L'armée indigène
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L'armée indigène

La défaite de Napoléon en Haïti

  1. 249 pages
  2. French
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L'armée indigène

La défaite de Napoléon en Haïti

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À propos de ce livre

Qui, en dehors d'Haïti, a déjà entendu parler de la bataille de Vertières, point d'aboutissement de la guerre d'indépendance haïtienne? Qui sait que cet affrontement s'est soldé, en 1803, par l'une des pires défaites napoléoniennes? Que les Noirs s'y réclamaient des idéaux de la Révolution? Pourtant, cette bataille aurait dû faire date: son issue, désastreuse pour la puissance coloniale française, allait fissurer de manière irrémédiable les assises de l'esclavage. Dans cet ouvrage, Jean-Pierre Le Glaunec décrit la violence inouïe de cette guerre entre maîtres et anciens esclaves, entre les forces des généraux Leclerc et Rochambeau et l'armée, dite «indigène», de Jean-Jacques Dessalines. Il interroge le sens de son occultation par l'historiographie française, mais aussi le rapport trouble que l'élite du pouvoir haïtienne entretient avec sa mémoire, symbole d'émancipation parfois encombrant pour qui désire maintenir les populations asservies.

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Informations

Éditeur
Lux Éditeur
Année
2020
ISBN
9782895963585

CHAPITRE 1 LA BATAILLE DE VERTIÈRES OU «LE DESTIN D’UN SOUVENIR»

