Détournement d'État
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Détournement d'État

Un bilan de quinze année du gouvernement libéral

  1. 185 pages
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Détournement d'État

Un bilan de quinze année du gouvernement libéral

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«Au tournant des années 1960, tous s'accordaient pour dire que le Québec venait au monde et cela suscitait l'enthousiasme de la population. De nos jours, on chercherait en vain de telles espérances. L'époque est au ressentiment et à la résignation, car on ne désire pas l'État néolibéral. On le subit comme une fatalité. Tout bilan des quinze années de pouvoir du Parti libéral du Québec doit prendre acte de ce fait et l'expliquer: le Québec d'après 2003 ne sait plus, collectivement, ce qu'il veut.»Depuis son accession au pouvoir, le PLQ a transformé le Québec en profondeur, si bien qu'aujourd'hui, la quasi-totalité des partis emboîtent le pas et acceptent l'héritage laissé par ceux qu'ils aspirent à remplacer. On critique certes les politiques libérales dans leurs menus détails, mais ce n'est souvent que pour mieux en honorer l'esprit. Il va sans dire que ce legs marquera durablement la société québécoise. Mais celle-ci se porte-t-elle mieux aujourd'hui qu'en 2003? Est-ce possible d'accepter la philosophie des réformes libérales sans pâtir de ses conséquences? Ne devrait-on pas plutôt renoncer à cet héritage? Pour répondre à ces questions, Guillaume Hébert et Julia Posca rappellent à notre mémoire les grandes figures du règne libéral (Jean Charest, Monique Jérôme-Forget, Raymond Bachand, Nathalie Normandeau, Tony Tomassi, Philippe Couillard, etc.) et peignent un tableau réaliste de la révolution (néo)libérale qu'a connue le Québec. Cet essai a été écrit par Julia Posca et Guillaume Hébert pour l'Institut de recherche et d'informations socioéconomiques (IRIS).

