Chapitre 1
Logement et capitalisme. La circulation et la fixation du capital dans lâespace rĂ©sidentiel
Dans son acception la plus courante, la notion de logement renvoie Ă deux caractĂ©ristiques. Le logement est dâabord une marchandise, câest-Ă -dire un bien que lâon achĂšte et que lâon vend. Pour certains, il peut ĂȘtre une source importante de revenus, alors que pour dâautres, il reprĂ©sente une dĂ©pense dont il faut sâacquitter tous les mois et qui peut peser lourd sur le budget. La dimension marchande du logement est aujourdâhui incontournable. Pour y avoir accĂšs et avant de pouvoir en faire usage, il faut, sauf Ă de rares exceptions, en payer le prix â une condition qui sâapplique, peu importe la localisation et la forme du logement. Le traitement mĂ©diatique dont il fait lâobjet nous en fournit dâailleurs une bonne illustration. Que ce soit dans les mises Ă jour des principaux indicateurs du marchĂ© de lâhabitation (tels que les mises en chantier, les prix et les taux dâintĂ©rĂȘt) publiĂ©es pĂ©riodiquement par les grands mĂ©dias ou dans les cahiers hebdomadaires que consacrent les journaux Ă la promotion de nouvelles tendances rĂ©sidentielles et de nouveaux projets dâhabitation, le logement y est avant tout prĂ©sentĂ© comme un bien commercial.
La seconde caractĂ©ristique du logement se rapporte Ă la fonction de protection quâil remplit Ă lâĂ©gard des individus. Avoir un toit sur la tĂȘte est considĂ©rĂ©, au mĂȘme titre que se nourrir et se vĂȘtir, comme un besoin de base et comme la source principale de sĂ©curitĂ© sur laquelle doit pouvoir compter tout individu pour mener une vie digne et Ă©panouie. Le logement est Ă ce titre â et depuis longtemps â revendiquĂ© comme un droit universel et Ă lâorigine de grandes mobilisations populaires. Lâimportance que lâon accorde au logement en tant quâabri tient ainsi Ă ce que cet objet physique reprĂ©sente davantage quâun assemblage de matĂ©riaux de construction dont on peut faire le commerce. Il porte en lui le pouvoir de rĂ©pondre Ă certaines nĂ©cessitĂ©s et aspirations humaines.
Aujourdâhui, la fonction de protection du logement est habituellement envisagĂ©e Ă lâaune dâune conception privĂ©e de lâespace rĂ©sidentiel. De ce point de vue, le sentiment de sĂ©curitĂ© quâil procure provient de sa capacitĂ© Ă fournir aux individus un refuge face Ă un monde. Le logement constitue un espace privĂ© qui, en plus de protĂ©ger des intempĂ©ries, permet de se retirer temporairement de la sociĂ©tĂ© et dâĂ©chapper Ă ses contraintes et dangers. Il offre un environnement oĂč chacun peut exercer un plus grand contrĂŽle sur sa vie et gagner en assurance. Ă lâabri des exigences du monde extĂ©rieur, lâindividu y trouve des conditions favorables Ă la libre expression de sa crĂ©ativitĂ© et de son autonomie. Parce quâil permet dâĂȘtre soi-mĂȘme, et non ce que la sociĂ©tĂ© ou les autres veulent que lâon soit, le «chez-soi» naissant dans lâespace privĂ© du logement est un «vecteur du soi». Certains le considĂšrent mĂȘme comme la principale source de «sĂ©curitĂ© ontologique», qui reprĂ©sente, selon le sociologue Anthony Giddens, le sentiment de confiance de base dont chacun doit disposer pour sâĂ©panouir. Selon cette conception privĂ©e du rapport au logement, lâaccĂšs Ă la propriĂ©tĂ© est encore plus bĂ©nĂ©fique puisquâil confĂšre au propriĂ©taire un droit exclusif sur lâespace quâil occupe. Quand ils sont chez eux, les propriĂ©taires nâont pas, dit-on, Ă se soumettre Ă lâautoritĂ© de quiconque.