Si ce livre parle bien d’une bataille souvent méconnue, il ne relève pas de la sphère de l’histoire militaire. Il ne faut pas s’attendre dans les pages à venir à une description érudite des officiers et des bataillons, des plans d’attaque et des uniformes. D’autres auteurs se sont passionnés et se passionnent toujours pour ce genre de questions qui, malgré leur importance, n’apportent pas grand-chose à la présente étude. Matthieu Brevet, par exemple, a soutenu une thèse de doctorat décrivant la composition des bataillons envoyés à Saint-Domingue et les raisons ayant conduit à la nomination des officiers généraux. L’expédition devait enrichir des soldats en temps de paix – la France et la Grande-Bretagne venaient de s’entendre, à Lunéville, sur les conditions d’une trêve – et leur fournir des occasions rapides d’avancement[1]. En 2002, Frédéric Berjaud a publié deux études très riches dans la rubrique «Uniformologie» de La revue Napoléon portant sur «Les troupes du corps expéditionnaire de Saint-Domingue[2]». Le Club français de la figurine historique a lui aussi contribué à l’œuvre d’érudition concernant la présence des troupes napoléoniennes dans l’ancienne perle des Antilles. Deux numéros spéciaux, parus en 1991 et 1992, portent sur «L’expédition de Saint-Domingue, 1789-1809[3]». En 1998, l’association Le Briquet, l’amicale des collectionneurs de figurines historiques du Centre Loire, a consacré pour sa part un article à «Nicolas Ourblain, le survivant de Saint-Domingue» dans un de ses bulletins[4].
Les péripéties des officiers, des soldats et des marins français à Saint-Domingue, et du reste de ses habitants blancs, ont très souvent monopolisé l’attention des historiens, mais ne revêtent à mes yeux qu’une importance relative[5]. Je m’inspire plutôt ici d’un ouvrage précurseur de la «nouvelle histoire bataille», intitulé Le dimanche de Bouvines. 27 juillet 1214 et publié dans les années 1970 par le célèbre médiéviste Georges Duby. À défaut de narrer une fois de plus le déroulement de cette journée mythique dans l’histoire de France – c’est pourtant l’objet de la commande qui lui est faite –, l’auteur propose de suivre les traces laissées par la bataille en vue de comprendre comment, pourquoi et à quel moment Bouvines est devenu un événement important dans la mythologie nationale française. La confrontation entre le roi de France Philippe Auguste et la coalition de l’empereur germanique Otton IV, du comte de Flandre et du comte de Boulogne, soutenue par le roi d’Angleterre Jean sans Terre, est reléguée au second plan de son analyse. D’abord, parce que l’on sait bien peu de choses sur l’événement en tant que tel, si ce n’est que l’issue de la bataille fut longtemps incertaine. Ensuite, parce que le premier plan est occupé par une sociologie de la guerre et de la paix dans les premières années de l’an mille, sans laquelle, nous explique Duby, toute discussion du contexte de la bataille ne saurait avoir de sens. Avant de chercher à comprendre ce qui s’est effectivement passé à Bouvines, l’auteur s’interroge donc sur les concepts de guerre, de bataille, de victoire, de paix et de mort, ainsi que sur l’acte d’enlever la vie. Cette sociologie partage le cœur de l’analyse, à parts plus ou moins égales avec une réflexion de type littéraire sur les premières mises en récit de la bataille et sur l’impact à court et à long terme de ces dernières sur la sédimentation des représentations. George Duby décrit donc moins la bataille que «l’action que l’imaginaire et l’oubli exercent sur une information, l’insidieuse pénétration du merveilleux, du légendaire, et tout au long d’une suite de commémorations le destin d’un souvenir au sein d’un ensemble mouvant de représentations mentales». Il s’est bien passé quelque chose le 27 juillet 1214, mais c’est plutôt le «destin du souvenir» de l’événement qui intéresse l’historien[6].
Le livre de Duby est une référence incontournable pour tous ceux qui tentent depuis quelques années de repenser l’objet «bataille» hors de la seule histoire militaire qui l’a si longtemps monopolisé[7]. Cette historiographie en plein essor est celle d’une histoire culturelle de la guerre, que le spécialiste de la Première Guerre mondiale Nicolas Offenstadt décrit très justement comme une histoire des «mémoires-batailles[8]». Comme l’explique Hervé Drévillon, «de ce parcours jalonné de morts qu’est la bataille, il faut appréhender la totalité: les combats et leur narration, la victoire et sa cristallisation mémorielle, la défaite et ses appropriations politiques; un faisceau de pratiques et de représentations[9]». Ce qui revient à dire, pour reprendre et adapter les mots de François Dosse, que «l’essentiel de l’événement [bataille] se situe [...] dans sa trace, dans ce qu’il devient de manière non linéaire dans les multiples échos de son après-coup[10]».
