Chapitre 1
Amour, liberté, relation
Toute vie affective, quelle qu’elle soit, repose essentiellement sur la satisfaction des besoins d’amour et de liberté, sans quoi la relation dégénère progressivement et
ne connaît jamais l’accomplissement. Ces deux besoins fondamentaux et siamois sont à la relation ce que la lumière
et l’eau sont à la fleur. Ils en assurent la vie, la durée et
l’épanouissement.
Amour, liberté, relation : trois réalités humaines indissociables et tellement profondes qu’il apparaît impossible
de les définir sans réduire leur essence même et sans les
priver de la totalité de leur nature véritable. Aussi, dans ce
chapitre, pour situer le lecteur, je tenterai de leur donner le
sens qui correspond au cadre de cet ouvrage, en demeurant
consciente des limites des mots à rendre justice à l’illimité,
à l’infini, à l’impénétrable qu’ils représentent.
Amour
Avant de donner une définition de l’amour, j’ai choisi
de parler d’amour à partir de questions que se pose un
jour ou l’autre toute personne impliquée dans une relation
affective :
- Est-ce que j’aime vraiment ?
- Comment savoir si mon amour est profond ou superficiel, authentique ou artificiel, réel ou illusoire ?
Pour répondre à ces questions, je comparerai l’amour véritable à un soleil. Pour communiquer son ardeur, il a nécessairement besoin des rayons de l’affection, de la tendresse,
de l’attachement, de l’engagement, de la passion, du dévouement, de l’authenticité et de la complicité. Dans toute
relation amoureuse et affective réussie, l’amour véritable
repose toujours sur deux volets incontournables et aussi importants l’un que l’autre : l’amour de l’autre et l’amour de soi.
La personne uniquement centrée sur elle-même ne connaîtra jamais le véritable amour. Par contre, celle qui s’oublie
constamment pour satisfaire les besoins de l’être aimé
se verra toujours privée du sentiment réel d’amour vrai et
épanouissant.
Aimer vraiment, c’est donc apprendre, par l’expérience
de la vie, à conjuguer harmonieusement, dans une
relation amoureuse, l’amour de soi et l’amour de l’autre
dans un contexte où sont inlassablement nourris
et entretenus l’attachement, l’affection, la tendresse,
l’engagement, la passion, le dévouement, l’authenticité
et la complicité.
Seul un tel amour peut ouvrir les portes de la prison
psychique dans laquelle sont enfermés ceux dont l’expérience affective a été source d’insatisfaction par manque de
liberté.
Liberté et relation
Adolescente, j’étais convaincue que la véritable liberté
résidait dans le fait de faire tout ce que je voulais, quand je
voulais, où je voulais et avec qui je voulais. Inutile de dire
que ma conviction m’a causé de nombreux affrontements
avec mes parents, qui ne partageaient pas mon point de
vue. Aussi, lorsqu’ils m’ont appris qu’ils m’avaient inscrite au
pensionnat, j’ai réagi intensément. Je me suis retirée dans
ma chambre et j’ai refusé de manger pendant trois jours.
J’espérais ainsi qu’ils reviendraient sur leur décision. Ils n’ont
pas bougé. J’ai dû me conformer à leur volonté. J’avais quatorze ans. J’ai été pensionnaire pendant six. À cette époque
de ma vie, j’étais loin de me douter que je remercierais un
jour mes parents pour leur ténacité.
De nombreuses personnes sont malheureuses dans leurs
relations amoureuses parce qu’elles conçoivent la liberté
comme moi lorsque j’étais adolescente. Elles veulent « faire »
ce qu’elles veulent. Une telle conception conduit inévitablement à la déception et à la souffrance parce qu’elle est illusoire, en ce sens qu’elle ne tient pas compte de l’autre.
En fait, si, dans une relation amoureuse,
chacun « fait » tout ce qu’il veut
sans considérer aussi les besoins de l’être aimé, la relation n’existe tout simplement pas.
C’est d’ailleurs à cette forme extérieure de la liberté que
donnent priorité la plupart des dictionnaires, où on l’associe
à l’absence de contrainte, de dépendance et d’engagement.
Quand le Petit Robert définit la relation comme « un lien de
dépendance ou d’influence réciproque entre des personnes », on pourrait déduire que la liberté et la relation sont
incompatibles.
Cela signifierait donc que la mère qui est en lien affectif avec son enfant, que l’homme qui vit une relation amoureuse et que celui qui s’attache à un ami ne sont pas libres.
Il deviendrait donc impossible de parler de liberté dans ce
contexte de relations affectives limité à la liberté extérieure,
cette forme de liberté qui, comme le souligne Krisnamurti,
consiste à « agir selon notre fantaisie1».
Bien sûr, cet aspect de la liberté n’est pas négligeable. Il
est important, voire essentiel, dans le cadre de nos relations
amoureuses, de jouir d’une certaine liberté d’action dans
nos loisirs, nos comportements, notre vie personnelle et
relationnelle. Cependant, si nous limitons notre conception
de la liberté à ce seul aspect, s’ensuivra la croyance que la
liberté dans une relation consiste à faire tout ce que nous
voulons, quand nous le voulons et comme nous le voulons.