Cette maniĂšre de concevoir le rapport au logement, qui est fortement ancrĂ©e dans lâimaginaire populaire occidental, conduit Ă un important paradoxe. Dâun cĂŽtĂ©, le logement permettrait de se soustraire aux pressions sociales et, ce faisant, de dĂ©velopper une individualitĂ© libre, responsable et autonome. De lâautre, la libertĂ© et lâautonomie que les individus dĂ©velopperaient Ă la maison ne sont ni Ă©trangĂšres ni opposĂ©es Ă la sociĂ©tĂ© Ă laquelle le logement leur permettrait dâĂ©chapper. Elles en sont les valeurs fondatrices. MĂȘme privĂ©, le logement nâest donc pas un lieu oĂč lâon sâexclut de la sociĂ©tĂ©. Il sâagit plutĂŽt dâun espace oĂč lâon adopte des maniĂšres de faire et de penser qui contribuent Ă faire de celle-ci ce quâelle est. Il constitue alors un habitat ou un domicile, câest-Ă -dire un mode dâinscription dans la sociĂ©tĂ© et un vecteur de sa reproduction.
Depuis longtemps, lâhabitat joue un rĂŽle central dans la dĂ©finition du mode dâexistence des individus et de leurs conditions de participation Ă la vie sociale. Dans la Rome antique, les rapports de clientĂšle et les inĂ©galitĂ©s politiques entre patriciens et plĂ©bĂ©iens se traduisaient et se maintenaient grĂące Ă deux formes dâhabitation, la domus, la demeure des riches Ă partir de laquelle ils exerçaient certaines de leurs responsabilitĂ©s civiques, et lâinsula, la principale forme dâhabitat populaire oĂč cohabitaient et travaillaient les pauvres, les petits artisans et commerçants de la citĂ©. Dans la ville mĂ©diĂ©vale, lâhabitat dĂ©finissait lâappartenance aux mĂ©tiers autour desquels la vie sociale Ă©tait organisĂ©e. Chaque corporation regroupait ses membres par rue dans des immeubles oĂč chacun trouvait Ă la fois un logement, un milieu dâapprentissage et un espace de travail. Aujourdâhui, le domicile est une condition dâaccĂšs Ă la citoyennetĂ© et aux droits politiques qui lui sont associĂ©s. Lâadresse de rĂ©sidence est nĂ©cessaire Ă lâobtention du droit de vote et Ă la rĂ©partition des Ă©lecteurs en circonscriptions ou districts Ă©lectoraux. Elle dĂ©termine Ă©galement dans quel Ă©tablissement scolaire chaque enfant peut se prĂ©valoir de son droit Ă lâĂ©ducation publique et gratuite. Mais quel lien existe-t-il, plus prĂ©cisĂ©ment, entre le mode dâorganisation de la sociĂ©tĂ© contemporaine et la double forme marchande et privĂ©e sous laquelle sây prĂ©sente le logement?
Pour rĂ©pondre Ă cette question, il nous faut dâabord insister sur la relative nouveautĂ© historique que reprĂ©sentent ces deux caractĂ©ristiques. En effet, les rapports marchand et privatif que nous entretenons aujourdâhui avec le logement nâont pas toujours Ă©tĂ© aussi dominants. Le marchĂ© de lâhabitation nâest apparu en AmĂ©rique du Nord quâavec la colonisation et lâimportation sur le continent du rĂ©gime de propriĂ©tĂ© privĂ©e de la terre. Nous aurons lâoccasion de revenir sur certains moments importants de cette histoire au chapitre suivant. Contentons-nous pour lâinstant de souligner le fait quâici comme en Europe, la propriĂ©tĂ© privĂ©e ne sâest pas imposĂ©e naturellement, mais plus souvent par la force et au prix de lâeffacement des diverses coutumes et traditions qui rĂ©gissaient le rapport Ă la terre. De plus, bien que la propriĂ©tĂ© privĂ©e lâait rendu possible, le commerce de la terre nâest pas immĂ©diatement devenu lâactivitĂ© rĂ©pandue que lâon connaĂźt aujourdâhui. DĂšs ses dĂ©buts, de riches marchands et spĂ©culateurs avaient certes su profiter du marchĂ© Ă©mergent de lâimmobilier; pour la majoritĂ© des colons, toutefois, lâaccĂšs Ă la propriĂ©tĂ© ne reprĂ©sentait pas une occasion commerciale, mais plutĂŽt la possibilitĂ© de sâĂ©tablir sur une terre, de la cultiver et de constituer un patrimoine familial Ă transmettre aux gĂ©nĂ©rations futures. Cette pratique a dâailleurs longtemps Ă©tĂ© encouragĂ©e par les politiques de colonisation qui offraient terre et logement aux colons arrivĂ©s dâEurope pour peupler le «nouveau» continent. Le Dominion Land Act adoptĂ© en 1872, qui en est sans doute lâexemple le plus rĂ©cent, visait Ă favoriser le peuplement des provinces de lâOuest canadien en distribuant des terres aux colons qui sâengageaient Ă en faire lâexploitation et Ă y construire leur rĂ©sidence familiale. Ainsi, lâattribution de droits privĂ©s sur la terre encourageait davantage Ă sây Ă©tablir quâĂ en faire le commerce.
