Le promoteur, la banque et le rentier
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Le promoteur, la banque et le rentier

Fondements et Ă©volution du logement capitaliste

  1. 449 pages
  2. French
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Le promoteur, la banque et le rentier

Fondements et Ă©volution du logement capitaliste

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Il n'est pas courant de considĂ©rer sa rĂ©sidence d'abord et avant tout comme une marchandise intrinsĂšquement liĂ©e Ă  l'Ă©conomie capitaliste. Pourtant, ce chez-soi dont on a tant rĂȘvĂ©, et auquel on a finalement accĂšs, a Ă©tĂ© construit puis mis en vente ou en location par des entreprises capitalistes, sur un marchĂ© qui s'adresse Ă  des consommateurs dont le pouvoir d'achat provient lui-mĂȘme d'un autre marchĂ©, celui du travail. Et, comme l'a dĂ©montrĂ© la crise de 2008, le marchĂ© de l'immobilier peut subir des bouleversements considĂ©rables, affectant de maniĂšre drastique l'Ă©conomie et la sociĂ©tĂ© dans son ensemble. Dans cet ouvrage, Louis Gaudreau entreprend d'illustrer le caractĂšre Ă©volutif de la relation entre capitalisme et logement, en retraçant l'histoire de ses trois principaux protagonistes: le promoteur, la banque et le rentier. Car mĂȘme si le marchĂ© de l'habitation fait depuis longtemps partie intĂ©grante du capitalisme, il n'est plus le mĂȘme qu'au xixesiĂšcle ou qu'il y a trente ans. Il s'appuie dĂ©sormais sur des logiques financiarisĂ©es qui en modifient le fonctionnement. Cette tendance impose de nouvelles conditions au dĂ©veloppement du logement et Ă  ses usages, qui rĂ©vĂšlent Ă  leur tour la façon dont se pose aujourd'hui la question du droit au logement.

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Informations

Éditeur
Lux Éditeur
Année
2020
ISBN
9782895967781
Sous-sujet
Immobilier

Chapitre 1
Logement et capitalisme. La circulation et la fixation du capital dans l’espace rĂ©sidentiel

Dans son acception la plus courante, la notion de logement renvoie Ă  deux caractĂ©ristiques. Le logement est d’abord une marchandise, c’est-Ă -dire un bien que l’on achĂšte et que l’on vend. Pour certains, il peut ĂȘtre une source importante de revenus, alors que pour d’autres, il reprĂ©sente une dĂ©pense dont il faut s’acquitter tous les mois et qui peut peser lourd sur le budget. La dimension marchande du logement est aujourd’hui incontournable. Pour y avoir accĂšs et avant de pouvoir en faire usage, il faut, sauf Ă  de rares exceptions, en payer le prix – une condition qui s’applique, peu importe la localisation et la forme du logement. Le traitement mĂ©diatique dont il fait l’objet nous en fournit d’ailleurs une bonne illustration. Que ce soit dans les mises Ă  jour des principaux indicateurs du marchĂ© de l’habitation (tels que les mises en chantier, les prix et les taux d’intĂ©rĂȘt) publiĂ©es pĂ©riodiquement par les grands mĂ©dias ou dans les cahiers hebdomadaires que consacrent les journaux Ă  la promotion de nouvelles tendances rĂ©sidentielles et de nouveaux projets d’habitation, le logement y est avant tout prĂ©sentĂ© comme un bien commercial.
La seconde caractĂ©ristique du logement se rapporte Ă  la fonction de protection qu’il remplit Ă  l’égard des individus. Avoir un toit sur la tĂȘte est considĂ©rĂ©, au mĂȘme titre que se nourrir et se vĂȘtir, comme un besoin de base et comme la source principale de sĂ©curitĂ© sur laquelle doit pouvoir compter tout individu pour mener une vie digne et Ă©panouie. Le logement est Ă  ce titre – et depuis longtemps – revendiquĂ© comme un droit universel et Ă  l’origine de grandes mobilisations populaires. L’importance que l’on accorde au logement en tant qu’abri tient ainsi Ă  ce que cet objet physique reprĂ©sente davantage qu’un assemblage de matĂ©riaux de construction dont on peut faire le commerce. Il porte en lui le pouvoir de rĂ©pondre Ă  certaines nĂ©cessitĂ©s et aspirations humaines.
