Le concept dâinnovation peut comporter plusieurs sens et soulĂšve de ce fait de nombreux dĂ©bats. Ainsi, lâessor des TI (les technologies de lâinformation) a relancĂ© la polĂ©mique qui sâoriente de plus en plus vers la maniĂšre dâapprĂ©hender lâinnovation et de la distinguer de lâinvention, de la crĂ©ativitĂ© et dâautres notions apparentĂ©es. En effet, du dĂ©terminisme Ă la socioconstruction, lâĂ©volution sĂ©mantique et Ă©pistĂ©mologique de cette notion a Ă©tĂ© notable. Cette derniĂšre sâest ainsi grandement enrichie Ă la suite des travaux tant des sociologues de lâinnovation, qui abordent autrement lâessor de lâobjet technique, que des auteurs Ă©volutionnistes, qui mettent lâaccent sur la dynamique du processus de lâinnovation.
Le rapport entre la technique et le social est le point central qui distingue nettement lâassise Ă©pistĂ©mologique des auteurs qui, selon la reprĂ©sentation quâils se font du monde, optent soit pour traiter distinctement le monde des techniques et celui des humains, soit pour gommer les barriĂšres entre les deux. Les auteurs peuvent aussi opter pour une approche linĂ©aire et dĂ©terministe ou, au contraire, pour une approche dynamique et non linĂ©aire. Le passage dâune innovation qui sâimpose et impose son rĂšgne aux humains Ă un processus dynamique qui Ă©merge, Ă©volue et se reconstruit par les interactions sociales quâil suscite et qui se tissent autour de lui a constituĂ© une Ă©volution dans la pensĂ©e. Cette Ă©volution sâest reflĂ©tĂ©e dans les mĂ©thodes et les outils dâanalyse des phĂ©nomĂšnes liĂ©s aux objets techniques.
Avant de passer en revue cette Ă©volution Ă©pistĂ©mologique, nous allons dâabord dĂ©finir la notion dâinnovation et ses diffĂ©rents types, notamment lâinnovation de produit et de procĂ©dĂ©, lâinnovation organisationnelle et lâinnovation en marketing. Nous dĂ©finirons ensuite les innovations incrĂ©mentale (ou graduelle) et radicale avant de nous attarder Ă lâinnovation sociale, un concept assez rĂ©cent par rapport aux autres types dâinnovation.
1. DĂ©finition et typologie de lâinnovation
1.1. DĂ©finition de lâinnovation
Le verbe « innover » tire son origine du mot latin innovare, lui-mĂȘme issu de novus. Lâinnovation nâest pas limitĂ©e Ă un seul domaine ou champ dâĂ©tudes ; elle intĂ©resse aussi plusieurs disciplines, notamment la stratĂ©gie, lâĂ©conomie, la sociologie, la finance. Le terme innovation est souvent accompagnĂ© de prĂ©cisions qui le circonscrivent dans une discipline ou dans un champ donnĂ©, par exemple lâinnovation technique, lâinnovation sociale.
Lâinnovation se distingue de lâinvention dans la mesure oĂč elle requiert une utilisation effective, qui aboutit nĂ©cessairement Ă un changement social : lâinnovation renvoie Ă la diffusion ou Ă la socialisation rĂ©ussie de lâinvention (Alter, 2000). Le terme innovation sâapplique ainsi aux inventions qui ont
accĂ©dĂ© au stade dâun produit nouveau, effectivement rĂ©alisĂ© et Ă©conomiquement viable, et produit en sĂ©rie plus ou moins limitĂ©e. Si Papin a inventĂ© la marmite Ă vapeur et SĂ©guin la chaudiĂšre tubulaire, ce sont la machine Ă vapeur de Watt et la locomotive de Trevithick que [je] considĂ©rerai comme de grandes innovations. Bien sĂ»r, la frontiĂšre ne sera pas toujours aussi nette, la rĂ©alitĂ© Ă©tant gĂ©nĂ©ralement plus complexe (Jacomy, 1990 : 27).
La distinction entre innovation et invention a Ă©tĂ© introduite pour la premiĂšre fois par Schumpeter, qui a dĂ©fini lâinvention comme la conception des nouveautĂ©s dâordres diffĂ©rents qui peuvent ĂȘtre de nouveaux produits ou mĂ©thodes de production, de nouveaux dĂ©bouchĂ©s, de nouvelles matiĂšres premiĂšres, une rĂ©organisation des structures de la firme, de nouvelles technologies, etc. Quant Ă lâinnovation, qui renvoie au processus de diffusion dâune invention, elle se prĂ©sente comme une mise en marchĂ© des inventions ou comme leur intĂ©gration dans un milieu social. Ce processus est caractĂ©risĂ© par le passage dâune situation dâinvention, oĂč les contraintes externes sont inexistantes ou indĂ©pendantes, vers une phase dâinnovation caractĂ©risĂ©e par une logique propre Ă lâusage social et oĂč subsistent des contraintes Ă©conomiques ou Ă©thiques. Ces derniĂšres peuvent constituer un obstacle qui pourrait confiner une invention Ă son stade embryonnaire dâidĂ©e de gĂ©nie dĂ©nuĂ©e de sens pratique et dĂ©tachĂ©e de la rĂ©alitĂ© sociale (Alter, 2000).
