CHAPITRE 1 /
L’histoire et l’organisation de l’éducation des Autochtones au Québec et au Canada
Ce n’est pas d’où vous venez qui compte, mais où vous allez.
Ella Fitzgerald
Commence ici l’histoire de l’éducation et de la scolarisation des personnes autochtones que je raconte avec beaucoup de modestie. Ces quelques lignes ne peuvent pas avoir la prétention de l’exhaustivité: comment rendre une histoire aussi complexe en aussi peu de mots? Cette histoire est assurément plus vaste que ce que je raconte dans ce premier chapitre, mais j’ai eu à choisir ce qui était le plus important dans le contexte de cette recherche. J’y présente les éléments essentiels permettant de mieux comprendre les chapitres suivants. Ils sont un excellent point de départ qui permet d’aller un peu plus loin et de déterminer les contextes dans lesquels s’est jouée cette histoire.
Fondamentalement, l’histoire enseigne que la classe en rangée et les écoles avec des cloches qui commandent d’apprendre à un moment précis de la journée ne correspondent peut-être pas exactement à ce que des personnes autochtones considèrent comme étant leur modèle. Elle enseigne aussi que des personnes autochtones ne sont pas en sécurité sur le plan culturel dans ce milieu scolaire et chargées émotionnellement, malgré la bonne volonté et la bienveillance des directions de l’éducation, des directions d’école et des intervenants et professionnels scolaires. L’histoire et le contexte permettent aussi de réaffirmer l’importance de l’éducation dans les cultures autochtones et la négligence passée de n’avoir pu comprendre et considérer leur système d’éducation comme étant à leur image, d’une part, par sa trop grande différence, d’autre part, à cause de l’ethnocentrisme de colonisateurs.
Les très nombreuses répercussions de la colonisation, qui sont aussi abordées dans le dernier chapitre, causent encore des tourments. Par exemple, les années de scolarisation forcée en pensionnats sont peut-être derrière les Autochtones, mais leurs séquelles sont encore présentes aujourd’hui. Il est primordial de prendre en considération cette réalité dans la problématisation de l’amélioration des systèmes éducatifs qui soutiennent actuellement les communautés autochtones. Dans ce chapitre, une synthèse de l’histoire de l’éducation au sein de milieux autochtones au Canada et au Québec est d’abord présentée (section 1.1), puis la manière dont elle est organisée et administrée est expliquée en prenant particulièrement exemple sur le Québec (sections 1.2 et 1.3).
1/Une histoire complexe et peu connue
1.1/L’éducation, avant la colonisation
L’histoire de l’éducation des personnes autochtones au Canada a commencé bien avant l’arrivée des Européens sur le continent (encadré 1.1; de plus, un lexique est présenté dans l’annexe I). Leur système d’enseignement et d’apprentissage était bien différent de celui que les Européens leur ont imposé par la suite.
ENCADRÉ 1.1 / La définition de «peuples autochtones»
L’expression «peuples autochtones» désigne à la fois dans ce texte tous les peuples dits «premiers», qui habitaient en Amérique avant l’arrivée des Européens. Ainsi, elle désigne à la fois les Premiers Peuples, les Premières Nations ou les Amérindiens (ces trois dernières appellations étant considérées comme synonymes), les Métis et les Inuit (selon la Constitution canadienne de 1982, art. 35). Ces derniers ne sont pas considérés comme des Amérindiens ou comme faisant partie des Premiers Peuples, puisqu’ils seraient arrivés dans une dernière vague de peuplement, plusieurs milliers d’années après les derniers Amérindiens.
Source: Inspiré de Gouvernement du Canada (2017, 2020) et Kasbarian-Bricout (2004).
L’éducation traditionnelle était basée sur les récits de voyage, les histoires transmises oralement d’une génération à l’autre, les cérémonies d’enseignement, les apprentissages de la vie courante et des responsabilités de la vie de famille (Agbo, 2005). Cette forme d’éducation permettait aux enfants de se préparer à la vie adulte (Friesen et Krauth, 2012). Les communautés s’organisaient de façon autarcique et étaient autosuffisantes et autogouvernées avec une économie, des traditions et des mœurs qui leur étaient propres (Carr-Stewart, 2006). Les leaders et les anciens possédaient une tradition de travail, un gouvernement efficace et compétent, un style de vie bien organisé et intelligent, ainsi qu’un système d’éducation, une religion et des mécanismes avancés de socialisation (Carr-Stewart, 2006). Leur philosophie en était une d’harmonie avec la Terre, à travers le maintien d’une économie basée sur les relations sociales («socialist-based» [Rochelle-Bressette, 2008, p. 2]). Leur vie, leur religion et leur société en général étaient organisées grâce à une éducation et à un leadership efficaces. Aussi, comme les Européens et d’autres peuples, ils avaient déjà connu la guerre et les autres vices des Hommes.
Avant le contact avec les Européens, des peuples autochtones éduquaient leurs enfants par différents moyens traditionnels tels que la démonstration, la socialisation en groupe, la participation à des rites spirituels et culturels, le développement des compétences et l’enseignement oral (Mccue, 2011). Aussi, l’éducation était organisée autour d’une socialisation au jour le jour (Rochelle-Bressette, 2008). Toute la communauté participait à l’éducation des enfants qui apprenaient notamment par l’observation, l’imitation et la pratique, la socialisation familiale et de groupe, les enseignements oraux et la participation à des cérémonies et des traditions communautaires. L’apprentissage était continu, mais intermittent, et l’implication de toute la communauté représentait une part importante de la réussite de l’éducation des jeunes, de même que des pratiques de leadership exceptionnelles des différents membres des communautés, dont les aînés (Rochelle-Bressette, 2008).
