PARTIE 1 /
LA GPR
Contexte, enjeux et concepts
CHAPITRE 1 /
La gestion par résultats
Un cadre conceptuel de gestion de la performance
globale des organisations de l’État
Bachir Mazouz, avec la collaboration de Younes Belfellah
Résumé
Propulsée par des organisations publiques internationales dans la foulée du nouveau management public (NMP), la GPR est aujourd’hui institutionnalisée. Elle constitue un cadre officiel de gestion pour de nombreux organismes et administrations publics. En articulant deux des concepts clés de la GPR, à savoir la performance et les résultats, autour des capacités organisationnelle, managériale, stratégique et d’apprentissage, les auteurs de ce chapitre disposent dans un premier volet d’éléments contextuels qui ont légitimé la réforme des appareils publics et, dans un deuxième, soutenu des pratiques et des outils qui se sont avérés structurants, pour en présenter un cadre conceptuel de GPR. Le troisième volet expose des enseignements tirés d’expériences menées au Québec depuis les années 1994-1995.
Les exigences citoyennes, la dynamique des marchés, la pluralité des rôles et l’évolution des missions de l’État ainsi que l’avancement des pratiques de management sont autant de facteurs qui contribuent à la légitimation des transformations subies ou initiées par les administrations publiques et d’autres organisations de l’État. Ces transformations sont généralement perçues sous l’angle des adaptations organisationnelles et managériales nécessaires à la «performance» des structures d’offres de service public. En dépit du caractère polysémique du concept de performance, qui reflète une diversité théorique et conceptuelle foisonnante et très évolutive (Fouchet, 1999), elle est aujourd’hui assimilée à la notion de résultats. D’un point de vue institutionnel, pour que les résultats de l’action publique soient systématiquement et judicieusement ciblés, suivis, contrôlés, mesurés, évalués et améliorés de manière continue, la GPR a été imposée par des lois pour constituer un cadre officiel de gestion publique. C’est le cas de la GPRA1 aux États-Unis, de la LOLLF2 en France et de la LAP3 au Québec. Cependant, sur le plan conceptuel les tenants de la GPR sont toujours en quête d’un cadre théorique général de management de la performance des administrations et des organisations de l’État.
Ce chapitre est consacré à la présentation d’un cadre conceptuel de la GPR. Dans un premier volet, sont présentés des éléments contextuels et des considérations conceptuelles permettant de cerner les enjeux et définir les notions de performance publique, de GPR et des capacités qui la construisent ainsi que ses limites fonctionnelles et pratiques. Dans un deuxième volet, des illustrations empiriques sont présentées à travers des administrations et des organismes publics ayant développé des pratiques de GPR afin d’améliorer leur performance. Dans un troisième volet, des enseignements sont tirés quant aux potentialités, difficultés et limites de la GPR comme cadre général de gestion de la performance publique.
1.1 /Les éléments contextuels et les considérations conceptuelles de la GPR
Les administrations et organismes publics sont de plus en plus perçus comme des hybrides organisationnels. D’un côté, ces organisations de l’État ont des attributs organisationnels bureaucratiques légitimés par une finalité publique non lucrative relevant du bien commun, de l’intérêt général et des services publics, dont le financement repose sur l’impôt et dont le contrôle relève des pouvoirs publics et prend la forme de procédures administratives ou politiques. D’un autre côté, ces mêmes administrations et organismes publics s’ouvrent à des sources de financement privées, mettent en placent des mécanismes de planification, d’organisation, de décision, de contrôle, de suivi et d’évaluation relevant du marché. En effet, les gouvernements soumis à de fortes pressions budgétaires, économiques et concurrentielles se voient de plus en plus amenés à trancher entre des choix guidés par le régime public et la privatisation des structures d’offres de service public. Ils se voient alors confrontés à des difficultés d’arbitrage entre les aspects de création de valeur et de redistribution de la richesse. Ce faisant, les artisans de l’hybridation des appareils publics tentent des transformations statutaires4 et managériales à des fins de performance publique dont la GPR est le corollaire.
