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- French
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eBook - ePub
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Ă propos de ce livre
Si les organisations sont des lieux de réalisation de projets qui fonctionnent grùce à la coopération de ses employés, elles n'en restent pas moins des espaces de domination. Les auteurs étudient cette réalité dans le management par projet pour donner au lecteur les moyens de penser le développement d'une organisation.
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Management Le schĂ©ma cellulaire en rĂ©seau marque aujourdâhui la rupture la plus significative avec le modĂšle taylorien. Lâorganisation des activitĂ©s en mode projet est sans doute la forme typique de cette Ă©volution, Ă la fois caractĂ©risĂ©e par la dĂ©centralisation orientĂ©e vers le marchĂ©, les formes multiples de rĂ©gimes contractuels et la mobilisation de savoirs, de statuts et dâacteurs multiples pour la rĂ©alisation dâun programme (Veltz, 2000, p. 176). Cette tendance peut ĂȘtre Ă©galement observĂ©e, Ă une Ă©chelle plus fine, au plan des collectifs de travail autrement appelĂ©s Ăźlots de production, Ă©quipes de projet ou cellules autonomes. Si les ouvrages de conseil en management et les politiques de gestion de ressources humaines ont largement cĂ©lĂ©brĂ© les vertus de la flexibilitĂ© cellulaire (rĂ©munĂ©ration au mĂ©rite, individualisation des objectifs, plans de formation individualisĂ©s, etc.), les approches critiques en revanche, notamment en sociologie du travail (Linhart, 2009), en ont dĂ©noncĂ© les pratiques perverses : harcĂšlement, « placardisation », dĂ©localisation, prĂ©carisation du travail, mobilitĂ© forcĂ©e. Dans cette Ă©tude, nous essaierons de dĂ©montrer que la communication cellulaire se rĂ©sume Ă lâemploi de protocoles ou de langages de commande de processus (overhead) auxquels doivent se conformer des individus supposĂ©s compĂ©tents1. La polyvalence, la compĂ©tence, le savoir ĂȘtre, la mobilitĂ©, et bien dâautres qualitĂ©s requises par le management, sont des postures normatives ou des portraits types auxquels lâindividu concret est censĂ© sâajuster et sâidentifier au point, justement, de sâeffacer en tant quâindividu singulier. On peut alors se demander ce que deviennent les relations interpersonnelles et sociales dans une organisation cellulaire pilotĂ©e par les normes visant lâexplicitation et la codification absolues des comportements, des processus et des objectifs au prĂ©texte dâĂ©valuation des performances et, en derniĂšre instance, de rentabilitĂ© financiĂšre.
1. RETOUR SUR UNE UTOPIE COMMUNICATIONNELLE
Un regard sur lâĂ©volution des idĂ©es et des pratiques en management depuis presque trente ans en tenant compte de lâactualitĂ© la plus rĂ©cente, la plus brĂ»lante, rĂ©vĂšle la fin dâune utopie communicationnelle. Sans doute, sur cette question â et on nous pardonnera de consulter un corpus pour nous trĂšs accessible â, les dossiers de la revue Communication & Organisation sont-ils de bons indicateurs. Du sentiment dâappartenance (1992) aux mĂ©moires dâentreprise (1995), en passant par le management de la qualitĂ© (1999) et les nouvelles Ă©thiques dâentreprise (2004), nous rĂ©perons les enjeux dâune Ă©poque marquĂ©e par la quĂȘte du consensus social. La communication, quâon le veuille ou non, est normative, fonctionnelle et euphorique. La littĂ©rature de management fait lâapologie de lâĂ©quipe : il faut produire de lâentente, de la coopĂ©ration au sein de collectifs dont on ne discerne pas toujours les particularitĂ©s culturelles, professionnelles et encore moins individuelles. Au plan global, il faut construire un projet et une culture dâentreprise, mettre une Ă©quipe en mouvement au profit dâune idĂ©e forte. Toute lâactivitĂ© de normalisation dans ce domaine est fondĂ©e sur la croyance en la force socialisatrice de lâinnovation et de la gestion de la qualitĂ©. Dans le domaine du management, la mode Ă©ditoriale de la dĂ©cennie 1990 est Ă la culture de lâĂ©quipe, lâempowerment, le team building, le reengineering, etc. Aux mĂ©tiers et Ă leurs