Le présent ouvrage traite de la dimension géopolitique des ressources minières présentes en Asie du Sud-Est. Ce faisant, il tentera non seulement de mettre en lumière les raisons, les acteurs et les effets sur les territoires riches en ressources minières de l’exploitation de ces ressources, mais aussi d’analyser les interactions externes et internes entre les différents acteurs, ainsi que les discours – objectifs ou non – et les représentations qui les accompagnent et les soutiennent. Il vise donc à montrer en quoi consiste l’exploitation des ressources minières en décrivant les motifs et les interactions des acteurs présents en Asie du Sud-Est. Autrement dit, il s’agit ici de faire ressortir un ensemble de déterminations dans les choix géopolitiques des acteurs locaux, nationaux et internationaux qui découlent de caractéristiques issues de la topogenèse, de la géohistoire régionale et des représentations des acteurs d’un phénomène qui se déploie en Asie du Sud-Est.
Aujourd’hui, la crédibilité de la géopolitique en tant que science et savoir est bien établie, et son intérêt réside dans le fait que c’est une méthode d’analyse qui permet de tenir compte de la complexité d’une réalité donnée en s’appuyant sur des analyses multidisciplinaires à plusieurs échelles, d’espace et de temps. La définition de Michel Foucher confirme que la géopolitique est une « technique d’investigation et de lecture des faits » efficace et opérationnelle puisqu’il s’agit
d’une méthode globale d’analyse géographique de situations sociopolitiques concrètes envisagées en tant qu’elles sont localisées, et des représentations habituelles qui les décrivent. Elle procède à la détermination des coordonnées géographiques d’une situation et d’un processus sociopolitique et au décryptage des discours et des images cartographiques qui les accompagnent.
Si l’on accepte la géopolitique comme méthode d’analyse, la pensée géopolitique dominante retient l’État comme instance référentielle ; or, comme le soulignent Lasserre et Gonon :
Il importe de ne pas oublier que l’État n’est pas le seul acteur possible en géopolitique. Toutes les communautés et organisations politiques (communes, régions, institutions supra-étatiques, communes territoriales à diverses échelles) agissent également, dès lors qu’on prend en compte leurs capacités ou compétences à raisonner, mais surtout à agir sur le territoire qu’ils gèrent. Il en va de même des groupes sociaux, à commencer par les sociétés dont les représentations ne coïncident pas nécessairement avec celles de l’État englobant. Les groupes constitués, minorités ethniques, minorités sociales, groupes de pression, les entreprises, les acteurs socio-économiques produisent, dès lors que leurs activités se déploient sur un territoire, des représentations de ce territoire et peuvent souhaiter des changements dans la façon dont celui-ci est organisé, changements qui peuvent à leur tour heurter les intérêts ou les représentations d’autres groupes. […] La méthode géopolitique peut permettre de mettre en évidence les stratégies de prise de contrôle d’un territoire […].
Les ressources minières constituent toujours l’une des richesses d’un territoire, donc une source de revenus pour le pouvoir et un objet de convoitise pour bon nombre d’acteurs, qu’ils soient étatiques ou non. De ce fait, elles fondent en partie la puissance d’un ou de plusieurs acteurs et influent sur les rapports entretenus avec les autres. Dans le même temps, résurgences de phénomènes anciens ou manifestations nouvelles, les tensions et pénuries engendrées par les ressources minières se multiplient, ce qui soulève la question des fondements de la dimension géopolitique de ces dernières. Dans la littérature, plusieurs raisons sont avancées, relevant à la fois de la nature même des ressources minières, mais aussi de leur inégale répartition ainsi que de la présence d’une multitude d’acteurs dont les visées, pratiques et intérêts sont parfois fort divergents.
1. Des éléments essentiels au développement de nos sociétés
Les ressources minières sont géopolitiques par nature puisqu’elles constituent un élément essentiel au développement de nos sociétés et qu’elles incitent les États à développer des stratégies spatialisées pour augmenter leur accès à ces ressources : aménagement et exploitation du territoire national ; déploiement d’une « diplomatie des ressources » et prise de contrôle de gisements miniers à l’étranger ; stratégies de construction d’infrastructures d’acheminement (lignes de chemin de fer, ports, routes). Indispensables, elles apparaissent comme garantes de la survie de l’espèce humaine et des États. Bien sûr, l’importance de telle ou telle ressource a varié au fil des siècles en fonction des besoins. Si les ressources alimentaires ont toujours été une source de rivalité entre les États, la révolution industrielle du milieu du xixe siècle va accroître l’importance des richesses contenues dans le sous-sol, le « roi charbon » d’abord, puis le gaz naturel et surtout le pétrole depuis les années 1960, . Ainsi, la valeur de ces multiples matières pr...