CHAPITRE 1 /
La science du climat : évolution, état des connaissances et enjeux
Depuis les 50 dernières années, l’étude du climat a donné lieu à des avancées scientifiques déterminantes. Les connaissances scientifiques interdisciplinaires ont non seulement foisonné et permis un progrès sur ce que l’on connaît ou ne connaît pas de notre système climatique, mais elles ont aussi trouvé un lieu de rencontre fédérateur et novateur à travers le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) créé en 1988. Cette instance a ainsi facilité la compréhension de la problématique des changements climatiques à l’échelle mondiale. De surcroît, elle a permis un rapprochement entre science et décideurs, et a contribué ainsi à l’édification du régime climatique mondial. Devenu bien plus qu’une référence incontournable dans la construction d’un consensus scientifique sur les différents aspects entourant les changements climatiques, le GIEC, à travers ses rapports d’évaluation et ses rapports spéciaux, a confirmé le rôle joué par les activités humaines dans le réchauffement planétaire et a contribué au maintien de cette importante problématique à l’ordre du jour international.
Malgré l’important consensus scientifique, cette grande crédibilité dont jouit le GIEC n’est pas absolue. Bien qu’ils soient aujourd’hui minoritaires, certains réfutent toujours les conclusions de ses différents rapports, et les incertitudes liées aux modèles de projection climatique nourrissent d’ailleurs leur argumentaire. Ces incertitudes sont également génératrices de tensions entre la science et le politique, surtout lorsque vient le moment d’élaborer et de mettre en œuvre des politiques destinées à lutter contre les changements climatiques. Enfin, certains arguent que les connaissances locales et traditionnelles en matière de climat occupent trop peu de place dans l’élaboration et la mise en œuvre de telles politiques, ce qui nuirait ultimement à l’établissement de politiques efficaces et effectives dans la lutte aux changements climatiques, autant sur le plan de l’adaptation que de l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre (GES).
Pour comprendre toute la complexité entourant la science du climat et la problématique des changements climatiques à l’échelle mondiale, on ne peut uniquement dresser un portrait des connaissances scientifiques les plus à jour dans le domaine. Il faut également tenir compte de leur évolution, et aborder les grands enjeux les entourant et pouvant générer des obstacles dans la régulation de cette problématique. C’est ce à quoi s’attarde ce premier chapitre, qui aborde en détail ces éléments fondamentaux gravitant autour de la science et de l’étude du climat.
1 / Comment se sont construites les connaissances scientifiques sur les changements climatiques
1.1 / Mise à l’ordre du jour scientifique (1970-1988)
Comprendre l’évolution des connaissances scientifiques à l’égard des changements climatiques nécessite de retourner aux sources de la prise de conscience scientifique et politique à l’égard du rôle désormais incontestable joué par l’humain dans l’évolution du climat terrestre. Si certains font remonter cette prise de conscience scientifique à la fin du XIXe siècle, avec le chimiste suédois Svante Arrhenius, il faut reconnaître que les conclusions de celui-ci n’ont alors pas eu d’impacts tangibles sur le développement des connaissances scientifiques dans les années qui ont suivi. C’est plutôt à compter des années 1970 que ces préoccupations scientifiques émergent, cette fois de manière plus notable. À l’instar de plusieurs autres enjeux environnementaux, les changements climatiques commencent à apparaître comme objet de préoccupation scientifique. C’est en effet à ce moment que des recherches basées sur des modélisations du système climatique se développent et permettent d’observer de potentielles conséquences entourant l’augmentation du dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère et des hausses possibles des températures (Mégie et Jouzel, 2003 ; Bourque, 2000). D’autres recherches font aussi ressortir qu’en plus du CO2, d’autres GES comme le méthane (CH4), les chlorofluorocarbures (CFC) et l’oxyde nitreux (N2O) issus de l’activité humaine pourraient également contribuer aux changements climatiques (Jäger et O’Riordan, 1996).
Ces recherches vont rapidement susciter un vif intérêt chez la communauté scientifique et générer un nombre important d’études, qui auront à leur tour un impact sur les préoccupations politiques à l’égard de cette problématique. Dans ce contexte, en 1979, une première conférence mondiale sur le climat est organisée à Genève, sous l’initiative notamment du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et du Conseil international des unions scientifiques (CIUS). Au terme de cette conférence, on reconnaît l’importance d’accroître les connaissances scientifiques sur le climat et aussi sur le rôle potentiel joué par les activités humaines dans les changements climatiques observés (Zillman, 2009).
