Brut
  1. 120 pages
  2. French
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  4. Disponible sur iOS et Android
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À propos de ce livre

Fort McMurray, dans le nord de l'Alberta, est le Klondike d'une ruée vers l'or du XXIe siècle, ville-champignon au milieu d'un enfer écologique, où des travailleurs affluent de partout attirés par les promesses de boom économique. L'or qu'ils convoitent: les gisements de sables bitumineux, le pétrole le plus sale qui existe et qui est exploité au péril de la planète entière par les compagnies pétrolières comme Total. Nancy Huston est allée voir de ses propres yeux ce qui se passait dans son Alberta natale et a découvert, abasourdie, une dévastation qu'elle raconte ici en un cri de colère et d'indignation. BRUT réunit également les voix de personnes qui ont vu la catastrophe de près: Naomi Klein, David Dufresne et Melina Laboucan-Massimo, une militante amérindienne qui se bat en première ligne.

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David Dufresne

Les corbeaux
(Trois hivers à Fort McMoney)

Les sables bitumineux sont le deuxième gisement mondial après celui de l’Arabie Saoudite, plus important que ceux de l’Irak, de l’Iran ou de la Russie [...] En deux mots, c’est une entreprise de proportions épiques, égale à la construction des pyramides ou de la Grande Muraille de Chine, mais en plus grand.
Stephen Harper,
Premier ministre du Canada, juillet 2006
Nous étions arrivés au bout du bout du monde par la seule route possible, la 63, l’«autoroute de la mort» comme on l’appelle ici, tant elle est fréquentée, étroite, et glissante; belle aussi, perdue et perdante, et qui s’enfonce à plus de 400 kilomètres de la dernière ville digne de ce nom: Edmonton, Alberta.
Sur les bas-côtés, des voitures retournées dans le fossé de notre civilisation, avec des rubans jaunes comme pour nous alerter, en vain: les conducteurs de pick-ups fous détournaient le regard, et nous avec. Au loin, l’usine Syncrude, Notre-Dame-de-la-Pollution, Gotham City, jaune aussi, flammes et fumées.
Pour prendre la mesure de la démesure brandie par le premier ministre Harper dès sa prise de pouvoir au Canada, il suffit de rester sur cette autoroute 63 et de suivre les autobus. Dedans, des invisibles. La population fantôme, 40 000 travailleurs de l’ombre qui vont et viennent du monde entier, débarquent sur des pistes d’atterrissage privées, de jour comme de nuit, été comme hiver, déposés là par Shell Aviation, Suncor Airlines, Enerjet ou North Cariboo Air, en route pour les camps de travail des champs de pétrole.
Ces hommes sont à la fois riches et exténués.
Le BlackSand Camp est l’un de ces camps, 666 chambres pour les cadres et 736 pour les ouvriers; un camp modèle pratiquant les tarifs de l’industrie: 250 dollars la nuit pour 3 mètres carrés. Le BlackSand Camp est mobile, bâti sur des roulottes dont on masque les roues par des jupettes pour les executive rooms, avec clim en surchauffe dans les singles pour ouvriers. Au fur et à mesure que l’homme dévore la forêt boréale, le camp peut avancer. Tout y est modulaire, distribué le long d’un couloir central (le Arctic Corridor): une cantine, un lobby, des sanitaires, des salles de gym, et un poster Merry Christmas qui se décroche dans la salle de jeux. Cette nuit-là, deux Somaliens ont bien voulu puiser dans leurs dernières ressources pour nous raconter leur long voyage. Un cousin leur avait causé de l’Eldorado, ils sont venus et ont évité le pire: la Somalian Connection, comme l’appellent les flics d’Edmonton. Des gars qu’on envoie au casse-pipe pour remplir de crack ou de coke les fins de journée des travailleurs fatigués. Sur la 63, certains dealers se font pincer, quelques-uns sont criblés de balles avant d’arriver à destination, d’autres finissent petits revendeurs, downtown Fort McMurray.
Le gérant du camp nous a de son côté assuré que tout était fait pour éviter les trafics, dans la ville comme sur les champs de pétrole. Il nous a expliqué comment les gardes traquent les fausses canettes de Pepsi qu’on dévisse pour y glisser on ne sait quelle substance, et il n’a trop rien dit quand nous avons évoqué les rumeurs selon lesquelles des cuisiniers de certains camps avaient été pris la main dans le sac, et de la coke dans leur paquet de café. Oui, il avait également entendu parler du trafic d’urine propre en ville, pour déjouer les dépistages à l’embauche.
On s’occupe de tout, de A à Z. Les compagnies nous confient leur personnel. Elles le veulent heureux, productif et bien reposé le matin. À nous de gérer.
— David Woods, responsable du BlackSand Camp
Au petit matin, après une nuit passée dans les lieux, nous avons compris: cette population fantôme est le prix que l’industrie consent à payer pour régner. Ces hommes sans attaches, nourris et blanchis à prix d’or, et aux dollars sans limites, se moquent bien de l’étendue blanche qu’ils retournent. Cette région n’est pas la leur. Ils la creusent et la survolent. Qui pourrait leur en vouloir? Ils ne votent pas, ne s’impliquent pas. C’est le pacte.

