TROISIĂME PARTIE
MANAGER
LE CHANGEMENT
ORGANISATIONNEL
Un premier apport de la thĂ©orie du chaos nous est dâun prĂ©cieux secours pour comprendre les facteurs dĂ©terminants dans la mise en route du changement. câest ce que lâon nomme «la sensibilitĂ© aux conditions initiales». En termes clairs, cela signifie que les premiers pas ou les premiĂšres actions entreprises pour mettre en Ćuvre un projet de changement auront un impact majeur sur la suite des choses, un peu comme lâimage du battement dâailes du papillon. Les managers sont donc conviĂ©s Ă un changement de paradigme dans lequel le planifier, diriger, organiser et contrĂŽler non seulement tient une place relativement restreinte mais dans lequel surtout lâenclenchement et lâannonce du changement revĂȘtent une importance capitale. Car mĂȘme si la mise en route de changements importants dans les ensembles organisationnels accĂ©lĂšre lâapparition des facteurs de dĂ©sordre, les managers ne doivent pas cĂ©der Ă la tentation de recourir Ă une coordination serrĂ©e du plan de changement, ce qui aurait pour effet dâengendrer un accroissement de la rĂ©sistance, ni chercher Ă minimiser la portĂ©e du moment de lâannonce en lâincluant dans les temps forts habituels de lâentreprise. Ce que la thĂ©orie du chaos nous rappelle, câest que la façon dont un Ă©vĂ©nement ou une suite dâĂ©vĂ©nements est enclenchĂ©e a des rĂ©percussions sur tout lâensemble du processus qui en dĂ©coule. Bref, lâannonce du changement revĂȘt une importance capitale quâil ne faut pas sous-estimer au risque de devoir rattraper continuellement cette «erreur» du dĂ©but.
Habituellement, les managers choisissent les temps forts de lâentreprise ou de lâorganisation pour faire part Ă lâensemble de ses membres du projet de changement retenu pour remettre, sâil y a lieu, lâorganisation sur les rails. Ces moments forts sont gĂ©nĂ©ralement le discours dâentrĂ©e (en dĂ©but dâannĂ©e ou au retour des grandes vacances) que le premier manager adresse Ă tous les employĂ©s et cadres de lâentreprise. Or faire lâannonce du changement Ă ce moment-lĂ revient Ă nĂ©gliger une fenĂȘtre dâopportunitĂ© essentielle pour retenir lâattention de tous au message ainsi lancĂ©. Car les temps forts de lâentreprise le sont justement parce quâils permettent une pose dans le contexte habituel. Ils ont surtout comme objectif de crĂ©er un contexte diffĂ©rent dans lequel lâatmosphĂšre (esprit de fĂȘte) est plus importante que les mots qui seront prononcĂ©s et que les employĂ©s connaissent dĂ©jĂ par cĆur! Choisir ce moment pour faire lâannonce dâun changement important au sein de lâentreprise revient Ă banaliser lâĂ©vĂ©nement ou encore Ă provoquer un conflit dâatmosphĂšre qui, de toute façon, sera nĂ©faste Ă lâobjectif visĂ©. Pour que lâannonce porte, il faut briser les routines dĂ©claratoires.
Tout changement au sein dâune organisation engendre ce que lâon pourrait appeler un «flou» pour lequel un nouveau code de dĂ©chiffrement sera nĂ©cessaire. En lâabsence de ce nouveau code, les employĂ©s et les cadres auront tendance Ă utiliser celui habituellement en vigueur rendant ainsi plus complexe encore la mise en Ćuvre du changement. Ce nouveau code de dĂ©chiffrement est en quelque sorte la vision dont le manager principal se fera lâĂ©cho. lâutilisation de ce code servira à «traduire» la nouvelle rĂ©alitĂ© interne et externe de lâentreprise Ă la lumiĂšre de lâorientation prĂŽnĂ©e par lâĂ©quipe de managers. Dans le domaine privĂ©, ce nouveau code rĂ©sulte de la volontĂ© des principaux actionnaires et se traduit assez facilement dans la vie quotidienne de lâentreprise. Dans le domaine public, cela reprĂ©sente une difficultĂ© supplĂ©mentaire car le vĂ©ritable signal du changement ne peut provenir que de lâunivers politique pour ĂȘtre ensuite «rĂ©cupĂ©ré» par le management.
Cette rĂ©cupĂ©ration du signal par le manager principal pourra prendre une intensitĂ© diffĂ©rente en fonction de sa propre analyse de la «qualité» du signal politique et faire en sorte quâil assume plus ou moins fortement le signal. Ainsi le flou engendrĂ© par lâannonce du changement sera plus ou moins accentuĂ© par le flou dĂ©coulant du degrĂ© de conviction manifestĂ© par le dirigeant Ă lâĂ©gard du changement attendu. Non seulement, le manager principal doit-il assumer le signal politique du changement mais il doit lâassumer de façon telle quâil puisse le faire partager Ă lâensemble du management dâabord et Ă lâorganisation par la suite. Il devra donc dĂ©velopper un «langage» du changement.
