Programmes de prévention et développement de l'enfant

50 ans d'expérimentation

George M. Tarabulsy, Julie Poissant, Thomas Saïs, Cécile Delawarde

• Éditeur: Presses de l'Université du Québec
• Année: 2019
• ISBN:
  9782760550834
• Sujet: Education
• Sous-sujet: Education General

Depuis les 50 dernières années, les pays occidentaux ont implanté, sous une forme ou une autre, des programmes visant à soutenir les familles vivant dans des contextes de vulnérabilité sociale et économique. Fondés sur la prémisse qu'il est important d'aider les familles à améliorer leur situation et à devenir plus autonomes et impliquées dans leur communauté, ces programmes encouragent le développement des enfants sur les plans social, émotionnel, cognitif et langagier. Dans tous ces programmes, le développement de l'enfant est l'enjeu prioritaire.Le présent ouvrage décrit la recherche fondamentale et appliquée réalisée depuis les années 1960 pour renforcer les chances des enfants grandissant dans des circonstances de vulnérabilité. Les auteurs, Américains, Européens, Canadiens et Québécois, sont à l'origine de travaux à la fois rigoureux et novateurs dans le domaine. Sincères dans leur souhait de favoriser l'égalité des chances, ils soulignent la promesse des programmes de prévention précoce, ainsi que les défis qu'ils posent à nos sociétés dans l'organisation des services offerts à l'enfance.

chapitre 1

Le HighScope Perry Preschool
La prévention grâce à un programme préscolaire d’apprentissage actif

Lawrence J. Schweinhart

Président émérite de la Fondation HighScope Educational Research

La prévention s’effectue dans un ordre temporel, qu’il s’agisse de programmes actuellement implantés et de leurs résultats futurs, ou de programmes passés et de leurs résultats actuels. La prévention privilégie les programmes implantés dès les premières années de vie simplement parce qu’il y a ainsi davantage d’années de vie pour profiter des bienfaits de l’intervention. À titre d’exemple, un programme implanté durant la période préscolaire constitue un meilleur programme de prévention parce qu’il y a davantage d’années de vie pour faire profiter des bienfaits de l’intervention. La prévention a pour objectif d’éviter que des résultats négatifs se produisent plutôt que de favoriser l’apparition de résultats positifs. Or, un programme peut, bien entendu, à la fois prévenir les résultats négatifs et favoriser les résultats positifs ; une stratégie de prévention tend cependant à prioriser l’intervention auprès d’individus qui, en tant qu’adultes, risquent de vivre des conséquences négatives comme l’échec scolaire, le crime et le chômage, plutôt que de cibler ceux qui vivront des conséquences positives comme la réussite scolaire, l’implication citoyenne et le plein emploi. Il est possible de décrire une stratégie de prévention avec des degrés variables de précision ; la reproduction de résultats exige néanmoins suffisamment de détails précis. Par exemple, décrire le programme HighScope Perry Preschool simplement comme un programme préscolaire n’est pas assez précis pour pouvoir reproduire les résultats attendus ; le décrire plutôt comme un programme préscolaire d’apprentissage actif est suffisamment précis si le lecteur comprend bien le message et ne se méprend pas sur les termes « apprentissage actif ». Il faut toutefois faire attention de ne pas tendre vers l’autre extrême en fournissant trop de précisions. Par exemple, la réussite du programme HighScope Perry Preschool ne reposait pas sur le type de vêtements ou sur la coiffure des enseignants ! Dans ce chapitre, notre intention est donc de décrire le programme avec suffisamment de précisions sans toutefois tomber dans les détails superflus.

1. Historique de la recherche qui a mené au développement du programme HighScope Perry Preschool

Le programme HighScope Perry Preschool est à la fois le résultat d’une tradition locale et d’une tradition de recherche. David P. Weikart, le directeur du service d’éducation spécialisée des écoles publiques Ypsilanti du Michigan, a d’abord eu l’idée d’instaurer un programme préscolaire. À sa suite, plusieurs directeurs d’écoles locales ont contribué à ce que le programme devienne réalité, tout spécialement Charles Eugene Beatty Jr., directeur de l’école primaire Perry.