communautĂ©s succĂšdent des processus dâentreprise, lesquels redistribuent radicalement les rapports de pouvoir et les jeux dâacteurs. Ce qui se pense, se ressent, se partage du social ne trouve plus sa source dans la complicitĂ© solidaire des collectifs au travail â ce que nous appelons simplement des groupes â, mais (et ce nâest pas le moindre des paradoxes) dans la production des rĂ©cits sur lâentreprise, dans la sublimation des contraintes au travail, dans lâexaltation des valeurs dâengagement, dâaffirmation de soi, de lâentreprise de soi-mĂȘme (Vercellone, 2009, p. 93). Dans le management de lâĂ©quipe, la part symbolique de lâaction consacre les attitudes moralement qualifiĂ©es (la responsabilisation, la confiance, la prise de risque, lâesprit de compĂ©tition, la capacitĂ© dâengagement, etc.). Elle sublime ces postulats Ă©conomiques qui affirment que la problĂ©matique et la justification de la cohĂ©sion sociale sont celles du marchĂ©, que la solidaritĂ© peut se construire en termes de compĂ©titivitĂ© et de rentabilitĂ©, que lâentreprise peut, dans un contexte de croissance observable et quoi quâen dise Castel, « porter le poids de la rĂ©solution de la question sociale2 ». Cet argumentaire libĂ©ral imprĂšgne la grande fresque prophĂ©tique dâauteurs comme Peter et Waterman, dont lâouvrage, Le prix de lâexcellence (1982), devait se vendre Ă plus de cinq millions dâexemplaires mĂȘme si, comme beaucoup de grandes entreprises amĂ©ricaines, Boeing devait connaĂźtre bien des dĂ©boires⊠Au fond, le sens du travail est affaire de discours : lâapprentissage du « vivre ensemble » au travail devient lâobjet et lâenjeu de prophĂ©ties, dâexhortations, de sublimation, donc. Le manager â la figure type du pouvoir â tient enfin le discours de la rĂ©conciliation entre la vertu de lâengagement collectif et la performance Ă©conomique : le sujet individuel se fond dans un sujet collectif au titre de valeurs comme le sens des responsabilitĂ©s, la prise de risque, le goĂ»t dâentreprendre. Dans cette Ă©popĂ©e industrielle, les contradictions logiques sont enfin rĂ©solues : par exemple, entre les comportements exigibles et le don de soi, lâautonomie requise et la contrainte assumĂ©e, la prĂ©carisation de lâemploi et lâexigence dâinvestissement (Lallement, 2010). Mais aujourdâhui encore, il y aurait beaucoup Ă dire sur ce qui persiste de cette utopie communicationnelle et de la narration Ă©pique dans les formes de revendication du mouvement Ă©cologique ou encore dans les politiques de gestion des crises (financiĂšres ou sociales).
2. VERS LE PARADIGME CELLULAIRE
Les annĂ©es 2010 annoncent dâautres approches3 : lâinnovation organisationnelle, lâindividu au travail, la communication Ă lâĂ©preuve des mutations Ă©conomiques, lâĂ©valuation des performances et des organisations, etc. Ă lâordre imaginaire de lâutopie se substitue lâĂ©preuve du rĂ©el, avec ses stratĂ©gies, ses apories, puis ses souffrances et ses impasses. Lâenvironnement de lâentreprise devient complexe, imprĂ©visible, instable. Les facteurs sont connus : crises Ă©conomique et financiĂšre, unions monĂ©taires, mutations politiques et sociales, concurrence mondialisĂ©e⊠Les rĂ©ponses, radicales, sont structurelles : fusions, acquisitions, internationalisation des fournisseurs, dĂ©localisation des sites de production, etc. Le discours modernisateur met lâaccent sur la fonction et non plus sur le mĂ©tier. La modernisation est dans une mauvaise passe, dit DaniĂšle Linhart (2009), et les technologies de lâinformation et de la communication nây changeront rien. Pour entrer, comme le dit cette auteure, dans le jeu rentabiliste de lâentreprise, il faut apprendre Ă se mesurer Ă soi-mĂȘme ou faire comme si la dĂ©solidarisation devenait une condition de la performance individuelle. Les signes perceptibles pour soi-mĂȘme du dĂ©sordre ? La souffrance, le stress, la peur, la solitude, lâisolement, le dĂ©classement⊠Le licenciement nâest plus seulement la nĂ©gation du travail, il est aussi celle de lâimaginaire collectif associĂ© au mĂ©tier, Ă ses formes multiples de solidaritĂ© et Ă sa continuitĂ© gĂ©nĂ©rationnelle⊠Le salariĂ© doit