7.1. LE LANGAGE DU CHANGEMENT
DâoĂč doit provenir lâinitiative dâun changement de type 2? Nous serions tentĂ© de rĂ©pondre quâil appartient en propre aux managers dâamorcer un tel changement et nous aurions fort probablement raison. Malheureusement, en pensĂ©e systĂ©mique, il est dit quâun changement ne rĂ©sulte ni «d âune dĂ©marche top down, ni dâune dĂ©marche bottom up», mais dâune dĂ©marche participative de tous les niveaux dans laquelle apparaĂźt un langage nouveau et commun Ă tous les membres de lâorganisation ou de lâentreprise.
Sâil paraĂźt Ă©vident quâun changement de type 1 peut traverser lâensemble des structures existantes afin de pouvoir y recevoir sa lĂ©gitimitĂ© et ĂȘtre inclus dans la culture organisationnelle, cela semble moins Ă©vident avec un changement de type 2. En effet, ce type de changement a pour principal objet de modifier radicalement la «culture» pour la rĂ©orienter vers des attitudes nouvelles (par exemple, le fait de passer dâune approche ressources Ă une approche clientĂšle) et ne peut que rencontrer des obstacles majeurs sâil lui faut recevoir lâaval de structures mises en place pour protĂ©ger les acquis de lâancienne culture. Il y a lĂ un paradoxe des plus intĂ©ressants. Les managers, meneurs habituels du changement, ont acquis leur lĂ©gitimitĂ© par leur respect des structures antĂ©rieures au changement et sont dans lâobligation de se dĂ©tacher de ces structures pour faire Ă©merger une approche nouvelle. Le conflit est inĂ©vitable. Mais comment le contourner?
La mise en Ćuvre dâun changement de type 2 passe obligatoirement par la maĂźtrise dâun nouveau langage qui peut traduire la rĂ©alitĂ© envisagĂ©e de la nouvelle organisation en des mots dont le sens ne sera pas totalement hypothĂ©quĂ© par les anciennes structures. Or, si les mots peuvent ĂȘtre apparemment communs, leur sens demeure individuel tant que les individus nâont pas lâoccasion dâĂ©changer sur leur comprĂ©hension commune de ces mots. Et les structures actuelles et traditionnelles de lâorganisation ne peuvent ĂȘtre exclusivement ces lieux dâĂ©change du nouveau langage, car elles ont codifiĂ© le sens «traditionnel» quâil convenait dâaccorder aux mots dans lâorganisation. Il faut donc trouver de nouveaux lieux dâĂ©changes qui permettent de dĂ©velopper une communautĂ© de sens pour redonner au langage sa capacitĂ© dâappuyer le changement en cours.
Câest donc en brisant les routines dĂ©claratoires que les managers pourront indiquer quâun sens nouveau se glisse sous les mots habituellement utilisĂ©s. Ce que lâon nomme «routines dĂ©claratoires», ce sont les nombreuses et prĂ©visibles occasions dâannoncer le changement que les structures habituelles se sont donnĂ©es justement pour prĂ©venir les glissades et les erreurs de parcours qui viendraient bousculer lâorganisation. Si les managers suivent scrupuleusement les routines habituelles, ils peuvent ĂȘtre assurĂ©s que les mots employĂ©s pour dĂ©crire le changement seront imprĂ©gnĂ©s du sens traditionnel et, dans les faits, ne traduiront que la continuitĂ© dans lâesprit de ceux qui les entendront.
Il faut se rappeler les notions de «codage» et de «dĂ©codage» pour comprendre ce qui se passe lorsquâon parle du changement. lâĂ©metteur, soit le manager, choisit dâabord les mots et ensuite les combine ou les agence dans des relations et dans un contexte. De son cĂŽtĂ©, le dĂ©codeur, en lâoccurrence lâemployĂ©, procĂšde inversement en ayant dâabord en tĂȘte le contexte et les relations habituelles associĂ©s aux mots avant dây porter attention et de les entendre. ConsĂ©quemment, comme nous lâavons vu dans lâencadrĂ©, un manager pourrait annoncer, Ă lâoccasion dâune rencontre de dĂ©but dâannĂ©e, lâintention de lâorganisation dâeffectuer un virage important mais les employĂ©s seraient dâabord attentifs au contexte de la rencontre et plus ou moins indiffĂ©rents aux mots utilisĂ©s dans le message.
DâoĂč lâimportance pour le manager dĂ©sireux dâenclencher un changement vĂ©ritable de bien choisir ses mots certes mais surtout de porter une attention toute particuliĂšre au contexte dans lequel il les prononcera. Tout comme on lâa vu en traitant de la perception, il faut porter plus dâattention au dĂ©codage quâau codage du message si lâon veut que les mots aient le mĂȘme sens pour lâensemble de lâorganisation. Or porter attention au dĂ©codage signifie quâil faut parfois sâĂ©carter des routines dĂ©claratoires et des structures prĂ©vues Ă cette fin. Le changement passe dâabord par une certaine dĂ©stabilisation qui ne peut se faire quâen courtcircuitant les schĂšmes de rĂ©fĂ©rence que les acteurs du statu quo ont habituellement nourris.