Le programme a débuté en octobre 1962 et a pris fin en mai 1967. Durant cette période, il a été offert à des enfants qui ont été suivis de façon longitudinale, jusqu’à l’âge adulte. C’était l’époque du Mouvement de défense des droits civils aux États-Unis, alors que les gens d’origine afro-américaine aspiraient à jouir des mêmes droits que les Américains à la peau blanche. En 1954, la décision de la Cour suprême dans le litige opposant Brown et le conseil scolaire de Topeka a créé un précédent et a mis fin à la ségrégation scolaire en déclarant que le principe d’écoles séparées pour les étudiants blancs et les étudiants noirs était inconstitutionnel. Lyndon B. Johnson était le président des États-Unis de 1963 à 1969 durant la majeure partie du programme HighScope Perry Preschool. Des mesures législatives qui ont marqué l’histoire ont alors vu le jour, incluant l’Economic Opportunity Act de 1964, qui a mené à la mise en place de l’Office of Economic Opportunity et au programme Head Start ; il y a eu également le Voting Rights Act de 1965, qui a mis un terme aux pratiques discriminatoires qui empêchaient les afro-américains de voter. Ces éléments ont fait partie du contexte social et politique plus large dans lequel le programme HighScope Perry Preschool a été développé. Au fur et à mesure que ce programme favorisait la recherche et l’émergence de projets de formation des enseignants, ils étaient incorporés à la HighScope Educational Research Foundation, établie par David Weikart, en 1970.

David Weikart et ses collègues chercheurs ont initialement proposé le cadre logique de la recherche (Weikart, Deloria, Lawser et Wiegerink, 1970). Plusieurs préoccupations de nature scientifique étaient également considérées dans le contexte du programme. Jusqu’en 1960, le consensus scientifique reposait sur la notion que l’intelligence des enfants était essentiellement attribuable à des facteurs génétiques et elle ne pouvait pas être modifiée par l’expérience. Toutefois, dans les années 1960, Hunt (1961) a proposé l’idée selon laquelle l’expérience tout comme la génétique pouvaient influencer l’intelligence, citant les travaux de Piaget (p. ex. Piaget et Inhelder, 1969) sur le développement de l’intelligence durant l’enfance. D’autres recherches ont appuyé ce point de vue. Bloom (1964) a cité plusieurs études longitudinales pour appuyer l’idée que l’expérience et l’environnement avaient des rôles importants dans le développement de l’intelligence. Un groupe d’experts de l’American Association on Mental Deficiency a suggéré, en 1961, l’idée selon laquelle une intervention préscolaire offrait des possibilités très prometteuses de corriger certains déficits cognitifs. À cet égard, ils se sont appuyés sur les travaux fondateurs de chercheurs en éducation chez les enfants tels que Comenius, Froebel, Oberlin, Montessori, McMillan et plusieurs autres (Brittain, 1966 ; Kraft, Fuschillo et Herzog, 1968 ; Horowitz et Paden, 1970). En se penchant sur le sujet de l’éducation préscolaire chez les enfants issus de la classe moyenne avant les années 1960, Fuller (1960), Sears et Dowley (1963) et Swift (1964) se sont aperçus que la plupart des recherches préscolaires examinaient si les programmes avaient un effet négatif sur le développement social et émotionnel des enfants de la classe moyenne. Horowitz et Paden (1970), Gray (1969) et Weikart (1967) ont remarqué que les programmes qui avaient le plus de succès étaient menés par les principaux chercheurs eux-mêmes. Les programmes de Grey et Klaus (1969) et de Karnes et al. (1969) antérieurs au programme HighScope Perry Preschool ont obtenu des résultats confirmant que de tels programmes pouvaient améliorer le profil cognitif des enfants défavorisés.

2. Description de la stratégie de prévention

La stratégie de prévention vise à fournir un programme préscolaire d’apprentissage actif aux enfants durant les deux années précédant la maternelle, c’est-à-dire à l’âge de 3 et 4 ans, qui favorise tous les aspects de leur développement. Une stratégie de prévention peut être décrite selon le point de vue de l’administration scolaire ou celui des enseignants. Le premier inclut les composantes du programme (comme les séances en classe et les visites à domicile), la durée, l’âge des enfants au moment du début du programme, les heures d’opération durant la semaine, le type de contenu, les caractéristiques démographiques des enseignants et celles des enfants. La perspective des enseignants, quant à elle, inclut le contenu du programme utilisé, le comportement des enseignants, le comportement des enfants, ainsi que les interactions entre les enseignants et les enfants, d’une part, et entre les enfants eux-mêmes, d’autre part. Dans un programme préscolaire d’apprentissage actif, les administrateurs scolaires mettent l’accent sur le programme préscolaire, tandis que les enseignants le mettent sur l’apprentissage actif.

