Elles ont fait l'Amérique
eBook - ePub

Elles ont fait l'Amérique

De remarquables oubliés Tome 1

  1. 452 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub

Elles ont fait l'Amérique

De remarquables oubliés Tome 1

Détails du livre
Aperçu du livre
Table des matières
Citations

À propos de ce livre

Les femmes sont absentes de l'histoire officielle de l'Amérique – ne le dit-on pas assez? Les Amérindiennes certainement, mais aussi toutes les autres, sans distinction culturelle?: Inuites, Canadiennes, Anglaises, Noires, Françaises et Métisses. Plusieurs d'entre elles sont des êtres d'exception dont le contact avec ce vaste continent a révélé l'intelligence et le caractère. Elles ont fait l'Amérique rétablit la mémoire de quinze de ces «?remarquables oubliées?», héroïnes aux exploits invisibles, résistantes, pionnières, aventurières, diplomates, scientifiques, exploratrices ou artistes...

Foire aux questions

Il vous suffit de vous rendre dans la section compte dans paramètres et de cliquer sur « Résilier l’abonnement ». C’est aussi simple que cela ! Une fois que vous aurez résilié votre abonnement, il restera actif pour le reste de la période pour laquelle vous avez payé. Découvrez-en plus ici.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptés aux mobiles peuvent être téléchargés via l’application. La plupart de nos PDF sont également disponibles en téléchargement et les autres seront téléchargeables très prochainement. Découvrez-en plus ici.
Les deux abonnements vous donnent un accès complet à la bibliothèque et à toutes les fonctionnalités de Perlego. Les seules différences sont les tarifs ainsi que la période d’abonnement : avec l’abonnement annuel, vous économiserez environ 30 % par rapport à 12 mois d’abonnement mensuel.
Nous sommes un service d’abonnement à des ouvrages universitaires en ligne, où vous pouvez accéder à toute une bibliothèque pour un prix inférieur à celui d’un seul livre par mois. Avec plus d’un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu’il vous faut ! Découvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l’écouter. L’outil Écouter lit le texte à haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l’accélérer ou le ralentir. Découvrez-en plus ici.
Oui, vous pouvez accéder à Elles ont fait l'Amérique par Serge Bouchard, Marie-Christine Lévesque en format PDF et/ou ePUB ainsi qu’à d’autres livres populaires dans Histoire et Histoire de l'Amérique du Nord. Nous disposons de plus d’un million d’ouvrages à découvrir dans notre catalogue.

Informations

Éditeur
Lux Éditeur
Année
2014
ISBN
9782895966135

Quand verrons-nous?