Le changement vĂ©ritable a besoin dâune «clé» dâinterprĂ©tation fournie par le manager.
Le manager aura donc intĂ©rĂȘt Ă ne pas se confiner aux structures actuelles de son organisation pour transmettre le message du changement. De plus, il devra saisir toutes les occasions pour donner la «clé» dâinterprĂ©tation des mots quâil choisit pour dĂ©crire le changement quâil entend proposer Ă lâensemble de lâorganisation. Plus la «clé» sera copiĂ©e par le plus grand nombre, plus le contexte qui englobera lâinterprĂ©tation des mots choisis pour dĂ©crire le changement se rapprochera du sens que le manager y aura attachĂ©.
On connaĂźt bien, dans le processus thĂ©rapeutique, lâinfluence quâexercent les mots et leur contexte dans le processus de changement. Trop souvent, cependant, on croit que cet effet ne sâapplique quâau changement personnel et que le changement organisationnel suit une piste bien trop rationnelle pour que le langage y ait un quelconque effet. câest oublier que la sĂ©duction est une voie privilĂ©giĂ©e dâouverture au changement pour bon nombre dâindividus au sein de lâentreprise. Il serait tĂ©mĂ©raire de croire que le langage ne joue aucun rĂŽle dans cette sĂ©duction! Mais par-delĂ le langage, il y aura lâattitude adoptĂ©e par le manager principal en parlant du changement et cette attitude reflĂ©tera son propre degrĂ© de rĂ©sistance au changement.
7.2. LA RĂSISTANCE INSIDIEUSE
Dans la mise en Ćuvre dâun changement, la rĂ©sistance est trĂšs souvent un facteur attendu et auquel on porte beaucoup dâattention. Facteur psychologique qui emprunte tout autant Ă lâopposition quâau maintien dâun sain Ă©quilibre, la rĂ©sistance semble au manager toujours plus Ă©vidente chez les autres que chez lui-mĂȘme! Ă moins dâavoir dĂ©veloppĂ© une capacitĂ© et une discipline dâintrospection particuliĂšre, il a tendance Ă croire que la rĂ©sistance au changement dĂ©crit davantage lâattitude des autres que la sienne. ParticuliĂšrement lorsquâil se retrouve en situation de responsabilitĂ©, donc de pouvoir, il lui apparaĂźt clair, ayant le devoir de guider une organisation ou une entreprise dans les mĂ©andres du changement, quâil y est entiĂšrement dĂ©vouĂ© et quâil ne trouverait en lui-mĂȘme rien qui sâapparente Ă de la rĂ©sistance. Tout au plus, il manifeste des questionnements, des hĂ©sitations, de la recherche dâune saine assurance quâil ne sâachemine pas dans une aventure sans issue, bref, que loin de rĂ©sister le manager a un comportement des plus rationnels!
Des annĂ©es de formation en gestion ou en management lui ont appris quâil lui faut constamment «maĂźtriser» lâenvironnement de travail et contraindre les individus (dont lui-mĂȘme) Ă se plier Ă cet exercice de planification, dâorganisation, de direction et de contrĂŽle qui assure, dit-on, la pĂ©rennitĂ© Ă lâentreprise. Aussi, lorsque cet environnement change (tant Ă lâinterne quâĂ lâexterne), la peur de perdre cette stabilitĂ© augmente continuellement. câest cette «peur» que lâon nommera «rĂ©sistance» chez les employĂ©s et «prudence» chez les managers!
Or le changement fait naĂźtre chez lâensemble des individus un sentiment dâimpuissance dont chacun tente par tous les moyens de se dĂ©barrasser. En situation de pouvoir, le manager a tendance Ă transfĂ©rer ce sentiment dâimpuissance sur les autres au moyen de directives, de politiques, de rĂ©vision structurelle et dâaccroissement du contrĂŽle sur les faits et gestes de lâensemble de lâorganisation ou de lâentreprise. En situation de dĂ©pendance, dans le cas des employĂ©s par exemple, il ne reste que la fuite (absentĂ©isme au travail, Ă©puisement professionnel) ou la lutte (rĂ©sistance organisĂ©e, grĂšve, etc.) planifiĂ©e.
Bref, du cĂŽtĂ© de la gestion comme de celui des employĂ©s, tous les moyens sont bons pour se prĂ©munir contre les effets du changement dâautant plus que lâimpuissance Ă le comprendre et Ă le contenir sâaccroĂźt. dâun Ă©lĂ©ment Ă lâimpact affectif, il est tentant de le transformer en Ă©lĂ©ment Ă caractĂšre rationnel quâil est possible dâinclure soit dans des catĂ©gories de management, soit dans des catĂ©gories Ă caractĂšre syndical...