On ne peut nier qu’il s’est passé quelque chose le 18 novembre 1803 en arrière du Cap-Français, mais comment le dire? Les paroles échangées à l’abri des murs de Vertières sont à jamais perdues. Les cris d’encouragement et de peur émis par les soldats, noirs et blancs, sur la route du Haut-du-Cap ne résonnent plus nulle part. La bataille de Vertières confronte l’historien à ses silences, à ses apories, aux problèmes de sa méthodologie. Les sources lui font défaut en dépit d’une abondance de correspondance et de rapports militaires en tout genre. Cette abondance ne donne que le point de vue de l’élite, française essentiellement, et cette élite est bien discrète dans la défaite. Comment dire alors l’importance de la bataille pour les milliers d’hommes – et de femmes aussi, du côté haïtien – qui y participent? Comment décrire les visages crispés et les cris étouffés? Que se passe-t-il vraiment «dans les têtes des gens[11]» le matin du 18 novembre 1803, alors que la France et Haïti sont au bord d’un déchirement inouï? Une bataille brève, entre deux orages; une ultime confrontation entre deux rivages.
Une histoire de la bataille de Vertières force, de plus, à sonder ce qui est difficilement représentable: la violence, la haine, la vengeance, la volonté de destruction de l’Autre, la construction et la déconstruction des différences raciales, l’affirmation et la négation des droits de la personne. Vertières conduit l’historien au bord de son habituelle falaise et l’y maintient[12]. La bataille du 18 novembre pose un problème d’écriture.
Une partie du problème vient également du fait que la bataille de Vertières a fait l’objet en Haïti, depuis le milieu du XIXe siècle, d’un long processus de sédimentation et au final de fossilisation narrative qui a donné naissance à un écheveau de représentations duquel il est extrêmement difficile de se libérer aujourd’hui. La cause en est simple. Les auteurs qui retracent, en quelques paragraphes tout au plus, le déroulement du vendredi 18 novembre 1803 s’appuient généralement sur une seule et même source: l’Histoire d’Haïti de Thomas Madiou, l’un des principaux historiens haïtiens du XIXe siècle. La référence est incontournable. On la retrouve, par exemple, dans deux articles de référence, l’un de Sabine Manigat, publié dans le Dictionnaire historique de la Révolution haïtienne (1789-1804), l’autre de Jacques de Cauna, paru dans le thésaurus du Dictionnaire encyclopédique Désormeaux. Dans un cas comme dans l’autre, pas de Vertières sans Madiou. Sa version des faits s’est imposée dès la publication de son Histoire d’Haïti à la fin des années 1840, à tel point que l’autre grand historien haïtien du XIXe siècle, Beaubrun Ardouin, dont les Études sur l’histoire d’Haïti paraissent quelques années plus tard, avoue avoir renoncé «à décrire la lutte audacieuse, opiniâtre, qui fut soutenue par les indigènes» lors de la bataille, se contentant de renvoyer le lecteur au texte de son illustre confrère[13].
Il est vrai que la scène décrite par ce dernier est spectaculaire et qu’elle force l’admiration. En voici d’ailleurs les principaux extraits qui font du héros, le général de brigade François Capois, un être à la détermination herculéenne dont la force n’a d’égale que celle de la foudre qui s’abat sur le champ de bataille. À bien des égards, la lutte du Capois de Madiou rappelle le récit des batailles médiévales, si chères à l’époque romantique dans laquelle travaille l’historien. Chevalier d’un autre âge, Capois n’est pas si différent du Philippe Auguste du Dimanche de Bouvines. Même le pont de Vertières rappelle d’ailleurs celui que met en scène cette bataille française:
[Dessalines] envoya aussitôt l’ordre au général Capoix [...] de changer de direction, et d’aller s’emparer de l’habitation Charrier qui dominait Vertières. Il existait au centre du plateau un ravin que traversait en face du fort Vertières un petit pont à moitié brisé. [...] Pour atteindre Charrier, Capoix devait en longeant [un] ravin passer sous le feu [d’une] batterie. Quand il arriva vis-à-vis du pont, il fut accueilli par un feu si vif que les soldats [...] qui formaient l’avant-garde chancelèrent. Capoix qui n’avait jamais fuit devant les français [...] leur fit entendre sa voix terrible: «Il faut, mes braves, vous rendre maîtres de cette butte; le salut de l’armée en dépend; en avant!» [...] Monté sur un cheval richement caparaçonné, il s’élança de nouveau plein d’ardeur contre le fort. Ses soldats le suivent; ils sont repoussés; il s’indigne; il les exhorte à le suivre encore; il jure d’enlever la batterie. [...] [U]n boulet renverse son cheval; l’intrépide général tombe; mais il se relève aussitôt, marche et s’écrie: en avant! en avant! La foudre éclate, son chapeau garni de plumes est enlevé. [...] De grandes acclamations retentissent du côté de l’habitation Vertières; l’on distingue les cris de bravo! bravo! sortant de la garde d’honneur de Rochambeau spectatrice du combat. Un roulement se fait entendre; le feu des français cesse, et un cavalier se présentant devant le pont dit aux indigènes: «Le capitaine général Rochambeau envoie son admiration à l’officier général qui vient de se couvrir de tant de gloire.» Le hussard français se retira et le combat recommença avec une nouvelle fureur[14].