Le douanier

C’est à la douane que tout avait commencé, un jour de février 2011. Ma petite famille et moi venions de quitter la France pour le Canada. À notre arrivée, l’agent de l’immigration avait dit à mon plus jeune fils qui babillait: «Tu fais la jasette, toi!»
Huit mois plus tard, notre nouveau pays devenait le premier État au monde à se retirer du protocole de Kyoto sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. La raison, c’était précisément cette ville-champignon, là où l’autoroute 63 se perd, au nord de l’Alberta, riche en milliards de barils de pétrole: Fort McMurray, le trésor de guerre du Canada, une région de la taille de la Floride, plus vaste que la Hongrie, le site industriel le plus étendu de la planète.
Une ville qui raconte notre monde et qui allait devenir mon deuxième chez moi, trois hivers durant, au cœur d’une quête: jusqu’où la démocratie peut-elle se plier aux lois du marché? Et, nous, à notre dépendance à l’or noir?
Ces trois années, ce serait essentiellement ça: faire la jasette; et creuser une question obsédante: la démocratie est-elle soluble dans le pétrole?
De mes voyages, j’ai fait un jeu documentaire sur le web avec mon complice de toujours, Philippe Brault. Des centaines de milliers de personnes avaient pris le contrôle virtuel de la ville, surnommée par tous ici, ou presque, Fort McMoney.