Il en va de mĂȘme pour la conception privĂ©e et aujourdâhui dominante de lâespace rĂ©sidentiel. Jusquâau xixe siĂšcle, en AmĂ©rique du Nord, et de maniĂšre variable selon les rĂ©gions, la maison Ă©tait, chez les petits paysans, artisans ou commerçants, un espace multigĂ©nĂ©rationnel et multifonctionnel. Elle nâĂ©tait pas seulement le lieu oĂč chaque famille rĂ©pondait Ă ses principaux besoins domestiques (se nourrir, dormir et administrer des soins de base aux membres de la famille). Elle Ă©tait aussi lâendroit oĂč lâon travaillait, faisait lâĂ©ducation des enfants et pratiquait sa religion. On y hĂ©bergeait Ă©galement des servants, des apprentis et mĂȘme des personnes dĂ©pendantes de la communautĂ© (personnes ĂągĂ©es, malades, etc.) qui ne pouvaient compter sur le soutien de leur propre famille. Dans la maison dâautrefois, il y avait donc peu dâespace pour la vie familiale privĂ©e telle quâon la conçoit de nos jours, puisque dâautres membres de la communautĂ© et des activitĂ©s de nature publique (et productive) y avaient aussi leur place. Dâailleurs, la division fonctionnelle des piĂšces qui permet aujourdâhui la vie privĂ©e Ă lâintĂ©rieur du domicile Ă©tait pratiquement inexistante Ă lâĂ©poque. Habituellement, tous les membres de la famille Ă©largie dormaient au mĂȘme endroit, Ă lâexception parfois des maĂźtres qui disposaient dâun espace isolĂ©. Aux dĂ©buts de la colonisation au Canada, la maison type ne comportait quâune seule piĂšce. Elle fut progressivement remplacĂ©e par un autre modĂšle dâhabitation, le hall and parlour house, divisĂ© en deux piĂšces. La premiĂšre, le hall, servait gĂ©nĂ©ralement de cuisine, de site de production et de lieu principal de la vie familiale. La seconde, le parloir (parlour) ou le salon, Ă©tait lâendroit oĂč la famille recevait des visiteurs et installait la chambre principale. Ce type dâhabitation comportait souvent un second Ă©tage servant de chambre commune aux autres membres de la famille Ă©largie (enfants, grands-parents, logeurs) et dâespace dâentreposage. Dans le logement populaire montrĂ©alais sous le rĂ©gime français, on retrouvait une division de lâespace rudimentaire assez similaire, sĂ©parant les activitĂ©s diurnes des activitĂ©s nocturnes et ne comprenant pas de chambres individuelles. En somme, autant dans son amĂ©nagement que dans ses usages, le logement traditionnel Ă©tait avant tout un espace de production et de vie communautaire. Lâhabitation rĂ©servĂ©e aux membres de la famille nuclĂ©aire â et, plus encore, celle occupĂ©e par une personne seule â Ă©tait encore trĂšs loin dâĂȘtre la norme.
