Pourquoi les femmes ont une meilleure vie sexuelle sous le socialisme
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Pourquoi les femmes ont une meilleure vie sexuelle sous le socialisme

Plaidoyer pour l'indépendance économique

  1. 287 pages
  2. French
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Pourquoi les femmes ont une meilleure vie sexuelle sous le socialisme

Plaidoyer pour l'indépendance économique

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À propos de ce livre

Le capitalisme nuit gravement. Surtout aux femmes. Il les confine Ă  la dĂ©pendance envers les hommes et les contraint de soumettre leurs relations intimes Ă  des considĂ©rations Ă©conomiques. VoilĂ  ce que Kristen Ghodsee a conclu des vingt annĂ©es qu'elle a passĂ©es Ă  observer les rĂ©percussions de la transition du socialisme d'État au capitalisme sur le quotidien des habitantes des pays de l'ancien bloc de l'Est. Sans pour autant rĂ©habiliter les dictatures du communisme rĂ©el, elle dĂ©montre qu'il y avait beaucoup Ă  sauver des ruines du Mur, et que, contre le mortifĂšre triomphalisme nĂ©olibĂ©ral d'aujourd'hui, il est encore temps de raviver l'idĂ©al du socialisme.D'une plume libre et gĂ©nĂ©reuse qui va de l'anecdote personnelle Ă  l'analyse de statistiques, en passant par les notes de terrain, l'anthropologue s'adresse d'abord aux jeunes femmes, puis Ă  quiconque souhaite contrecarrer les effets dĂ©lĂ©tĂšres du libre marchĂ©. Sous l'Ă©gide des grandes figures fĂ©ministes du socialisme, Alexandra KollontaĂŻ, Rosa Luxemburg, Clara Zetkin, elle aborde tous les aspects de la vie des femmes – le travail, la famille, le sexe et la citoyennetĂ© – et propose des pistes pour qu'elles aient une vie (sexuelle) plus Ă©panouie.

Foire aux questions

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Informations

Éditeur
Lux Éditeur
Année
2020
ISBN
9782895963455

Chapitre 1 Travail: les femmes sont comme les hommes, mais elles coûtent moins cher

