PARTIE 1
DES REPÈRES POUR UNE RECHERCHE- DÉVELOPPEMENT EN CONTEXTES ÉDUCATIFS
CHAPITRE 1
Quelques propositions méthodologiques pour une recherche-développement dans les contextes éducatifs
Léna Bergeron
Nadia Rousseau
Geneviève Bergeron
RÉSUMÉ
La recherche-développement (RD) dans les contextes éducatifs1 est une méthodologie de recherche de la grande famille des recherches appliquées, qui se distingue par sa finalité première de développement. Ce chapitre propose des repères au chercheur-développeur pour le soutenir dans sa quête de cohérence au moment de faire des choix méthodologiques et de concevoir son devis de recherche. Le chercheur-développeur est notamment encouragé à reconnaître le caractère subjectif et contextualisé des données générées, à favoriser une participation maximale des acteurs de terrain, à envisager des solutions dans une logique ascendante à partir de la pratique, à prioriser une posture compréhensive et d’amélioration des produits et, finalement, à adopter une démarche flexible et itérative.
La recherche-développement (RD) (research and development, development research, developmental research) existe dans différents domaines et par le fait même, elle est soumise à de nombreuses influences et est porteuse de multiples représentations. Il y aurait encore à investiguer pour saisir toutes les nuances qui s’imposent, mais certains liens avec d’autres méthodologies et domaines apparaissent plus évidents. Dans le domaine de l’industrie2 et de l’ingénierie, par exemple, il est fréquent de voir des références à la RD et à l’expression plan ou planification d’expériences (design of experiments) comme méthode utilisée pour étudier l’effet de différentes variables et déterminer les principaux facteurs ayant un effet sur les résultats obtenus (Gorard, Roberts et Taylor, 2004). Plus près de nous, en contextes éducatifs, la recherche évaluative semble se rapprocher de la RD lorsqu’elle est orientée vers la conception et centrée sur le design (parfois aussi nommée design-based research, design research) (Depover, Karsenti et Komis, 2018 ; Depover et Marchand, 2002), ou lorsqu’il s’agit d’une recherche évaluative aux fins d’amélioration (on fait parfois référence à l’évaluation adaptative) (Van der Maren, 2014). Dans le champ de l’intervention psychosociale, on trouve également des écrits sur l’élaboration et l’évaluation de programme, qui s’appuient en grande partie sur les fondements en évaluation (p. ex. Alain et Dessureault, 2009). Également, les démarches de développement de l’enseignement et de son évaluation s’associent tout naturellement à la RD. Effectivement, le champ de l’ingénierie didactique et pédagogique (design pédagogique, instructional design, instructional technology) propose aux concepteurs des démarches structurées, constituées d’étapes et où le développement s’appuie sur une analyse de la situation et des besoins, et où il y a mise à l’essai du dispositif pédagogique développé (Goigoux, 2017 ; Harvey et Loiselle, 2009 ; Loiselle, 2001 ; Morrison et al., 2019). Notons que les démarches décrites dans ces différents domaines peuvent se vivre sans que de nouvelles connaissances scientifiques soient générées, même si elles s’inscrivent dans un cadre structuré et une démarche qui suit la logique empirique (p. ex. lorsque l’évaluation ou le développement provient d’une commande). De plus, il coexiste différentes manières d’envisager l’évaluation dans ces domaines, tout comme en RD (évaluation formative évolutive en cours de développement, évaluation formative après le développement, évaluation sommative lors de l’implantation, évaluation sommative confirmative après un certain temps) (voir l’introduction du présent ouvrage).
Il n’est pas surprenant de constater que les influences sont nombreuses et cela peut complexifier le travail du chercheur-développeur3 qui souhaite recourir à cette méthodologie de recherche. Au Laboratoire sur la recherche-développement au service de la diversité (Lab-RD2), nous avons donc senti le besoin de contribuer à la compréhension de la RD en contextes éducatifs et d’illustrer comment il est possible de mener ce type de recherche en visant à améliorer le produit en cours de développement, et en privilégiant une posture compréhensive et participative. Nous pensons que cette vision peut servir de repères à des chercheurs qui travaillent en contextes éducatifs et qui sont intéressés à inscrire leur démarche dans une quête de cohérence entre leurs choix et les présupposés qui les sous-tendent. Cette quête de cohérence constitue le sens même du terme méthodologie. En effet, la méthodologie de recherche oriente l’investigation scientifique et elle incarne la logique interne du travail de recherche, sa posture épistémologique et théorique (Côté et Lorange-Millette, 2016 ; Savoie-Zajc et Karsenti, 2018). Gauthier et Bourgeois (2016) considèrent que la méthodologie de recherche « englobe à la fois la structure de l’esprit et de la forme de la recherche et les techniques utilisées pour mettre en pratique cet esprit et cette forme » (p. 9). Ainsi, l’opérationnalisation de la méthodologie se fera par la sélection de méthodes cohérentes et pertinentes pour arriver au but poursuivi (techniques et procédures de collecte et d’analyse de données) (Lenoir, 2018 ; Savoie-Zajc et Karsenti, 2018). Méthodologie et méthode se distinguent donc ; l’une concerne plus globalement les postulats et présuppositions qui animent le chercheur, alors que l’autre se réfère au chemin à suivre pour atteindre son but (Lenoir, 2018, p. 171). Savoie-Zajc et Karsenti (2018) soulignent l’importance de « considérer la recherche en cours d’élaboration comme l’expression d’un ensemble de choix raisonnés. […] Effectuer une recherche, c’est situer le problème de la recherche, le cadre théorique et la méthodologie dans un ensemble, un système logique et cohérent » (p. 143).