me faisait remarquer, l’autre jour, une jeune femme, en passant devant ce superbe édifice qui s’appelle l’université, quand verrons-nous les Canadiennes admises à y suivre les cours destinés à accroître leur instruction et à leur donner la place qui leur revient dans la société? [...] Je rêve mieux encore; je rêve, tout bas, que les générations futures voient un jour, dans ce vingtième siècle qu’on a déjà nommé «le siècle de la femme», qu’elles voient, dis-je, des chaires universitaires occupées par des femmes.
Françoise, La Patrie, 14 octobre 1895
Elle sort de la maison, rue Saint-Denis, à deux pas du carré Saint-Louis, saute sur sa bicyclette, et à travers une circulation lourde, anarchique, fonce vers son bureau, rue Saint-Jacques, où elle rédigera sa «Chronique du lundi» au milieu du bruit des rotatives. Cette scène pourrait se passer au XXIe siècle, si ce n’est que les rues sont pleines de crottin de cheval et que Robertine a failli se faire renverser par un de ces nouveaux tramways électriques; si ce n’est qu’elle a croisé sur son chemin des enfants ébouriffés, leur sac à lunch sous le bras, marchant vers l’usine; si ce n’est qu’elle a salué son voisin Émile Nelligan, revenant d’on ne sait où, l’air hagard. Peut-être avait-il passé la nuit à réciter des vers ou pire, à quêter comme un mendiant au grand désespoir de sa mère.
Cette scène, oui, en apparence banale, pourrait avoir lieu de nos jours, à Montréal, mais en ce matin de l’été 1897, pour se rendre aux locaux du journal La Patrie, Robertine Barry brave beaucoup plus que le crottin des rues, les cochers fous, le métal hurlant des tramways. En étant journaliste, écrivaine, célibataire assumée – et non «vieille fille» –, en roulant à vélo au risque d’en devenir infertile, elle transgresse tous les interdits et tabous de son siècle, les diktats de monseigneur Bourget, les hauts cris des ultramontains, les qu’en-dira-t-on d’une population confinée aux superstitions et à l’ignorance. «Nous avons grandi, écrit Robertine, et cependant, aujourd’hui encore, même dans l’accomplissement des actes les plus futiles, les plus anodins, nous avons toujours peur que M. Le curé nous coupe les oreilles.»
Robertine vit exactement la vie dont elle avait rêvé, adolescente. Très tôt, elle a su qu’elle voulait écrire et toute jeune son tempérament rebelle, ses idées d’avant-garde et son franc-parler annonçaient la femme moderne qu’elle allait devenir, la «femme nouvelle», disait-on alors. Elle ne va certes pas jusqu’à porter le pantalon, comme le fait l’écrivaine française George Sand, ou même le trouser, ce pantalon bouffant qui arrive sous le genou et qu’arborent les féministes américaines. Tout au plus dénude-t-elle parfois ses épaules et ose-t-elle certains décolletés qui, en cette fin du XIXe siècle, appellent le scandale. Mais sa façon de se vêtir n’est rien en comparaison de sa personne même, tout entière, et de ses convictions: à trente-quatre ans, Robertine Barry gagne sa vie comme un homme, se sert de sa tribune à La Patrie pour promouvoir l’instruction des femmes, va au théâtre et au concert en dépit de toutes les exhortations de l’Église à fuir ces lieux de perdition.
Tout indépendante qu’elle soit, Robertine vit néanmoins avec sa mère, ses frères et ses sœurs. Elle ne peut songer à quitter la maison familiale afin d’habiter seule en appartement. On la considérerait alors comme une prostituée, ce qui ne manquerait pas de compromettre sa carrière de journaliste. Mais s’en plaint-elle vraiment? La maison des Barry, qu’elle fût aux Escoumins ou à Trois-Pistoles, loin de représenter un carcan, a toujours été un milieu aussi harmonieux qu’ouvert aux nombreux amis, aux gens de passage ainsi qu’à toutes les idées nouvelles. Des bibliothèques remplies de livres, même de ceux qu’on a mis à l’Index, des magazines de tous les pays, des canapés moelleux, des tapisseries, des objets d’art, des soirées autour du piano à chanter, à jouer Beethoven, Mozart, Schubert, à donner pour les amis de petites pièces de théâtre... Voilà l’atmosphère que John Barry et Aglaé rouleau ont su créer autour d’eux pour le plus grand bonheur de leurs enfants. La maison de la rue Saint-Denis, même sans John, connaît cette espèce de rayonnement, et Robertine, prolongeant l’esprit de convivialité de son père, y tient salon tous les jeudis.
Sans de tels parents, l’enfant imaginative et frondeuse qu’était Robertine aurait-elle pu rêver de liberté, étudier dans de bonnes écoles, naître à elle-même? Sa mère Aglaé était de L’Isle-Verte, fille d’euphrosine et de Joseph rouleau, prospère marchand de bois. À vingt ans, elle rencontra John Barry, qui, comme des milliers et des milliers d’Irlandais, avait immigré au Canada avec sa famille, vers 1847, pour fuir la Famine de la pomme de terre. L’Irlande, ne l’appelait-on pas la verte Érin, ou l’île verte? Belle coïncidence! John travaillait aussi dans l’industrie du bois. Il était l’homme de confiance du riche entrepreneur William Price. Bien qu’il eût quinze ans de plus qu’Aglaé, une sensibilité commune, une élégance des sentiments, une passion pour les arts les réunit. John faisait d’ailleurs partie du groupe de bourgeois qui avait fondé au village un Institut littéraire où l’on se rencontrait pour lire, échanger, entendre des conférenciers. Le frère d’Aglaé en était membre, peut-être celle-ci fréquentait-elle aussi l’Institut? En 1851, par une superbe journée de juillet, John et Aglaé s’épousèrent à L’Isle-Verte.
