Situation trompeuse
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Situation trompeuse

  1. 144 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Situation trompeuse

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Table des matières
Citations

À propos de ce livre

Recueil de nouvelles. Nouvelles à la fois poétiques et évocatrices. Elles sortent de l'ordinaire tout en venant de l'ordinaire. Ses textes parlent de sensualité, une sensualité qui implique tous les sens et toute la gamme des émotions. L'auteure sait raconter une histoire et tenir en haleine.

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Informations

Année
2014
ISBN
9782349722997

Situation trompeuse

Dehors, les éléments de la nature se déchaînent. Le vent charrie les feuilles multicolores près des portes et des fenêtres des maisons. Richard et Sylvie Smith, emmitouflés devant un bon feu de foyer, se remémorent la provenance des nombreux objets hétéroclites qui constituent le décor original de leur demeure.
Le soldat de céramique que Richard lui a apporté d’Angleterre fait le garde-à-vous devant le sourire angélique de la délicate figurine de Limoges. À son retour de la Grèce, il s’était empressé d’entrer chez lui, impatient de revoir Sylvie et de l’observer quand elle déballerait son cadeau. « Ma chérie, avait-il dit, regarde, j’ai une belle surprise pour toi. »
Une fois, il revint de voyage avec un tapis Flokati tissé en laine multicolore qui recouvre maintenant la céramique à la descente du bain. À son retour d’Ukraine, il lui offrit une matriochka. Cette ravissante poupée gigogne habillée d’un costume traditionnel représentant un ancien conte russe a deux fonctions dans leur salon. Lorsqu’ils reçoivent des invités, elle constitue un objet décoratif et parfois, elle sert aussi d’introduction lors de leurs soirées de créativité pendant lesquelles Sylvie pigmente sa voix, autant que possible avec l’accent de ce pays, pour mimer un conte. Par la suite, ses invités prennent une des poupées, maintenant alignées en ordre de grandeur sur la table à café, et improvisent selon l’humeur du moment, une aventure remplie de personnages loufoques et distrayants ou une histoire tissée de tristesse, de solitude ou encore de tragédie.
Parmi tous ces objets, ce qui fait l’envie de ses amies, c’est surtout l’ensemble à thé Gong Fu que Richard lui a donné pour ses trente ans. Grâce au manuel d’accompagnement, Sylvie a pu apprendre les gestes traditionnels inspirés du Gong Fu Cha taïwanais. Cette coutume raffinée autour du liquide fumant est devenue une pratique courante chez les Smith durant les soirées froides d’hiver. Quand Sylvie émerge de la cuisine avec une démarche délicate, de petits pas et un maquillage asiatique, Richard n’a que des éloges pour elle. Ce sont deux complices adorables qui s’aiment et aiment recevoir des amis. Ensemble, ils prennent plaisir à trouver des idées extraordinaires, même originales, pour les divertir.
Profondément attachant, d’une générosité spontanée et très amoureux de son épouse, Richard est toujours bien attentionné envers elle. Au début de leur mariage, ils faisaient des séjours fréquents à l’étranger et ensemble ils choisissaient un souvenir pour embellir leur maison. Les années passent. Un jour, Sylvie, lasse de ces voyages, lui fait part de son intention de retourner sur le marché du travail. Richard, même s’il gagne suffisamment pour les faire vivre confortablement comprend son besoin de se sentir utile et accepte. Depuis, elle se rend de plus en plus souvent à l’hôpital soigner les patients en psychiatrie et durant ses journées libres elle pratique régulièrement son passe-temps favori, la peinture. Sa spécialité est le portrait.
