Comprendre le pouvoir
  1. 623 pages
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À propos de ce livre

Les discussions et conférences rassemblées dans ce livre offrent une perspective profonde et généreuse pour comprendre l'état du monde, et notamment les enjeux liés au pouvoir. Y sont abordés le fonctionnement des médias, les systèmes d'éducation, la crise environnementale, le complexe militaro-industriel, la mondialisation, les stratégies militantes, et plus encore. Comprendre le pouvoir couvre ainsi l'intégralité de la pensée de Noam Chomsky et en constitue la meilleure introduction qui soit.La pensée politique de Chomsky ne cherche à imposer ni une vision nouvelle ni une grande idée. Elle se distingue bien plutôt par sa capacité à compiler une énorme quantité d'informations factuelles pour les rendre signifiantes. Par un travail d'analyse concrète de grande ampleur, Chomsky s'emploie toujours à démasquer, cas après cas, les tromperies des organisations occidentales les plus puissantes. Émaillés d'une grande quantité d'exemples, ses textes incitent à penser par soi-même et encouragent l'esprit critique. Comprendre le pouvoir se présente ainsi sous la forme très accessible d'échanges, de discussions, de conversations avec des militants, étudiants et chercheurs, échanges nous enjoignant à réfléchir avec eux.

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Informations

Éditeur
Lux Éditeur
Année
2017
ISBN
9782895967132
TROISIÈME MOUVEMENT
Chapitre 7
Intellectuels et changements sociaux
Principalement basé sur des discussions à Wood Hole et à Rowe, Massachusetts, en 1989, 1993 et 1994.
L’intelligentsia capitaliste-léniniste
Lui: Votre vision d’un socialisme libertaire est très attrayante. Qu’est-ce qui a mal tourné?
Tout d’abord, peut-être que rien n’a mal tourné. On pourrait défendre l’idée que nous n’étions pas encore prêts pour cela. Il y a aussi eu une époque où nous n’étions pas prêts pour l’abolition de l’esclavage, une époque où les conditions – y compris les conditions subjectives – étaient telles que l’abolition n’était même pas pensable. On pourrait donc prétendre que nous avons besoin du niveau de hiérarchisation et de domination présent dans les institutions totalitaires telles que les entreprises capitalistes – ou telles qu’une «dictature du prolétariat» ou n’importe quelle autre structure autoritaire de ce type – pour satisfaire nos besoins. Même si je ne crois pas un mot de cela, l’important, c’est que toute justification d’un système de pouvoir – quel qu’il soit – doit être argumentée et démontrée à la population avant de pouvoir prétendre à toute forme de légitimité. Et dans ce cas-ci, aucun argument n’a été donné.
Si vous examinez ce qui est réellement advenu des différentes tentatives de socialisme libertaire ayant émergé dans le monde, la concentration de force et de violence déployée dans ces situations était telle que certains dénouements étaient pratiquement inévitables et que, par conséquent, toutes les tentatives de prise de contrôle par des regroupements de travailleurs ont, par exemple, été écrasées. De nombreux efforts ont été fournis dans ce sens pendant des centaines d’années mais ils ont régulièrement été anéantis. Et souvent par la force.
Les bolcheviks[a] en sont un exemple parfait. Lors des étapes qui ont mené au coup d’État bolchevique d’octobre 1917, des institutions socialistes étaient en train de se développer en Russie – des conseils de travailleurs, des collectifs, ce genre de choses[b]. Et dans une certaine mesure, elles ont survécu après la prise de pouvoir bolchevique, mais pas pour longtemps: Lénine et Trotsky les ont pratiquement éliminées en consolidant leur pouvoir. On peut prétendre que cela se justifiait. Il n’en reste pas moins que les initiatives socialistes ont été rapidement éliminées.