Le 26 février 1863, une violente tempête de neige fait rage lorsque Robertine Barry vient au monde dans la maison de sa grand-mère Euphrosine – une tempête qui présage une petite tête en effervescence, pleine de questions, puis la femme ardente, impétueuse, le tourbillon de femme qui balayerait sur son passage tant d’idées reçues. Ni le médecin ni la sage-femme n’arrivent à temps pour prêter assistance à Aglaé; elle accouche donc avec la seule aide de sa mère, et aussitôt, malgré le vent qui siffle, malgré la poudrerie qui entremêle ciel et terre, on se presse vers l’église pour faire baptiser la nouvelle-née. On ne sait jamais, deux enfants de la famille Barry sont morts en bas âge... Cette fois, c’est la joie, Robertine se présente comme un bébé vigoureux, elle fait son entrée dans une maisonnée turbulente où déjà, malgré les petites tombes blanches qui hantent les esprits, trois frères et trois sœurs s’agitent comme des diables. Dès que les eaux du fleuve se trouvent libérées des glaces, les Barry quittent L’Isle-Verte pour regagner leur demeure des Escoumins. La maison des Barry: un manoir à cinq lucarnes, là sur le coteau, qui surplombe le Saint-Laurent. Les habitants du village l’appellent «la grande maison des bourgeois».
De fait, John Barry est maintenant le gérant de la plus importante scierie de la haute Côte-Nord. Celle-ci exporte du bois dans tout le Canada, en Amérique du sud et jusqu’en Australie. Le «roi du village», ainsi qu’on surnomme John Barry, est le patron des opérations: il embauche les ouvriers et les paie avec des «pitons», c’est-à-dire de la monnaie valable seulement au magasin de la Compagnie. Non seulement il exerce un véritable monopole, mais encore, fort de l’instruction supérieure qu’il a reçue en irlande, il occupe au fil des ans les fonctions de juge, de maire, de marguillier et d’agent du recensement. Il sera même consul de suède, ce qui lui ouvrira de nouveaux marchés pour la vente de bois. S’étonnera-t-on que la route de terre reliant Tadoussac à Portneuf ait été nommée le chemin Barry!
Au mitan du XIXe siècle, en cet âge d’or de la production de bois d’œuvre, le village des Escoumins vit surtout de l’industrie forestière et les habitants, pour la plupart, travaillent au moulin. Il y a le petit port, aussi, qui est fort occupé durant la saison de navigation. Le seul moyen d’arriver et de partir d’ici, en l’absence de route, est le cabotage en goélette. Outre les bûcherons, les draveurs, quelques cultivateurs, Les Escoumins comptent également des pêcheurs, car, bien avant le bois, ce sont les poissons et les baleines qui avaient attiré les gens dans cette baie. Des deux côtés du fleuve, à l’époque de Jacques Cartier, les Basques chassaient la baleine, ils en laissèrent des traces des Grandes-Bergeronnes à Trois-Pistoles. L’endroit est aussi un lieu de rassemblement estival pour les Montagnais qui viennent pêcher le saumon sur la rivière des Escoumins, et troquer des fourrures contre vivres et fournitures au poste de traite de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Au-dessus de ce petit monde besogneux, aux Escoumins comme dans tout autre village, il y a les gens fortunés, seigneurs des pêches ou seigneurs des bois, qui mènent la marche des choses. Voilà l’univers des Barry.
Et voici l’enfance de Robertine: un milieu aisé, baigné de culture, pieux sans excès de bondieuserie; un père tout-puissant, mais tout de même gentilhomme, une mère inspirante, qui initie ses enfants à la littérature et à la musique; une famille à part des autres, qui a de l’ascendant sur la population des alentours, sans pour autant manifester de la fatuité ou trop d’arrogance. Un peu de susceptibilité, toutefois, si l’on en juge par cette anecdote. Un jour qu’Aglaé recevait chez elle deux amies de Montréal, les trois dames se présentèrent à l’église avec des robes à large, très large, immensément large crinoline. Outré de ce signe de richesse par trop ostensible, le missionnaire-oblat refusa de leur donner la communion. Mal lui en prit, car John Barry avait des accointances dans les hautes sphères ecclésiastiques. Le petit missionnaire des Escoumins fut relevé de ses fonctions, et remplacé par un curé plus accommodant. Oui, les Barry tenaient le haut du pavé, ou disons du coteau, avec une bienveillance toute relative...