Ces méthodes permettaient aux enfants d’acquérir les valeurs, les croyances, les compétences et les connaissances considérées alors comme nécessaires à la vie d’adulte. D’ailleurs, ces dernières subsistent aujourd’hui au sein des communautés, bien que dans une moindre mesure. Or, leur importance a considérablement diminué, et ce, particulièrement à cause des 350 ans d’enseignement formel en salle de classe selon la méthode européenne (Mccue, 2011).
1.2/L’introduction de l’enseignement formel à l’européenne et l’éducation dans les pensionnats
1.2.1/À la suite de la colonisation
À la suite de l’arrivée des premiers étrangers, l’éducation était entièrement administrée par les Européens dans des écoles loin des communautés dans lesquelles les élèves résidaient (Hare, 2007). Ces écoles de mission, aussi appelées «pensionnats autochtones», avaient alors pour principal objectif de «civiliser» et de christianiser les peuples autochtones, dont le mode de vie traditionnel était jugé inférieur ou païen (dans le sens de «non chrétien», car au tournant du XIXe siècle, les églises protestantes interviennent elles aussi dans l’éducation des enfants autochtones dans ce qui est maintenant le Canada). Les premières écoles connues datent de 1620; il s’agissait des écoles de la Nouvelle-France. Ce sont pourtant celles qui ont accueilli les élèves à partir de la fin du XIXe siècle (vers 1880) qui ont été les plus radicales et qui ont perpétré des sévices importants. Aussi, les dernières écoles à fermer leurs portes au Canada sont le pensionnat Gordon à Punnichy en Saskatchewan (1996) et au Québec le pensionnat anglican de Fort George à la Baie-James (1979).
Au moment de la création de ces écoles résidentielles, il y a eu quelques alliances entre les missionnaires et les nations autochtones, qui ont invité les missionnaires sur leurs territoires. Les écoles étaient près des communautés et les élèves pouvaient acquérir de nouvelles connaissances en fonction de leur compréhension du monde (Hare, 2007). Or, les pratiques adoptées dans ces écoles ont renforcé la politique générale du gouvernement de l’époque qui visait à assimiler les peuples autochtones à la société coloniale (Mccue, 2011). Voici quelques exemples de pratiques ou de politiques qui ont été mises en place alors:
•Le régime appliqué par le gouvernement était partout inflexible et cruel;
•Les élèves désobéissants, quelle que soit la faute commise, recevaient systématiquement une punition corporelle;
•Les écoles interdisaient l’emploi des langues autochtones;
•Les écoles conduisaient de jeunes autochtones à ressentir de la honte par rapport à leur identité culturelle;
•De nombreux enfants ont subi des sévices sexuels dans les pensionnats;
•Certaines preuves démontrent que plusieurs enfants sont morts au pensionnat ou à la maison des suites de maladies contractées pendant leur séjour au pensionnat.
1.2.2/Le XIXe siècle et le début du XXe
À partir du XIXe siècle, plusieurs décisions liées à la scolarisation des peuples autochtones ont été prises. D’abord, l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (1867) a créé deux systèmes parallèles d’éducation (provincial pour tous les Canadiens et fédéral pour les peuples autochtones) dans lesquels les attentes, les standards, les modes de scolarisation et le niveau d’instruction, les services aux élèves, le développement et l’adaptation des curriculums, notamment, sont devenus différents pour les élèves de chacun des systèmes. Aussi, par cet acte, le Canada devenait responsable des «Indians, and lands reserved for Indians1». Cependant, l’acte en tant que tel ne définit pas le domaine de l’éducation; il laissa les provinces établir leurs politiques et leurs façons de faire en ce domaine.
L’éducation des peuples autochtones ne sera pas non plus définie par le gouvernement fédéral qui n’a pas promulgué de législation éducative particulière, mais qui a plutôt pris pour modèle la Loi sur les Indiens et les directives éducatives du Département des Affaires indiennes et du Nord Canada (actuellement les Affaires autochtones et du Nord Canada) afin d’établir ce qu’il considère comme «its constitutional obligations for educational services for First Nations people2» (à noter que les Inuit ne sont pas soumis à la Loi sur les Indiens) (Gouvernement du Québec, 2013).
Au départ, la Loi sur les Indiens limitait l’autorité du chef et des conseils de bande quant à des décisions qui concernaient la communauté, puis des amendements leur ont donné plus de pouvoir (restant toutefois sujet à l’approbation du Canada), notamment en ce qui a trait aux règles concernant la confession religieuse des enseignants qui travaillent au sein d’une communauté autochtone, la construction et la réparation des écoles (school houses) ou encore la présence obligatoire à l’école des élèves âgés de 6 à 15 ans (Carr-Stewart, 2009).
Plus tard, un autre amendement renforce la politique de non-participation des parents, de la communauté ou des anciens dans l’éducation des enfants. Ainsi, les enfants étaient forcés d’aller étudier dans les écoles résidentielles (1894), sous peine d’amendes et d’emprisonnement des parents (Carr-Stewart, 2006).
L’influence des missionnaires étant limitée, les plans d’assimilation du gouvernement devaient être intensifiés: «Assimilation could best be achieved if children were removed from the influences of their family and community3». Les écoles résidentielles avaient comme but affirmé d’isoler les enfants de leur structure sociale connue. C’est une époque (jusque dans les années 1960) où les politiques et pratiques éducatives avaient comme but l’éradication des cultures et des langues autochtones. Des familles ont souffert et le lien intime entre enfant et famille a été brisé (Carr-Stewart, 2006). Toutefois, l’assimilation des personnes autochtones par l’éducation n’a pas réussi (Carr-Stewart, 2006). «Il est aussi formalisé q...