Vieillissement et enjeux d'aménagement

Regards à différentes échelles

Paula Negron-Poblete, Anne-Marie Séguin

• Éditeur: Presses de l'Université du Québec
• Année: 2012
• ISBN:
  9782760534308
• Sujet: Politics & International Relations
• Sous-sujet: City Planning & Urban Development

En regard du phénomène de vieillissement, les auteurs se penchent sur la relation entre les personnes âgées et l'aménagement de l'espace au sein de deux métropoles, Montréal et Québec, en allant du macro (régions métropolitaines) au micro (espaces intérieurs), en passant la ville et les quartiers.

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Selon une étude récente de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ, 2009, p. 35), le vieillissement déjà amorcé de la structure par âge du Québec s’accentuera encore au cours des prochaines décennies. Ce fort vieillissement est étroitement associé à l’importance numérique de la génération du baby-boom, c’est-à-dire des personnes nées entre 1946 et 1966. En 2006, les enfants du baby-boom viennent gonfler les groupes d’âge situés au centre de la pyramide, soit les 40 à 59 ans. En 2036, le passage de la génération du baby-boom aux âges avancés conjugué aux gains d’espérance de vie viendra élargir le sommet de la pyramide, lui conférant une forme plus arrondie qu’elle conservera jusqu’en 2056.

Toujours selon les prévisions de l’ISQ (2009, p. 48), en 2031, la population âgée formera au moins le cinquième de la population totale des différentes régions du Québec. Les proportions les plus faibles seront observées sur l’île de Montréal (21 %) et à Laval (23 %), en raison de l’apport de la population immigrante. Ce sera également le cas pour l’ensemble de la région métropolitaine de recensement (RMR) de Montréal2 et de Gatineau, où les aînés formeront respectivement 22 % et 23 % de la population. À l’opposé, en 2031, dans les RMR de Saguenay et de Trois-Rivières, près d’une personne sur trois sera âgée de 65 ans et plus. La RMR de Québec occupera une position intermédiaire avec une proportion de 27,7 %. Ces prévisions ne sont pas sans poser la question de l’adaptation des espaces résidentiels aux besoins des aînés, notamment ceux de la banlieue de l’après-guerre qui ont été conçus et aménagés dans un contexte de forte croissance des jeunes familles. La croissance marquée des effectifs de la population âgée soulève ainsi la question de leur répartition au sein des espaces métropolitains et notamment dans les municipalités de la banlieue développées après la Deuxième Guerre mondiale.

Pour répondre à cette question, du moins partiellement, ce texte propose une analyse de la distribution spatiale de la population âgée et de son évolution de 1981 à 2006 dans les métropoles de Montréal et de Québec. En 2006, ces agglomérations regroupent 55,4% de la population âgée de 65 ans et plus du Québec, soit 495 690 personnes âgées dans la région métropolitaine de Montréal et 103 050 dans celle de Québec. Dans un contexte de fort vieillissement et dans la mesure où l’espace construit se transforme lentement et exige des investissements importants, il importe non seulement de connaître les patrons actuels de répartition des aînés dans ces deux métropoles, mais aussi leur évolution dans le temps depuis 25 ans.

En 2006, la région métropolitaine de recensement (RMR) de Québec comptait 14,4% de personnes âgées de 65 ans et plus dans sa population totale, pourcentage sensiblement plus élevé qu’en 1981 alors qu’il atteignait 8,3%. La région métropolitaine de Montréal, de son côté, en comptait 13,6% en 2006 contre 9,2% en 19813 (Séguin, Apparicio et Negron, 2008). Comme la mobilité des aînés et leurs capacités physiques tendent à diminuer avec l’âge, il nous semble pertinent de réaliser nos analyses en distinguant deux groupes d’âge, l’ensemble des aînés, soit les 65 ans et plus, et les aînés de 75 ans et plus afin de vérifier s’il existe des patrons différents de localisation chez les plus âgés.

Dans la suite du texte, nous présentons d’abord les grandes tendances dans la localisation intramétropolitaine des aînés observées dans l’ensemble de l’Amérique du Nord et les explications formulées pour rendre compte des patrons de répartition. Puis, les aspects méthodologiques de l’étude sont précisés. Nous présentons ensuite les principaux résultats de la recherche. Nous décrirons dans un premier temps l’allure générale de la distribution spatiale des aînés à l’aide d’indices de ségrégation, puis dans un deuxième temps les concentrations de personnes de 65 ans et plus et de 75 ans et plus observées dans les deux plus grandes métropoles québécoises de 1981 à 2006. Nous évoquerons ensuite les facteurs qui ont pu contribuer à cette répartition et à son évolution sur 25 ans.

1. La localisation intramétropolitaine des aînés et son évolution au fil du temps dans les métropoles nord-américaines et européennes

De nombreuses études ont montré, en 1960 et en 1970, l’existence d’importantes concentrations de la population âgée dans les quartiers centraux et anciens de plusieurs métropoles étasuniennes, et, parallèlement, celles de jeunes familles dans les banlieues (Coulson, 1968 ; LaGory, Ward et Juravich, 1980). Mais ce patron n’est pas universel. En effet, Pampel et Choldin (1978) et Golant (1989), dans des articles faisant la synthèse de travaux de recherche, ont révélé des résultats divergents quant à l’importance de la ségrégation dans les métropoles étasuniennes. Si plusieurs études validaient l’existence d’une forte ségrégation des aînés dans les quartiers anciens de la ville-centre, d’autres observaient une relative dispersion de cette population sur l’ensemble du territoire métropolitain. En contexte étasunien, il faut donc nuancer le portrait voulant que les personnes âgées habitaient principalement au centre dans les années 1970 et au tournant des années 1980.

