“Les mésaventures récentes de Kate une amie d'Alice”109
« J'ai, depuis le début de ma vie, vraiment vécu intensément. J'ai vu énormément de choses. À une certaine époque de ma vie, j'ai eu le sentiment d'avoir été jusque-là trop heureuse… Tout semblait s'ordonner trop bien, j'avais l'impression que ma vie suivait une sorte de ligne harmonieuse naturelle. J'étais en paix avec moi-même, sereine, confiante en l'avenir. Rien ne semblait devoir troubler le miroir limpide d'une existence tout à fait lisse, parfaite, du moins en apparence. Mais ce serait mentir, à commencer à moi-même, de me cacher que derrière cette “perfection” se dissimulait je ne sais quoi, une sorte de remords, une insatisfaction, une inquiétude peut-être ; le sentiment en filigrane d'une nostalgie informulée, inavouée, mais toujours présente sous la surface de ma vie consciente. Je n'étais évidemment en rien préparée à ce qui m'est arrivé plus tard, ni à un tel bouleversement dans ma vie. Tout est survenu tellement vite ! Les événements se sont précipités… Ils se sont succédés si rapidement, semant la panique dans ma famille. Surtout chez ma mère… »
« Quand avez-vous connu Alice ? »
« Dès le premier jour de ma vie puisqu'elle m'a vue naître ! Je la connais depuis toujours ! Dès mon premier regard sur le monde, dès que la lumière a effleuré mes yeux, elle était présente.
Il y a un an, j'étais à la montagne, dans la station des Arcs. Mon beau-père m'avait donné une photo de la chapelle vieille de quelques années. Il en avait fait faire un bel agrandissement. Or, je n'avais qu'une idée en tête l'an passé, justement : me rendre aux Arcs. J'en ressentais la pressante nécessité, comme si j'y étais contrainte…
Après une longue marche en montagne, je suis enfin sortie de la forêt mais je ne voyais pas encore la chapelle… Je me suis sentie alors très lasse, très malheureuse, j'avais le sentiment d'être abandonnée. Je ne comprenais pas pourquoi j'étais venue là, pourquoi je m'étais éreintée à marcher aussi loin, sans but précis, sans une raison sérieuse. Je ressentais alors de très vives douleurs au ventre, puis une terrible vibration dans tout le corps. Un épouvantable malaise m'enveloppait toute entière, l'angoisse se condensait en une boule compacte qui obstruait ma gorge, j'avais la sensation que deux mains terribles m'étranglaient férocement. Puis, brusquement, tout s'est dissipé. Je me suis, à ce moment-là, retrouvée pantelante… vidée, assise à même le sol. Les vannes de mon corps et de mon âme se sont alors ouvertes et j'ai senti un torrent de larmes couler sur mon visage, inonder mes mains, mon cou, une insoutenable sensation de chaleur m'enveloppait. Une fournaise semblait tourbillonner autour de moi, dans un froissement d'air aux sonorités de feuilles mortes…
… Jusqu'à ce que j'aie recours à mon pendule110, je puis dire que j'étais en paix, vraiment sereine, vraiment bien dans ma vie. Après, tout a changé. Mais je ne regrette rien. C'était sans doute mon destin. J'étais auparavant très attirée par la nature. Il ne m'était jamais arrivé de vivre de tels états psychiques. Quelque chose s'est libéré en moi, quelque chose que je ne m'explique pas mais qui a pris son essor et qui m'a transformée. Peut-on parler d'une métamorphose ? Je suis devenue autre. Que dire ? Avant je donnais tout ce que je pouvais de moi-même dans ma vie professionnelle. Je le faisais par amour, parce que j'avais besoin de donner, tout était naturel. Ma vie s'écoulait comme un fleuve paisible. C'était magnifique… »
« Avant ces événements, vous aviez l'usage du pendule ? Qui vous en avait donné l'idée ? »
« Un jour je ne savais vraiment pas quoi faire, je me sentais à la fois désœuvrée mais en même temps possédée par une envie sourde de quelque chose de nouveau, d'inconnu. J'avais soif de nouveauté, un désir prenant, impérieux. Je me sentais attirée par un nouveau territoire à découvrir, à explorer mais sans savoir où le trouver. C'était une sorte d'appel.