Ceux qui veulent justifier cela disent que les bolcheviks ont été obligés de le faire. C’est l’explication habituelle: Lénine et Trotsky y ont été contraints à cause des conséquences de la guerre civile, pour survivre, parce qu’autrement ils auraient manqué de nourriture, parce que ceci ou parce que cela. Mais cela est-il bien vrai? Pour le savoir, il faut examiner les faits historiques: je ne crois pas que c’est la vérité. Je pense même que les structures socialistes émergentes en Russie ont été démantelées avant que la situation ne prenne vraiment son tour désastreux. On entre ici sur un terrain délicat et il ne s’agit pas de se montrer cavalier sur la question – il s’agit de faits historiques, de l’état dans lequel les gens se trouvaient, de leur opinion, etc. Il s’agit de trouver une vraie réponse, on ne peut se contenter de deviner. À la lecture de leurs propres écrits, mon impression est que Lénine et Trotsky savaient ce qu’ils faisaient, leurs actes étaient conscients et compréhensibles, et ils s’appuyaient en outre sur une théorie à la fois morale et socio-économique1.
Tout d’abord, en tant que marxistes orthodoxes, ils ne croyaient pas à la possibilité réelle d’une révolution socialiste en Russie, parce que la Russie n’était qu’un trou perdu peuplé de paysans: elle n’était pas le genre de société industrielle avancée où, selon eux, la révolution socialiste à venir était censée avoir lieu. Donc, lorsque les bolcheviks ont pris le pouvoir, ils espéraient tenir le coup en attendant que les «lois d’airain de l’histoire» enclenchent la révolution en Allemagne, où elle était supposée se produire par nécessité historique. La Russie continuerait d’être un trou perdu mais se développerait alors avec l’aide de l’Allemagne2.
Finalement, elle ne s’est pas produite en Allemagne: il y a bel et bien eu une révolution, en janvier 1919, mais elle a été balayée, et la classe ouvrière allemande écrasée. Donc à ce stade-là, Lénine et Trotsky se sont retrouvés coincés et ils ont fini par essayer de transformer par la violence une société paysanne: puisque la Russie ressemblait à une société du tiers monde profondément appauvrie, ils ont cru qu’il était juste nécessaire de forcer la population à se développer. Ils ont donc pris des mesures pour former une «armée de travailleurs» dirigée par un «chef tout-puissant» censé forcer le pays à s’industrialiser dans ce qu’ils désignaient eux-mêmes comme du «capitalisme d’État3». Ils espéraient que cela amènerait la Russie aux premiers stades du capitalisme et de l’industrialisation, à ce point où le développement matériel serait tel que les lois d’airain de l’histoire s’enclencheraient comme le grand Maître l’avait annoncé et que l’on aboutirait alors à un système socialiste[c].
Leurs actions étaient donc motivées par une théorie et même un principe moral, en l’occurrence l’idée que cela serait mieux pour le peuple à long terme. Mais ce qu’ils ont fait, selon moi, c’est mettre en place la structure d’un système totalitaire dont Staline a bien sûr accéléré le développement.
Lui: Décririez-vous l’aboutissement autoritaire de l’action des bolcheviks comme une erreur commise en toute honnêteté, un «accident historique», ou bien s’agit-il simplement du développement naturel de la vision léniniste du monde: l’idée que seules quelques personnes sont suffisamment intelligentes et averties pour diriger, et que ce sont elles qui doivent tenir les rênes?
Je pense effectivement que le cœur du problème est le marxisme-léninisme lui-même, l’idée même qu’un «parti d’avant-garde» peut, ou a une quelconque légitimité, ou a une quelconque capacité de diriger les masses stupides vers un futur qu’elles sont trop idiotes pour comprendre. Ce vers quoi il les dirige, c’est vers «je vous mène au fouet». Les institutions de domination ont une manière très sympa de se reproduire – c’est une sorte de truisme sociologique.