C’est toutefois au cours de la décennie 1980 que les préoccupations à l’égard des changements climatiques prennent une ampleur plus importante et dépassent la seule communauté scientifique, devenant ainsi un objet de préoccupation politique plus officiel. Du côté scientifique, les recherches s’affinent et les modèles climatiques se développent. Malgré des différences dans les résultats, tous tendent à démontrer un réchauffement planétaire (Mégie et Jouzel, 2003). Rapidement, la communauté scientifique s’organise et mise alors sur des regroupements de chercheurs afin d’approfondir ces questions, avec, par exemple, la création du Programme climatologique mondial (1979) et du Programme international géosphère-biosphère (1986).
En 1985, une conférence internationale portant explicitement sur l’évaluation du rôle du CO2 et des autres GES dans les changements climatiques est organisée conjointement par le PNUE, l’OMM et le CIUS, à Villach, en Autriche. Selon certains chercheurs, cette rencontre constitue un moment décisif dans la mise à l’ordre du jour de l’enjeu climatique sur la scène internationale, non seulement par ses conclusions face au réchauffement climatique attendu au cours du prochain siècle, mais aussi par ses recommandations, qui visent notamment la mise sur pied d’un réseau international d’experts sur la question du climat et l’adoption d’une convention internationale sur la question (OMM, 1986). Le GIEC voit ainsi le jour en 1988, résultat d’une création conjointe du PNUE et de l’OMM. Ce nouvel organe aura rapidement une influence notable sur le plan politique et sur l’édification du régime climatique international dans les années qui suivront.
1.2 / La création du GIEC
C’est donc dans un contexte d’inquiétudes croissantes que le GIEC est créé en 1988. Devant cette question toujours plus complexe, qui fait directement appel à une analyse interdisciplinaire, il devenait nécessaire de se doter d’un organe international capable d’appréhender le phénomène des changements climatiques de manière concertée, de réaliser une révision des savoirs existants, et d’élaborer des recommandations pour y faire face. Un premier rapport d’évaluation (RÉ) est d’ailleurs produit dès 1990. À la suite des conclusions de ce rapport, l’Assemblée générale des Nations unies décide de s’engager dans des négociations internationales qui mèneront à l’adoption de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) en 1992, lors du Sommet de la Terre de Rio. Par la suite, le GIEC continuera ses travaux et publiera des rapports d’évaluation tous les sept ans environ.
Le GIEC constitue aujourd’hui le principal organe scientifique international chargé d’évaluer les changements climatiques (encadré 1.1), et ses travaux visent à informer les décideurs afin que ceux-ci mettent en place les politiques qu’ils jugent nécessaires. C’est ainsi que le GIEC peut orienter les politiques liées aux changements climatiques, sans pour autant préconiser de solutions particulières.
ENCADRÉ 1.1 / Le GIEC en quelques chiffres (2018)
5 millions d’euros de budget annuel ;
6 langues de travail (anglais, arabe, chinois, espagnol, français et russe) ;
36 membres du bureau du GIEC ;
195 pays membres du GIEC ;
831 auteurs ayant contribué bénévolement au 5e RÉ (2014) ; et
2 500 experts mis à contribution pour le 5e RÉ, qui ont formulé 136 706 commentaires.
Source : Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (ONERC), 2018, p. 9.
Son rôle et son fonctionnement
L’objectif central du GIEC est de : « fournir au monde une vision scientifique claire de l’état actuel des connaissances en matière de changements climatiques et de leur incidence potentielle sur l’environnement et la sphère socioéconomique ». (GIEC, 2017) Pour réaliser son mandat, le GIEC s’affaire à examiner et à évaluer la littérature scientifique, technique et socioéconomique la plus récente au sujet du climat. Il ne mène donc pas ses propres travaux de recherche ; il a plutôt un rôle d’évaluation et de synthèse des données scientifiques produites sur les changements climatiques partout dans le monde. Les différentes entités constituant le GIEC se réunissent au moins une fois par année dans le cadre de sessions plénières dans lesquelles sont représentés les gouvernements, et lors desquelles sont prises les grandes décisions relatives au programme de travail du groupe d’experts. C’est aussi à ce moment que sont élus les membres et le président du Bureau du GIEC. Ce dernier est composé de scientifiques représentant les diverses disciplines et régions du monde, et il se charge d’orienter les aspects scientifiques et techniques du groupe, ainsi que de donner des avis sur des questions stratégiques ou liées à la gestion de son travail.