1.1.1 /L’avènement du NMP, un contexte favorisant les débats sur la performance publique
Dans les pays occidentaux, l’avancement des pratiques associées au nouveau management public a considérablement marqué la structure et le fonctionnement des administrations publiques. Axée à tort ou à raison sur des pratiques et des outils de gestion traditionnellement associés aux entreprises du secteur privé, la rhétorique médiatique et parfois même des analyses universitaires faites sur des données relatives à la transformation des organisations de l’État ont fréquemment défrayé la chronique depuis la fin des Trente Glorieuses5.
Considérant la place singulière des organisations publiques dans les orientations stratégiques de l’État6, il est pertinent aujourd’hui d’aborder ouvertement leur performance. Pour faire face à des situations économique, sociale, démographique, énergétique, sécuritaire et budgétaire difficiles et pour renouer avec la croissance, des pratiques et des outils de gestion véhiculés par les tenants au NMP ont pu avoir des échos favorables à la performance publique sur plusieurs niveaux.
Face à un endettement qualifié d’endémique par les organisations internationales financières et non financières (Mazouz et Comeau, 2009), le NMP a trouvé écho favorable en Nouvelle-Zélande puis au Royaume-Uni, au début des années 1980, avant de conquérir bien d’autres pays de tradition anglo-saxonne. Ses promoteurs ont d’abord tenté d’introduire dans les administrations et organismes publics des valeurs, des structures d’offres de service et des modes de fonctionnement traditionnellement associés aux entreprises (privées) pour remédier à l’inefficience des structures bureaucratiques et aux déficits démocratique et managérial caractérisant les organisations d’État. Faisant l’éloge d’une approche de gestion au détriment de l’approche juridico-administrative des affaires publiques, les tenants au NMP ont particulièrement réussi à attirer l’attention et concentrer les analyses et les critiques sur les «résultats» de l’«action» publiques et de ses structures d’offres de service. Ce faisant, ils ont associé la performance publique à l’introduction d’éléments de compétition, de réduction des coûts, d’amélioration de la qualité (Bernrath, 1998), de responsabilisation des dirigeants, de polyvalences des fonctionnaires, de capacité d’innovation et de rapprochement avec des firmes privées (Mazouz, 2009).
Toutefois, l’éloge de la performance fait par les tenants au NMP ne repose sur aucune définition théorique stable de celle-ci. Il s’agit tout au plus d’une rhétorique néolibérale guidée par le bon sens et favorable à l’instrumentation managériale dans les administrations à des fins de mesure et d’évaluation de l’action publique. Aujourd’hui encore, les débats publics et recherches universitaires s’intensifient dans l’objectif de trouver une définition qui tient compte des différentes dimensions de la performance que doivent refléter les grilles de lecture ou d’évaluation des résultats des organisations de l’État (Mazouz et Leclerc, 2008).
1.1.2 /La performance et la GPR, quelques considérations conceptuelles
Atkinson et Stiglitz (2015) soutiennent l’idée selon laquelle l’économie publique ne vise pas seulement à montrer les responsabilités du gouvernement, mais à étudier la relation entre les instruments à la disposition de l’État et les objectifs des citoyens. Le rôle de l’État et la délimitation des missions publiques doivent servir à pallier les défaillances du marché, corriger la rationalité limitée des agents et réduire les inégalités sociales (Bozio et Grenet, 2010). Les responsabilités inhérentes à l’intervention de l’État relèvent des administrations et des organismes publics dont la performance constitue aujourd’hui encore un sujet de controverse et un objet d’étude (Mazouz et Tardif, 2010).
La notion de performance est utilisée très fréquemment par les économistes et les gestionnaires sans que sa définition fasse l’unanimité (Bourguignon, 1995). Dans sa substance, elle renvoie à l’idée de savoir miser sur un «processus de formation de la perfection» (Aubert, 2006) pour «conduire une action jusqu’à son terme et réaliser les objectifs» (Lorino, 2003) en tenant compte de paramètres institutionnels et statutaires (mission, mandats, loi de l’administration publique) et d’autres contraintes liées à la gestion stratégique (changement) et des opérations pour obtenir des résultats tangibles et d’autres qui le sont moins de l’action publique (Mazouz et Tardif, 2010). Cette conception de la performance renvoie à son management et à sa mesure puisqu’il s’agit bel et bien des capacités permettant de «conduire le cours de l’action vers l’atteinte d’un objectif ou devant lui permettre d’en évaluer le résultat» (Lorino, 2003, p. 4). Elle lie ainsi les objectifs et les moyens aux résultats par et dans l’action organisationnelle, managériale, stratégique et d’apprentissage. Elle est donc synonyme de perfection de l’action, de résultats de l’action et de succès de l’action (Bourguignon, 1995) au sein de chaque administration ou organisme public qui tente d’améliorer ses extrants-effets-impacts de l’action publique dont il relève.