À 20 ans, j’avais une amie proche – nous l’appellerons Lisa – qui travaillait aux ressources humaines dans une grande entreprise Ă  San Francisco. Elle adorait la mode – d’ailleurs, mon armoire contient encore quelques-unes des tenues Ă©lĂ©gantes qu’elle m’avait aidĂ©e Ă  dĂ©nicher lors de nos frĂ©quentes virĂ©es Ă  Filene’s Basement et dans les friperies de Fillmore Street. Elle avait un don pour dĂ©nicher des trĂ©sors de crĂ©ateurs Ă  petits prix et pour inventer des ensembles combinant des Levi’s avec du Dior vintage. Au fil des annĂ©es, nous sommes restĂ©es en contact, Ă©changeant rĂ©guliĂšrement sur les affres du mariage et de la maternitĂ©. AprĂšs mon premier enfant, je me suis engagĂ©e dans une carriĂšre universitaire, mais Lisa, par contre, Ă  l’instant oĂč elle a su qu’elle Ă©tait enceinte, a dĂ©missionnĂ© de son poste. Son mari gagnait assez pour subvenir Ă  leurs besoins et prĂ©fĂ©rait qu’elle ne travaille pas. Il avait lui-mĂȘme eu une mĂšre au foyer, et c’est ainsi que fonctionnaient tous leurs amis, voisins et collĂšgues. Lisa prĂ©tendait que c’était son choix; pourquoi ne pas s’accorder une petite pause dans la course folle du capitalisme amĂ©ricain? Mais peu aprĂšs son premier enfant, elle en a eu un deuxiĂšme et a alors renoncĂ© totalement Ă  l’idĂ©e de retourner travailler. C’était plus facile ainsi, pensait-elle: elle serait physiquement lĂ  pour ses filles, bien plus que je ne pourrais jamais l’ĂȘtre pour la mienne.
Durant ces premiĂšres annĂ©es, alors que Lisa prĂ©parait des gĂąteaux et organisait des sorties pour ses enfants, je faisais garder ma fille cinq jours par semaine, ce qui me coĂ»tait un bras. Quand ses filles faisaient la sieste, Lisa lisait des romans, faisait du sport et concoctait de superbes repas. Mes quatre premiĂšres annĂ©es de maternitĂ© ont coĂŻncidĂ© avec mes trois premiĂšres annĂ©es de titularisation. J’étais Ă©puisĂ©e en permanence. La premiĂšre fois que j’ai donnĂ© un cours, j’avais enfilĂ© ma chemise Ă  l’envers. J’ai frĂ©mi de honte quand un Ă©tudiant m’a gentiment montrĂ© les coutures
 Mais aprĂšs la troisiĂšme fois, ça m’était Ă©gal. Tant que je mettais ma jupe Ă  l’endroit, ça allait. J’ai souvent enviĂ© Lisa, mais j’avais terminĂ© ma thĂšse, obtenu un bon poste et je ne voulais pas dĂ©missionner. Quand ma fille a eu cinq ans, les choses ont Ă©tĂ© un peu plus faciles. Mon premier livre est sorti, j’ai Ă©tĂ© titularisĂ©e et ma petite a commencĂ© l’école. DĂ©barrassĂ©e des lourdes factures de la garderie, j’ai commencĂ© Ă  rĂ©colter les fruits psychologiques et financiers de ma persĂ©vĂ©rance.
Quelques annĂ©es plus tard, j’ai passĂ© un week-end avec Lisa. Son mari avait proposĂ© de s’occuper des trois filles pour qu’on aille tous les deux au centre commercial. Au programme: dĂźner, cinĂ©ma et peut-ĂȘtre faire un peu les boutiques. Une parenthĂšse enchantĂ©e sans enfant. Je rĂȘvais de quelques heures de conversation adulte avec une vieille amie, sans avoir Ă  rĂ©pondre Ă  des rĂ©clamations urgentes de jus de fruit ou de glace ou encore Ă  des crises de colĂšre intempestives. Une vraie soirĂ©e entre copines.
J’étais chez elle, Ă  l’étage, en train de me prĂ©parer, lorsque je me suis rendu compte que j’avais oubliĂ© mon sĂšche-cheveux. J’allais lui demander si je pouvais lui emprunter le sien, mais en descendant les escaliers je l’ai entendue se disputer avec son mari:
«  s’il te plaĂźt, Bill, c’est gĂȘnant.
— Non. T’as dĂ©pensĂ© assez d’argent ce mois-ci. Je te redonnerai la carte aprĂšs avoir vu les relevĂ©s bancaires.
— Mais j’ai juste fait des courses pour la maison et achetĂ© des vĂȘtements pour les filles. Je n’ai rien achetĂ© pour moi.
— T’achùtes toujours des choses pour toi en disant que c’est pour les filles.
— Mais c’est pour les filles. Elles n’arrĂȘtent pas de grandir.
— T’as dĂ©jĂ  assez de vĂȘtements. Tu n’as besoin de rien d’autre. Je t’ai donnĂ© assez pour le dĂźner et pour le film.
— Bill, s’il te plaĂźt.»
La voix de Lisa tremblait.
Je suis remontĂ©e sur la pointe des pieds, en priant pour qu’ils ne m’aient pas entendue. Je me suis cachĂ©e dans la salle de bain, jusqu’à ce que Lisa remonte, les mĂąchoires serrĂ©es et les yeux rouges.