Aujourd’hui, la fonction de protection du logement est habituellement envisagĂ©e Ă  l’aune d’une conception privĂ©e de l’espace rĂ©sidentiel. De ce point de vue, le sentiment de sĂ©curitĂ© qu’il procure provient de sa capacitĂ© Ă  fournir aux individus un refuge face Ă  un monde. Le logement constitue un espace privĂ© qui, en plus de protĂ©ger des intempĂ©ries, permet de se retirer temporairement de la sociĂ©tĂ© et d’échapper Ă  ses contraintes et dangers. Il offre un environnement oĂč chacun peut exercer un plus grand contrĂŽle sur sa vie et gagner en assurance. À l’abri des exigences du monde extĂ©rieur, l’individu y trouve des conditions favorables Ă  la libre expression de sa crĂ©ativitĂ© et de son autonomie. Parce qu’il permet d’ĂȘtre soi-mĂȘme, et non ce que la sociĂ©tĂ© ou les autres veulent que l’on soit, le «chez-soi» naissant dans l’espace privĂ© du logement est un «vecteur du soi». Certains le considĂšrent mĂȘme comme la principale source de «sĂ©curitĂ© ontologique», qui reprĂ©sente, selon le sociologue Anthony Giddens, le sentiment de confiance de base dont chacun doit disposer pour s’épanouir[4]. Selon cette conception privĂ©e du rapport au logement, l’accĂšs Ă  la propriĂ©tĂ© est encore plus bĂ©nĂ©fique puisqu’il confĂšre au propriĂ©taire un droit exclusif sur l’espace qu’il occupe. Quand ils sont chez eux, les propriĂ©taires n’ont pas, dit-on, Ă  se soumettre Ă  l’autoritĂ© de quiconque[5].
Cette maniĂšre de concevoir le rapport au logement, qui est fortement ancrĂ©e dans l’imaginaire populaire occidental, conduit Ă  un important paradoxe. D’un cĂŽtĂ©, le logement permettrait de se soustraire aux pressions sociales et, ce faisant, de dĂ©velopper une individualitĂ© libre, responsable et autonome. De l’autre, la libertĂ© et l’autonomie que les individus dĂ©velopperaient Ă  la maison ne sont ni Ă©trangĂšres ni opposĂ©es Ă  la sociĂ©tĂ© Ă  laquelle le logement leur permettrait d’échapper. Elles en sont les valeurs fondatrices. MĂȘme privĂ©, le logement n’est donc pas un lieu oĂč l’on s’exclut de la sociĂ©tĂ©. Il s’agit plutĂŽt d’un espace oĂč l’on adopte des maniĂšres de faire et de penser qui contribuent Ă  faire de celle-ci ce qu’elle est. Il constitue alors un habitat ou un domicile, c’est-Ă -dire un mode d’inscription dans la sociĂ©tĂ© et un vecteur de sa reproduction[6].
