Au Lecteur,
Les idĂ©es libertaires sont peu connues ou faussĂ©es Ă dessein par ceux contre lesquels nous luttons et dont l'Ă©goĂŻste intĂ©rĂȘt maintient l'erreur et l'ignorance au prix des pires mensonges.
La sĂ©rie de publications que nous commençons aujourd'hui avec l'aide de camarades qui trouvent tout naturel d'exprimer ce qui leur semble juste et vrai est un complĂ©ment Ă l'Ćuvre que nous avons commencĂ©e Ă Aiglemont.
Nous estimons que la diffusion des principes anarchistes, que le libre examen et la juste critique de ce qui est autour de nous ne peuvent que favoriser le développement intégral de ceux qui nous liront.
Montrer combien l'autoritĂ© est irrationnelle et immorale, la combattre sous toutes ses formes, lutter contre les prĂ©jugĂ©s, faire penser. Permettre aux hommes de s'affranchir d'eux-mĂȘmes d'abord, des autres ensuite; faire que ceux qui s'ignorent naissent Ă nouveau, prĂ©parer pour tous ce qui est dĂ©jĂ possible pour les quelques-uns que nous sommes, une sociĂ©tĂ© harmonieuse d'hommes conscients, prĂ©lude d'un monde de libertĂ© et d'amour.
VoilĂ notre Ćuvre; elle sera l'Ćuvre de tous si tous veulent, animĂ©s de l'esprit de vĂ©ritĂ© et de justice, marcher Ă la conquĂȘte d'un meilleur devenir.
LA COLONIE D'AIGLEMONT.
Mon jeune Camarade, tu m'as demandĂ©, non sans quelque intention ironique, de t'expliquer ce qu'est, ou plutĂŽt ce que doit ĂȘtre un libertaire; te sachant de bonne volontĂ©, quoique avec une tendance atavique Ă railler ce que tu n'as pas encore compris, je vais tenter de satisfaire ta curiositĂ©.
Seulement garde-toi de croire que je me pose, vis-à -vis de toi, en docteur et en prophÚte; et dÚs le premier moment, prépare-toi non à accepter mes affirmations comme des dogmes contre lesquels rien ne prévaut, mais au contraire à les discuter, à les passer au crible de ta propre raison et à ne les admettre comme vérités que lorsque tu te seras convaincu, par tes propres lumiÚres, qu'elles ont droit à ce titre.
Il n'est d'Ă©ducation sĂ©rieuse et profonde que celle qu'on se donne Ă soi-mĂȘme. Chacun doit ĂȘtre son propre maĂźtre et la mission de ceux qui croient savoir est non pas d'imposer leurs opinions, mais de proposer Ă autrui avec arguments raisonnĂ©s, les idĂ©es-germes qui doivent fructifier dans son propre cerveau.
Tout d'abord, remarque ceci: toutes les fois qu'un homme parle de bonheur universel, de bien-ĂȘtre gĂ©nĂ©ral, de joie mondiale et de paix terrestre, un cri s'Ă©lĂšve contre lui, fait de colĂšre et de mĂ©pris.
D'oĂč vient cet importun, ce fou, qui croit Ă la possibilitĂ© du bonheur! Ă quel titre se permet-il de rĂ©prouver la lutte fĂ©roce des hommes les uns contre les autres? Le bien est une utopie, il n'est de rĂ©alitĂ© que le mal et le devoir de tout ĂȘtre raisonnable est d'aggraver le mal en livrant tous les biens terrestres Ă la concurrence, Ă la bataille, et en appelant Ă son aide la brutalitĂ© et la mort.
Non seulement celui qui veut l'humanitĂ© heureuse est taxĂ© de folie, mais bien vite on le qualifie de criminel, d'ĂȘtre essentiellement dangereux, on le poursuit, on le traque et, si l'on peut, on le tue.
Donc, mon jeune Camarade, commence par t'interroger, demande-toi si tu te sens prĂȘt Ă subir toutes les avanies, toutes les persĂ©cutions, sans te dĂ©courager et sans reculer.
Sache bien que pour vouloir le bonheur d'autrui, tu seras traitĂ© en ennemi, en paria, tu seras mis au ban de toutes les civilisations, tu seras chassĂ© de frontiĂšre en frontiĂšre jusqu'au moment oĂč des exaspĂ©rĂ©s t'abattront comme bĂȘte puante.
Si au contraire tu suis les errements ordinaires, si, t'emparant de toutes les armes matĂ©rielles et immorales que la civilisation a forgĂ©es, tu te jettes rĂ©solument dans la vie dite normale, si tu essaies d'Ă©craser les autres pour te faire un piĂ©destal de leurs corps, si tu parviens Ă ruiner, Ă affamer le plus d'ĂȘtres humains possibles pour te constituer de leurs dĂ©pouilles une fortune opulente, si tu prends pour objectif glorieux la guerre des hommes contre les hommes, si tu rĂȘves victoire, gloire et domination, si tu rejettes tout scrupule, tout enseignement de conscience, si tu pars de ce principe: «Chacun pour soi!» et que tu le dĂ©veloppes jusqu'Ă parfaites conclusions...
Alors tu deviendras richeâen face de la misĂšre des autresâpuissant par l'abaissement et l'humiliation de tes congĂ©nĂšres, tu jouiras de leurs souffrances et vivras d...