Une stratégie de prévention peut être décrite selon deux méthodes : en fonction de l’historique des recherches concernant l’évolution de l’implantation dans différents contextes ou en fonction des pratiques recommandées. Ces deux types de descriptions visent des objectifs différents : la première suppose une exactitude historique, incluant les adaptations aux circonstances précises, alors que la deuxième est plus générale et ne comprend pas ces adaptations.

2.1. La perspective des administrateurs scolaires à propos de la stratégie de prévention

Du point de vue de l’administration scolaire, le programme HighScope Perry Preschool comprenait une composante en classe et une composante de visites à domicile. Le programme couvrait une période de 30 semaines durant l’année scolaire, du lundi au vendredi. Les enseignants ont accompagné les enfants durant cinq séances matinales de deux heures et demie en classe par semaine et ont rendu visite aux parents et aux enfants à leur domicile pour une séance d’une heure et demie en après-midi, une fois par semaine. Au cours de la première année du programme, 4 enseignants travaillaient avec la première classe d’enfants âgés de 4 ans ; au cours des années subséquentes, ils ont accompagné les autres classes d’enfants âgés de 3 et de 4 ans, dans des groupes composés de 20 à 25 élèves, pour un total de 10 enseignants et de 58 enfants au cours des années.

Lorsque l’on vise la réduction des coûts associés à un programme préscolaire, ce sont souvent ces paramètres qui sont modifiés. Les modifications les plus fréquentes visent à réduire la durée du programme passant de 2 ans pour les 3 et 4 ans à 1 seule année pour les 4 ans et à couper les visites à domicile pour ne laisser que les séances en contexte préscolaire. L’application la plus rigoureuse et la plus fidèle du programme HighScope Perry Preschool exige toutefois un programme de deux ans avec les deux modalités. Des modifications importantes comme la réduction du programme à une seule année ou l’abandon des visites à domicile signifient que le programme HighScope Perry Preschool ne sera pas rigoureusement reproduit, alors qu’il a fait ses preuves en matière de résultats à long terme. Des changements moins drastiques comme celles de passer d’un programme sur 5 jours par semaine à un programme de 4 jours par semaine, ou encore d’augmenter le nombre d’enfants de 5 à 8 par enseignant à 10 se rapprochent davantage du programme d’origine, bien qu’elles augmentent le risque que le contenu ne soit pas tout à fait le même que celui qui entraîne des résultats à long terme. De tels programmes devraient faire l’objet de recherches en eux-mêmes, car sans de tels travaux, ils ne peuvent pas être considérés comme une reproduction fidèle d’un programme qui s’est avéré efficace.

2.2. La perspective des enseignants sur la stratégie de prévention

Du point de vue des enseignants, le Programme HighScope Perry Preschool a permis de développer le curriculum du HighScope Preschool ; la recherche High/Scope Perry Curriculum Comparaison a permis l’implantation du nouveau cursus HighScope, et la recherche Training for Quality a permis d’en développer une version plus détaillée. Une approche scientifique rigoureuse exigerait que le curriculum soit le même pour ces trois recherches, mais son contenu a évolué tout au long de l’implantation du programme. Toutefois, les prémisses sous-jacentes, soit la reconnaissance et la considération des enfants comme des apprenants actifs, ont été constantes. D’ailleurs, ces caractéristiques sont toujours présentes dans le contenu actuel du programme.