Câest dans les transformations sociales importantes provoquĂ©es par lâavĂšnement du capitalisme industriel et la gĂ©nĂ©ralisation du travail salariĂ© que le rapport marchand et privatif au logement trouvera, Ă compter du milieu du xixe siĂšcle, les conditions de sa diffusion. Lâessor rapide de la production de masse dans la grande industrie des centres urbains attirera par milliers des paysans et artisans pauvres Ă la recherche dâune vie meilleure. Ceux-ci laisseront derriĂšre eux leurs fermes, ateliers et pratiques traditionnelles dâautosubsistance pour se constituer en travailleurs salariĂ©s, câest-Ă -dire en travailleurs dĂ©pourvus de leurs moyens de production et, de ce fait, contraints de vendre leur force de travail en Ă©change dâun salaire. La gĂ©nĂ©ralisation du travail salariĂ© aura de nombreuses consĂ©quences, mais, dans le cas qui nous occupe, elle provoquera, au sein de lâhabitation populaire, la rupture de lâunitĂ© entre travail et logement ou, plus prĂ©cisĂ©ment, la marginalisation, voire la disparition, de la production Ă domicile. Ce bouleversement dans les conditions dâexistence entraĂźnera une transformation du rapport au logement qui se manifestera de deux façons.
Tout dâabord, pour les nouveaux travailleurs salariĂ©s, le logement cessera dâĂȘtre un lieu rattachĂ© Ă la terre, Ă lâatelier ou au commerce que lâon exploite soi-mĂȘme et que lâon a reçu dâun seigneur ou en hĂ©ritage. Il deviendra un bien de consommation auquel on accĂšde par lâintermĂ©diaire dâun marchĂ© (le marchĂ© de lâhabitation) en Ă©change dâune partie de son salaire gagnĂ© ailleurs (sur le marchĂ© du travail). Nous verrons au chapitre 3 que la forme typique (mais non exclusive) du logement ouvrier sera lâhabitation locative qui, selon les rĂ©gions, prendra diffĂ©rentes formes. Parce quâil faut payer pour y avoir accĂšs et que cette exigence se renouvelle tous les mois, ce type rĂ©sidentiel participera activement Ă lâintroduction et Ă la normalisation, autant dans les pratiques quotidiennes que dans les reprĂ©sentations, dâun rapport marchand et commercial au logement.
Lâexclusion de la production du domicile au profit dâun travail rĂ©alisĂ© ailleurs, non pas pour produire ses propres moyens de subsistance, mais pour le marchĂ©, transformera radicalement la vie rĂ©sidentielle. Elle en fera un espace oĂč chacun consomme grĂące Ă son salaire les marchandises produites par dâautres, dans le but premier de subvenir aux besoins de sa famille et de rĂ©gĂ©nĂ©rer lâaptitude de ses membres au travail pour le marchĂ©. Le logement deviendra ainsi un Ă©lĂ©ment important de lâexpansion du capitalisme industriel, en lui fournissant Ă la fois la main-dâĆuvre dont il a besoin et les dĂ©bouchĂ©s pour les marchandises quâil produit. Pour cette raison, il sera Ă©galement appelĂ© Ă se privatiser et Ă se replier sur les activitĂ©s strictement liĂ©es Ă la reproduction de lâunitĂ© familiale et Ă sa prĂ©paration au marchĂ© du travail. Ce mouvement de privatisation sâaccĂ©lĂ©rera avec la mise en place dâun rĂ©seau dâinstitutions scolaires et sociosanitaires destinĂ©es Ă prendre en charge les responsabilitĂ©s communautaires qui incombaient aux familles. Il sera Ă©galement promu par les rĂ©formateurs sociaux de lâĂ©poque et, au QuĂ©bec en particulier, par lâĂglise catholique. Ceux-ci voyaient dans lâorganisation de la vie domiciliaire autour de la famille nuclĂ©aire et de la petite propriĂ©tĂ© individuelle un moyen de combattre les dĂ©sordres moraux et sociaux entraĂźnĂ©s par lâindustrialisation et lâurbanisation, notamment la sĂ©paration des familles pendant la journĂ©e, les comportements dĂ©viants liĂ©s Ă la cohabitation dans les immeubles locatifs et la propagation des maladies. Ce modĂšle de la maison familiale privĂ©e prendra cependant un certain temps Ă se diffuser et Ă sâimplanter dans les milieux ouvriers, oĂč persisteront la cohabitation et la petite production Ă domicile. Il ne se rĂ©alisera pleinement que plusieurs dĂ©cennies plus tard, avec le dĂ©veloppement massif des municipalitĂ©s de banlieue (chapitre 3) et lâentrĂ©e en scĂšne de trois nouveaux acteurs: lâĂtat providence, les promoteurs immobiliers (chapitre 4) et les banques (chapitre 5).