À la question «Que s’est-il passé le vendredi 18 novembre 1803?», la réponse est généralement tirée de ce récit des origines[15]. La progression du récit de Madiou est remarquable. Le décor est posé par des phrases amples composées de plusieurs segments et conjuguées à l’imparfait. Le début de la charge de Capois est signalé par le passage de l’imparfait au passé simple, lequel cède sa place, au plus fort de l’action, au présent narratif. L’effet est renforcé par l’absence de coordination, par l’anaphore du pronom personnel «il», par la saccade des points-virgules. Le lecteur est ainsi plongé dans le tumulte et le bruit de la mitraille jusqu’à ce que la voix de Capois, «en avant! en avant!», se mélange aux fracas du tonnerre: «La foudre éclate, son chapeau garni de plumes est enlevé.»
Les auteurs d’histoires générales ou de manuels scolaires publiés en Haïti dans la seconde moitié du XIXe siècle et dans les premières années du XXe siècle adaptent systématiquement le texte de Madiou. Plusieurs plans narratifs, tous puisant à la même source, se juxtaposent; ils saturent le champ des images, des paroles et des sons associés à la bataille. Certains mots du récit de Madiou ne changent pas ou peu d’une adaptation à l’autre, comme les paroles attribuées à Capois cherchant à mobiliser ses troupes ou les compliments du hussard français qui font écho aux rites des tournois médiévaux pendant lesquels on se devait de reconnaître la bravoure de l’ennemi.
Certaines adaptations du récit de Madiou acquièrent une telle légitimité qu’un renvoi au texte original devient superflu. C’est le cas, par exemple, de la version popularisée par Énélus Robin dans un manuel scolaire fréquemment utilisé en Haïti à partir du milieu des années 1870. L’adaptation de Robin est citée, par exemple, dans le manuel de Windsor Bellegarde et Justin Lhérisson, Manuel d’histoire d’Haïti, à la place de la version originale de Madiou, plus longue.
L’éloignement progressif par rapport au texte d’origine et l’imbrication de divers niveaux de réécriture depuis les années 1840 ont eu pour effet secondaire de faire disparaître dans certains cas toute notion d’auteur, comme si le récit des événements de la bataille de Vertières pouvait exister par lui-même, du fait de sa seule force d’évocation. Maximilien Laroche, par exemple, dans un article intitulé «La bataille de Vertières et le Cahier d’un retour au pays natal: deux westerns du Tiers-Monde[16]», cite abondamment une source qu’il ne prend la peine d’identifier, ni dans le corps du texte ni en note de bas de page. La source citée n’est pas le récit fondateur de Madiou ni celui de Robin, mais la version apprise par cœur par plusieurs générations d’Haïtiens dans le manuel scolaire de Justin Chrysostome Dorsainvil, utilisé dans toutes les écoles d’Haïti à partir des années 1930.
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* *
Écrire une histoire de la tumultueuse bataille de Vertières n’a rien d’évident, et l’histoire militaire s’avère d’une utilité limitée pour décrire la portée réelle du conflit qui fait rage près du Cap-Français le 18 novembre 1803. La nouvelle histoire bataille, en revanche, en permet une interprétation plus large en mettant l’accent non pas sur le déroulement des événements, mais sur ses traces et ses résonances à travers les siècles. Ce modèle ne peut toutefois suffire, à moins d’identifier également les discours sédimentés depuis deux siècles autour de l’événement Vertières et qui tendent à en réduire le sens, ou du moins à en simplifier la portée et la complexité. Devant les enjeux de l’écriture d’un tel événement, la prudence est donc de mise. Elle exige, avant d’aller plus loin, de présenter le contexte dans leque...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Page de titre
  3. Crédits
  4. Table des matières
  5. Préface
  6. Avant-propos
  7. Introduction. Aux armes, citoyens!
  8. 1 La bataille de Vertières ou «le destin d’un souvenir»
  9. 2 L’acte final d’une révolution atlantique
  10. 3 Tentative de reconstitution
  11. 4 L’histoire d’un mot qui n’existe pas vraiment
  12. 5 «Le dernier des Blancs»
  13. 6 «Tant qu’il resterait un nègre»
  14. 7 Le symbole de la force et de la survie d’Haïti
  15. 8 Un lieu de mémoire récent
  16. 9 Picolet, Fossé Capois, Vertières: sur les traces des ancêtres
  17. Conclusion. Le cri de Capois-la-Mort
  18. Remerciements
  19. Notes et références
  20. Quatrième de couverture