Dans la voiture, jusqu’au restaurant, nous ne nous sommes pas parlĂ©. Nous avons commandĂ© une entrĂ©e et un plat, puis j’ai tentĂ© de faire durer le dĂźner jusqu’au dĂ©but du film. Lisa avait l’air contente de pouvoir s’attarder.
AprĂšs un deuxiĂšme verre de malbec, elle m’a dit: «On s’est disputĂ©s, avec Bill.»
J’ai baissĂ© les yeux vers mon assiette.
«Il dit qu’on ne fait pas assez souvent l’amour.»
Je l’ai regardĂ©e. Ce n’était pas la dispute que je croyais avoir entendue.
Elle jouait avec son verre vide. «Tu crois qu’on a le temps d’en prendre un autre?
– Vas-y, j’ai dit. Je conduirai.»
Elle a bu un troisiĂšme verre de vin, et on a discutĂ© des critiques du film qu’on s’apprĂȘtait Ă  voir. Quand l’addition est arrivĂ©e, elle a ouvert son portefeuille et glissĂ© des billets de 20 dollars sur la table. J’ai posĂ© ma carte de crĂ©dit.
Elle a regardé la carte American Express qui portait mon nom et a soupiré. «Bill ne me donne que du liquide.»
— Laisse-moi t’inviter. Je lui ai tendu les billets. Garde ça.
Elle a gardé les yeux rivés sur la table un bon moment. Finalement, elle a dit: «Merci» avant de remettre les billets dans son portefeuille. «Je le baiserai ce soir et je te rembourse demain.»
Je l’ai regardĂ©e, abasourdie.
Lisa a jetĂ© un Ɠil Ă  sa montre. «Si on se dĂ©pĂȘche, je peux passer chez Shiseido avant le dĂ©but du film.»
* * *
Ce soir-lĂ , au restaurant, je me suis jurĂ© que mĂȘme si l’équilibre entre mon travail et ma fille Ă©tait difficile Ă  trouver, tant que j’aurais le choix, jamais je ne me mettrais dans la mĂȘme situation que Lisa. «Bref, le Capitalisme agit sur les femmes comme une tentation constante pour leur faire accepter les rapports sexuels pour de l’argent, que ce soit dans le mariage ou hors du mariage. Contre cette tentation, il n’existe rien en dehors de l’honorabilitĂ© traditionnelle, que le Capitalisme dĂ©truit sans pitiĂ© par la pauvretĂ©[28]», Ă©crivait George Bernard Shaw en 1928. Directement ou indirectement, le sexe et l’argent sont toujours liĂ©s dans la vie des femmes, un vestige de notre longue histoire d’oppression.
Elles sont bien trop nombreuses, les femmes dans la situation de Lisa qui dĂ©pendent Ă©conomiquement des hommes pour vivre. Certes, les lois sur le divorce et les jugements des tribunaux sur les pensions alimentaires protĂ©geront Lisa – de façon inadĂ©quate, sans doute – si Bill dĂ©cide de divorcer, mais tant qu’ils sont mariĂ©s, elle demeure Ă  sa merci. Toute la force de travail qu’elle fournit pour s’occuper des enfants, pour organiser leur vie et assurer l’intendance du foyer est invisible du point de vue du marchĂ©. Elle ne reçoit aucun salaire, ne cotise pas pour sa retraite, n’accumule aucune expĂ©rience professionnelle et crĂ©e sur son CV un trou noir qu’elle devra justifier si elle souhaite retravailler un jour. MĂȘme son accĂšs aux soins passe par l’employeur de son mari. Tout ce qu’elle a dĂ©coule du revenu de Bill, qui peut Ă  sa guise lui refuser l’accĂšs au compte commun.
Dans La servante Ă©carlate, la glaçante dystopie de Margaret Atwood, les fondateurs de la rĂ©publique de Gilead dĂ©crĂštent l’interdiction du travail des femmes ainsi que la saisie de leur Ă©pargne[29]. ImmĂ©diatement, toute personne reconnue comme Ă©tant de sexe fĂ©minin est licenciĂ©e et l’argent de son compte en banque transfĂ©rĂ© vers le compte de son mari ou de son parent masculin le plus proche, une premiĂšre Ă©tape dans le retour des femmes «à leur place». La soumission des femmes commence ainsi par le fait de les rendre Ă  nouveau dĂ©pendantes de leur mari. Sans argent et dĂ©pourvues de tout moyen d’en gagner, elles ne peuvent plus dĂ©cider du cours de leur vie.
Le marchĂ© libre pĂ©nalise les femmes. Au dĂ©but de la rĂ©volution industrielle, les grands patrons les considĂ©raient comme infĂ©rieures Ă  leurs homologues masculins (plus faibles, plus Ă©motives, moins fiables