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Informations

CHAPITRE 1

JÉRÔME-FORGET

AU PRINTEMPS 2003, le Parti libéral (PLQ) de Jean Charest fait campagne sur le thème – fort original – du «changement». L’objectif est de «réinventer le Québec». Mais la campagne électorale ne permettra pas d’en connaître davantage sur la signification de ces slogans, son grand tournant ayant plutôt consisté à déterminer si Bernard Landry appuyait ou non les propos sur «l’argent et les votes ethniques» que Jacques Parizeau aurait réitérés dans une causerie donnée en région. Les journalistes ayant rongé cet os jusqu’à la moelle, le peu de faveur à l’égard du Parti québécois (PQ), usé par neuf années passées au pouvoir, s’évapore et le PLQ gagne les élections. Deux semaines plus tard, à l’occasion de la présentation de son conseil des ministres, le chef libéral clarifiera ses intentions: «Au cours de ce mandat, nous allons revoir de fond en comble l’organisation de l’État québécois. Ce sera la première réingénierie du gouvernement du Québec depuis la Révolution tranquille[3].» Rien de moins.
Pour le PLQ, autrement dit, l’ennemi, c’est donc l’État qui, avec ses services publics universels généreux, pèse trop lourd dans la vie des Québécoises et des Québécois – et dans le portefeuille des contribuables. Et cette situation nuit à l’innovation et à la croissance. Le parti propose donc de réduire le nombre de sociétés d’État, d’organismes et de ministères, de geler les dépenses gouvernementales (sauf en santé et en éducation) et de réduire la taille de la fonction publique, en plus de retirer des pouvoirs des mains du gouvernement pour mieux les remettre aux citoyennes et citoyens et aux régions, mais aussi, du moins selon le discours alors mis de l’avant, aux travailleurs et aux usagers des services et organismes publics. Le plan d’action promet une petite révolution au sein de l’État québécois. En toile de fond des transformations souhaitées, on trouve en outre la nécessité impérieuse d’équilibrer les finances publiques, tout en baissant autant que possible l’impôt des contribuables et des entreprises.
C’est Monique Jérôme-Forget que Jean Charest désigne comme grande «architecte du renouvellement de l’État québécois». «L’État en fait trop et il le fait bien mal[4]», explique-t-elle en 2003 à la journaliste Kathleen Lévesque. C’est clair: l’architecte sera d’abord entrepreneure générale en démolition. Celle que Pierre Elliott Trudeau, Brian Mulroney et Robert Bourassa avaient courtisée avant qu’elle ne fasse le saut en politique en 1998 vient de gagner le surnom de Dame de fer.
Les libéraux souhaitent alors faire des économies en coupant «dans le gras» pour soi-disant mieux se concentrer sur leurs deux missions prioritaires, la santé et l’éducation. Maintenir ces deux missions, c’est créer l’illusion qu’on ne retournera pas à un État minimal. Après tout, Monique Jérôme-Forget a pris la peine de souligner qu’elle n’est pas là «pour détruire[5]». Le budget déposé en juin 2003 donne le ton: pour la première fois depuis la fin des années 1990, le montant des dépenses de programmes par rapport au produit intérieur brut (PIB) passe sous la barre des 18 %. Pour réaliser ce tour de force, le ministre des Finances Yves Séguin a coupé dans les ministères du Développement économique et régional, de l’Emploi, de la Solidarité sociale et de la Famille, des Ressources naturelles, de la Faune et des Parcs, des Relations avec les citoyens et de l’Immigration et, enfin, de la Sécurité publique[6]. Les dépenses de programmes restent relativement stables par rapport au PIB entre 2003-2004 et 2007-2008. Si elles connaissent un bond à la faveur de la crise économique de 2008 et atteignent 18,5 % du PIB en 2009-2010, c’est à cause d’un recul de la croissance et non d’une hausse des dépenses. Ensuite, elles vont suivre une courbe descendante, pour se fixer à 17,7 % en 2016-2017.
En février 2004, le gouvernement met en œuvre sa promesse de réduire la taille de la fonction publique en procédant à un gel de l’embauche[7]. Puis, au mois de mai de cette même année, Monique Jérôme-Forget annonce l’intention du gouvernement de ne remplacer qu’un employé sur deux parmi les 32 000 fonctionnaires qui doivent prendre leur retraite au cours de la décennie suivante, ce qui aura pour effet de réduire de 20 % la taille de l’effectif, qui comprend alors près de 75 000 fonctionnaires[8]. Alors qu’en 2003-2004, la fonction publique québécoise compte l’équivalent à temps complet de 9,35 employés par 1 000 habitants, ce nombre est ramené à 8,52 en 2010-2011. En tenant compte de la transformation du ministère du Revenu en agence en 2011 et du fait que cette dernière n’est pas assujettie à la Loi sur la fonction publique, l’effectif de la fonction publique, qui était de 7,38 en 2007-2008, est ramené à 6,85 en 2015-2016. Certes, la diminution du nombre de fonctionnaires n’est pas nécessairement synonyme d’une dégradation des services à la population. Elle aurait pu, par exemple, être le résultat d’une réorganisation administrative des ministères ou d’une transformation des tâches liées à l’utilisation de nouvelles technologies. Mais la politique d’attrition de ce gouvernement libéral ne vise qu’à couper pour couper. Un an après la réélection des libéraux en 2014, le nouveau président du Conseil du trésor Martin Coiteux se montre enthousiaste face à ces coupes aveugles: «Un premier résultat intéressant[9]», affirme alors celui pour qui réduire la taille de l’effectif de la fonction publique est nécessaire pour doter le Québec d’«un État du XXIe siècle[10]», dont toute ressemblance avec l’État du début du XXe siècle serait le fruit d’un pur hasard.