Ainsi grandit Robertine au rythme des saisons et des enfants à naître. Aglaé, comme sa mère Euphrosine, mettra au monde treize enfants. Il faut croire que ni l’aisance financière ni un fort tempérament – car oui, Aglaé avait du caractère – ne venaient modérer cette obsession catholique de la reproduction. Avec les risques que comportaient les maternités et les accouchements, aussi bien pour la mère que pour les nouveau-nés, on peut dire que les Canadiennes payaient un prix élevé pour se conformer aux idéologies du clergé comme à celles des hommes dominants. Des treize enfants d’Aglaé, dix atteindront tout de même l’âge adulte: David, Edmond, Mary, les jumelles Hilda et Caroline, Jean, Robertine, puis Évelyne, Clara-Blanche et Jacques-Robert. Par chance, Aglaé pouvait compter sur des domestiques, dont la chère Cécile Lauzier, qui fera véritablement partie de la famille et jouera un rôle déterminant dans la vie de chacun. Elle suivra les Barry de maison en maison, jusqu’à devenir celle qu’on appela avec beaucoup d’affection «notre vieille Cécile».
Robertine voit donc naître Évelyne, sa sœur préférée, son inséparable. Elle voit aussi partir la petite Marie-Claire, dont la mort, avant ses deux mois, jette une ombre indélébile sur ces temps d’innocence. Puis vient Clara-Blanche, qu’elle pouponne avec tendresse, elle qui pourtant dédaigne les poupées. Robertine fréquente l’école primaire des Escoumins. Elle adore faire de grandes promenades sur la grève, ramasser galets et coquillages, se ménager des cachettes secrètes pour déposer ses trésors. Elle pleure du sort qu’on a fait aux baleines – dont maints ossements gisent encore près de la pointe des Escoumins –, comme elle pleurera à Montréal sur le sort qu’on y fait aux chevaux. Durant ses vacances, elle s’amuse avec les enfants du village, tous les enfants; on ne fait pas de distinction entre riches et pauvres. Elle fréquente aussi les petites sauvagesses Montagnaises malgré les mises en garde d’Aglaé: les Indiens enlèvent les petites filles blanches pour en faire des Indiennes – preuve en est le cas de la petite Aurore-Marie Bismoute –, ils les cachent et les transportent au loin dans les forêts sombres et noires dont on ne revient jamais. Rien pour effrayer Robertine qui, au contraire, éprouve une immense fascination pour les Montagnais et leur culture, de même qu’elle s’intéresse vivement à ses origines celtes; lors de leurs promenades dans les bois, moments sacrés entre tous, elle pose inlassablement à son père des questions sur le monde des druides, des magiciens, des prêtresses, des prophétesses. C’est pendant cette période qu’elle se familiarise avec une idée qui traverse toutes ces légendes et qui traversera sa vie: la prépondérance des femmes dans l’univers des anciens Celtes, régi par le culte de la Déesse mère.
Robertine n’est pas jolie, elle le sait. Elle a hérité de la physionomie des rouleau, de cette mâchoire large, surtout, qui jure avec les critères de grâce, de douceur et d’harmonie qu’on recherche dans un visage féminin. Pourtant, elle arrive à charmer tout le monde, les enfants comme les grands, par son intelligence, sa maturité, son humour, sa vivacité et son extrême sensibilité – Dieu qu’il en faut pour remplacer la beauté! –, par toutes les qualités qui font, qui feront la grande Robertine Barry. «Pour les femmes, la laideur, c’est comme la pauvreté: ce n’est pas un vice, mais une grande incommodité», écrira-t-elle plus tard, avec l’humour mordant dont sont truffées ses chroniques. En attendant, elle est la favorite de ses grands-parents, car elle aime écouter leurs histoires des temps anciens, et cela, même si elle se montre de plus en plus rebelle et raisonneuse. En fait, tout happe, nourrit, sollicite son jeune esprit; un rien l’émerveille, ce qui est un don, dira-t-elle.
À quarante-deux ans, Aglaé met au monde son dernier enfant. John a alors cinquante-huit ans, il décide de prendre sa retraite et d’élever des chevaux. La famille déménage de l’autre côté du fleuve, à Trois-Pistoles, tout près de L’Isle-Verte. Aglaé est heureuse de se rapprocher de ses parents, mais sa mère meurt peu de temps avant le déménagement. On décide aussi que les trois sœurs, Robertine, Évelyne et Clara-Blanche seront pensionnaires au couvent des sœurs Jésus-Marie de Trois-Pistoles. Si on comptait par là assagir Robertine, on se trompait! Non qu’elle soit une mauvaise élève, bien au contraire, seulement elle déteste l’école et multiplie les pitreries, encourageant sa sœur, dont elle est inséparable, à faire le clown avec elle; elles se retrouvent constamment chez la mère supérieure. Ce qui n’empêchera pas les sœurs Barry de faire de bonnes études et Robertine de remporter quelques prix. Les fins de semaine, elles reviennent à la maison où elles retrouvent l’atmosphère familiale qu’elles chérissent tant, les soirées au piano, les livres de la bibliothèque où trônent Madame de staël, Lamartine et le grand victor Hugo. Robertine, qui s’est entichée d’un des chevaux de son père, le monte avec bonheur, en amazone bien sûr, les jambes de côté: une jeune fille doit prendre garde de ne pas perdre son hymen, sans quoi elle pourrait être qualifiée de putain et condamnée au célibat!