). Il leur fallait des incitations financiĂšres pour les convaincre d’en embaucher: les femmes coĂ»taient moins cher et Ă©taient plus dociles que les hommes. Si l’une d’elles se risquait Ă  exiger un salaire Ă©gal, l’employeur se contentait d’embaucher un homme Ă  sa place. Ainsi, depuis les dĂ©buts du capitalisme, l’avantage comparatif d’une femme sur le marchĂ© de l’emploi consiste en ce qu’elle fait le mĂȘme travail qu’un homme pour moins d’argent. MĂȘme quand elles ont massivement intĂ©grĂ© la main-d’Ɠuvre industrielle et sont devenues majoritaires dans les industries lĂ©gĂšres (la couture, le tissage, la lessive), il n’était pas question qu’elles touchent un «salaire familial» capable de couvrir les besoins de toute une famille, mĂȘme s’il s’agissait de mĂšres cĂ©libataires ou de veuves. La sociĂ©tĂ© persistait Ă  considĂ©rer les femmes comme dĂ©pendantes des hommes. Celles qui travaillaient ne pouvaient ĂȘtre que des Ă©pouses ou des filles touchant un peu d’argent de poche pour s’offrir des napperons en dentelle Ă  poser sur leur coiffeuse. Il revenait aux maris et aux pĂšres de pourvoir Ă  leurs besoins en nourriture, logement et vĂȘtements.
Les diffĂ©rentes cultures patriarcales confinent les femmes Ă  une situation de dĂ©pendance Ă©conomique, les traitent comme un bien meuble Ă  s’échanger entre familles. Pendant des siĂšcles, en Angleterre, la doctrine de la coverture les a rĂ©duites au statut de propriĂ©tĂ© de leur mari et les a privĂ©es de toute capacitĂ© juridique propre. AussitĂŽt qu’une femme se mariait, ses biens Ă©taient transfĂ©rĂ©s Ă  son mari. Si son mari voulait brader ses rubis pour s’acheter une bouteille de rhum, elle n’avait aucun droit de s’y opposer. En Allemagne de l’Ouest, jusqu’en 1957, les femmes ne pouvaient pas travailler hors du foyer sans l’autorisation de leur mari et, aux États-Unis, les lois interdisant de signer des contrats sans la permission du mari ont perdurĂ© jusque dans les annĂ©es 1960. Quant aux Suisses, elles ont dĂ» attendre 1971 pour avoir le droit de voter au niveau fĂ©dĂ©ral[30].
Dans les sociĂ©tĂ©s capitalistes, l’industrialisme a renforcĂ© la division du travail qui concentrait les hommes dans la sphĂšre publique de l’emploi formel et cantonnait les femmes au travail non rĂ©munĂ©rĂ© dans la sphĂšre privĂ©e. En thĂ©orie, les salaires des hommes Ă©taient suffisants pour subvenir aux besoins familiaux. En rĂ©alitĂ©, le travail gratuit des femmes au foyer subventionnait les profits des employeurs, les familles des ouvriers supportant le coĂ»t de la reproduction de la force de travail. PrivĂ©e de contraception, d’éducation et d’opportunitĂ©s professionnelles, la femme Ă©tait confinĂ©e Ă  perpĂ©tuitĂ© au domaine familial. «Dans le systĂšme capitaliste, les femmes se trouvaient plus mal partagĂ©es que les hommes», Ă©crit Bernard Shaw en 1928, «parce que le Capitalisme faisait de l’homme un esclave, et ensuite, il payait la femme par son intermĂ©diaire, de sorte qu’il faisait de celle-ci l’esclave de l’homme. Elle devenait l’esclave d’un esclave, ce qui est la pire sorte d’esclavage[31]».
* * *
DĂšs le milieu du xixe siĂšcle, fĂ©ministes et socialistes ont divergĂ© quant au meilleur moyen de libĂ©rer les femmes. En Angleterre, les femmes plus aisĂ©es se contentaient de militer pour le Married Women’s Property Act (loi sur la propriĂ©tĂ© des femmes mariĂ©es) et le droit de vote, sans remettre en cause le systĂšme Ă©conomique qui perpĂ©tuait l’assujettissement des femmes. Les socialistes, tels que les thĂ©oriciens allemands Clara Zetkin et August Bebel, considĂ©raient au contraire que l’émancipation fĂ©minine nĂ©cessitait leur pleine intĂ©gration dans le marchĂ© du travail, dans des sociĂ©tĂ©s oĂč les ouvriers dĂ©tiendraient collectivement les usines et l’infrastructure productive. Cet objectif Ă©tait bien plus audacieux et sans doute utopique, mais toutes les expĂ©rimentations socialistes par la suite ont inclus le travail des femmes dans leur programme pour une Ă©conomie plus juste et Ă©quitable.