Depuis longtemps, l’habitat joue un rĂŽle central dans la dĂ©finition du mode d’existence des individus et de leurs conditions de participation Ă  la vie sociale. Dans la Rome antique, les rapports de clientĂšle et les inĂ©galitĂ©s politiques entre patriciens et plĂ©bĂ©iens se traduisaient et se maintenaient grĂące Ă  deux formes d’habitation, la domus, la demeure des riches Ă  partir de laquelle ils exerçaient certaines de leurs responsabilitĂ©s civiques, et l’insula, la principale forme d’habitat populaire oĂč cohabitaient et travaillaient les pauvres, les petits artisans et commerçants de la citĂ©. Dans la ville mĂ©diĂ©vale, l’habitat dĂ©finissait l’appartenance aux mĂ©tiers autour desquels la vie sociale Ă©tait organisĂ©e. Chaque corporation regroupait ses membres par rue dans des immeubles oĂč chacun trouvait Ă  la fois un logement, un milieu d’apprentissage et un espace de travail[7]. Aujourd’hui, le domicile est une condition d’accĂšs Ă  la citoyennetĂ© et aux droits politiques qui lui sont associĂ©s. L’adresse de rĂ©sidence est nĂ©cessaire Ă  l’obtention du droit de vote et Ă  la rĂ©partition des Ă©lecteurs en circonscriptions ou districts Ă©lectoraux. Elle dĂ©termine Ă©galement dans quel Ă©tablissement scolaire chaque enfant peut se prĂ©valoir de son droit Ă  l’éducation publique et gratuite. Mais quel lien existe-t-il, plus prĂ©cisĂ©ment, entre le mode d’organisation de la sociĂ©tĂ© contemporaine et la double forme marchande et privĂ©e sous laquelle s’y prĂ©sente le logement?
Pour rĂ©pondre Ă  cette question, il nous faut d’abord insister sur la relative nouveautĂ© historique que reprĂ©sentent ces deux caractĂ©ristiques. En effet, les rapports marchand et privatif que nous entretenons aujourd’hui avec le logement n’ont pas toujours Ă©tĂ© aussi dominants. Le marchĂ© de l’habitation n’est apparu en AmĂ©rique du Nord qu’avec la colonisation et l’importation sur le continent du rĂ©gime de propriĂ©tĂ© privĂ©e de la terre. Nous aurons l’occasion de revenir sur certains moments importants de cette histoire au chapitre suivant. Contentons-nous pour l’instant de souligner le fait qu’ici comme en Europe, la propriĂ©tĂ© privĂ©e ne s’est pas imposĂ©e naturellement, mais plus souvent par la force et au prix de l’effacement des diverses coutumes et traditions qui rĂ©gissaient le rapport Ă  la terre[8]. De plus, bien que la propriĂ©tĂ© privĂ©e l’ait rendu possible, le commerce de la terre n’est pas immĂ©diatement devenu l’activitĂ© rĂ©pandue que l’on connaĂźt aujourd’hui. DĂšs ses dĂ©buts, de riches marchands et spĂ©culateurs avaient certes su profiter du marchĂ© Ă©mergent de l’immobilier; pour la majoritĂ© des colons, toutefois, l’accĂšs Ă  la propriĂ©tĂ© ne reprĂ©sentait pas une occasion commerciale, mais plutĂŽt la possibilitĂ© de s’établir sur une terre, de la cultiver et de constituer un patrimoine familial Ă  transmettre aux gĂ©nĂ©rations futures. Cette pratique a d’ailleurs longtemps Ă©tĂ© encouragĂ©e par les politiques de colonisation qui offraient terre et logement aux colons arrivĂ©s d’Europe pour peupler le «nouveau» continent. Le Dominion Land Act adoptĂ© en 1872, qui en est sans doute l’exemple le plus rĂ©cent, visait Ă  favoriser le peuplement des provinces de l’Ouest canadien en distribuant des terres aux colons qui s’engageaient Ă  en faire l’exploitation et Ă  y construire leur rĂ©sidence familiale. Ainsi, l’attribution de droits privĂ©s sur la terre encourageait davantage Ă  s’y Ă©tablir qu’à en faire le commerce[9].