Par «résultats», on désigne quatre catégories particulières d’extrants-effets-impacts (Mazouz et Leclerc, 2008) mesurables que les gestionnaires d’un système public d’offres de services doivent intégrer dans leur quête de performance globale:
1Résultats de prestation de services
Ils sont mesurés et évalués en nombre ou en valeur sur une base périodique annuelle à partir de la qualité des services reçus ou perçus par la population et les entreprises ou par d’autres organisations ou institutions couvertes par la mission publique. À titre d’illustration, l’accessibilité des services, l’accueil des citoyens, la justesse des informations fournies aux prestataires, la rapidité des prestations, etc., traduisent le degré de satisfaction des citoyens-usagers-clients. De manière générale, les indicateurs de mesure de la performance de cette catégorie de résultats sont définis par référence aux attributs physiques ou perceptuels des services offerts aux citoyens (population et entreprises) et à leur amélioration. Ils doivent porter, par exemple, sur l’accessibilité, l’accueil, la durée, la sécurité et la confidentialité. Des standards de qualité devraient donc être élaborés et mis en œuvre afin que des indicateurs de mesure et d’évaluation de la performance liée à la prestation de services soient définis, communiqués, compris et ajustées de manière systématique.
2Résultats de gestion opérationnelle
Ils sont mesurés et évalués en nombre ou en valeur sur une base périodique annuelle à partir des données collectées sur les opérations internes à l’organisation publique. À titre d’illustration, la gestion de l’enveloppe budgétaire, le coût des opérations, les processus de recrutement, la formation des employés, les conditions de travail, le climat organisationnel, etc. Ces résultats traduisent des réalisations en lien avec les activités, tâches, interdépendances, rôles et responsabilités, coûts et délais de production/prestation. Ils traduisent la capacité managériale des équipes de direction à concevoir, mettre en œuvre et ajuster des pratiques et des outils de transformation des ressources mises à leur disposition en biens et services à livrer à la population, aux entreprises ou à d’autres institutions. À titre d’illustration, l’amélioration des conditions de travail pour les employés, l’optimisation des processus d’affaires administratives, l’organisation du travail, l’élaboration de critères de choix d’investissement, de recrutement et le maintien en emploi des travailleurs qualifiés sont autant de résultats d’opération qui pourraient être avancés pour répondre aux changements réclamés par les contribuables et leurs représentants institutionnels en regard de la performance appréciée à travers des indicateurs d’efficience interne et non seulement d’efficacité externe de l’organisation publique.
3Résultats d’orientation
Ils sont mesurés et évalués en nombre ou en valeur sur une base périodique pluriannuelle par référence aux orientations stratégiques liant l’organisation à un ministère ou une autorité publique d’affiliation. Ces résultats permettent d’apprécient les efforts accomplis par les dirigeants de l’organisation concernée en matière de mise en œuvre et conduite des changements stratégiques engagées à la suite des orientations émises par les autorités ministérielles et administratives. Les résultats d’orientation (ou de changement stratégique) soulignent ainsi des réalisations qui découlent de choix stratégiques, de restructurations, de programmes ou de projets lancés par les différentes instances de direction et s’inscrivant dans le moyen et long terme. Ces résultats garantissent la pérennité de l’organisation publique dans la mesure où ils découlent des décisions et des actions portées au plus haut niveau de l’organisation et tiennent compte de l’environnement politique, économique, sectoriel, budgétaire, technologique… qui déterminent à la fois les résultats de prestation de services et ceux de gestion opérationnelle de l’organisation. À titre d’illustration...