Table des matières
Avant-propos: logique et dialectique
La dialectique éristique
La base de toute dialectique
Stratagème I: L’extension
Stratagème II: L’homonymie
Stratagème III: La généralisation des arguments adverses
Stratagème IV: Cacher son jeu
Stratagème V: Faux arguments
Stratagème VI: Postuler ce qui n’a pas été prouvé
Stratagème VII: Atteindre le consensus par des questions
Stratagème VIII: Fâcher l’adversaire
Stratagème IX: Poser les questions dans un autre ordre
Stratagème X: Prendre avantage de l’antithèse
Stratagème XI: Généraliser ce qui porte sur des cas précis
Stratagème XII: Choisir des métaphores favorables
Stratagème XIII: Faire rejeter l’antithèse
Stratagème XIV: Clamer victoire malgré la défaite
Stratagème XV: Utiliser des arguments absurdes
Stratagème XVI: Argument ad hominem
Stratagème XVII: Se défendre en coupant les cheveux en quatre
Stratagème XVIII: Interrompre et détourner le débat
Stratagème XIX: Généraliser plutôt que de débattre de détails
Stratagème XX: Tirer des conclusions
Stratagème XXI: Répondre à de mauvais arguments par de mauvais arguments
Stratagème XXII: Petitio principii
Stratagème XXIII: Forcer l’adversaire à l’exagération
Stratagème XXIV: Tirer de fausses conclusions
Stratagème XXV: Trouver une exception
Stratagème XXVI: Retourner un argument contre l’adversaire
Stratagème XXVII: La colère est une faiblesse
Stratagème XXVIII: Convaincre le public et non l’adversaire
Stratagème XXIX: Faire diversion
Stratagème XXX: Argument d’autorité
Stratagème XXXI: Je ne comprends rien de ce que vous me dites
Stratagème XXXII: Principe de l’association dégradante
Stratagème XXXIII: En théorie oui, en pratique non
Stratagème XXXIV: Accentuer la pression
Stratagème XXXV: Les intérêts sont plus forts que la raison
Stratagème XXXVI: Déconcerter l’adversaire par des paroles insensées
Stratagème XXXVII: Une fausse démonstration signe la défaite
Ultime stratagème Soyez personnel, insultant, malpoli
Avant-propos: logique et dialectique
Table des matières
[Ces fragments avaient probablement été écrits pour servir d’introduction.]
I.
Logique et dialectique étaient considérées par les Anciens comme étant synonymes, bien que λογιζεσϑαι « réfléchir », « considérer », « calculer » et διαλεγεσϑαι « converser » soient deux concepts très différents. Le terme dialectique (διαλεκτικη, διαλεκτκη πραγματεια, διαλεκτικος ανηρ) aurait été, selon Diogène Laërce, d’abord utilisé par Platon, et dans Phèdre, Le Sophiste, La République livre VII nous pouvons voir que par dialectique, il entend l’emploi régulier de la raison ainsi que le développement des compétences dans sa pratique. Aristote utilise également le terme τα διαλεκτικα dans le même sens, mais selon Lorenzo Valla, il aurait également été le premier à utiliser le terme λογικη avec la même définition: nous trouvons ainsi dans son œuvre l’expression λογικας δυσχερειας, c.-à-d. argutias, προτασιν λογικην, αποριαν λογικην. Ainsi διαλεκτικη serait plus ancien que λογικη. Cicéron et Quintilien utilisèrent les mêmes termes avec la même signification générale. Ainsi selon Cicéron dans Lucullus: Dialecticam inventam esse, veri et falsi quasi disceptatricem, dans Topica, chap. 2: Stoici enim judicandi vias diligenter persecuti sunt, ea scientia, quam Dialecticen appellant. Selon Quintilien: itaque hæc pars dialecticæ, sive illam disputatricem dicere malimus et ce dernier terme semble donc être l’équivalent latin pour dialectique (selon Pierre de La Ramée, Dialectique, Audomari Talæi prælectionibus illustrata, 1569). L’utilisation des termes logique et dialectique comme synonymes perdura du Moyen Âge jusqu’à nos jours. Cependant, plus récemment, le terme dialectique a souvent été utilisé avec une connotation négative, notamment par Kant, dans le sens de « l’art de la discussion sophistique » et le terme logique a donc été préféré pour sa connotation plus innocente. Pourtant ces deux termes avaient exactement la même signification, et ces dernières années, ils ont été à nouveau considérés comme synonymes.