Absolument irréaliste, cette conception de la liberté exclut
toute possibilité de relation véritable. Elle devient l’expression d’un ego hypertrophié qui fait complètement abstraction des autres et de la réalité de la relation amoureuse,
laquelle n’existe pas sans contraintes, sans interdépendance
et sans engagement.
Liberté et contrainte sont-elles incompatibles ?
Pour comprendre ce qu’est la réalité de la relation amoureuse au sens où je l’entends, il faut savoir que la relation est
l’établissement d’un lien entre deux personnes et qu’un lien sert précisément à unir, à rapprocher, à attacher. La relation amoureuse
se caractérise donc par l’union, le rapprochement et l’attachement. En fait, elle est le pont qui relie deux rives, c’est à-dire deux personnes différentes. Ces deux personnes
doivent s’engager dans la construction et l’entretien de ce
même pont, sans lequel chacune d’elles ne pourrait rencontrer l’autre en profondeur.
La relation affective comporte donc une contrainte
fondamentale sans laquelle elle n’existerait pas.
Cette contrainte consiste à créer de part et d’autre un
lien, à le maintenir et à l’entretenir par l’investissement
personnel réciproque. Les personnes concernées par ce
processus relationnel doivent prendre cet engagement,
sinon leur relation est destinée à l’insatisfaction, aux
conflits ou à l’échec. Aucune liberté n’existe donc sans
cette contrainte d’investissement réciproque.
C’est donc irréaliste et utopique de définir la liberté par
l’absence de contrainte, d’investissement et d’engagement.
Une relation affective ne peut être empreinte de bonheur
s’il n’y a qu’une seule personne qui s’occupe du pont, qui
participe, s’engage et s’attache. Entrer dans une véritable
relation, c’est emprunter un chemin sur lequel existent trois
composantes indispensables qui ont toutes les trois besoin
d’être constamment nourries : soi-même, l’autre et la relation. Sans cette dernière composante, symbolisée par le
pont, il n’existerait que deux individus isolés chacun sur sa
rive et entretenant l’illusion d’une plus grande liberté. Cette
forme de liberté est fausse parce qu’elle est l’expression des
peurs qui maintiennent en esclavage les protagonistes sur
leur propre rive et les empêchent de satisfaire pleinement
leur besoin, souvent inconscient, d’attachement.
Toutefois, si la relation amoureuse n’existe pas sans
contraintes, sans attachement et sans engagement, comment pouvons-nous y satisfaire le besoin profond de liberté
qui nous habite tous ?
Le besoin vital de liberté
La liberté est, chez l’être humain,
un besoin psychique fondamental,
un besoin normal aussi fort et puissant
que le besoin d’amour, de reconnaissance et de sécurité.
Pour être aimés, reconnus, sécurisés et libres, nous développons un fonctionnement qui exerce un impact sur toutes
nos relations amoureuses. Nous sommes d’ailleurs souvent
déchirés entre tous nos besoins. Ces conflits internes nous
font adopter, à notre insu, des comportements contradictoires et incohérents. Ceux-ci nous entraînent parfois vers
des difficultés relationnelles chroniques. Nous cherchons
alors uniquement à l’extérieur de nous-mêmes les réponses à nos questionnements et les solutions à nos problèmes. Dans notre recherche de liberté, nous ne nous rendons
pas compte que nous nous emprisonnons, car la véritable
liberté, celle qui nous permet de nous engager sans nous
sentir étouffés, réside à l’intérieur de nous.
La liberté dont il est question ici n’exclut cependant pas la
peur et ne se limite pas à la seule dimension immatérielle.
Il ne s’agit pas de cette sorte de liberté désincarnée dans
laquelle la personne ne ressent plus ses émotions et ses
besoins et se retrouve complètement détachée de la réalité
pour se perdre dans la dépersonnalisation. Il ne s’agit pas
non plus d’une liberté paradisiaque qui n’admet pas la souffrance et qui arrache l’être humain à sa vraie nature en lui
retirant son corps, son cœur, son âme ou sa tête.
La vraie liberté
Quelle est alors cette sorte de liberté qui ne détrône pas
le sentiment profond d’amour, mais qui, au contraire, l’entretient et le nourrit ? Que signifie l’expression « être libre »
dans le contexte d’une relation amoureuse ?
Être libre dans une relation amoureuse, c’est :
- être entièrement soi-même ;
- assurer la totale responsabilité de sa vie ;
- avoir le courage d’arrêter des choix, de prendre des décisions et d’en assumer les conséquences ;
- écouter et composer harmonieusement avec son
monde intérieur.
Il nous arrive tous, un jour ou l’autre, de croire que ce qui
nous emprisonne dans nos relations amoureuses, ce sont
les événements et surtout « l’autre ». En réalité, les véritables causes de notre sentiment de privation de liberté se
situent ailleurs. Si nous nous sentons parfois limités, c’est
d’abord parce que nous manquons d’authenticité et que
nous donnons à l’être aimé tout le pouvoir sur notre vie en
lui attribuant la responsabilité de nos besoins comme de
nos problèmes, de nos malaises et de nos échecs.
