’alors. Je rêverai à quelque ravissante Marie, qui m’aimera, moi vieillard sans dents, comme elle a aimé Mazeppa; je rêverai que mon fils, qui n’est pas un génie, devient ministre par suite de quelque événement extraordinaire, ou qu’il me tombe tout à coup du ciel des millions. Je suis persuadé qu’il n’existe pas de créature humaine, à aucun âge, qui soit privée de cette faculté bienfaisante et consolante du rêve. D’un autre côté, si l’on met à part le trait commun à tous ces rêves, d’être également chimériques et impossibles, chaque âge, chaque individu a les siens. À l’époque que je considère comme formant la limite entre mon adolescence et ma jeunesse, il n’y avait au fond de tous mes rêves que quatre sentiments.
En premier lieu, l’amour pour Elle, la femme de mon imagination, au sujet de laquelle mes rêves prenaient toujours la même forme et que je m’attendais à chaque minute à rencontrer. Elle, c’était un peu Sonia, un peu Macha, la femme de Vassili (dans mes rêves, je la voyais lavant le linge dans le baquet), et un peu une femme portant un collier de perles à son cou blanc, que je voyais depuis longtemps au théâtre, dans une loge à côté de la nôtre.
Le second sentiment était la passion d’être aimé. J’aurais voulu être connu et aimé de tout le monde. J’aurais voulu dire aux gens: « Je m’appelle Nicolas Irteneff », et voir les gens, extrêmement frappés de cette nouvelle, m’entourer en me remerciant de quelque chose.
Le troisième sentiment était l’espoir d’un bonheur inouï, étourdissant, un de ces bonheurs à rendre fou. J’étais tellement persuadé que j’allais devenir sous peu, grâce à quelque bonne fée, l’homme le plus riche et le plus célèbre de l’univers, que je vivais dans l’attente inquiète du coup de baguette. Je croyais toujours que ça allait commencer et que j’aurais tout ce qu’un homme peut désirer, et j’étais toujours pressé, parce que je m’imaginais que ça commençait là où je n’étais pas.
Le dernier sentiment, le plus essentiel des quatre, était une horreur pour moi-même accompagnée de désespoir, mais d’un désespoir tellement fondu avec mes rêves de bonheur, qu’il n’était pas attristant. Il me semblait si facile, si naturel, de rompre avec le passé, de tout effacer, de tout oublier et de recommencer la vie à nouveau, que le passé ne me pesait ni ne me gênait. J’éprouvais même du plaisir à le détester et je m’efforçais de le voir encore plus noir qu’il n’était. Plus le cercle de mes souvenirs était sombre, plus le présent se détachait en clair sur ce fond obscur et plus l’avenir paraissait lumineux. Mon désespoir et mon désir passionné de progrès criaient au dedans de moi, et cette voix intérieure fut la grande sensation nouvelle de cette époque de mon développement moral. Elle me donna un nouveau point de départ et transforma mes vues sur moi-même, sur les ho...

Table des matières

  1. Léon Tolstoï: Enfance, Adolescence et Jeunesse
  2. Table des matières
  3. Enfance (1852)
  4. Adolescence (1854)
  5. Jeunesse (1855)