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- 257 pages
- French
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eBook - ePub
Topographies romanesques
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Table des matiĂšres
Citations
Ă propos de ce livre
Quel sens donner aux notions d'espace mais aussi d'univers, de lieu ou de pays dans le cadre du roman et comment les décliner pour l'étude de la topographie fictionnelle? Une quinzaine de chercheurs des deux cÎtés de l'Atlantique et un écrivain féru de géographie imaginaire tùchent d'apporter des éléments de réponse._x000D_
Foire aux questions
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Informations
Sujet
LiteratureSous-sujet
Literary Criticism CHAPITRE VI
LâĂTENDUE: MATIĂRE
ET QUESTION DU ROMAN
Isabelle DAUNAIS
De toutes les caractĂ©ristiques qui relient, au ïŹl des siĂšcles, les Ćuvres romanesques, lâune des plus frappantes est le rĂŽle que joue lâĂ©tendue dans leur entrĂ©e en matiĂšre. Certes, tous les romans ne commencent pas, comme Jacques le Fataliste, par la description dâune route dont on ne sait oĂč elle mĂšne et constitue lâhabitat mĂȘme des protagonistes, mais les romans sont nombreux qui, dâune maniĂšre ou dâune autre, mettent en scĂšne comme prĂ©mices aux aventures de leurs personnages un espace ouvert de tous les cĂŽtĂ©s, inïŹniment disponible et que rien, a priori, ne semble dĂ©terminer. On pense dâabord aux plaines de Castille sur lesquelles sâĂ©lance le hĂ©ros de CervantĂšs dans lâespoir dâĂ©prouver sa valeur, mais oĂč ne se trouve pour lâheure aucun exploit Ă rĂ©aliser:
Il chemina quasi tout ce jour-lĂ sans quâil lui arrivĂąt chose digne dâĂȘtre rapportĂ©e, de quoi il Ă©tait dĂ©sespĂ©rĂ©, car il eut voulu rencontrer tout Ă lâheure mĂȘme une personne avec qui expĂ©rimenter la valeur de son bras. Il y a des auteurs qui disent que la premiĂšre aventure qui lui arriva fut celle du port Lapice; dâautres que ce fut celle des moulins Ă vent; mais ce que jâai pu vĂ©riïŹer en ce cas et ce que jâen ai trouvĂ© par Ă©crit aux Annales de la Manche est quâil chemina tout ce jour-lĂ ; et sur la nuit son roussin et lui se trouvĂšrent bien las et mourant de faim; et, regardant de toutes parts sâil ne dĂ©couvrirait point quelque chĂąteau ou bien quelque logette de bergers oĂč se retirer [âŠ], il vit, non loin du chemin par lequel il allait, une taverne qui lui fut comme sâil eĂ»t vu une Ă©toile, qui lâeĂ»t conduit aux portails, voire plutĂŽt au palais de sa rĂ©demption1.
On pense aussi Ă cette Ă©tendue pareillement indĂ©terminĂ©e et pareillement en attente dâĂ©vĂ©nements, dĂ©sencombrĂ©e, que rencontre, trois cents ans plus tard, le personnage de lâarpenteur, au tout dĂ©but du ChĂąteau:
CâĂ©tait le soir tard, lorsque K. arriva. Le village Ă©tait sous la neige. La colline du ChĂąteau restait invisible, le brouillard et lâobscuritĂ© lâentouraient, il nây avait pas mĂȘme une lueur qui indiquĂąt la prĂ©sence du grand ChĂąteau. K. sâarrĂȘta longuement sur le pont de bois qui mĂšne de la route au village, et resta les yeux levĂ©s vers ce qui semblait ĂȘtre le vide2.