1.2. Typologie de lâinnovation
Les Ă©crits sur lâinnovation reconnaissent lâexistence de diffĂ©rences dans la nature des innovations mises en Ćuvre par les organisations. Ces derniĂšres, dans une quĂȘte dâefficacitĂ© et dâamĂ©lioration continue, procĂšdent par innovation de procĂ©dĂ©, de produit ou par innovation organisationnelle ou, encore, par une combinaison de divers types dâinnovations. Il peut sâagir dâinnovations radicales (importantes, marquant une rupture technologique) ou incrĂ©mentales/graduelles pour lâun ou lâautre type dâinnovation. Un autre type dâinnovation est lâinnovation sociale qui, depuis quelques annĂ©es, a Ă©mergĂ© comme une rĂ©ponse Ă de nouvelles prĂ©occupations ou Ă de nouveaux besoins des individus ou des collectivitĂ©s.
Nous prĂ©sentons sommairement la typologie classique de lâinnovation, qui englobe les innovations portant sur les applications et les innovations selon leur degrĂ© de nouveautĂ©, avant de passer Ă lâexplication dâun autre type dâinnovation, soit lâinnovation sociale.
Les innovations portant sur les applications
Les innovations portant sur les applications sont généralement regroupées en trois catégories.
- Lâinnovation de produit. Elle peut toucher soit lâaspect du produit, soit son contenu technique, le but Ă©tant dâamĂ©liorer son design ou dâaccroĂźtre sa fonctionnalitĂ© pour son utilisateur.
- Lâinnovation de procĂ©dĂ©. Elle correspond Ă la modification des outils ou des technologies de production en vue dâamĂ©liorer la productivitĂ©, la qualitĂ©, etc.
- Lâinnovation organisationnelle. Il sâagit dâune innovation non technologique qui peut prendre plusieurs formes : lâadoption de mĂ©thodes avancĂ©es de gestion, de nouvelles mĂ©thodes dâorganisation du travail, de mĂ©thodes japonaises comme le kaizen et le juste-Ă -temps ou encore une modification des orientations stratĂ©giques ou lâadoption de nouvelles orientations stratĂ©giques dans lâentreprise. Cette innovation sâapparente Ă lâinnovation de procĂ©dĂ© dans la mesure oĂč elle dĂ©bouche sur un changement des mĂ©thodes de travail, mais le changement est issu dans ce cas dâune transformation organisationnelle et non dâun changement dans les outils ou processus de production.
Dans sa derniĂšre version de 2005, le Manuel dâOslo, un ouvrage de rĂ©fĂ©rence en matiĂšre dâinnovation de lâOrganisation de coopĂ©ration et de dĂ©veloppement Ă©conomiques (OCDE), distingue une quatriĂšme forme dâinnovation : lâinnovation en marketing ou innovation de commercialisation. Celle-ci implique un changement dans lâune des quatre bases du marketing, Ă savoir la conception ou le conditionnement, le placement, la promotion ou la tarification. Le but poursuivi par cette innovation est de mettre en Ćuvre des concepts et des mĂ©thodes de mise en marchĂ© qui rompent avec les mĂ©thodes de commercialisation traditionnelles en vue de faciliter lâaccĂšs du produit au marchĂ©.
Les innovations selon leur degrĂ© dâintensitĂ©
La deuxiĂšme maniĂšre dâanalyser les innovations renvoie au degrĂ© de nouveautĂ© de ces innovations, soit lâinnovation incrĂ©mentale (graduelle) par opposition Ă lâinnovation radicale. Lâinnovation incrĂ©mentale implique un changement linĂ©aire et cumulatif dans un processus ou un produit ; ce changement correspond Ă des amĂ©liorations mineures ou Ă de simples ajustements aux pratiques et aux connaissances existantes. Lâinnovation radicale, pour sa part, est non linĂ©aire et suscite des changements de paradigme faisant appel Ă une nouvelle connaissance pour changer la pratique existante (Orlikowski, 1992). Dewar et Dutton (1986) prĂ©cisent que la principale diffĂ©rence entre lâinnovation radicale et lâinnovation incrĂ©mentale est le degrĂ© de nouveautĂ© du processus et des connaissances intĂ©grĂ©es dans lâinnovation.
Pour sa part, Orlikowski (1992) note que les deux catĂ©gories de lâinnovation (radicale et incrĂ©mentale) ne sont pas distinctes ; elles sont conçues comme les extrĂ©mitĂ©s dâun continuum reprĂ©sentant le niveau du savoir contenu dans une innovation. Toutefois, ce continuum thĂ©orique ne permet dâĂ©tudier ces deux innovations que comme deux pĂŽles distincts, car les valeurs composant le milieu du continuum sont difficiles Ă interprĂ©ter (Dewar et Dutton, 1986). Ainsi, lâinnovation radicale et lâinnovation incrĂ©mentale sont difficiles Ă dĂ©finir et Ă mesurer, et la distinction entre elles demeure floue, car elle est basĂ©e sur la perception quâont les individus de la nature de la connaissance « imbriquĂ©e » dans lâinnovation. Comme les perceptions changent dâune personne Ă lâautre selon lâexpĂ©rience, la position et lâexpertise, les frontiĂšres entre les deux types dâinnovations sont brouillĂ©es et font rarement lâobjet de consensus. En outre, les innovations elles-mĂȘmes changent de statut au fil du temps. Câest le cas des grandes inventions, par exemple la locomotive Ă vapeur qui, de nos jours, est confinĂ©e au rang de curiositĂ© historique (Dewar et Dutton, 1986 ; Orlikowski, 1992). Pourtant, les innovations incrĂ©mentale et radicale diffĂšrent largement quant Ă lâapproche de gestion quâelles requiĂšrent, au regard du risque quâelles comportent, au temps nĂ©cessaire pour leur dĂ©veloppement et aux ressources quâelles nĂ©cessitent.
Lâinnovation sociale : une nouvelle rĂ©ponse Ă des situations sociales particuliĂšres
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