À bien y regarder, c’est ce que prédisait Bakounine un demi-siècle auparavant. Selon lui, c’était exactement ce qui allait se produire[d]. Je pense que Bakounine parlait de l’entourage de Marx – c’était avant la naissance de Lénine – et affirmait que la nature même de l’intelligentsia en tant que formation dans une société moderne industrielle fait que ses membres essaient de devenir les managers de la société. Ils ne deviennent pas managers de la société grâce à leurs propres capitaux; ils ne deviennent pas managers de la société parce qu’ils ont des armes; ils deviennent les managers de la société parce qu’ils savent contrôler, organiser et orienter ce qu’on appelle la «connaissance». Ils sont capables de traiter l’information, de rassembler le soutien nécessaire à une prise de décision et ainsi de suite. Bakounine prédisait en outre que ces gens se partageraient en deux catégories. D’un côté, les intellectuels «de gauche» qui tenteraient de s’élever au pouvoir sur le dos des mouvements populaires de masse et qui, s’ils y parvenaient, essaieraient alors de soumettre le peuple et de le contrôler. D’un autre côté, s’il s’avérait impossible d’accéder au pouvoir de cette façon, ils se mettraient au service de ce que l’on appelle aujourd’hui le «capitalisme d’État», bien que ce ne soit pas le terme employé par Bakounine. Et chacune de ces deux catégories d’intellectuels finirait par «frapper le peuple avec le bâton du peuple» – c’est-à-dire qu’ils se présenteraient comme les représentants du peuple pour pouvoir tenir le bâton du peuple, mais c’est au peuple qu’ils donneraient des coups4.
Bakounine n’est pas allé plus loin, mais de son analyse découle l’idée, me semble-t-il, qu’il est extrêmement aisé de passer d’une position à l’autre – extrêmement aisé de souffrir du syndrome du «Dieu qui a échoué». Vous partez léniniste sur le fond, prêt à faire partie de ce que Bakounine appelait la «bureaucratie rouge», vous vous apercevez que ce n’est pas comme cela qu’on accède au pouvoir; alors vous adoptez très facilement l’idéologie de la droite et vouez votre vie à dénoncer les péchés de vos anciens camarades, qui n’ont pas encore eu l’illumination et ne sont pas encore passés du côté où se trouve réellement le pouvoir. Inutile de changer beaucoup, vraiment, il vous suffit d’opérer dans une structure de pouvoir formellement différente. C’est ce qui se passe actuellement en Union soviétique: ce sont les mêmes brutes communistes, les brutes staliniennes d’il y a deux ans, qui dirigent maintenant des banques, ce sont des acteurs enthousiastes de l’économie de marché qui font l’éloge des États-Unis et ainsi de suite. Et c’est le même scénario depuis quarante ans.
Bien sûr, Bakounine n’a pas dit que ce qui allait se produire était dans la nature des gens. Je ne sais pas à quel point il y a réfléchi dans le détail, mais nous devrions retenir qu’une bureaucratie rouge – ou ses équivalents commissaires du peuple du capitalisme d’État – ne prendra pas le dessus simplement parce que c’est dans la nature des gens. C’est parce que ceux qui ne jouent pas le jeu seront rejetés tandis que ceux qui le jouent s’en sortiront. Ceux qui sont impitoyables, brutaux et assez endurcis pour prendre le pouvoir sont ceux qui survivront. Ceux qui essaient de s’associer à des organisations populaires et d’aider la population à s’organiser elle-même, ceux qui assistent les mouvements populaires de cette façon ne pourront simplement pas survivre dans de telles situations de pouvoir concentré.
[a] Parti politique qui s’est emparé du pouvoir lors de la Révolution russe. Devenu plus tard le Parti communiste.
[b] Après le renversement du tsar par une révolution populaire en février 1917.
[c] Selon la théorie de Karl Marx, l’évolution de l’histoire obéit à des «lois» naturelles et les stades avancés du capitalisme conduisent inévitablement au socialisme.
[d] Bakounine était un anarchiste russe du XIXe siècle, une figure de proue, avec Marx, de la principale organisation de travailleurs socialistes de l’époque, la Première Internationale.
La «théorie» marxiste et le charlatanisme intellectuel
Elle: En dehors de l’idée d’«avant-garde», pourquoi êtes-vous si critique à l’égard de l’ensemble de l’analyse marxiste, prise dans son sens le plus large, et de ceux qui, comme dans les universités, se disent «marxistes»?