Une autre cause de notre perte de liberté quand nous
aimons se situe dans notre résistance à faire des choix. Nous
laissons les autres choisir à notre place et il en résulte pour
nous un sentiment constant d’impuissance. Dans le cas où
nous arrivons à choisir, nous perdons parfois notre sentiment
de liberté quand nous n’assumons pas les conséquences de
nos choix. Aussi sommes-nous prêts à choisir de vivre une
relation amoureuse faite exclusivement de moments de plaisir. Dès qu’une douleur naît ou que nous devons assumer la
contrainte de l’investissement, nous réagissons par la fuite,
le blâme, le rejet, la fermeture ou la culpabilisation.
Nous reconnaissons tous une partie de nous-mêmes
dans ce portrait. Par ailleurs, si nous sommes honnêtes,
nous pouvons admettre que, si nous choisissons la relation
amoureuse, c’est souvent parce que nous assumons mal les
conséquences de la solitude. Le problème majeur se situe
dans le fait que nous ne sommes pas toujours conscients de
ce qui motive nos choix et nos comportements.
Habitués, par l’éducation, à garder toujours le regard à
l’extérieur de nous-mêmes, nous ne connaissons pas les
mécanismes internes qui nous renvoient constamment d’un
échec à un autre ou d’un conflit à un autre. Trop souvent,
nos conditionnements nous privent de la liberté que nous
recherchons avec tant d’ardeur. Le but de ce livre est précisément de vous offrir les moyens de trouver cette liberté
aimante qui nous permet enfin de nous abandonner au véritable bonheur d’un amour tendre, engagé, passionné,
authentique et complice. Trouver cette forme d’amour reste
impossible sans accéder à la liberté fondamentale de rester
toujours entièrement nous-mêmes. Tel sera l’objet du prochain chapitre.
Chapitre 2
La liberté d’être soi
Comme nous l’avons vu au chapitre précédent, beaucoup de personnes croient que ce qui les prive de leur sentiment de liberté dans leurs relations amoureuses et affectives, c’est l’impossibilité de faire ce qu’elles veulent. Elles se croient emprisonnées par les besoins des autres, par les contraintes de la vie à deux ou par les responsabilités qui leur incombent dans la vie amoureuse. La réalité est tout autre. Ces personnes cherchent la cause de leur sentiment d’emprisonnement à la mauvaise place.
En effet, ni les contraintes ni les responsabilités ne nous enlèvent notre liberté. Si c’était le cas, personne au monde ne serait libre puisqu’une vie sans contraintes et sans responsabilités, cela n’existe pas.
Nous perdons notre sentiment profond de liberté dans une relation affective quand, par peur de perdre, de blesser ou par peur du jugement, du rejet ou du conflit, nous ne nous donnons pas la liberté d’être nous-mêmes. Autrement dit, il n’y a pas de véritable liberté dans la vie amoureuse sans authenticité.
L’authenticité
Être authentique, c’est être entièrement soi-même et agir dans le respect de sa vérité profonde, c’est-à-dire de son ressenti, de ses besoins, de ses désirs, de ses valeurs, de ses goûts et de ses priorités.
L’enfant, lui, n’apprend pas à être authentique, il l’est naturellement. Spontanément il vit sa peine et exprime de manière intacte ce qu’il veut ou ne veut pas. Trop souvent jugé, rejeté ou réprimé par ses éducateurs dans l’expression de certaines émotions, de certains besoins, de certains intérêts et, comme il ne veut pas perdre leur amour, il devient progressivement un personnage qui agit en fonction de l’opinion des autres.
Évidemment une personne n’est jamais entièrement authentique ni jamais intégralement fausse. Tout dépend de son histoire personnelle, des circonstances dans lesquelles elle se trouve et des personnes qu’elle rencontre. Notre sentiment de liberté est toujours plus grand lorsque nous nous retrouvons en présence de ces gens avec qui nous nous permettons d’être davantage nous-mêmes et d’exprimer sans honte nos besoins, nos opinions, nos émotions sans peur d’être jugés. Autrement nous sommes limités par un personnage qui dépend du regard des autres et qui est emprisonné par ses peurs.
La peur, destructrice de liberté
La peur non accueillie nous empêche parfois d’être authentiques, d’écouter et d’exprimer nos émotions, nos besoins et nos opinions.
Nous craignons de souffrir, de blesser, de perdre, de déranger, d’être humiliés, jugés, critiqués. Nous avons aussi peur de l’inconnu qui nous habite, peur de découvrir en nous ce que nous rejetons chez les autres, peur de la réaction de la personne aimée si nous nous exprimons authentiquement et peur, surtout, de ne pas être en mesure de ressentir nos propres émotions désagréables.
Notre manque d’authenticité s’exprime par des mécanismes de défense qui nous protègent, à court terme, contre les émotions i...