Ces principes de base requièrent que les enseignants invitent les enfants à concevoir et à mener eux-mêmes leurs propres activités d’apprentissage. Cela ne signifie pas que les enseignants ne donnent aucune consigne aux enfants, mais plutôt qu’ils demeurent conscients que ces derniers ont besoin de s’engager activement, parfois plus, parfois moins, dans l’élaboration et la participation aux activités. L’idéologie opposée est que les enseignants transmettent aux enfants tout ce qu’ils doivent apprendre ; c’est là une pratique usuelle de l’approche éducative, de la maternelle à la fin du secondaire. Le fait de considérer les enfants comme des apprenants actifs est plus répandu dans l’éducation préscolaire. Si l’on introduit cette approche plus tôt dans l’enfance, notamment durant la période préscolaire, il faudra que les enseignantes laissent davantage d’initiative aux enfants en vue de déterminer leurs propres activités ; ils ne doivent intervenir que lorsque les enfants pleurent ou sont distraits par quelque chose, plutôt que de chercher à suivre le contenu précis d’un curriculum.

Tout au long de la recherche HighScope Perry Preschool, puis de la recherche HighScope Preschool Curriculum Comparison jusqu’à celle de Training for Quality, les enseignants ont reconnu et considéré les enfants comme des apprenants actifs. Durant ces recherches, ils ont développé le curriculum, l’ont implanté et appris à le mettre en pratique. Ainsi, les enseignants ne se sont pas contentés de suivre le contenu ; ils ont plutôt interagi avec celui-ci.

Le curriculum HighScope est un excellent moyen d’apprendre à reconnaître et à considérer les enfants comme des apprenants actifs en un très court laps de temps. Certes, il existe d’autres moyens de l’apprendre, mais ces méthodes exigent parfois des années de pratique et nécessitent que les enseignants soient compétents et disposés à apprendre. Il est également possible d’avoir comme objectif de reconnaître et de considérer les enfants comme des apprenants actifs sans avoir les habiletés pour le faire et sans adopter concrètement des pratiques qui le permettent. Il ne s’agit pas simplement d’employer fréquemment certaines pratiques pédagogiques, encore faut-il savoir quand et comment le faire.

Le curriculum HighScope propose des environnements et des routines hebdomadaires qui favorisent l’apprentissage actif chez les enfants. La classe devient alors un milieu riche en ressources mettant à profit plusieurs centres d’activités conçues pour soutenir différents types d’apprentissages – un coin artistique avec de la peinture, des pinceaux, des crayons de couleur et des chevalets ; un coin pour les déguisements avec de vieux vêtements et des souliers permettant aux enfants de personnifier différents rôles ; un coin lecture avec des livres et autre matériel didactique ; un coin cuisine avec une table et des ustensiles ; un coin de construction avec marteaux, tournevis et autres outils ; et d’autres coins semblables selon les intérêts des enfants et l’espace disponible. Contrairement aux périodes fixes durant lesquelles des connaissances sont directement communiquées aux enfants sur différents sujets pédagogiques, la routine quotidienne dans le curriculum HighScope leur offre la possibilité de s’engager dans un apprentissage actif guidé ou non guidé : un temps laissé pour planifier leurs activités ; un temps alloué pour leur permettre de poursuivre des projets ; un temps alloué pour faire un retour sur les activités auxquelles ils ont participé ; un temps réservé au rangement après les activités ; un temps réservé à la collation ; un temps pour une sortie à l’e...

Table des matières

• Couverture
• Page de titre
• Copyright
• Table des matières
• Listes des figures
• Liste des tableaux
• Liste des sigles
• Introduction : Entre science et intentions – Entre possibilités et réalisations : les programmes de prévention à l’intention des parents et des enfants vivant en contexte de vulnérabilité
• Chapitre 1 : Le HighScope Perry Preschool : la prévention grâce à un programme préscolaire d’apprentissage actif
• Chapitre 2 : L’approche Abecedarian
• Chapitre 3 : Les visites à domicile Early Head Start : une intervention développementale auprès de parents de nourrissons et de tout-petits à risque
• Chapitre 4 : Le projet Head Start REDI et la préparation scolaire
• Chapitre 5 : Fluppy : un programme conçu au Québec et implanté à travers toute la province depuis plus de 25 ans
• Chapitre 6 : Les programmes Incredible Years® : les parents et les enseignants œuvrant ensemble en vue du bien-être des enfants
• Chapitre 7 : Triple P – Pratiques parentales positives : un système préventif axé sur l’autorégulation des parents
• Chapitre 8 : Analyse économique des services de garde éducatifs à la petite enfance : une recension des écrits
• Chapitre 9 : Cinquante ans d’expérimentation : quels enseignements tirer des programmes de prévention précoce ?