Il en va de mĂȘme pour la conception privĂ©e et aujourd’hui dominante de l’espace rĂ©sidentiel. Jusqu’au xixe siĂšcle, en AmĂ©rique du Nord, et de maniĂšre variable selon les rĂ©gions, la maison Ă©tait, chez les petits paysans, artisans ou commerçants, un espace multigĂ©nĂ©rationnel et multifonctionnel. Elle n’était pas seulement le lieu oĂč chaque famille rĂ©pondait Ă  ses principaux besoins domestiques (se nourrir, dormir et administrer des soins de base aux membres de la famille). Elle Ă©tait aussi l’endroit oĂč l’on travaillait, faisait l’éducation des enfants et pratiquait sa religion. On y hĂ©bergeait Ă©galement des servants, des apprentis et mĂȘme des personnes dĂ©pendantes de la communautĂ© (personnes ĂągĂ©es, malades, etc.) qui ne pouvaient compter sur le soutien de leur propre famille[10]. Dans la maison d’autrefois, il y avait donc peu d’espace pour la vie familiale privĂ©e telle qu’on la conçoit de nos jours, puisque d’autres membres de la communautĂ© et des activitĂ©s de nature publique (et productive) y avaient aussi leur place. D’ailleurs, la division fonctionnelle des piĂšces qui permet aujourd’hui la vie privĂ©e Ă  l’intĂ©rieur du domicile Ă©tait pratiquement inexistante Ă  l’époque. Habituellement, tous les membres de la famille Ă©largie dormaient au mĂȘme endroit, Ă  l’exception parfois des maĂźtres qui disposaient d’un espace isolĂ©. Aux dĂ©buts de la colonisation au Canada, la maison type ne comportait qu’une seule piĂšce. Elle fut progressivement remplacĂ©e par un autre modĂšle d’habitation, le hall and parlour house, divisĂ© en deux piĂšces. La premiĂšre, le hall, servait gĂ©nĂ©ralement de cuisine, de site de production et de lieu principal de la vie familiale. La seconde, le parloir (parlour) ou le salon, Ă©tait l’endroit oĂč la famille recevait des visiteurs et installait la chambre principale. Ce type d’habitation comportait souvent un second Ă©tage servant de chambre commune aux autres membres de la famille Ă©largie (enfants, grands-parents, logeurs) et d’espace d’entreposage[11]. Dans le logement populaire montrĂ©alais sous le rĂ©gime français, on retrouvait une division de l’espace rudimentaire assez similaire, sĂ©parant les activitĂ©s diurnes des activitĂ©s nocturnes et ne comprenant pas de chambres individuelles[12]. En somme, autant dans son amĂ©nagement que dans ses usages, le logement traditionnel Ă©tait avant tout un espace de production et de vie communautaire. L’habitation rĂ©servĂ©e aux membres de la famille nuclĂ©aire – et, plus encore, celle occupĂ©e par une personne seule – Ă©tait encore trĂšs loin d’ĂȘtre la norme.
C’est dans les transformations sociales importantes provoquĂ©es par l’avĂšnement du capitalisme industriel et la gĂ©nĂ©ralisation du travail salariĂ© que le rapport marchand et privatif au logement trouvera, Ă  compter du milieu du xixe siĂšcle, les conditions de sa diffusion. L’essor rapide de la production de masse dans la grande industrie des centres urbains attirera par milliers des paysans et artisans pauvres Ă  la recherche d’une vie meilleure. Ceux-ci laisseront derriĂšre eux leurs fermes, ateliers et pratiques traditionnelles d’autosubsistance pour se constituer en travailleurs salariĂ©s, c’est-Ă -dire en travailleurs dĂ©pourvus de leurs moyens de production et, de ce fait, contraints de vendre leur force de travail en Ă©change d’un salaire. La gĂ©nĂ©ralisation du travail salariĂ© aura de nombreuses consĂ©quences, mais, dans le cas qui nous occupe, elle provoquera, au sein de l’habitation populaire, la rupture de l’unitĂ© entre travail et logement ou, plus prĂ©cisĂ©ment, la marginalisation, voire la disparition, de la production Ă  domicile[13]. Ce bouleversement dans les conditions d’existence entraĂźnera une transformation du rapport au logement qui se manifestera de deux façons.
Tout d’abord, pour les nouveaux travailleurs salariĂ©s, le logement cessera d’ĂȘtre un lieu rattachĂ© Ă  la terre, Ă  l’atelier ou au commerce que l’on exploite soi-mĂȘme et que l’on a reçu d’un seigneur ou en hĂ©ritage. Il deviendra un bien de consommation auquel on accĂšde par l’intermĂ©diaire d’un marchĂ© (le marchĂ© de l’habitation) en Ă©change d’une partie de son salaire gagnĂ© ailleurs (sur le marchĂ© du travail). Nous verrons au chapitre 3 que la forme typique (mais non exclusive) du logement ouvrier sera l’habitation locative qui, selon les rĂ©gions, prendra diffĂ©rentes formes. Parce qu’il faut payer pour y avoir accĂšs et que cette exigence se renouvelle tous les mois, ce type rĂ©sidentiel participera activement Ă  l’introduction et Ă  la normalisation, autant dans les pratiques quotidiennes que dans les reprĂ©sentations, d’un rapport marchand et commercial au logement.
