Le tournant sociétal que nous vivons depuis les années 1990, souvent qualifié de « quatrième révolution industrielle », se caractérise par les technologies et infrastructures numériques. Dans ce contexte, on entend par « numérisation » la mutation culturelle, sociale et politique induite par le recours aux nouvelles technologies numériques. Ce phénomène est marqué avant tout par une automatisation toujours plus poussée des domaines les plus divers de la vie – qui vont de la production à la gestion des informations – ainsi que par la connexion entre monde virtuel et monde physique.
Ce chapitre est consacré aux technologies numériques soulevant des enjeux particuliers en matière de droits fondamentaux et de droits humains. Il contient également, pour illustrer ces technologies, divers exemples d’application.
Les données, en tant qu’informations stockées, existaient déjà avant la numérisation. La nouveauté, c’est que les technologies numériques permettent de stocker ces données sur divers supports. Actuellement, quand on parle de « données », on entend d’une part les informations enregistrées sur un dispositif, qui ont été saisies sur la base d’observations ou de mesures et peuvent être modifiées, traitées ou chiffrées ; et d’autre part les métadonnées, c’est-à-dire les informations sur les caractéristiques d’autres données telles que la date de parution d’un texte ou la date de sa dernière modification. Et l’on qualifie de « données secondaires » les métadonnées fournissant des informations sur les communications réalisées sur Internet, comme la date d’envoi d’un courriel et son destinataire.
Une autre notion qui apparaît fréquemment quand il s’agit de numérisation est celle de mégadonnées (big data), qui désigne de gigantesques volumes de données non structurées ou semi-structurées. Les technologies actuelles permettent d’analyser de telles masses de données de façon bien plus rapide et plus efficiente qu’il y a quelques années seulement.
Les mégadonnées, que les entreprises récoltent par exemple en proposant des applications gratuites à leurs clients en échange du droit d’accéder à leurs données, présentent quatre caractéristiques principales. Elles sont très volumineuses, très hétérogènes, correctes et analysées à une vitesse extrêmement élevée. L’essor des mégadonnées s’explique surtout par l’Internet des objets (Internet of Things → notions fondamentales point 1.5), qui lui fournit les données, et par l’informatique en nuage (cloud computing → notions fondamentales point 1.6), qui lui fournit les outils nécessaires à leur traitement.
Exemples d’application :
Recherche médicale et diagnostics : la médecine recourt à des données sur l’état de santé des patient·e·s afin de garantir les meilleurs soins possibles. Dans ce domaine, c’est surtout l’informatique biomédicale qui joue un rôle important : à l’aide d’algorithmes (→ notions fondamentales point 1.2), les professionnel·le·s analysent les données collectées dans le but de déterminer les thérapies les plus prometteuses ou les caractéristiques génétiques prédisposant à certaines maladies déterminées. Pour être capables d’établir des diagnostics, des logiciels passent en revue d’importants volumes de données afin d’y déceler des caractéristiques en tout genre. Lorsque ces dernières sont présentes dans certaines combinaisons bien précises, le logiciel propose un diagnostic en appliquant des algorithmes. Ces algorithmes opèrent par exemple sur la base d’enregistrements d’appareils médicaux ou de résultats d’analyses de laboratoire qu’ils attribuent à un diagnostic déterminé et donc à une maladie déterminée (→ cas pratique Diagnostics fondés sur l’intelligence artificielle et les mégadonnées 2.2).
Microciblage : le microciblage (microtargeting) est une méthode utilisée tant en marketing que dans les campagnes électorales et de votations. En exploitant en amont d’importantes quantités de données, on parvient à s’adresser de manière ciblée à des personnes précises. On définit dans ce but des groupes cibles, avant d’établir pour chacun d’eux des profils de personnalité. Des partis politiques, par exemple, font comparer et recouper les données récoltées lors de contacts privés et par des sites internet avec les données de réseaux sociaux afin d’établir des correspondances (appariement, ou social match). Cette technique leur permet d’adapter leurs messages politiques en fonction de groupes cibles déterminés et, par exemple, de promouvoir des projets politiques en diffusant des messages « sur mesure » sur les réseaux sociaux (→ cas pratique Microciblage durant des campagnes politiques 3.4).
Un algorithme est une suite définie d’étapes permettant de résoudre un problème. Un algorithme qui reçoit les mêmes données de départ, introduites dans le même ordre, suivra systématiquement les mêmes étapes prédéfinies, et parviendra donc toujours aux mêmes résultats ; si, en revanche, les données de départ ne sont pas les mêmes, il parviendra à des résultats différents. De cette manière, les algorithmes permettent de rechercher une caractéristique prédéfinie dans toutes sortes de jeux de données ou d’obtenir toujours les mêmes résultats si l’on entre les mêmes données dans un moteur de recherche.
Exemples d’application :
Bulles de filtres : les internautes peuvent se retrouver dans des bulles informationnelles, ou bulles de filtres (filter bubble), ou encore chambres d’écho, car ils ne voient souvent s’afficher que de la publicité ou des informations qui reflètent leurs intérêts ou leurs opinions. Des personnes aux idées politiques conservatrices par exemple se verront plutôt proposer des contenus diffusés par des partis ou des journaux conservateurs. Les internautes sont par conséquent de moins en moins exposés à des opinions différentes des leurs. Ces bulles de filtres se créent parce que les exploitants de moteurs de recherche utilisent des algorithmes qui se fondent entre autres sur les activités antérieures de l’internaute, et notamment sur ses recherches. Ils supposent en effet que les individus préfèrent les contenus qui les confortent dans leurs convictions.
Calcul de risque : les assurances et les banques peuvent se servir d’algorithmes pour décider de conclure ou non un contrat d’assurance ou d’accorder un crédit. Ces algorithmes sont établis de manière à faire correspondre certaines caractéristiques des client·e·s avec certaines conditions à remplir pour pouvoir conclure une police d’assurance ou obtenir un crédit.
Système de recherche automatisée de véhicules : en Suisse, cette technique est appliquée à l’aide du programme « Système de recherche automatisée de véhicules et de surveillance du trafic (RVS) ». Un scanner mobile relève les numéros d’immatriculation et les ...