Le bref survol des conditions dâorigine du rapport marchand et privĂ© au logement que nous venons dâeffectuer montre que cette maniĂšre de concevoir le «chez-soi», qui nous apparaĂźt aujourdâhui comme une Ă©vidence, est Ă©troitement associĂ©e Ă la naissance du capitalisme et de la production industrielle de masse comme forces sociales dominantes. Elle est non seulement le produit des importantes transformations sociales qui ont poussĂ© des masses dâindividus Ă se tourner vers le travail salariĂ© et la grande industrie, mais elle a Ă©galement fourni le cadre dans lequel le travail salariĂ© et la production industrielle ont pu se reproduire. En effet, le fait de devoir payer pour son logement et de ne pouvoir en faire usage autrement que pour la consommation des marchandises produites pour le marchĂ© permettait (et permet encore) de renouveler quotidiennement les exigences du travail salariĂ© et de la production marchande ainsi que les conditions de lâexpansion du capitalisme.
LâidĂ©e selon laquelle le logement dans les sociĂ©tĂ©s capitalistes serait un Ă©lĂ©ment constitutif du capitalisme lui-mĂȘme mĂ©rite, bien entendu, davantage de prĂ©cisions. Câest Ă cet exercice que seront consacrĂ©s les prochains chapitres, qui mettront en lumiĂšre le fait que la rencontre entre capitalisme et logement se rĂ©alise par lâintermĂ©diaire dâune institution centrale du monde contemporain: la propriĂ©tĂ© fonciĂšre. Mais il est avant tout nĂ©cessaire de prĂ©ciser ce que lâon entend par «capitalisme» et, Ă partir de ces quelques Ă©lĂ©ments de dĂ©finition, dâexaminer comment se pose la question du logement du strict point de vue du processus dâaccumulation capitaliste.
Capitalisme, accumulation et circulation du capital
DĂ©finir le capitalisme en quelques lignes nâest pas chose aisĂ©e. De lâimportante critique que Karl Marx en fait dans son cĂ©lĂšbre ouvrage intitulĂ© Le Capital, il est cependant possible de retenir trois caractĂ©ristiques qui en rĂ©sument les principaux fondements. PremiĂšrement, le capitalisme est une totalitĂ© sociale, câest-Ă -dire un ensemble diversifiĂ© de rapports sociaux et dâinstitutions qui font sociĂ©tĂ©. Le capitalisme nâa donc pas que des assises Ă©conomiques, comme on peut parfois le laisser entendre, mais comporte des dimensions politique et culturelle qui lui sont tout aussi essentielles. Ainsi, son existence et sa survie reposent non seulement sur sa capacitĂ© Ă prendre en charge la production et la consommation de biens et de services (lâactivitĂ© Ă©conomique), mais aussi sur son pouvoir de façonner les habitudes individuelles, lâimaginaire collectif et le mode dâorganisation de la vie sociale en gĂ©nĂ©ral dâune maniĂšre qui, autant que possible, lui est favorable.
DeuxiĂšmement, le capitalisme est fondĂ© â il sâagit de sa condition principale â sur la production de valeur qui tient sa source dans lâexploitation du travail salariĂ©. Ce dernier, qui nâexistait pas ou de façon trĂšs marginale dans les sociĂ©tĂ©s antĂ©rieures, se caractĂ©rise par le fait que les individus sont privĂ©s dâun accĂšs direct aux moyens leur permettant dâassurer eux-mĂȘmes leur subsistance et quâils doivent, pour ce faire, vendre Ă un capitaliste la seule chose quâils possĂšdent, leur capacitĂ© Ă travailler (ou force de travail). En tant que propriĂ©taire des moyens de production et organisateur du procĂšs de travail, le capitaliste, qui prend plus souvent de nos jours la forme dâune entitĂ© juridique (une sociĂ©tĂ©), a la capacitĂ© de soutirer aux travailleurs quâil embauche plus de valeur quâil ne leur en verse sous forme de salaire. Cependant, le travail salariĂ© dont se nourrit le capital nâest pas une condition quâil trouve devant lui tout naturelleme...