Chapitre 1
Aspects juridiques de l’utilisation de médicaments chez la femme enceinte ou qui allaite
Jean-François Bussières et Geneviève Cardinal
Introduction
Compte tenu des problèmes liés à la pharmacothérapie observés chez la mère, le fœtus et le nouveau-né, l’utilisation de médicaments par la femme enceinte ou qui allaite est un enjeu clinique important. Ces problèmes potentiels incluent les effets sur le fœtus (par ex., anomalies congénitales), les effets sur la grossesse (par ex., déclenchement d’un travail avant terme) et les effets sur le nouveau-né (par ex., sevrage à la naissance). La prise de médicaments durant la grossesse et l’allaitement est problématique parce qu’il existe peu de données probantes sur leur efficacité et la sécurité de leur utilisation pour cette population. L’objectif de ce chapitre est de présenter le cadre législatif canadien qui s’applique aux médicaments utilisés chez la femme en âge de procréer et durant la grossesse ou l’allaitement. De plus, puisque le droit professionnel, les droits civils dans la province et l’établissement, l’entretien et l’administration des hôpitaux sont des compétences provinciales en vertu de l’article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867, ce chapitre présente également le cadre législatif québécois de la pratique pharmaceutique dans le contexte de la grossesse et de l’allaitement.
Historique
En dépit de plusieurs siècles de pharmacothérapie, les premiers effets tératogènes des substances n’ont été recensés qu’à la fin du xixe siècle dans le cadre d’études sur les effets de la chaleur, du froid, de l’anoxie et des chocs sur le fœtus. En 1921, Zilva étudie l’impact de régimes déficients en facteurs liposolubles chez la femme enceinte et Goldstein documente les risques inhérents à l’utilisation de rayons X dans cette même population. En 1935, Hale et coll. étudient l’impact du déficit en vitamine A. Gregg observe les effets tératogènes de la rubéole chez des mères infectées en 1941. En 1948, Gillman et Hakin observent les effets toxiques de la moutarde azotée chez la femme enceinte1.
Tout bascule au début des années 1960 avec la catastrophe de la thalidomide2,3. La thalidomide a été commercialisée dans les années 1950 comme somnifère et antiémétique pour les femmes enceintes. Elle a été produite en Allemagne de l’Ouest dès 1953 par la société Grünenthal et vendue comme médicament d’octobre 1957 jusqu’en 1962 dans près de 50 pays excluant les États-Unis. En juin 1961, l’avocat Schulte-Hillen s’adresse au pédiatre Widukind Lenz afin de tenter d’expliquer la phocomélie observée chez son fils et sa nièce. Lenz et d’autres chercheurs avancent l’hypothèse que l’ingestion d’une substance toxique est à l’origine de ces anomalies. Ils proposent notamment que cet effet tératogène est lié à une exposition aux insecticides, aux produits d’entretien ménager, aux suppléments alimentaires ou encore à des médicaments. En novembre 1961, Lenz publie ses soupçons sur la thalidomide et une série de 14 anomalies congénitales dans l’hebdomadaire Die Welt am Sonntag. On doit souligner qu’il n’existe pas de système de déclaration des effets indésirables observés en clinique à cette époque. À postériori, on constate que ces anomalies congénitales surviennent chez des femmes ayant consommé la thalidomide durant les 50 premiers jours de la grossesse. On estime que la thalidomide aurait affecté plus de 15 000 enfants dont 12 000 présentaient des anomalies congénitales de type amélie et phocomélie à la naissance. On rapporte que moins de 8 000 de ces enfants ont survécu plus d’un an. La thalidomide a été retirée du marché mondial en 1962 et, plus précisément, le 2 mars 1962 au Canada4.