L’exclusion de la production du domicile au profit d’un travail rĂ©alisĂ© ailleurs, non pas pour produire ses propres moyens de subsistance, mais pour le marchĂ©, transformera radicalement la vie rĂ©sidentielle. Elle en fera un espace oĂč chacun consomme grĂące Ă  son salaire les marchandises produites par d’autres, dans le but premier de subvenir aux besoins de sa famille et de rĂ©gĂ©nĂ©rer l’aptitude de ses membres au travail pour le marchĂ©. Le logement deviendra ainsi un Ă©lĂ©ment important de l’expansion du capitalisme industriel, en lui fournissant Ă  la fois la main-d’Ɠuvre dont il a besoin et les dĂ©bouchĂ©s pour les marchandises qu’il produit. Pour cette raison, il sera Ă©galement appelĂ© Ă  se privatiser et Ă  se replier sur les activitĂ©s strictement liĂ©es Ă  la reproduction de l’unitĂ© familiale et Ă  sa prĂ©paration au marchĂ© du travail. Ce mouvement de privatisation s’accĂ©lĂ©rera avec la mise en place d’un rĂ©seau d’institutions scolaires et sociosanitaires destinĂ©es Ă  prendre en charge les responsabilitĂ©s communautaires qui incombaient aux familles. Il sera Ă©galement promu par les rĂ©formateurs sociaux de l’époque et, au QuĂ©bec en particulier, par l’Église catholique[14]. Ceux-ci voyaient dans l’organisation de la vie domiciliaire autour de la famille nuclĂ©aire et de la petite propriĂ©tĂ© individuelle un moyen de combattre les dĂ©sordres moraux et sociaux entraĂźnĂ©s par l’industrialisation et l’urbanisation, notamment la sĂ©paration des familles pendant la journĂ©e, les comportements dĂ©viants liĂ©s Ă  la cohabitation dans les immeubles locatifs et la propagation des maladies. Ce modĂšle de la maison familiale privĂ©e prendra cependant un certain temps Ă  se diffuser et Ă  s’implanter dans les milieux ouvriers, oĂč persisteront la cohabitation et la petite production Ă  domicile. Il ne se rĂ©alisera pleinement que plusieurs dĂ©cennies plus tard, avec le dĂ©veloppement massif des municipalitĂ©s de banlieue (chapitre 3) et l’entrĂ©e en scĂšne de trois nouveaux acteurs: l’État providence, les promoteurs immobiliers (chapitre 4) et les banques (chapitre 5).
Le bref survol des conditions d’origine du rapport marchand et privĂ© au logement que nous venons d’effectuer montre que cette maniĂšre de concevoir le «chez-soi», qui nous apparaĂźt aujourd’hui comme une Ă©vidence, est Ă©troitement associĂ©e Ă  la naissance du capitalisme et de la production industrielle de masse comme forces sociales dominantes. Elle est non seulement le produit des importantes transformations sociales qui ont poussĂ© des masses d’individus Ă  se tourner vers le travail salariĂ© et la grande industrie, mais elle a Ă©galement fourni le cadre dans lequel le travail salariĂ© et la production industrielle ont pu se reproduire. En effet, le fait de devoir payer pour son logement et de ne pouvoir en faire usage autrement que pour la consommation des marchandises produites pour le marchĂ© permettait (et permet encore) de renouveler quotidiennement les exigences du travail salariĂ© et de la production marchande ainsi que les conditions de l’expansion du capitalisme.