Pour leur dixième anniversaire de mariage, elle offre un nu d’elle-même à Richard et suspend le tableau à la tête de leur lit. Le contour de ses formes gracieuses révèle toute sa beauté féminine. Ce soir-là, Richard ne se lasse pas de regarder d’un mouvement langoureux la peinture, puis sa femme. Peu à peu, il se sent animé d’un sentiment tendre et éprouve le désir de la séduire. « Sylvie, comme tu es belle! » La passion attise ses sens, il s’approche d’elle, dépose un baiser sur sa nuque et chuchote : « Même après toutes ces années, je suis toujours heureux quand tu es dans mes bras. » Puis, pour célébrer leur bonheur d’être ensemble, ils s’unissent avec tendresse.
L’année suivante, à l’aide de son appareil muni d’un retardateur, elle prend sous différents angles plusieurs photos d’eux-mêmes. Elle obtient assez de clichés pour peindre avec précisions ce qui définit les traits de leurs visages. À la Saint-Valentin, son tableau est terminé.
– Tu vois nos yeux… Ils regardent au loin. Très loin vers la droite. En direction du futur. Je les ai peints ainsi pour représenter notre avenir, notre cheminement ensemble.
– Sylvie, la ressemblance est étonnante. Ton idée, excellente. Ils fixent le même but avec cette intensité si identique. Tu es merveilleuse. Tu as un talent exceptionnel.
À d’autres occasions – comme Richard ne tarit pas d’éloges envers son coin de pays –, elle prend l’habitude de lui offrir l’Acadie en cadeau : une poterie signée Monique Duclos, Le déménagement, une peinture de Nérée DeGrâce, L’Acadie reprend son pays, un roman sur l’Acadie contemporaine écrit par Claude LeBouthillier et une œuvre charnière de Jacques Savoie, Les portes tournantes. Son bureau, après toutes ses années, ressemble davantage à un musée d’œuvres acadiennes qu’à un lieu de travail.
Cependant, à chaque fête, le ciel se charge de plus en plus de gros nuages laissant pressentir un orage. Cette année-là, quand Richard déballe son cadeau ses yeux se couvrent d’une ombre triste. Son visage s’assombrit. Involontairement, il revient sur le même sujet de conversation. « Dommage que nous n’avons pas d’enfants. » Habilement, Sylvie fait la sourde oreille, détourne son attention. À la seule idée de lui déplaire, comme un enfant docile, il n’ajoute rien.
Plusieurs années passent sans qu’il y ait des difficultés majeures à surmonter dans leur nid conjugal. Toutefois, pour le quarantième anniversaire de son mari, Sylvie lui présente L’arrivée du père, de Raynald Basque. C’est une peinture sur laquelle on voit, entre autres, un jeune garçon à bicyclette. Richard se retient pour ne pas défoncer cette toile sur le dossier d’une chaise qui se trouve à portée de ses bras. La rougeur lui monte au visage.
– C’est parfait. Je suis content. Mais…
Sylvie ressent son malaise. Elle sait de quoi il veut parler. Elle l’interrompt avant qu’il n’ait le temps d’exprimer sa pensée.
– C’est un artiste multidisciplinaire. Je suis certaine que cette œuvre augmentera la valeur à ta collection.
Et d’un air plus détaché, elle ajoute :
– Et si nous passions maintenant à la salle à manger?
Richard dépose la peinture sur la table du salon. Fait les cent pas. Les nuages s’épaississent. L’orage monte. L’atmosphère s’alourdit. Son désir d’être père le hante toujours. C’est chez lui une blessure inguérissable. Il repense à toutes ces années de pirouettes amoureuses, de visites chez le médecin et de méthodes de conception diverses suivies d’échecs répétés. Impossible. Il n’a pas pu réaliser son vœu le plus cher pourtant, ils ont tout essayé.
Malgré son amour pour Sylvie, il sent un profond vide en lui-même qui, à certains moments, fait une brèche dans leur vie de couple. Il aimerait combler ce manque. Cependant, il en parle de moins en moins à sa femme parce que, chaque fois, elle s’enferme de plus en plus longtemps dans un cocon tissé de morosité et de froideur qui la sécurise et qui le rend perplexe et soucieux. Mais aujourd’hui, ce tableau est de trop. Ce jeune garçon vêtu d’un costume d’époque vient d’éveiller son mal. Les sourcils froncés et le souffle court, Richard, quoiqu’irrité, maîtrise tant bien que mal ses paroles :