MĂȘme si les dĂ©tails de la description peuvent donner lâimpression contraire et que nous nâavons pas lâhabitude dâaborder en termes spatiaux lâĆuvre de Proust, câest aussi une forme de vide ou de « vacance » qui sâoffre aux habitants de Combray, quâils prennent du cĂŽtĂ© de MĂ©sĂ©glise ou du cĂŽtĂ© de Guermantes:
Il y avait autour de Combray deux « cĂŽtĂ©s » pour les promenades, et si opposĂ©s quâon ne sortait pas en effet de chez nous par la mĂȘme porte, quand on voulait aller dâun cĂŽtĂ© ou de lâautre [âŠ]. Quand on voulait aller du cĂŽtĂ© de MĂ©sĂ©glise, on sortait [âŠ] comme pour aller nâimporte oĂč, par la grande porte de la maison de ma tante sur la rue du Saint-Esprit. [âŠ] [Pour aller du cĂŽtĂ© de Guermantes], on partait tout de suite aprĂšs dĂ©jeuner par la petite porte du jardin [âŠ]. On gagnait le mail entre les arbres duquel apparaissait le clocher de Saint-Hilaire. Et jâaurais voulu pouvoir mâasseoir lĂ et rester toute la journĂ©e Ă lire en Ă©coutant les cloches; car il faisait si beau et si tranquille que, quand sonnait lâheure, on aurait dit non quâelle rompait le calme du jour mais quâelle le dĂ©barrassait de ce quâil contenait [âŠ]3.
On pourrait multiplier, des dĂ©buts du roman Ă lâĂ©poque des Temps modernes jusquâĂ aujourdâhui, les exemples de ces surfaces en attente de parcours â chemins, villes, pays, continents â qui sâoffrent, au dĂ©part dâun roman, comme un aspect mĂȘme de lâaventure des personnages. Depuis les routes sur lesquelles cheminent Sancho et son maĂźtre, sans savoir oĂč elle les conduit, jusquâĂ celle â « terre, orniĂšres, sale chemin, reïŹets de cailloux brillants, lumiĂšre Ă©clatante, bourdonnements, tremblement dâair chaud, le tout noir de soleil, et des maisonnettes, des clĂŽtures, des champs, des bois4 » â qui ouvre le dernier roman de Gombrowicz, cette dimension ou plus exactement cette qualitĂ© de lâespace quâest lâĂ©tendue constitue une donnĂ©e constamment reconduite du monde et de la pensĂ©e romanesques. LâĂ©tendue est plus dĂ©terminĂ©e que lâespace, puisquâelle relĂšve de la perception et suppose donc un point de vue, la prĂ©sence dâun observateur qui en prend la mesure; mais elle est Ă la fois une caractĂ©ristique essentiellement informe, incomplĂšte, inachevĂ©e. Contrairement aux autres formes dâimmensitĂ©, comme le cosmos ou lâinïŹni cĂ©leste, lâĂ©tendue nâest ni une plĂ©nitude ni un systĂšme, puisque rien ne la borne ni ne lâorganise, du moins rien de prĂ©alable. Il sâagit dâune forme indĂ©ïŹnie, indĂ©terminĂ©e ou, pour le dire plus prĂ©cisĂ©ment, dâune forme terrestre ou profane de lâimmensitĂ©. Câest cette nature profane ou encore prosaĂŻque de lâĂ©tendue que jâaimerais circonscrire ici en tentant de voir en quoi elle est constitutive du roman (de sa matiĂšre, de sa forme, des histoires quâil raconte) en mĂȘme temps quâelle est une question du roman, câest-Ă -dire une donnĂ©e de lâexistence quâil se trouve Ă explorer.