Je ne sais ni pourquoi ni comment, mes pas m'ont conduite comme un somnambule jusqu'à la librairie L'irrationnel”. Il est vrai que je me suis toujours sentie attirée par l'ésotérisme. J'étais en train de feuilleter des livres dont je tournais les pages assez distraitement, simultanément, je percevais quelque chose qui miroitait hors de mon champ de vision. Subitement, j'ai aperçu les pendules. J'ai ressenti alors un vrai choc, une émotion puissante. C'était comme si une porte s'était soudainement ouverte en moi. Un pendule fixait mes regards, il était fait d'une pierre qui me fascinait littéralement. Le cristal devenait liquide, comme une mouvance aquatique. J'entrevoyais un immense espace au cœur de la pierre : cet objet me plaisait. Rationnellement, je n'avais aucun désir de pratiquer le pendule ni aucune expérience en la matière. Je me suis décidée à l'acheter car je le trouvais beau.
Il est longtemps resté dans son étui et de temps en temps je le prenais au creux de ma main pour le caresser comme l'on tient une relique précieuse… Je regardais la pierre porteuse de lumière. Plus je la regardais, plus je la trouvais belle, plus elle semblait faire partie de moi-même.
J'eus l'idée d'en faire un collier.
… À quelque temps de là, je revins aux Arcs après avoir traversé une petite épreuve. En fait, ce fut un véritable traumatisme affectif. Le choc intérieur n'avait pas été perçu par mon entourage mais il avait laissé des traces. J'étais atteinte à mon insu et sans que je veuille me l'avouer. C'est peut-être en raison d'une sensibilité trop vive que je ressens les événements, les contrariétés avec une acuité hors du commun.
J'avais en effet perdu une personne âgée à laquelle je m'étais très attachée. Elle avait été brutalement emportée en quelques heures à la suite d'un collapsus cardiaque.
Il serait plus exact de parler d'un asile. Le mot est laid et la réalité, est elle aussi, cruelle. Il ne s'agit pas de vieillards mais de simples d'esprits, de trisomiques, pour la plupart des personnes sans famille ou abandonnées de leurs proches.
L'établissement accueille également des malades mentaux et certains handicapés moteurs… »
« Pourquoi avez-vous quitté votre premier métier ? »
« Parce que j'avais besoin de donner aux autres. »
« Etes-vous très maternante ? Très attentive aux autres ? »
« J'en éprouvais le besoin. En fait, en 1996, il y a eu le décès de mon grand-père, de ma grand-mère, puis celui d'Alice. Après, tout a été clair dans ma tête. Je voulais apporter aux autres. Pour moi, l'esthétique n'était que de la superficialité, je ne supportais plus mon métier.
J'éprouve le besoin de venir en aide, d'assister, de protéger. Peut-être en d'autres temps aurais-je été religieuse ? Le décès de mon grand-père, suivi de près par celui de ma grand-mère, puis par la disparition d'Alice, m'ont fait vivre une année terrible, un vrai calvaire. J'étais atteinte au plus profond de moi-même alors que mon couple faisait naufrage.
Mon époux s'en est allé et j'ai déménagé. Je ne voulais absolument pas rester à ne rien faire. C'est une question d'amour propre, de dignité. J'ai lu une annonce de recrutement d'une maison médicalisée destinée aux handicapés majeurs. Le hasard m'y a conduite.
Vous savez, la vie est partout, elle est lumière et la lumière intérieure est celle qui compte avant tout.
Dans mon couple, rien n'allait plus depuis longtemps. C'est triste à dire mais je n'en pouvais plus. En réalité, je me suis sentie obligée de partir. Quelque chose en moi était mort. Contre cela, il n'y a aucune solution, personne ne peut rien. Nos chemins divergeaient, nous nous sommes séparés.
C'est donc grave mon état psychique ? »
« Mais non, si vous savez faire la différence entre ce que vous imaginez et la réalité. »
« Je me fais peur toute seule. C'est le pendule qui a tout déclenché. »
« Alice est morte, elle vit dans un autre monde. Comment le pendule peut-il vous permettre de prendre contact avec elle ? »
« J'utilise avec le pendule les lettres de l'alphabet, en oscillant entre elles, elles forment des phrases. Forcément, c'était très captivant, très intéressant. J'ai trouvé cela extraordinaire. »
« Vous disposez les lettres de l'alphabet en constituant un cercle, et vous faites ensuite osciller votre pendule pour constituer des mots puis des phrases ? »
« Exactement, je suis retournée cette année à la chapelle aux Arcs et j'y ai brûlé un cierge. J'y étais vraiment bien, en paix. »
« Etes-vous très croyante ? »
« Non, je ne suis pas croyante. J'avais acheté mon pendule aux Arcs et des livres sur le monde des spirites. »
« Un jeu était à la mode au Canada, il y a une tr...