L’idĂ©e que le travail d’une femme ait moins de valeur que celui d’un homme persiste encore aujourd’hui. Dans le systĂšme capitaliste, la force de travail (c’est-Ă -dire les unitĂ©s horaires que l’on vend Ă  son employeur) est une marchandise que l’on Ă©change sur un marchĂ©. Son prix est dĂ©terminĂ© par les lois de l’offre et de la demande, mais aussi par la perception de la valeur de ce travail. Les hommes sont mieux payĂ©s parce que beaucoup d’employeurs et de clients estiment qu’ils valent plus. RĂ©flĂ©chissez-y: pourquoi les diners bon marchĂ© ont-ils des serveuses, alors que dans les restaurants chers on trouve souvent des serveurs? La plupart d’entre nous avons grandi, dans le confort de nos maisons, en Ă©tant servis par des femmes: grand-mĂšres, mĂšres, femmes, sƓurs et parfois filles. On paie un supplĂ©ment pour que notre dĂźner soit servi par un homme, parce que l’on considĂšre que ce service rare vaut plus cher, mĂȘme si le serveur ne fait que poser une assiette devant vous et moudre du poivre sur votre filet mignon. De la mĂȘme maniĂšre, alors que les femmes nourrissent l’humanitĂ© depuis des millĂ©naires, la plupart des grands chefs sont des hommes. Il faut croire que les clients aiment relever leur purĂ©e de pommes de terre d’un peu de testostĂ©rone[32].
Sachant pertinemment que le public dĂ©value leur travail, les femmes s’organisent depuis longtemps pour dĂ©jouer les prĂ©jugĂ©s. Ainsi, Charlotte BrontĂ« a publiĂ© ses premiers romans sous le pseudonyme de Currer Bell, tandis que Mary Ann Evans Ă©crivait sous le nom de plume de George Eliot. Plus rĂ©cemment, J.K. Rowling et E.L. James ont toutes deux publiĂ© des romans en utilisant leurs initiales. Dans le cas de Rowling, son Ă©diteur lui avait expliquĂ© ne pas vouloir perdre les lecteurs masculins susceptibles d’ĂȘtre rebutĂ©s par une signature fĂ©minine. Pour les enseignants Ă  l’universitĂ©, il est avĂ©rĂ© qu’un prĂ©nom Ă  consonance fĂ©minine va de pair avec de moins bonnes Ă©valuations par les Ă©tudiants, ceux-ci ayant tendance Ă  attribuer de meilleures notes Ă  leurs professeurs masculins. Selon une expĂ©rience menĂ©e en 2005 avec des enseignants qui donnaient le mĂȘme cours en ligne sous deux identitĂ©s diffĂ©rentes, le nom Ă  consonance fĂ©minine recevait systĂ©matiquement de plus mauvaises notes[33].
Le racisme exacerbe la discrimination de genre et les femmes hispaniques et noires accusent un Ă©cart de salaire plus important que les blanches. Il faut donc veiller Ă  ne pas privilĂ©gier le sexe comme catĂ©gorie principale d’analyse, comme certaines fĂ©ministes le font parfois, la condition des femmes Ă©tant Ă©galement dĂ©terminĂ©e par la classe, la race, l’ethnie, l’orientation sexuelle, le handicap ou encore la croyance religieuse. Je suis une femme, mais je suis aussi portoricaine et persane, issue d’un milieu ouvrier et immigrĂ© (ma grand-mĂšre a arrĂȘtĂ© sa scolaritĂ© aprĂšs l’école primaire et ma mĂšre aprĂšs le lycĂ©e). Le vieux concept de sororitĂ© fait abstraction de la maniĂšre dont le capitalisme bĂ©nĂ©ficie aux classes moyennes blanches et pĂ©nalise les travailleuses racisĂ©es – les militantes socialistes l’ont compris dĂšs le xixe siĂšcle. À gauche, les marxistes orthodoxes obsĂ©dĂ©s par la position de classe sont souvent taxĂ©s de «brocialists» (nĂ©ologisme issu de la contraction de «brother» [frĂšre] et «socialist») parce qu’en faisant primer la solidaritĂ© entre travailleurs, ils nĂ©gligeraient les questions de race et de genre. Ce Ă  quoi ils rĂ©pondent qu’à trop miser sur une «politique de l’identité», on risque de diviser la classe ouvriĂšre et ainsi de saper la base des mouvements de transformation sociale. Il n’en demeure pas moins que lorsqu’on examine les structures oppressives, on doit garder Ă  l’esprit les diffĂ©rentes hiĂ©rarchies de domination, y compris lorsqu’il s’agit de construire des co...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Page de titre
  3. Crédits
  4. Note de l’auteure
  5. Préface à la traduction en français
  6. Introduction – Vous souffrez peut-ĂȘtre de capitalisme
  7. Chapitre 1 – Travail: les femmes sont comme les hommes, mais elles coĂ»tent moins cher
  8. Chapitre 2 – MaternitĂ©: attendre un enfant et s’attendre Ă  ĂȘtre exploitĂ©e
  9. Chapitre 3 – Leadership: s’habiller en prada ne suffit pas
  10. Chapitre 4 – Sexe: le capitalisme au lit (1re partie)
  11. Chapitre 5 – Sexe: à chacune selon ses besoins (2e partie)
  12. Chapitre 6 – CitoyennetĂ©: des barricades Ă  l’isoloir
  13. Remerciements
  14. Notes et références
  15. Lectures recommandées
  16. Table des matiĂšres
  17. QuatriĂšme de couverture