Définitions
Produit dangereux
Le cadre réglementaire encadrant les produits dangereux est défini dans la Loi sur les produits dangereux (LPD)5. Un produit dangereux est un produit interdit, limité ou contrôlé au sens de l’article 2 de la loi. En vertu du système pancanadien d’information sur les matières dangereuses utilisées au travail (SIMDUT), le fabricant a l’obligation de fournir une fiche signalétique accompagnant le produit. Celle-ci doit contenir toutes les informations concernant les effets toxiques sur la reproduction, la tératogénicité, la mutagénicité et les effets embryotoxiques du produit6. Si le vocabulaire de la description des risques liés aux produits dangereux ne s’applique pas aux médicaments jusqu’à maintenant, il présente cependant un intérêt, car le fabricant possède habituellement une fiche signalétique pour chaque substance chimique qu’il utilise, incluant les médicaments qu’il met en marché. Le National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH), une agence fédérale américaine, a établi une liste de médicaments dangereux en s’inspirant de ces fiches signalétiques. Le terme médicament dangereux diffère du terme produit dangereux parce qu’il permet de cibler des médicaments plutôt que des produits. Un médicament est considéré comme dangereux s’il comporte des effets cancérogènes, mutagènes, tératogènes ou toxiques pour un organe ou pour la reproduction. Au Canada, le concept de médicament dangereux n’est pas réglementé. On peut consulter la liste du NIOSH en ligne. Elle a été mise à jour pour la dernière fois en 20107.
Drogue et médicament
Dans des lois fédérales, le terme « drogue » est généralement préféré au terme « médicament ». Selon l’article 2 de la Loi sur les aliments et drogues, « sont compris parmi les drogues, les substances ou mélanges de substances fabriqués, vendus ou présentés comme pouvant servir : a) au diagnostic, au traitement, à l’atténuation ou à la prévention d’une maladie, d’un désordre, d’un état physique anormal ou de leurs symptômes, chez l’être humain ou les animaux ; b) à la restauration, à la correction ou à la modification des fonctions organiques chez l’être humain ou les animaux ; c) à la désinfection des locaux où des aliments sont gardés8 ».
Produit de santé naturel
Le terme « produit de santé naturel » est défini à l’article 1 du Règlement sur les produits de santé naturels (RPSN)9 comme toute « substance mentionnée à l’annexe 1, combinaison de substances dont tous les ingrédients médicinaux sont des substances mentionnées à l’annexe 1, remède homéopathique ou remède traditionnel, qui est fabriqué, vendu ou présenté comme pouvant servir : a) au diagnostic, au traitement, à l’atténuation ou à la prévention d’une maladie, d’un désordre, d’un état physique anormal ou de leurs symptômes chez l’être humain ; b) à la restauration ou à la correction des fonctions organiques chez l’être humain ; c) à la modification des fonctions organiques chez l’être humain telle que la modification de ces fonctions de manière à maintenir ou promouvoir la santé. » La définition comporte aussi une liste de substances exclues à l’annexe 2 du Règlement.
Le nouveau cadre réglementaire prévu par le RPSN est en vigueur depuis le 1er janvier 2004. Tous les produits de santé naturels homologués détiennent un numéro de produit naturel (NPN) qui est indiqué sur l’étiquette. Compte tenu du cadre réglementaire et de la position des ordres professionnels de pharmacie, Santé Canada a modifié sa réglementation en 2010 afin de pouvoir émettre un numéro d’exemption (NE) à tous les détenteurs de licence dont les demandes n’ont pas encore été évaluées par Santé Canada10. Ces produits de santé naturels comportent la mention NE suivie d’un numéro. Les autres produits de santé naturels ne sont pas réglementés par Santé Canada et ne peuvent donc pas être vendus en pharmacie.
Recherche clinique
La recherche clinique fait le lien entre la recherche fondamentale et les soins de santé. La mise en marché d’un médicament ne se fera que lorsqu’il aura été démontré que les bénéfices surpassent les risques. Toute recherche clinique doit être menée conformément aux bonnes pratiques cliniques (BPC) généralement reconnues, qui visent à assurer la protection des droits, la sécurité et le bien-être des sujets qui participent à des essais cliniques. À l’échelle internationale, ces bonnes pratiques comprennent not...