Quant à l’évolution de la répartition des aînés, des études longitudinales portant sur des métropoles étasuniennes et ouest-allemandes ont documenté une augmentation de la ségrégation de 1960 jusqu’au début des années 1970, puis sa stabilisation durant les années 1970, suivie à partir du début des années 1980, d’une augmentation de la présence, voire de la concentration des aînés dans les banlieues de la première couronne (Fitzpatrick et Logan, 1985 ; Franz, Ueltzen et Vaskovics, 1989 ; Golant, 1992). Les métropoles françaises ont connu une évolution semblable, mais avec un décalage dans le temps. Ainsi, Ghékière (2006) y observe en 1990 une opposition entre un centre-ville vieilli et une périphérie relativement jeune, mais dès 1999 ce patron ne se vérifie plus : les quartiers situés au centre rajeunissent alors que les proches banlieues vieillissent.

2. Quels facteurs expliquent la localisation intramétropolitaine des aînés et son évolution ?

Les explications évoquées dans les études datant des années 1970 et 1980 portant sur la localisation des aînés dans les espaces métropolitains étasuniens peuvent être regroupées en deux groupes : les explications qualifiées d’écologiques et les explications qui s’intéressent à la mobilité résidentielle. Les premières mettent l’accent sur les processus de compétition entre les ménages dans le marché du logement. Selon Massey (1980), les faibles revenus des personnes âgées les relègueraient dans des logements petits, vieux, bon marché et situés dans des secteurs denses, caractéristiques des logements qui se trouvent dans les quartiers centraux des métropoles. Le revenu conditionnerait l’accès à un logement et à un quartier (LaGory et al., 1980 ; Pampel et Choldin, 1978), un processus de ségrégation économique serait à l’œuvre ici.

L’autre type d’explication, formulé aussi durant les années 1970, fait référence à la mobilité résidentielle. Graff et Wiseman (1978) ont identifié cinq processus reliés à la mobilité pour expliquer la répartition intramétropolitaine de la population âgée : 1) le vieillissement sur place (inertie) ; 2) le décès des aînés qui conduit à un remplacement par une nouvelle population ; 3) le départ de jeunes ménages de certaines zones ; 4) l’arrivée de jeunes ménages dans certaines zones ; enfin, 5) l’arrivée des aînés dans certaines zones. À la fin des années 1970, le vieillissement sur place et le départ de jeunes ménages étaient considérés comme les principaux facteurs de concentration des personnes âgées dans les quartiers anciens et centraux des grandes métropoles (Graff et Wiseman, 1978). Parallèlement, certains quartiers peu convoités jusqu’alors ont commencé à attirer des populations plus jeunes comme cela a été le cas avec le phénomène de gentrification qui s’est affirmé surtout à partir des années 1980. On observe aussi, aux États-Unis, le cas des villes de retraités qui attirent un nombre grandissant d’aînés (Golant, 1989).

Franz et al. (1989) évoquent deux types d’explication qui offrent une synthèse des deux grands courants explicatifs présentés plus haut. Ils formulent en effet deux thèses pour expliquer la répartition des aînés dans les métropoles allemandes : celle d’une population résiduelle (residual thesis) et celle du déplacement (displacement thesis). Selon la première thèse, les personnes âgées seraient seules à rester au sein de certains quartiers peu convoités. Selon la seconde, les personnes âgées se verraient évincées (population déplacée) de leur quartier par d’autres populations attirées par les qualités du secteur comme cela se produit avec la gentrification.

Ces explications sont-elles encore pertinentes, sachant que, de nos jours, la population âgée est de plus en plus hétérogène sur le plan des revenus et qu’une partie croissante des aînés, surtout les plus jeunes, ont vécu leur vie adulte dans les municipalités de banlieue (Warnes, 1994) ? Qu’en est-il au juste de Montréal et de Québec ? Où se trouvaient les concentrations d’aînés au début des années 1980 puis au milieu des années 2000 ? Comment ont-elles évolué dans le temps ? Les patrons observés dans de nombr...

Table des matières

• Couverture
• Presses de l'Université du Québec
• Vieillissement et enjeux d'aménagement - REGARDS À DIFFÉRENTES ÉCHELLES
• Crédits
• LISTE DES FIGURES
• LISTE DES TABLEAUX
• INTRODUCTION
• CHAPITRE 1 - Évolution de la distribution spatiale des personnes âgées à Montréal et à Québec de 1986 à 2006
• CHAPITRE 2 - Mobilité et espaces d'activité des 65 ans et plus dans la région urbaine de Québec
• CHAPITRE 3 - Qualité de l'environnement urbain autour des résidences privées pour personnes âgées à Montréal
• CHAPITRE 4 - Gentrification et dynamiques d'exclusion et d'inclusion sociales des aînés
• CHAPITRE 5 - Vieillir dans la ville étalée
• CHAPITRE 6 - Accessibilité à pied pour les résidents âgés du Vieux-Longueuil
• CHAPITRE 7 - Vivre à domicile
• CHAPITRE 8 - La personne vieillissante et son expérience de l'espace intérieur
• CONCLUSION - Le réaménagement des villes pour nos aînés
• ANNEXE - Synthèse de la table ronde Vieillissement et enjeux d'avenir
• AUTEURS
• Quatrième de couverture