– Si on ne peut pas en avoir, on pourrait en adopter un. Pourquoi ne veux-tu pas? Je l’aimerais pour nous deux. Je pourrais lui faire connaître notre histoire et lui raconter ce que notre peuple devient. Tu sais que c’est ce que je désire le plus.
Sylvie palpe la douleur de son mari. Elle lui répond, comme d’habitude, en dissimulant la vraie raison de son refus. Trop d’émotions circulent. Il éclate. Des éclairs de paroles zèbrent les murs de leur salon. La tempête fait rage. Sylvie se sent coupable. Des remords la crispent. Son passé la submerge. Elle estime avoir commis une erreur majeure dans sa vie : celle d’ignorer les sentiments de son mari et d’être allé se faire avorter au lieu d’accompagner Richard au Nigéria. Son enfance perturbée l’a poussé à poser ce geste et, encore aujourd’hui, elle ne veut pas d’enfant par ce qu’elle a peur de le faire souffrir. Seule, elle porte son secret au fond d’elle-même. Seule, elle porte dans son ventre les stigmates de l’absence et dans son cœur la pesanteur du silence. Richard ne soupçonne rien et n’en saura rien.
Debout devant lui, elle se rappelle avec amertume qu’elle a été une jeune fille trimballée d’une famille d’accueil à une autre. Malgré tous ses efforts, elle ne peut pas faire la paix avec ce passé. Elle en veut encore à ces gens de l’avoir accueillie puis rejetée comme un vieux chiffon qu’on envoie au recyclage. À neuf ans, un couple l’adopte. L’espoir renaît. Mais comme si un oiseau de malheur planait au-dessus de sa tête, ce couple profite d’elle, elle devient leur femme de ménage puis la gardienne de leurs deux insupportables gamins. Durant ces années, du ressentiment, elle en croque à pleines dents. Dès l’adolescence, elle se jure de ne jamais rechercher sa mère biologique, cette femme ingrate qui l’a abandonnée. Une ingrate qu’elle déteste autant que toutes les autres qu’elle a connues. Encore aujourd’hui, ces souvenirs érigent un mur de béton devant la possibilité de donner la vie ou d’adopter un enfant. Son passé l’obsède et ces années instables de jeune fille malheureuse qu’elle aurait préféré vivre autrement affectent son présent.
– Pourquoi m’as-tu offert ce cadeau? Fais-tu exprès pour me faire mal? Regarde bien cette peinture! Regarde ce garçon! Ce n’est pas le nôtre. À qui veux-tu que je raconte notre histoire? À ce dessin sans vie? Tu es méchante.
Sylvie s’excuse, s’explique, cherche à se justifier, à se faire pardonner. Aucune parole ne semble le calmer. Richard exprime sa douleur dans un tourbillon des mots violents. Maintenant, il ne se contrôle plus. Son cœur est rempli d’une amère désillusion. Sa déception et plus forte que son amour pour Sylvie. Ce jour qui devrait en être un de fête devient un ouragan de confrontations. Il parle fort, avec volubilité, comme s’il venait de délier sa langue du nœud qui la paralysait. Incapable désormais de camoufler son chagrin, il la confronte. L’accuse.
– Pourquoi ne veux-tu pas en adopter un? Tu ne penses qu’à toi. Tu es une ingrate. Ingrate.
Il fait sonner ce mot « ingrate » avec force, il la darde, la déchire. Pour elle, il la place au même rang que toutes ces personnes méchantes qui l’ont rejetée et surtout, elle se sent aussi ingrate que sa mère. Cette femme qu’elle n’a jamais connue, elle la tient responsable de tous ses malheurs. Sans le savoir, il vient de percer sa carapace, de pénétrer au centre de ses émotions bien enfermées dans un coffre-fort. Aujourd’hui, les mots « méchante », « ingrate » viennent en décadenasser la porte.
– J’ai peur de donner naissance, de le faire souffrir… Je ne veux pas être méchante. C’est au-dessus de mes forces. J’ai peur, Richard… J’ai peur de moi-même… Je ne veux pas être comme elle.
Richard ne comprend rien. Il est sidéré d’entendre sa femme crier. Malgré sa propre douleur, il cherche à saisir un sens à ses propos. Il l’observe. Elle tremble comme une enfant prise en défaut. Lui qui ne voit chez elle aucune agressivité, aucune malice. Lui qui l’aime pour sa douceur et sa force de caractère. Lui qui pense la connaître se trouve devant une inconnue. Une femme dont la voix est tremblante et le regard névrosé.