L’idĂ©e selon laquelle le logement dans les sociĂ©tĂ©s capitalistes serait un Ă©lĂ©ment constitutif du capitalisme lui-mĂȘme mĂ©rite, bien entendu, davantage de prĂ©cisions. C’est Ă  cet exercice que seront consacrĂ©s les prochains chapitres, qui mettront en lumiĂšre le fait que la rencontre entre capitalisme et logement se rĂ©alise par l’intermĂ©diaire d’une institution centrale du monde contemporain: la propriĂ©tĂ© fonciĂšre. Mais il est avant tout nĂ©cessaire de prĂ©ciser ce que l’on entend par «capitalisme» et, Ă  partir de ces quelques Ă©lĂ©ments de dĂ©finition, d’examiner comment se pose la question du logement du strict point de vue du processus d’accumulation capitaliste.

Capitalisme, accumulation et circulation du capital

DĂ©finir le capitalisme en quelques lignes n’est pas chose aisĂ©e. De l’importante critique que Karl Marx en fait dans son cĂ©lĂšbre ouvrage intitulĂ© Le Capital, il est cependant possible de retenir trois caractĂ©ristiques qui en rĂ©sument les principaux fondements. PremiĂšrement, le capitalisme est une totalitĂ© sociale, c’est-Ă -dire un ensemble diversifiĂ© de rapports sociaux et d’institutions qui font sociĂ©tĂ©. Le capitalisme n’a donc pas que des assises Ă©conomiques, comme on peut parfois le laisser entendre, mais comporte des dimensions politique et culturelle qui lui sont tout aussi essentielles. Ainsi, son existence et sa survie reposent non seulement sur sa capacitĂ© Ă  prendre en charge la production et la consommation de biens et de services (l’activitĂ© Ă©conomique), mais aussi sur son pouvoir de façonner les habitudes individuelles, l’imaginaire collectif et le mode d’organisation de la vie sociale en gĂ©nĂ©ral d’une maniĂšre qui, autant que possible, lui est favorable.
DeuxiĂšmement, le capitalisme est fondĂ© – il s’agit de sa condition principale – sur la production de valeur qui tient sa source dans l’exploitation du travail salariĂ©. Ce dernier, qui n’existait pas ou de façon trĂšs marginale dans les sociĂ©tĂ©s antĂ©rieures, se caractĂ©rise par le fait que les individus sont privĂ©s d’un accĂšs direct aux moyens leur permettant d’assurer eux-mĂȘmes leur subsistance et qu’ils doivent, pour ce faire, vendre Ă  un capitaliste la seule chose qu’ils possĂšdent, leur capacitĂ© Ă  travailler (ou force de travail). En tant que propriĂ©taire des moyens de production et organisateur du procĂšs de travail, le capitaliste, qui prend plus souvent de nos jours la forme d’une entitĂ© juridique (une sociĂ©tĂ©), a la capacitĂ© de soutirer aux travailleurs qu’il embauche plus de valeur qu’il ne leur en verse sous forme de salaire. Cependant, le travail salariĂ© dont se nourrit le capital n’est pas une condition qu’il trouve devant lui tout naturelleme...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Page de titre
  3. Crédits
  4. Préface
  5. Introduction
  6. 1 – Logement et capitalisme. La circulation et la fixation du capital dans l’espace rĂ©sidentiel
  7. 2 – La propriĂ©tĂ© fonciĂšre. Fondements et origines
  8. 3 – Le taudis, la maison unifamiliale et le condo. Les transformations de la consommation et des modes de vie rĂ©sidentiels
  9. 4 – De l’autoconstruction à la promotion immobiliùre. La production capitaliste du logement
  10. 5 – De l’hypothĂšque Ă  la spĂ©culation financiĂšre sur le logement. Le financement rĂ©sidentiel capitaliste
  11. 6 – De l’activisme rentier Ă  la rente financiarisĂ©e. PropriĂ©tĂ© fonciĂšre, rente et soumission du logement au capital
  12. Conclusion
  13. Remerciements
  14. Bibliographie sélective
  15. Table des matiĂšres
  16. QuatriĂšme de couverture