Le trappeur

La rencontre avec Jim Rogers avait dû s’opérer dès les premiers jours de mon arrivée, par un simple regard et un large sourire, dans une de ces multiples réunions publiques où je traînais pour comprendre comment les institutions municipales s’y prennent pour contrôler vaille que vaille une situation qui les dépasse.
Si Dieu revenait ici, il dirait: «Mais qu’avez-vous fait de toutes ces richesses? Je vous ai offert tant de cadeaux! Vous ne pouviez pas faire mieux? Bande d’imbéciles! Vous brûlerez en enfer!»
— Jim Rogers
Jim est né à Fort McMurray même, en 1945. Il a vu la forêt rétrécir, puis disparaître, il a vu l’industrie tout bouffer. Il a travaillé pour elle, un temps, comme tout le monde ici – syndicaliste ou quelque chose comme ça. En ville, beaucoup prenaient Jim pour un gentil dingue. Le trappeur l’est sans doute sur les bords. Jim Rogers a la lucidité des fous, et c’est ce qui a fait de lui un ami. Il s’était déjà présenté à la mairie et disait, en souriant derrière ses lunettes épaisses (en fait, il en porte deux paires l’une sur l’autre; la première pour la vue, la seconde pour le soleil), qu’il songeait à récidiver.
Jim m’a raconté ce que son père avait deviné: un jour, la vallée de la rivière Athabasca serait la Ruhr du Canada. L’avenir du pays reposerait sur le Nord. Et Jim rappelait avec quel entrain les villageois de Fort McMurray des années 1970 se voyaient devenir le centre du monde. Ce serait pour bientôt, le temps que le prix du pétrole augmente assez pour que celui d’ici, si cher à extraire, devienne rentable, et que Fort McMurray, boomtown, devienne Fort McMoney.
Le gouvernement, qui dilapide nos ressources, a autorisé les magnats du pétrole à bâtir une zone pétrolière. Tout à coup, l’argent circule et les occasions de s’enrichir arrivent. Ce serait bien si ces gens devenaient riches. Mais c’est comme dans la ruée vers l’or, certains meurent en chemin, ou reviennent toxicomanes ou alcooliques – s’ils en reviennent! Et les gens se retrouvent à devoir lutter pour survivre comme dans tous les bidonvilles du monde. Ils achètent des maisons gigantesques au sommet des gisements, faites de panneaux stratifiés et de bardages en PVC, qui coûtent 500 000, 700 000 ou 900 000 dollars! Parce qu’il faut toujours voir grand, à Fort McMurray. C’est la folie des grandeurs! C’est comme une gigantesque arnaque. Le coût de la vie est tellement élevé ici qu’ils n’ont pas d’autre choix que d’être esclaves de l’industrie pétrolière, qui, en retour, les traite... comme des mendiants.
— Jim Rogers
Jim est tout en spectacle comme la ville; un concentré du siècle, aux mains du marché, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, une ville d’enfer, sans passé et sans présent, pour laquelle seul le futur compte, et encore, le très court terme, mouvant comme le sable dont elle est faite. En peu de temps, nous avons assisté à des deals de crack sur le capot de notre voiture, vu des jeunes hommes si cassés qu’ils étaient incapables de se nourrir; croisé des types qui nous conseillaient de ne pas les croiser; parlé aussi à des gens formidables dont certains croyaient en l’humanité, d’autres en l’argent; nous avons respiré l’odeur du fric et du pétrole (et cette odeur a un nom: l’ammoniac sorti des cheminées d’usines); scruté les étoiles des donateurs de l’hôpital (Syncrude, Shell, Suncor, une étoile chacun, accrochée dans le couloir central, des millions de dollars au total); assisté à un match de hockey de l’équipe de la ligue Junior, les Oil Barons; applaudi les Tar Sand Betties (le club de roller derby); nous avons encouragé Brigitte, six enfants et un mari dans le pétrole, lors de son premier concours de bikini-musculation dans la catégorie Mamans de Fort Mac; nous avons photographié les 36 liquor stores que compte la ville; nous avons écouté la première ministre de l’Alberta de l’époque, Alison Redford, remercier sur place le sponsor de son allocution, la compagnie Enbridge, bien décidée à imposer des milliers de kilomètres de tuyaux à travers le Canada; nous avons ri avec Randy River, un sans-abri connu de tous avec un conteneur pour seule maison; nous avons plongé dans la piscine Syncrude, avec son eau si bleue et ses palmiers si plastiques; déambulé dans le Career Fair, la foire aux métiers, avec ses stands clinquants et ses promesses de salaires mirobolants; nous avons admiré la Santa Claus Parade, offerte par Dodge et Total, à l’image de la ville: une parade insouciante et fière, bruyante et folle, généreuse et vendue aux marques.
Le rire de vacarme de Jim est sa meilleure arme contre ceux qu’il appelle les «gangsters». À la retraite, il vit de son petit lopin de terre à l’entrée de la ville. Le trappeur est en froid avec ceux qui veulent y faire passer une nouvelle bretelle d’autoroute. Les lumières de Fort McMurray ne brillent pas pour lui. Jim ne met jamais les pieds au Boomtown Casino qui, au cœur du cœur de la ville, les soirs de paye, se transforme en supermarché du gling-gling, 120 machines à sous, 2 000 mètres carrés de néons et de néant, jusqu’à 1 million de dollars pouvant s’y dépenser en une nuit selon les indiscrétions d’un vigile.
Jim était même resté indifférent à la démolition du Oil Sands Hotel. Bâti dans les années 1960, bien avant que l’heure de la ruée vers l’or ne sonne, l’hôtel des Sables bitumineux était pourtant une institution du coin. L’immeuble avait abrité pendant des décennies la Oil Can Tavern et ses bagarres, le Diggers Variety Club et ses trafics de drogue alentour, le Teasers Strip Club et ses filles. La ville venait de racheter la bâtisse pour 7,5 millions de dollars pour la raser et redorer son blason. Un soir, justement, Jim Rogers m’a invité à l’accompagner à la mairie en me promettant qu’on s’amuserait et que j’en apprendrais beaucoup sur la gestion de la petite ville.