Une des choses qui me déplait dans le «marxisme», c’est l’idée même qu’une telle chose existe. Il est assez frappant de constater qu’on ne rencontre pas dans les sciences des concepts comme «marxisme» – il n’existe pas d’«einsteinisme» en physique, ou de «planckisme» ou je ne sais quoi. Cela n’a aucun sens parce que les gens ne sont pas des dieux: ils se contentent de découvrir des choses, de faire des erreurs, et leurs étudiants de troisième cycle leur disent pourquoi ils ont tort, puis ils continuent et font mieux la fois suivante. Il n’est question d’aucun dieu là-dedans. Bien sûr, les scientifiques parlent de «newtonisme» et de «darwinisme» mais personne ne les considère comme des doctrines auxquelles il faudrait être fidèle, personne n’essaie de savoir ce que pensait le Maître ni ce qu’il aurait dit dans telle ou telle circonstance. Ce genre de comportement est complètement étranger à l’existence rationnelle, il n’émerge que dans des domaines irrationnels.
Donc le marxisme ou le freudisme ne sont que des cultes irrationnels. Il s’agit de théologie, donc ces cultes reflètent ce que vous pensez de la théologie; personnellement, je n’en pense pas grand-chose. En fait, je pense que c’est l’analogie parfaite: des notions comme marxisme et freudisme appartiennent à l’histoire des religions organisées.
Mon problème a donc en partie à voir avec son existence même: il me semble que le simple fait de débattre de quelque chose comme le «marxisme» est déjà une erreur. Personne ne débat du «planckisme». Pourquoi? Parce que ce serait insensé. Planck[a] avait des choses à dire, dont certaines sont justes et ont plus tard été intégrées par les sciences, et dont d’autres sont fausses et ont été perfectionnées. Ce n’est pas que Planck n’était pas un grand homme – il a fait toutes sortes de découvertes importantes, c’était un homme brillant, il a fait quelques erreurs, etc. C’est comme ça que nous devons le voir, je crois. Dès que vous érigez l’idée de «marxisme» ou de «freudisme», c’est que vous avez déjà abandonné le raisonnement rationnel.
Une personne rationnelle devrait se poser la question de savoir ce qui dans l’œuvre de Marx mérite d’être retenu et modifié, et ce qui doit être laissé de côté. Marx a effectué un très intéressant travail de description du XIXe siècle. C’était un excellent journaliste. Lorsqu’il décrit les Britanniques en Inde, ou la Commune de Paris[b], ou le Londres industriel dans certaines parties du Capital, une grande part de tout cela présente un certain intérêt. Je crois que des études postérieures ont amélioré et modifié ce travail, mais il reste intéressant5.
Il a élaboré un modèle abstrait de capitalisme – et, pour être honnête, je ne sais pas s’il est très valable. Et comme pour tout modèle de ce type, son modèle abstrait n’était pas vraiment destiné à décrire exactement tous les détails, il était plutôt destiné à trier ou à mettre en relief des caractéristiques générales et à les étudier. Et il faut toujours se demander à quel point un modèle abstrait peut vraiment traduire une réalité complexe. Il faut d’abord se demander à quel point il a compris le capitalisme du XIXe siècle, et plus encore, à quel point il a compris le capitalisme de la fin du XXe siècle.
Ainsi il existerait des lois[c]. Je ne les comprends pas, voilà tout ce que je peux dire; il ne me semble pas que des lois découlent de ce modèle. Non pas que je connaisse de meilleures lois, je pense simplement que nous ne connaissons aucune «loi» en histoire.
Il n’est nulle part question de socialisme chez Marx, ce n’était pas un philosophe socialiste – l’ensemble de l’œuvre de Marx contient à peu près cinq phrases qui mentionne...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Page de demi-titre
  3. Page titre
  4. Page de crédits
  5. Remarque sur les événements du 11 septembre 2001
  6. Au sujet des notes
  7. Préface des éditeurs américains
  8. Premier mouvement
  9. Deuxième mouvement
  10. Troisième mouvement
  11. Page de marque