LA MAGIE DES PPP
L’une des pierres angulaires de cette «modernisation» de l’État est la réalisation de travaux majeurs d’infrastructure sous la forme de partenariats public-privé (PPP). Il faut comprendre que, ayant saturé l’opinion publique avec le principe que le déficit zéro devait être la clé de voûte de toutes les politiques gouvernementales, les politiciens sont désormais contraints de redoubler d’imagination pour camoufler les dépenses de l’État. Et l’avantage de la formule du PPP consiste essentiellement à engager de grands projets de construction sans creuser l’endettement public. En effet, en vertu d’une astucieuse entourloupe comptable, les dépenses effectuées dans le cadre de ce type de contrat apparaissent comme un loyer payé à un partenaire privé. L’État sous-traite ainsi son endettement à un tiers qui tirera un profit de cette opération de camouflage. Que le coût de cette astuce soit finalement plus élevé importe peu, tant que les apparences sont sauves. Mais il y a plus qu’un effet comptable dans les PPP. Ces contrats expriment surtout la détermination du gouvernement de confier davantage de responsabilités à des partenaires privés. Les PPP sont en phase avec la conception libérale d’un État qui remet les clés de la cité aux «investisseurs».
«Réinventer le Québec», c’est donc multiplier les PPP, et le PLQ trouve l’idée emballante. Le Québec, pour sa part, n’y entend pas grand-chose. Comment lui en vouloir d’ailleurs, puisqu’il s’agit de contrats complexes adossés à des règles comptables savantes. Un monde taillé à la mesure des avocats d’affaires, des investisseurs et autres technocrates de l’argent, mais dont le langage tarabiscoté dépasse l’entendement du sens commun. Le gouvernement lui-même, en dépit de sa bonne volonté, n’est pas sûr de comprendre de quoi il en retourne. Dès 2003, le PLQ engage des experts pour qu’on lui explique clairement les tenants et aboutissants de la formule des PPP[11]. On confie cette mission pédagogique à Raymond Chabot Grant Thornton, P3 Experts-Conseils, Samson Bélair Deloitte & Touche, Ernst & Young, KPMG et PricewaterhouseCoopers (PwC). Signe des temps, ces firmes reçoivent dans la foulée l’assurance que ce contrat d’évaluation des politiques de PPP ne les privera pas du droit de soumissionner aux appels d’offres gouvernementaux lorsque lesdits PPP seront annoncés[12]. Le gouvernement n’allait tout de même pas interférer avec la saine dynamique de la concurrence.
De hauts fonctionnaires du gouvernement rencontrent en mai 2004 une délégation de hauts fonctionnaires britanniques dirigée par Robert Finch, un promoteur enthousiaste des PPP[13]. Au mois de septembre suivant, Monique Jérôme-Forget et Yvon Marcoux, alors ministre des Transports, se rendent au Royaume-Uni et en Irlande pour rencontrer des «intervenants-clés» en matière de PPP et apprendre de leur expérience[14]. Les deux ministres sont aussi accompagnés de Pierre Lefebvre, qui dans le passé a notamment été directeur adjoint du financement de projet et des PPP chez PwC et qui deviendra le PDG de l’Agence des partenariats public-privé. À sa nomination en 2005, on lui offre un salaire de 236 000 dollars, soit 75 000 dollars de plus que le salaire du premier ministre du Québec[15].
La construction des mégahôpitaux universitaires compte parmi les grands projets que le gouvernement choisit de réaliser en mode PPP. L’ingénieur Clermont Gignac est désigné directeur général pour les projets du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) et de l’hôpital Sainte-Justine. Avant d’occuper ce poste, l’ancien haut fonctionnaire a aussi mené une carrière enviable dans le secteur privé, en travaillant notamment pour Bombardier ainsi que pour différentes entreprises de construction et de génie[16]. Afin, entre autres buts, d’éviter tout dépassement de coûts, le Conseil du trésor, présidé par Jérôme-Forget, recommande «sans réserve» en 2006 de recourir au mode PPP, un choix confirmé peu de temps après par le premier ministre[17]. La première pelletée de terre n’a toujours pas été soulevée que le vérificateur général Renaud Lachance, qui publiera un premier rapport sur les PPP du CHUM et du CUSM en avril 2009, s’inquiète que la facture soit plus élevée que prévu. Il en remettra quelques mois plus tard, affirmant dans un nouveau rapport que les études utilisées par l’Agence des partenariats public-privé pour appuyer la construction en partenariat avec le privé étaient «incomplètes» et «peu fiables», et que cette formule avait été choisie parce que le gouvernement s’était fié à des données erronées à propos des coûts d’entretien et du taux d’actualisation[18].