En 1880, à l’âge de dix-sept ans, Robertine est envoyée au couvent des ursulines à Québec, la meilleure Institution canadienne-française de l’époque. C’est dire combien John Barry et Aglaé rouleau, à l’inverse des gens de leur temps, valorisaient non seulement l’instruction en général, mais de surcroît, l’instruction des filles. Robertine, bien qu’elle n’aime pas particulièrement l’école, leur en est reconnaissante. Elle a vu beaucoup d’enfants, aux Escoumins comme à Trois-Pistoles, devoir abandonner l’école primaire pour participer aux corvées de la maison; elle sait que la plupart des jeunes femmes prennent le chemin des manufactures, pour ensuite se marier. Robertine a d’autres ambitions. Elle quitte donc sa famille et son cher paradis de Trois-Pistoles, elle quitte aussi sa bonne, Cécile, et elle se sépare de sa sœur Évelyne pour la première fois, non sans un pincement au cœur, mais avec l’assurance d’avancer vers là où elle doit aller.
Ces deux années aux ursulines se passent à apprendre aussi bien les sciences que la couture, l’économie domestique que l’histoire. Robertine se distingue surtout en rédaction. De fait, on remarque très vite son talent: six de ses compositions seront publiées dans L’Écho du cloître, le journal de l’Institution. Un de ces textes, relatant l’histoire de Trois-Pistoles, lui vaudra un diplôme d’honneur et paraîtra même dans un journal de Québec. C’est la révélation: Robertine sait maintenant qu’elle sera journaliste et écrivaine. Le couvent lui fournit également un terreau propice à l’éclosion de grandes amitiés. Par son humour irrésistible, par sa bienveillance aussi, Robertine y nouera des liens forts qui perdureront bien au-delà des études. En 1882, à dix-neuf ans, Robertine a atteint le plus haut niveau de scolarité possible, les universités francophones n’acceptant pas encore les femmes. Son diplôme en poche, elle rentre à Trois-Pistoles, enfin libre.
Libre... Et tellement contrainte à la fois. Si elle avait vécu en France, Robertine aurait pu entrer à l’université, et peut-être même exercer le métier de journaliste. À la maison, on reçoit des revues et journaux en provenance de l’Europe et des États-Unis; Robertine les dévore, y trouve des modèles, des sources d’inspiration qui la confortent dans son rêve. Par-dessus tout, elle suit avec passion la carrière de Sévérine, une journaliste parisienne qui écrit une chronique régulière. Non que Sévérine y soit parvenue sans difficulté, elle qui est allée jusqu’à faire une tentative de suicide pour faire céder ses parents. Mais elle a persévéré malgré tout, et maintenant elle signe ses articles. Au Québec, on ne signe pas: il y a bien quelques femmes journalistes, confinées bien sûr aux pages féminines, mais elles se cachent sous un pseudonyme – quand ce ne sont pas carrément des hommes qui, sous un pseudonyme féminin, s’adressent aux lectrices. Et surtout, ces femmes journalistes ne retirent de leur travail aucun revenu. D’ailleurs, qu’écrivent-elles? Des mièvreries à propos des convenances, de la mode, de la cuisine, rien d’édifiant pour les femmes nouvelles d’un XXe siècle à venir, à bâtir.
Dans ce Québec conservateur, ultrareligieux, où la femme est maintenue dans une condition d’infériorité systématique, où une fille de la bourgeoisie qui travaille est vue comme une espèce de «déclassée», Robertine cherche sa voie. En fait, elle connaît trop bien cette voie: elle veut de toutes ses forces être une journaliste influente, se servir de sa plume comme d’une arme pour forcer des changements de mentalité. Elle veut faire partie d’une équipe de rédaction et vivre de son travail. Jusqu’à ce jour, aucune Canadienne française n’y est parvenue et elle entend bien être la première. D’autre part, Robertine a une conviction profonde: pour rien au monde elle ne veut se marier. Ne dit-elle pas que «le mariage est le tombeau de l’amour»? Mais surtout, pas question d’être détournée de ses buts pour s’occuper d’un mari et d’une ...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Faux-titre
  3. Page de titre
  4. Crédits
  5. Avant-propos
  6. Shanadithit
  7. Françoise-Marie Jacquelin
  8. Mina Benson Hubbard
  9. Esther Wheelwright
  10. Marie Brazeau
  11. Marie-Josèphe-Angélique
  12. Emma Lajeunesse, dite L’Albani
  13. Madame Montour
  14. Esther Eneutseak et sa fille Nancy Columbia
  15. Marie Iowa Dorion
  16. Suzanne La Flesche Picotte
  17. Émilie Fortin-Tremblay
  18. Marie-Anne Gaboury
  19. Maud Maloney Watt
  20. Robertine Barry
  21. Remerciements
  22. Ouvrages et sites consultés
  23. Table des matières
  24. Quatrième de couverture