Du trouble mental à l'incapacité au travail

Une perspective transdisciplinaire qui vise à mieux saisir cette problématique et à offrir des pistes d'intervention

Marc Corbière, Marie-Josée Durand

• Éditeur: Presses de l'Université du Québec
• Année: 2011
• ISBN:
  9782760532663
• Sujet: Psychologie
• Sous-sujet: Santé mentale en psychologie

La montée effarante des problèmes d'invalidité reliés à la santé mentale au travail exige la création de ponts théoriques et empiriques sur cette problématique. C'est ce que font les auteurs en abordant les thèmes du retour au travail des personnes qui présentent un trouble mental.

CHAPITRE 1

Aspects épidémiologiques et économiques inhérents aux troubles mentaux1

Carolyn S. Dewa, MPH, Ph. D.
David McDaid, M. Sc.
Hélène Sultan-Taïeb, Ph. D.

MESSAGES CLÉS POUR LA CLINIQUE

1. Avec le temps, la nature des emplois a changé radicalement tandis que les mécanismes destinés à protéger la santé et la sécurité des travailleurs n’ont pas suivi le rythme.
2. Il y a un ensemble complexe de facteurs qui exercent un impact sur la santé mentale des travailleurs, y compris l’âge, le sexe, la santé physique, les facteurs environnementaux et les conflits entre vie personnelle et vie professionnelle.
3. Le fardeau annuel des troubles mentaux est d’abord associé aux coûts résultant de la baisse de productivité.

MESSAGES CLÉS POUR LA RECHERCHE

1. Il y a une lacune dans les données concernant des interventions efficaces en milieu de travail qui soit diminuent l’incapacité, soit améliorent la santé mentale.
2. La collaboration multidisciplinaire et multi-intervenants est d’une importance critique pour l’évaluation et la conception d’interventions dans le milieu de travail.
3. Il sera important de comprendre et de redéfinir les responsabilités des intervenants, y compris le système de santé public, les employeurs et les employés, pour protéger et améliorer la santé mentale des travailleurs.

Au cours de la dernière décennie, le lien entre la santé mentale de la population active et la santé économique des entreprises et des nations a été de plus en plus reconnu. Les pays du monde entier recherchent des solutions pour favoriser et protéger la santé mentale de leurs populations actives. Un mouvement similaire avait eu lieu pendant la dernière révolution industrielle pour protéger la santé des travailleurs lors de la transition de la société agraire à la société industrielle. Les mouvements ouvriers et des ouvrages tels que La jungle (Sinclair, 2006) ont dévoilé les conditions épouvantables dans lesquelles les gens travaillaient. Ils ont provoqué la réforme du milieu de travail qui visait à protéger la santé et la sécurité physiques de la population active.

Aujourd’hui, le défi que présente la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs n’est pas aussi simple. Bien que nombre de ces anciens risques pour la santé soient toujours présents dans plusieurs secteurs, la révolution numérique a introduit la mondialisation ainsi que de nouveaux moyens de communication et a modifié le profil démographique de la population active, ce qui a eu pour effet de créer de nouveaux défis en matière de santé au travail (Bunting, 2005; Ostry et al., 2002; Rantanen, 1999). De nos jours, les ateliers clandestins ne sont plus aussi préoccupants qu’avant. Cependant, l’exposition de plus en plus fréquente de la population active à des environnements stressants pour les travailleurs, par exemple des attentes plus exigeantes, des échéances de plus en plus serrées, des communications constantes et quasi instantanées et des objectifs de production de plus en plus ambitieux, fait partie de la nouvelle réalité du monde du travail. Malgré cette intensification, on accorde encore peu d’intérêt à la charge de travail des personnes (Bond, Galinsky et Swanberg, 1998; Paoli et Merllie, 2001; Vézina, Bourbonnais, Brisson et Trudel, 2004) dans des environnements qui semblent souvent instables et dont les ressources diminuent tandis que les entreprises se restructurent (Bunting, 2005; Ostry et al., 2002).

La santé mentale des travailleurs est ainsi exposée à plusieurs risques, dont voici quelques exemples. Au cours de la dernière décennie, la charge de travail des travailleurs a augmenté substantiellement dans de nombreux pays. En 1991, 36% des travailleurs de l’Union européenne (UE) indiquaient qu’ils n’avaient jamais eu à travailler à des cadences élevées; en 2005, ils n’étaient que 25% à déclarer la même chose (Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail, 2008).

Dans la plupart des pays industrialisés, la nature du marché du travail a également changé. Les travailleurs doivent donc approcher le marché du travail en tenant compte d’un nouvel ensemble de facteurs. Entre 2008 et 2010, la population active du monde entier était de plus en plus menacée par le chômage. Au Canada, pendant l’année 2009, le taux de chômage a augmenté de 2,3% environ. Toutefois, les pertes d’emploi ont été inégales parmi les différents secteurs. Par conséquent, les travailleurs devront peut-être envisager non seulement de changer d’emploi, mais également d’abandonner le secteur dans lequel ils ont travaillé pendant leur vie active (Cooper et Sutherland, 2006).

De plus, les nouvelles technologies (p. ex., courrier électronique, téléphones intelligents, réseaux sans fil) ont de plus en plus brouillé la définition du milieu de travail et estompé la séparation entre vie professionnelle et vie familiale. Comme le fait remarquer un employé commercial d’un fournisseur de services de télécommunications, on peut continuer de diriger une entreprise même d’une plage perdue au milieu des Caraïbes. Par suite de ces innovations en matière de communication, plus de 40% des répondants à un sondage européen ont indiqué qu’ils n’avaient plus le temps de s’adonner à des activités extraprofessionnelles (Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail, 2008).