II.
Il est dommage que les anciens termes dialectique et logique aient été utilisés comme synonymes et j’ai du mal à librement faire une distinction entre leurs significations. Autrement, j’aurais aimé pouvoir définir la logique (dérivant de λογιζεσϑαι: « réfléchir », « considérer », dérivant lui-même de λογος: « mot » et « raison » lesquels sont inséparables) comme étant « la science des lois de la pensée, autrement dit, la méthode de la raison » et la dialectique (dérivant de διαλεγεσϑαι: « converser » car toute conversation communique des faits ou des opinions, c.-à-d. est historique ou délibérative) comme étant « l’art de la controverse » (dans le sens moderne du terme). Il est donc évident que la logique traite des a priori, séparables en définitions empiriques, c.-à-d. les lois de la pensée, les processus de la raison (le λογος), et en lois, c.-à-d. celles que suit la raison quand elle est laissée à elle-même et non entravée comme dans le cas des pensées solitaires d’un être rationnel qui n’est pas induit en erreur. La dialectique de son côté traite des rapports entre deux êtres rationnels dont les pensées s’accordent, mais qui dès qu’elles cessent de s’accorder comme deux horloges marquant la même heure, créent une controverse, c.-à-d. un combat intellectuel. En tant qu’êtres purement rationnels, les individus devraient pouvoir s’accorder. Le désaccord survient de la différence essentielle à leur individualité, c.-à-d. de l’élément empirique. La logique, science de la pensée, c.-à-d. science des procédés de la raison pure, devrait a priori être capable de pouvoir s’établir. La dialectique, en général, ne peut être construite qu’a posteriori, à partir de la connaissance empirique des différences entre deux individualités rationnelles que doit souffrir la réflexion pure, et des moyens qu’utilisent ces individualités l’une contre l’autre pour montrer que leur pensée individuelle est pure et objective. C’est parce que c’est la dans la nature humaine que lorsque A et B sont engagés dans une réflexion commune, διαλεγεσϑαι, c.-à-d. communication des opinions (par opposition aux discussions factuelles), si A s’aperçoit que les pensées de B sur le même sujet ne sont pas les mêmes, initialement, il ne reverra pas sa propre pensée pour vérifier s’il n’a pas fait une erreur de raisonnement, mais considérera que l’erreur vient de B, c.-à-d. que l’homme est par nature sûr de soi et c’est de cette caractéristique que découle cette discipline qu’il me plaît d’appeler dialectique. Mais pour éviter toute confusion je l’appellerai « dialectique éristique », la science des procédés par lesquels les hommes manifestent cette confiance en leurs opinions.
La dialectique éristique
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La dialectique éristique[1] est l’art de la controverse, celle que l’on utilise pour avoir raison, c’est-à-dire per fas et nefas[2]. On peut en toute objectivité avoir raison, et pourtant aux yeux des spectateurs, et parfois pour soi-même, avoir tort. En effet, si un adversaire réfute une preuve, et par là donne l’impression de réfuter une assertion, il peut pourtant exister d’autres preuves. Les rôles ont donc été inversés: l’adversaire a raison alors qu’il a objectivement tort. Ainsi, la véracité objective d’une phrase et sa validité pour le débatteur et l’auditeur sont deux choses différentes (c’est sur ce dernier que repose la dialectique).
D’où vient ce comportement? De la base même de la nature humaine. Sans celle-ci, l’homme serait foncièrement honorable et ne débattrait sans autre but que la recherche de la vérité, et nous serions indifférents, ou du moins n’accorderions qu’une importance secondaire quant au fait que cette vérité desserve les opinions par lesquelles nous avions commencé à discourir ou serve l’opinion de l’adversaire. Cependant, c’est ce dernier point qui nous est primordial. La vanité innée, particulièrement sensible à la puissance de l’intellect, ne souffre pas que notre position soit fausse et celle de l’adversaire correcte. Pour s’extraire de ce comportement, il suffit de formuler un jugement correct: cela revient à dire qu’il faut réfléchir avant de parler. Mais ...