– Quoi? Qu’est-ce que tu racontes? Ressembler à qui?
– Je ne peux pas. J’ai trop peur.
Des larmes mélangées à son maquillage dégoulinent le long de ses joues. Toute sa vie elle s’est efforcée de chasser ce souvenir d’abandon et de misère, et voilà qu’ils surgissent dans sa mémoire. Elle cherche une contenance en marchant de droite à gauche dans le salon. Elle s’approche du foyer pour s’envelopper de chaleur.
– Il va me rappeler mon enfance.
Richard est ahuri. De quoi parle-t-elle? Elle lui avait, au début de leur rencontre, plutôt parlé des courts passages heureux de sa jeunesse. Il en avait déduit que son enfance avait été agréable, bien qu’elle n’ait jamais connu sa mère. Debout devant elle, il écoute ses paroles devenues incohérentes, il voit pour la première fois ses gestes devenir lents et convulsifs. C’est une étrangère au visage blême qui ressemble à un animal pris dans un piège. Il est abasourdi. Les nerfs encore en boules, il adoucit sa voix, mais son mal intérieur le ronge toujours, alors il ajoute sans ménagement :
– Si tu as autre chose à me dire… C’est le temps. Parle.
Démontée, sans son armure protectrice, Sylvie, d’une voix étouffée, laisse échapper des mots entrecoupés de longs soupirs arrachés du plus profond de sa poitrine. Ce sont les évènements de son enfance qu’elle lui raconte. Quand elle termine, son visage ruisselle de larmes.
– Richard… Comprends… Je ne peux pas en adopter. Si je ne l’aime pas assez… Et si je le fais souffrir. Je ne veux pas qu’un enfant souffre à cause de moi. Richard, pardonne-moi. Je t’aime beaucoup. Tu sais, tu es la seule personne qui m’a vraiment aimée. Je ne peux pas.
Richard ressent sa fragilité, son besoin d’être protégée et de ne pas être jugée. Il la prend dans ses bras. Enlacés, ils pleurent. Lui, son rêve inaccessible. Elle, son incapacité à réaliser le rêve de son mari. Son blocage émotionnel est plus profond que son amour pour lui.
Comme pour se donner un temps de réflexion, au cours des jours suivants, le couple n’exprime pas les sentiments qui les déchirent. Sylvie ne parle plus de son passé et Richard, d’adoption. Moyennant ces concessions, leur couple continue à vivre de grands moments de bonheur.
Peu à peu, dans cette atmosphère de bonheur artificiel, Sylvie remplace les créations d’artistes acadiens par des chemises griffées, des vestons à la dernière mode, des parfums dispendieux. Richard accepte un nouveau contrat de travail et il y plonge à corps perdu. L’entreprise pour laquelle il travaille a son siège social à Fredericton, à plus de deux heures de route de chez lui, à Bouctouche. Bien qu’il puisse travailler sur une base régulière à domicile, il doit se rendre au bureau pour échanger avec ses collaborateurs, sur leurs projets, leurs différents points de vue et pour s’entraider. Ces déplacements de plus en plus fréquents occasionnent hebdomadairement des absences de quelques jours.
Sylvie, souvent seule à la maison, commence à ressentir les conséquences de son passé : le manque d’affection, l’abandon, le rejet de sa mère. Comme elle en veut à cette femme! Depuis leur dernière dispute de couple, ce passé s’insinue dans son corps, transforme ses pensées, manipule sa manière d’être. Elle aimerait oublier. Elle fait tout pour occuper ses journées. Tout pour se distraire. Tout pour ne plus penser. Elle néglige sa peinture qui pourrait être sa thérapie et accepte fréquemment d’aller soigner les malades au centre hospitalier.
Au début de décembre, Rich...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Crédits
  4. Préface
  5. La mélodie prend corps
  6. Métamorphose
  7. Retour au lieu
  8. L’authenticité
  9. Secret partagé
  10. Situation trompeuse
  11. À cause du café
  12. Table des matières
  13. 4e de couverture