Étant donné ces changements, il n’est pas étonnant que les troubles mentaux représentent 25% de l’ensemble des maladies et accidents qui surviennent dans les pays développés (Organisation mondiale de la santé, 2001). D’ici 2020, la dépression sera l’une des principales causes d’invalidité dans le monde, juste après la cardiopathie ischémique (Organisation mondiale de la santé, 2001).

Les gouvernements ont décidé de réagir à cet état de fait. Par exemple, le gouvernement du Royaume-Uni a commandité une étude indépendante sur la santé de la population active et a demandé qu’on lui fasse des recommandations visant à apporter un changement positif (Black, 2008). Non seulement cette étude a souligné l’impact qu’exerçait une santé mentale déficiente sur l’économie et les affaires, mais elle a également démontré que l’importance du nombre des bénéficiaires de prestations d’invalidité de longue durée démontrait l’échec historique du soutien à la santé et à l’emploi. Dans une réponse détaillée, le gouvernement s’est engagé à élaborer une Stratégie nationale pour la santé mentale et l’emploi afin de s’assurer qu’il faisait tout ce qui était en son pouvoir pour répondre aux besoins particuliers (Department for Work and Pensions, 2008). Tout récemment, par exemple, les certificats de maladie ont été remplacés par des certificats d’aptitude. En vertu de cette initiative, les médecins de premier recours qui rédigent les certificats d’aptitude doivent vérifier si la personne est en état de travailler avec l’aide et le soutien de son employeur (Department for Work and Pensions, 2010).

Maintenant que le lien entre le stress chronique professionnel, le stress lié au travail et la dépression est mieux compris, la surveillance du stress en milieu de travail suscite un intérêt accru. Par exemple, le Health and Safety Executive du Royaume-Uni a publié des Management Standards, lesquels expliquent comment les entreprises et leurs effectifs peuvent combattre le stress lié au travail; ces normes définissent cinq étapes qui permettent de mieux cerner, surveiller, évaluer et gérer les risques que présente un stress excessif en milieu de travail (Health and Safety Executive, 2008). Au Royaume-Uni, une initiative importante commanditée par le gouvernement et proposant de procéder à des vérifications et de mettre en œuvre les mesures correctives correspondantes pourrait générer des gains financiers annuels pouvant atteindre jusqu’à 275 millions de livres pour les employeurs du Royaume-Uni (Foresight Mental Capital and Wellbeing Project, 2008).

En France, la santé mentale en milieu de travail a attiré l’attention des médias et du public après qu’une série de suicides s’est produite dans une grande entreprise de services de télécommunications et a donné lieu à une information judiciaire (Parquet de Paris). Le gouvernement a réagi en publiant en octobre 2009 un plan d’urgence pour la prévention du stress en milieu de travail et a annoncé que le Plan national Santé au Travail 2010- 2014 (Sénat, 2010) prévoyait dans une large mesure s’attaquer aux risques psychologiques courus en milieu de travail. L’amélioration de l’environnement de travail et de la qualité de vie au travail est considérée comme un outil essentiel pour améliorer l’état de la santé mentale et empêcher le départ prématuré à la retraite d’une population active vieillissante (Centre d’Analyse Stratégique, 2009).

À une échelle plus vaste, les ministres européens de la santé ont signé un plan d’action qui demande aux employeurs de créer des milieux de travail sains en mettant en œuvre des mesures telles que l’exercice, la modification des régimes de travail, l’établissement d’horaires raisonnables et des styles de gestion sains, en plus d’inclure la santé mentale dans les programmes portant sur la santé et la sécurité au travail (Organisation mondiale de la santé, 2005). Plus réce...

Table des matières

• Couverture
• Titre
• Éditeur
• Faux-titre
• Copyright
• Première préface
• Deuxième préface
• Table des matières
• Introduction
• CHAPITRE 1 - Aspects épidémiologiques et économiques inhérents aux troubles mentaux
• CHAPITRE 2 - Lois et mesures favorisant l’intégration et le maintien en emploi des personnes souffrant d’un trouble mental
• CHAPITRE 3 - Pathologies des troubles mentaux transitoires et graves en interaction avec les caractéristiques de la personnalité
• CHAPITRE 4 - Déterminants de la réintégration en emploi et du retour au travail en santé mentale
• CHAPITRE 5 - Outils de mesure pour évaluer le retour et la réintégration au travail de personnes souffrant de troubles mentaux
• CHAPITRE 6 - Interventions pour prévenir les problèmes de santé mentale liés au travail : Michel Vézina et Louise St-Arnaud
• CHAPITRE 7 - Interventions/programmes de retour au travail destinés aux travailleurs ayant un trouble mental transitoire
• CHAPITRE 8 - Services de réintégration au travail et interventions ponctuelles en réadaptation pour les personnes avec un trouble mental grave
• CHAPITRE 9 - Compétences requises de l’intervenant qui facilite le retour ou la réintégration au travail de personnes à risque d’une incapacité prolongée
• CHAPITRE 10 - Alliance de travail : élément pivot de la réadaptation au travail
• CHAPITRE 11 - Retour et réintégration au travail de personnes avec un trouble mental : le rôle du supérieur immédiat
• CHAPITRE 12 - Stigmatisation et discrimination liées à la santé mentale en milieu de travail
• CHAPITRE 13 - Trajectoires de réintégration et de retour au travail de deux personnes avec un trouble mental
• Conclusion
• Notices biographiques
• Couverture arrière