se conformer Ă des rĂ©fĂ©rentiels de compĂ©tences dans un contexte marquĂ© par la dĂ©collectivisation des rapports de travail et par la personnalisation du rapport salarial sous la contrainte des systĂšmes qualitĂ© et de leurs indicateurs. Au point que le paradigme cellulaire paraĂźt pertinent aujourdâhui pour rendre compte de la maniĂšre dont sont utilisĂ©s les protocoles de gestion de crise et les mĂ©thodes dâenfermement du salariĂ© dans la « cage » des normes. Dans cet espace de travail saturĂ© de codes et de consignes (Grimand, 1996, citĂ© par Everaere, 1999), « il sâagit dâobtenir des salariĂ©s lâintĂ©riorisation des objectifs dĂ©finis par la direction afin de bĂ©nĂ©ficier gratuitement de leur mobilisation totale » (Vercellone, 1999, p. 93). Dans la technique de coordination cellulaire, la multiplication et lâempilement des procĂ©dures forment ce que Jean-Michel Camin (voir chapitre 8) appelle un phĂ©nomĂšne dâinformation de commande ou overhead. Tous les rĂ©seaux de communication au sein de la formation cellulaire sont rĂ©gulĂ©s par le processus overhead, ce temps passĂ© par un systĂšme Ă ne rien faire dâautre quâĂ se gĂ©rer lui-mĂȘme⊠Lâinformation de commande, lâoptimisation des temps et des coĂ»ts, la gĂ©nĂ©ralisation des pratiques comptables, les « modes dâorganisation reposant sur lâoptimisation continuelle des processus » (jargon de la RĂ©vision gĂ©nĂ©rale des politiques publiques [RGPP], citĂ© par Roy, 2009, p. 240) forment lâesquisse dâun modĂšle de gestion que nous proposons dâappeler gestion cellulaire.
3. GESTION CELLULAIRE
La cellule dĂ©signe, dans son sens organisationnel, le collectif dâexperts chargĂ©s de restaurer, en situation de crise, de grand danger ou de catastrophe, au moins un ordre provisoire. Sa prioritĂ© est de rechercher des solutions de prĂ©vention dâun plus grand risque encore et de dĂ©velopper une coordination intense pour mettre en application un plan de secours destinĂ© Ă des victimes rĂ©elles ou potentielles. Cellule de crise4, dâurgence, de coordination ou dâappui technique, elle est astreinte Ă proposer des solutions ad hoc et rapides Ă des problĂšmes souvent mal diagnostiquĂ©s, faute de temps ou de moyens. Elle fait preuve dâune grande capacitĂ© Ă se connecter Ă diverses structures dâun mĂȘme rĂ©seau, auxquelles elle puise, dans lâurgence, les ressources dont elle a besoin. Elle est Ă©videmment prioritaire dans la consommation de ces ressources et dispose dâune grande latitude dâaction. Nous faisons lâhypothĂšse que ce qui sâapplique aux pompiers et aux urgentistes sâapplique aux organisations par « lots de travail », ces petites unitĂ©s interdisciplinaires affectĂ©es Ă la rĂ©alisation dâun sous-ensemble dâun projet. Un critĂšre majeur dâorganisation est leur capacitĂ© Ă sâintĂ©grer dans un vaste processus de conception ou, plus simplement dit, Ă composer avec des contraintes, souvent drastiques, de budget et de temps5. Les modes temporels de la cellule sont lâurgence, la prioritĂ©, le « coup de feu » ; sa mission Ă©conomique est affaire de compĂ©titivitĂ© (en termes de matiĂšre de coĂ»ts, de qualitĂ©, de rĂ©activitĂ© face au marchĂ©). Sa forme organisĂ©e est celle dâune petite unitĂ© combinant des activitĂ©s opĂ©rationnelles (conception, production) et des activitĂ©s fonctionnelles (qualitĂ©, maintenance, gestion des coĂ»ts). Son environnement est formĂ© dâun ensemble cellulaire organisĂ© en rĂ©seau. Sa mise en Ćuvre est effective dans les grandes entreprises de technologie avancĂ©e (tĂ©lĂ©communications, aĂ©ronautique, Ă©lectronique, chimie, armement) et dans les ...
Table des matiĂšres
- Couverture
- Presses de l'Université du Québec
- Management par projet - LES IDENTITĂS INCERTAINES
- Page légale
- REMERCIEMENTS
- LISTE DES TABLEAUX ET DES FIGURES
- INTRODUCTION
- PARTIE 1 - CONSTRUCTIONS IDENTITAIRES DANS LES COLLECTIFS ORGANISATIONNELS
- PARTIE 2 - IMPLICATION ET CRISES IDENTITAIRES DANS LES ORGANISATIONS
- PARTIE 3 - POSTURE DES ACTEURS ET CONTRAINTES ORGANISATIONNELLES
- PARTIE 4 - PATHOLOGIES DANS LES ORGANISATIONS
- NOTICES BIOGRAPHIQUES
- DANS LA MĂME COLLECTION
- QuatriĂšme de couverture