CHAPITRE 9 : LES RITES ET RITUELS
Si l’on devient familier avec un frère anglais, il dira sans doute ceci : ‘Les franc-maçonneries continentale (et donc française) d’une part et anglaise d’autre part sont vraiment des sociétés distinctes. Les différences ne tiennent pas seulement aux attitudes. Elles irradient toute la vie de la société et se retrouvent jusque dans le vocabulaire employé. Ainsi, nous autres Anglais n’avons pas de mots pour traduire les concepts d’Obédience, de Rite, de Tenue ou de Planche.
Ces mots sont français et traduisent des usages et travaux qui appartiennent au Continent.’
Pour ce qui est des mots ‘Tenue’ et ‘Planche’, ils sont typiques de notre langue. En anglais, on ne sait dire que ‘meeting’ pour tenue et on ne sait pas différencier entre une tenue blanche ouverte (=réunion où profanes et initiés peuvent assister) et une tenue blanche fermée (= réunion où seul le conférencier est profane).
Il peut paraitre étrange que la maçonnerie hispanique adopte le terme de ‘tenida’, qui est un gallicisme. En effet, le mot ‘tenue’ en français peut se rapporter par exemple aux habits employés alors qu’en espagnol aucun autre sens ne peut être rattaché au mot ‘tenida’.
Quant à la ‘planche’ ou morceau d’architecture ou travail écrit présenté par un frère ou une sœur à ses frères et sœurs, elle n’existe tout simplement pas en Angleterre. Le mot équivalent serait ‘paper’ mais la palette de sujets se limite au contenu du rituel pratiqué ce qui exclut a priori tout le domaine social ou sociétal.
Pour le reste, le frère anglais a raison. Si les Français ont adopté le mot ‘Obédience’ (emprunté au registre religieux), c’est parce qu’ils ont créé plusieurs Grandes Loges et un Grand Orient. Il fallait bien un terme qui puisse les englober.
A l’origine, les Grandes Loges se différenciaient du Grand Orient par le fait qu’elles ne pratiquaient qu’un seul rite alors que le Grand Orient en acceptait plusieurs. Cette distinction est tombée il y a déjà deux siècles et, donc, toutes les Grandes Loges en France sont aujourd’hui multi-rites, même si dans certains cas, il est clair qu’un rite primordial s’est dégagé.
Parlant de rite, on a beaucoup et fort bien écrit sur l’origine du mot et sur son contenu.
Quant à l’étymologie, il y aurait une racine commune au latin et au sanskrit. On a décrit à travers elle quelque chose tenant à la fois d’un ordre cosmique et de la pratique d’un protocole bien structuré.
Il n’entre pas dans nos intentions de reprendre ce qui a été fort bien développé par ailleurs. Que le terme soit simplement compris pour le reste de l’exposé comme une codification faisant que des mots, gestes ou silences se trouvent imposés à des moments bien précis des réunions.
Les rites se composent d’un nombre de degrés ou rituels. Le nombre des degrés varie selon l’idée que l’on se fait de l’initiation et selon l’enseignement que l’on a souhaité intégrer. Il reflète aussi la sociologie d’un pays.
Sous un angle symbolique, on peut dire qu’un rite est une échelle et que les rituels sont des échelons. Cela n’interdit pas d’avoir des rituels pour des cérémonies qui ne correspondent pas à des grades mais à des moments-clés de la vie d’une loge comme une adoption, un baptême, une tenue funèbre, une remise de médaille, la célébration des deux Saint-Jean, un banquet d’ordre…
Nous aimerions pouvoir écrire qu’un rite à quatre vingt dix neuf ou à trente trois degrés permet à ses adeptes méritants de finir quatre vingt dix neuf ou trente trois fois plus sages que le jeune et nouvel initié. Cela serait une imposture.
Il faut bien comprendre que les sociétés initiatiques sont comme toutes les sociétés profanes bâties selon deux axes, un axe horizontal et un axe vertical.
Pour faire simple, nous dirons que les sociétés forment des pyramides. Dans le monde profane où le besoin de réalisation personnelle peut l’emporter sur celui de faire partie d’une équipe, on peut concevoir une pyramide fort haute, en particulier dans les secteurs professionnels ou politiques.
Dans un milieu initiatique qui vise à rassembler ce qui est épars, ces deux axes prennent des valeurs bien différentes.
Seul l’axe horizontal peut réunir. L’axe vertical, celui du pouvoir, ne peut que générer passion, domination ou frustration. On dit que l’axe horizontal est ‘symbolique’ en ce sens qu’il vise à rassembler alors que l’axe vertical est ‘diabolique’ parce qu’il tend à diviser. La pyramide initiatique doit avoir une base large.
Toute la société maçonnique anglaise s’est bâtie avec cet arrière-plan. Les frères de 1717, dits frères ‘Modernes’ ont très vite compris que l’intérêt de la Fraternité ne passait pas par la multiplication des grades, degrés et rituels. Un minimum de verticalité devait suffire.
Cette vision est une explication majeure de leur différence d’approche d’avec les Anciens. Pour ces derniers, les trois premiers niveaux ne pouvaient pas être suffisants.
Pour moquer les ‘gradomanes’et pour moquer les Français du 18ième siècle en mal de titres, on a pu dire : ‘Le Maçon spirituellement avancé méprise les grades. Les trois premiers surtout !’.
Or donc, tout a commencé avec seulement deux degrés, ceux d’Apprenti entré et de Compagnon.
Le maçonnologue Albert Mackey dans son ‘Encyclopedia of Freemasonry’ (1873) reconnait que le rituel de Compagnon n’était pas entièrement formé avant 1719 et que celui de Maître n’est pas apparu avant 1723.
Des recherches plus récentes ont permis d’affiner cette opinion et de trouver des traces de rituel pour Maître dans une œuvre de théâtre de 1725.
Quelle que soit la date retenue, la question qui se pose est : pourquoi ce besoin d’un rituel pour Maître alors que la société compagnonnique avait toujours fonctionné sans problème avec un seul maître par loge ?
La réponse devait se situer dans la tête de Jean-Théophile Desaguliers. Ce dernier a travaillé pour le seul intérêt de la société maçonnique et son analyse lui a permis de comprendre qu’il ne pourrait pas créer de société d’ampleur sans un troisième degré réservé à une forme d’élite intellectuelle.
Nous avons vu que, dans l’Angleterre du 18ième siècle, ce grade eut ses contempteurs. Il en fut de même en France. Ainsi, le baron de Tschoudy, auteur (vers 1766) du Rite de l’Etoile Flamboyante refusa d’y intégrer le troisième degré anglais parce ...