Le chantier du CUSM se met finalement en branle en 2010, suivi par celui du CHUM en 2011. Au CUSM, c’est un certain Arthur Porter qui occupe le poste de directeur général depuis 2004. Il a présidé le comité chargé de choisir le partenaire privé pour la construction du nouvel hôpital et a eu recours à un consultant britannique, St. Clair Armitage, pour mener le processus de sélection. Or, ce spécialiste en matière de PPP avait des liens avec Pierre Duhaime, haut dirigeant, puis PDG de SNC-Lavalin. Du moment où la firme québécoise de génie présente une soumission, Porter ne cesse d’appuyer le projet présenté par le consortium qu’elle dirige. Menaces, tentative de soudoyer le consortium concurrent, vol de documents, toutes les stratégies sont bonnes, car Porter veut s’assurer que SNC-Lavalin obtienne le contrat et cela réussit, semble-t-il, puisque la multinationale se voit effectivement confier le mandat de construire le nouveau mégahôpital. L’intérêt de Porter? Toucher des pots-de-vin de l’ordre de 22,5 millions que lui verse SNC-Lavalin par l’entremise d’une société prête-nom enregistrée aux Bahamas au nom de... M. Porter.
Au-delà de ces scandales financiers, la construction du CHUM s’est avérée être un véritable fiasco. En visite sur le chantier de construction à la fin de l’été 2016, le journaliste Réjean Bourdeau de La Presse+ récolte des témoignages troublants de la part de travailleurs à l’œuvre: «“Au lieu de planifier, ils gèrent en réaction, dit un autre travailleur. Il n’y a pas de vision générale. On reçoit des directives contradictoires. Il faut tout reprendre. C’est le pire chantier de ma vie.” [...] “Sur plusieurs étages, ils ont installé des portes... avant de poser le revêtement de plancher. Alors, il leur a fallu tout enlever, dit-il. Sur un autre étage, ils ont rouvert les murs pour passer les tuyaux électriques d’alimentation et de contrôle... parce que les murs avaient été fermés avant l’arrivée des portes automatisées[19].”»
Les choses ne se passent guère mieux du côté du CUSM: Porter et Armitage veulent démarrer rapidement la construction, et SNC-Lavalin leur soumet d’abord des plans «minimalistes». Pierre Lortie est embauché à titre de consultant par l’Agence des partenariats public-privé pour coordonner l’équipe chargée de comparer les coûts et bénéfices de l’approche conventionnelle et du mode PPP[20]. Lortie, connu pour ses accointances libérales, est un homme d’affaires qui a notamment occupé plusieurs postes de direction chez Bombardier au cours de sa carrière, en plus d’être à la tête de Provigo et de la Bourse de Montréal. En plus de son contrat pour l’Agence des partenariats public-privé, il siège au comité consultatif dirigé par M. Gignac qui a le mandat de mener à bien la réalisation des hôpitaux universitaires. C’est lui qui conseille à SNC-Lavalin de sortir de son montage financier le coût de construction du stationnement afin de réduire le montant de la facture finale[21]. Ce tour de passe-passe contribue à ce que SNC-Lavalin obtienne le contrat. Quand le PDG de l’Agence des partenariats public-privé le congédie en 2009, M. Lortie touche pas moins de 12 000 dollars par semaine pour ses services. Quant au stationnement, le gouvernement devra tout de même débourser plus tard un montant beaucoup plus important que prévu.
En 2014, Pierre Lortie fait partie des consultants qui participent à l’élaboration de la plateforme économique du PLQ dans le cadre de la campagne électorale qui conduira à la victoire de Philippe Couillard. Cette année-là, on apprend par ailleurs que SNC-Lavalin réclame un montant supplémentaire pour couvrir les coûts de construction de portions du projet qui n’ont pas été planifiées dès le départ. Or une partie de cette somme n’aurait jamais été autorisée par le CUSM. Le litige entourant cette affaire «risque de produire un solde à payer supérieur au solde de réserves pour risques et contingences du projet», admet alors Clermont Gignac, en plus d’entraîner des délais dans la livraison des immeubles[22]. Une entente à l’amiable sera finalement conclue début 2018. Elle prévoit que le consortium chargé de la constr...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Faux-titre
  3. Crédits
  4. Introduction – De Charest...
  5. Chapitre 1 – Jérôme-Forget
  6. Chapitre 2 – Bachand
  7. Chapitre 3 – Leitão
  8. Chapitre 4 – Couillard
  9. Chapitre 5 – Chagnon
  10. Chapitre 6 – Beaudoin
  11. Chapitre 7 – Normandeau
  12. Chapitre 8 – Tomassi
  13. Conclusion – ... à Legault
  14. Remerciements
  15. Table
  16. Quatrième de couverture