Ce chapitre offre des suggestions et des repères pour élaborer les RD afin de soutenir le chercheur-développeur dans cette quête de cohérence. À titre de leader du projet de RD, le chercheur-développeur est appelé à prendre une multitude de décisions. Ses décisions sont nécessairement empreintes de sa vision de la recherche, des connaissances qu’il considère qu’elle doit générer et des meilleures manières de le faire. En ce sens, il ne faudrait pas négliger les avantages d’adopter une posture réflexive, à l’image du praticien réflexif de Schön, ce qui lui permet de prendre des décisions éclairées et conscientes (Loiselle et Harvey, 2007).
1. Des finalités qui servent de balises dans la quête de cohérence méthodologique
Sans surprise, les finalités propres à la RD peuvent s’avérer être de bonnes balises permettant d’orienter les décisions du chercheur-développeur. La section qui suit présente la RD en tant que recherche de la grande famille des recherches appliquées, ainsi que sa double finalité de développement (concevoir ou adapter un ou des produits en réponse aux besoins ou aux demandes du milieu de pratique) et de recherche (générer des connaissances scientifiques). Nous y verrons que le chercheur-développeur y occupe donc un double statut, jouant à la fois un rôle de développeur et un rôle de chercheur. Il s’agit là d’une particularité qui contribue à l’originalité de la RD, ainsi qu’à sa juste valeur comme méthodologie de recherche.
1.1. Une méthodologie de recherche appliquée : trouver des solutions à des problèmes pratiques
Si l’on choisit de se fier aux grandes typologies de la recherche, même si elles peuvent paraître dichotomiques et moins pertinentes dans les disciplines qui s’intéressent à l’humain (Van der Maren, 2014), la RD s’avère plus logiquement associée aux recherches appliquées qu’aux recherches fondamentales. En effet, l’objectif ultime de la RD, comme pour d’autres recherches appliquées, est de « trouver de nouvelles solutions » ou des adaptations aux solutions disponibles, et commence par « un doute sur ce que l’on fait » (Van der Maren, 2014, p. 17). En fait, il s’agit de découvrir des solutions à un problème immédiat, plus précis, plus limité et plus concret qu’en recherches dites fondamentales (Fortin et Gagnon, 2016). Nous retiendrons qu’en contextes éducatifs et en tant que recherche appliquée, la RD constitue une activité de résolution de problèmes au sens où elle trouve son origine dans une idée d’innovation, en réponse à un besoin ou à un défi rencontré. Elle est portée par la volonté de répondre aux besoins exprimés et aux défis rencontrés par les acteurs de la communauté de pratique, et vise essentiellement l’amélioration de l’action pour l’acteur de terrain (Lenoir, 2018). Enfin, la RD cherche des réponses utilisables à plus court terme aux problèmes d’aujourd’hui (Gauthier et Bourgeois, 2016).
De son côté, Gohier (2018) précise dans une typologie de recherches en éducation que les recherches appliquées s’affairent à contextualiser les conditions d’applicabilités de connaissances déjà existantes. Gauthier et Bourgeois (2016) diront que ces recherches « cherchent à savoir, en ayant en tête une application de ces nouvelles connaissances » (p. 8). Pour leur part, Loiselle (2001) et Van der Maren (2014) veilleront à préciser qu’elles ne se limitent pas à une application des théories descriptives, mais cherchent à s’en inspirer pour créer de nouvelles solutions. Il y a là une autre caractéristique importante de la RD en contextes éducatifs : cette activité de résolution de problèmes prend appui sur les connaissances issues de la recherche disponible. Ainsi, elle cherche à valoriser et tirer parti des connaissances générées par la communauté scientifique. Plus encore, elle permet de contribuer à son tour au monde de la recherche par l’approfondissement qu’elle permet de faire de ce qui se vit dans le monde pratique. Et considérant la nature de la RD, les connaissances générées auront un caractère appliqué (Van der Maren, 2014) et concerneront « les perspectives d’application immédiates dans des situations concrètes » (Fortin et Gagnon, 2016, p. 19).
Dit simplement, la RD constitue une activité de résolution de problèmes vécus dans la pratique, à l’aide des connaissances issues de la recherche, de manière à générer de nouvelles connaissances appliquées, profitables tant au chercheur-développeur qu’à l’utilisateur cible.
Dans cette quête d’un meilleur arrimage entre recherche et pratique, les recherches appliquées sont généralement menées directement dans le milieu naturel (Fortin et Gagnon, 2016) et ont aussi en commun de reconnaître et de s’intéresser autant aux savoirs expérientiels qu’aux connaissances issues de la recherche. Au Québec, c’est au tournant des années 1990 que des manières novatrices de faire de la recherche ont pris une place prépondérante. Ces approches ont
fait le pont entre la théorie et la pratique ; elles se sont donné comme objectif d’établir avec les praticiens des modes de collaboration féconds dans le but d’améliorer la pratique éducative et ont préconisé un processus de recherche mené de concert avec les acteurs concernés. Ces « principes » sont à la base des dyn...