Ătonnamment, les thĂ©oriciens du roman se sont peu penchĂ©s sur le rĂŽle et la nature de lâespace oĂč circulent les personnages romanesques. Le seul peut-ĂȘtre qui ait Ă©tabli un lien entre le roman et lâespace perçu comme Ă©tendue est Albert Thibaudet, qui proposait de voir Ă lâorigine du roman la « littĂ©rature routiĂšre » des voyageurs et des pĂšlerins, littĂ©rature oĂč sâexpriment « le mĂ©contentement de soi et du monde, lâaspiration vers une vie nouvelle, des imaginations sur lâavenir et sur le possible, [tout] cela [qui] coule, tourbillonne, germe, fructiïŹe sur ces routes de pĂšlerinage et dans ces Ăąmes de pĂšlerins5 », autrement dit tout cela qui reporte sur lâĂ©tendue plane et concrĂšte des routes, des chemins, des plaines et des « cĂŽtĂ©s » lâidĂ©e dâune vie autre que celle Ă laquelle on est contraint, dâune vie parallĂšle ou dâune vie possible. La faible place accordĂ©e Ă lâespace dans la rĂ©ïŹexion sur le roman (surtout en comparaison de celle occupĂ©e par le temps dans cette mĂȘme rĂ©ïŹexion, de Bakhtine Ă RicĆur en passant par les travaux de la narratologie) est dâautant plus surprenante quâon peut considĂ©rer, par-delĂ les lieux mĂȘmes reprĂ©sentĂ©s, que toute action romanesque commence avec la dĂ©couverte ou le sentiment de lâĂ©tendue, câest-Ă -dire la dĂ©couverte faite par le personnage ou le sentiment Ă©prouvĂ© par lui que lâespace qui lâentoure est ouvert et que cette ouverture est tout autant une forme de libertĂ© quâune forme dâarbitraire.
Sans doute certaines considĂ©rations sur le temps romanesque sont-elles Ă©troitement liĂ©es Ă lâespace. Dans son Ă©tude sur La GĂ©ocritique, Bertrand Westphal rappelle comment MikhaĂŻl Bakhtine associe lâorigine du roman Ă un basculement capital, « celui de la verticalitĂ© du temps Ă son horizontalitĂ©6 ». Pour le thĂ©oricien russe, le temps du roman, contrairement Ă celui du monde Ă©pique, se caractĂ©rise par sa contiguĂŻtĂ© avec le prĂ©sent, contiguĂŻtĂ© qui tient Ă ce que le temps romanesque nâest pas le temps sacrĂ© dâun monde sĂ©parĂ© et Ă©loignĂ©, mais le temps prosaĂŻque de la vie humaine, le temps que chacun habite et qui par dĂ©ïŹnition est inachevĂ©, sans limite prĂ©cise, continu. Or, propose Bertrand Westphal, si le temps, au moment de ce quâon appelle communĂ©ment la naissance du roman, vers le XVIe siĂšcle, devient « horizontal », en opposition au temps « vertical » ou absolu des mondes unitaires des matiĂšres Ă©pique et tragique, on assisterait Ă la mĂȘme Ă©poque Ă une verticalisation de lâespace, notamment « avec lâintroduction de la perspective en peinture et en cartographie et avec lâalignement de notre planĂšte sur la profondeur sidĂ©rale du systĂšme solaire7 ».
Ă premiĂšre vue, les deux mouvements semblent contraires, mais la verticalitĂ© dont parle Westphal, Ă rebours de celle dont parle Bakhtine, ne renvoie pas Ă une forme dâabsolu, câest-Ă -dire de monde clos ordonnĂ© par des rĂšgles surplombantes et immuables, mais, bien au contraire, Ă une forme de relativitĂ©. Perspective et alignement pourraient dâailleurs ĂȘtre aussi bien dĂ©crits sous lâangle de lâhorizontalitĂ©, puisque ces perceptions relĂšvent tout autant de la profondeur de champ que dâun recul en hauteur; inversement, le phĂ©nomĂšne que Westphal reconnaĂźt dans la peinture, la cartographie et lâastronomie sous le principe de verticalitĂ© se reconnaĂźt Ă©galement dans le...
Table des matiĂšres
- Couverture
- Dans la mĂȘme collection
- Faux-titre
- Presses de l'Université du Québec
- Titre
- Crédits
- LES AUTEURS
- Table des matiĂšres
- INTRODUCTION - Audrey CAMUS & Rachel BOUVET
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- PremiĂšre partie - La fabrique topographique
- Arpenter
- Parcourir
- Façonner
- DeuxiĂšme partie - Ăvolution de la topographie romanesque
- Ămergences
- Ancrages
- Divergences
- BIBLIOGRAPHIE
- NOTICE DES AUTEURS
- QuatriĂšme de couverture