La maire

À la tête de cette cité d’hommes, une femme joue un rôle clé depuis des années: la maire, Melissa Blake, une ancienne de chez Syncrude dont l’époux fait carrière dans l’autre compagnie-mère de la ville, Suncor. Melissa Blake est devenue un personnage important de ma quête. Je l’ai croisée partout, toujours aimable, pleine de bonne volonté. C’était elle, à la parade de Noël, qui avait lancé les festivités d’un coup de baguette magique. Elle, encore, qui remerciait la compagnie française Total pour avoir doublé l’espace du Total Fitness Club flambant neuf et ouvert à tous. C’est elle, toujours, qui récite la prière avant chaque conseil municipal. Et elle, enfin, qui semble tenir tête, comme elle peut, aux corporations du pétrole, malgré ses pieds et poings liés. Cette année-là, le budget colossal de la petite ville de 80 000 habitants allait atteindre le milliard de dollars, dont plus de 90 % provenait directement des taxes commerciales. Donc du pétrole.
Fort McMurray a connu une croissance phénoménale qui a fait de cette petite ville stable une très grande ville avec toutes les complications et les problèmes que ça implique. Je dirais que Fort McMurray est comme un adolescent grandissant très vite qui s’apprêterait à prendre des responsabilités d’adulte.
— Melissa Blake, maire
D’une certaine façon, Melissa Blake est le reflet contraire de Jim Rogers. La même fierté de vivre ici, mais une vision opposée. Elle, tout en retenue; lui, tout en flots de paroles. La perfection de l’une renvoie au chaos de l’autre. Entre la maire et le trappeur, c’est comme si notre civilisation était sommée de choisir. Pragmatisme économique contre utopie politique. Pétrole contre transparence. Capitalisme contre nature.
Un autre ancien candidat (défait) à la mairie de Fort McMurray nous a raconté pourquoi il avait décidé de quitter la ville, après trente années d’amour. Son sourire était franc, comme ses souvenirs des pressions exercées sur lui par les pétrolières quand il s’était mis en tête d’annoncer qu’il les surtaxerait. Au conseil municipal de la ville, le président de Syncrude l’avait accusé d’être «une sangsue» qui saignait les compagnies à blanc.
Des années plus tard, aux côtés de Jim, on s’est assis dans les rangs du public. Les choses avaient changé, c’était moins frontal, plus feutré. Ce soir de conseil municipal, le premier à prendre la parole était Ken Chapman, le directeur du Oil Sands Development Group, le lobby pétrolier. Un homme drôle, souriant, redoutable. Il avait droit à 5 minutes; il en eut 20, et les égards du conseil municipal. Fort McMoney sous nos yeux.
Le lobbyiste réclamait une baisse des taxes, plaidait sa ...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Page de titre
  3. Catalogage
  4. Mot de l’éditeur
  5. Du pétrole en territoire lubicon
  6. Les corbeaux (Trois hivers à Fort McMoney)
  7. Alberta: l’horreur «merveilleuse»
  8. La politique de la terre brûlée – Dialogue
  9. L’ange des sables bitumineux
  10. Table
  11. Déjà parus dans la collection «Lettres libres»
  12. Lux Éditeur
  13. Quatrième de couverture