L'ère du temps
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L'ère du temps

Modernité capitaliste et aliénation capitaliste

  1. 309 pages
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L'ère du temps

Modernité capitaliste et aliénation capitaliste

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Depuis 1967, la seconde est l'unité de base du temps social. Dissocié de toute réalité tangible, le temps atomique mondialisé sur lequel reposent les infrastructures militaires, la finance, les structures politiques et les réseaux de communication correspond à un nombre précis de périodes de radiations de l'atome de césium 133. Pourtant, malgré cette course à la précision et au contrôle, l'être humain n'a jamais été aussi aliéné par le régime temporel dans lequel il vit.L'ère du temps étudie l'histoire de notre rapport au temps – temps des relations sociales et des rapports de pouvoir, temps de la valeur, temps producteur et produit des institutions. De l'invention des premières horloges à nos jours, en passant par l'établissement du temps universel standard, Jonathan Martineau retrace l'ascension hégémonique du temps abstrait, qui enchaîne les multiples temporalités sociales aux fins du développement capitaliste.

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Informations

Éditeur
Lux Éditeur
Année
2017
ISBN
9782895967064
C H A P I T R E 1

Faiseurs de monde et faiseurs de temps: l’étude des relations sociales de temps

RÉFLÉCHIR AUX RELATIONS SOCIALES de temps qui prévalent sous le capitalisme exige qu’on examine d’entrée de jeu deux concepts essentiels: l’aliénation et la réification. L’un et l’autre participent d’un même horizon de sens et s’imbriquent étroitement, mais leur niveau de généralité les distingue cependant: la réification est une variante ou une forme de l’aliénation[1]. Concept plus général, l’aliénation se rapporte aux sociétés de classes, alors que la réification représente plutôt une forme d’aliénation propre aux sociétés capitalistes[2]. Je proposerai ici une discussion générale de ces concepts, avant de les analyser plus loin du point de vue de la problématique du temps.
DE L’ÊTRE GÉNÉRIQUE À L’ALIÉNATION
Quand Marx découvre l’économie politique – nous sommes fin 1843, début 1844 –, le mouvement des «jeunes hégéliens» occupe le paysage intellectuel. On ne manque pas de souligner les liens philosophiques étroits qui l’unissent alors à Ludwig Feuerbach[3], et d’éminents jeunes hégéliens comme Bruno Bauer et Max Stirner figurent parmi ses principaux adversaires[4]. Marx est bien au fait des approches de l’aliénation issues de la tradition hégélienne. C’est à Feuerbach en effet qu’on doit une critique de la religion qui articule deux traits caractéristiques de l’aliénation: l’existence indépendante de quelque chose d’origine humaine. Le divin posséderait une existence indépendante, tout en étant d’origine humaine. Comme le résume bien la commentatrice Rachel V. Kohout Lawrence, pour Feuerbach, «Dieu n’est qu’une simple projection humaine répondant au besoin de dénotation chez l’homme, un objet indépendant de lui-même[5]».
Dieu serait donc une création humaine investie d’une puissance qui lui est propre et qui a fini par dominer – et même engendrer – ses créateurs. Dans certains de ses premiers écrits politiques, on sent nettement chez Marx l’influence de ce concept de l’aliénation: on peut trouver dans la critique qu’il fait de la philosophie du droit de Hegel des indications montrant qu’il considère l’État comme une forme d’aliénation. Les pouvoirs sociaux des humains sont aliénés, transformés en pouvoir politique et concentrés dans l’État[6]. En 1844, lorsqu’il découvre la contribution de Friedrich Engels au Deutsch-Französische Jahrbücher[7], Marx peut élargir son approche de l’aliénation. L’aliénation n’est plus seulement religieuse ou politique, elle caractérise aussi les relations sociales entre les producteurs et les exploiteurs dans les sociétés de classes.
Marx s’appuie sur un ensemble de propositions qui concernent les humains et leur rapport au monde. Il commence par distinguer l’humain naturel et l’humain générique, mettant ainsi en contraste l’«animalité» et l’«humanité» propres à l’espèce. Les êtres humains sont des animaux, c’est-à-dire qu’ils sont dotés d’aptitudes naturelles, d’instincts et d’intérêts – manger, dormir, se reproduire – qu’ils partagent avec le règne animal. Mais ces élans ne sont pas que naturels, car contrairement aux autres animaux les humains ont conscience de leur existence en tant qu’êtres et peuvent aussi reconnaître ce statut à leurs semblables. Doublée d’un sens du temps, d’une capacité d’incorporer la dimension du temps dans le processus de réflexion menant à une activité, cette conscience contribue à définir les êtres humains comme des êtres génériques conscients[8].
Dans une seconde série de propositions, Marx réfléchit à la relation entre les êtres humains et le monde qui les entoure, et il raffine encore la notion d’«être générique». C’est le concept d’activité qui va permettre de saisir l’un des aspects fondamentaux de cette relation. Ce concept résume en effet les trois moments où humains et nature entrent en relation: la perception, l’orientation et l’appropriation. Dans le cadre de cette activité – une transformation active de la nature selon des formes historiques spécifiques –, les êtres humains produisent leur propre monde objectif, ce qui fait d’eux des êtres génériques: «L’engendrement pratique d’un monde objectif, l’élaboration de la nature non organique sont l’attestation de l’homme en tant qu’il est un être générique conscient, c’est-à-dire un être qui se rapporte au genre comme à son propre être, ou bien qui se rapporte à lui-même en tant qu’être générique[9]
Au premier abord et un peu sommairement, on pourrait comprendre cette relation comme une relation sujet-objet, au sens où des êtres humains «subjectifs» s’engagent dans des rapports avec la nature «objective». Mais les rapports des êtres humains à la nature sont beaucoup plus complexes. Les humains sont un produit de l’évolution naturelle et ils font de ce fait partie intégrante de la nature. La définition même des humains en tant qu’êtres génériques repose sur cette intrication avec la nature. Par ailleurs, la proposition de Marx relative au caractère «naturel» des humains reste valide même si on en inverse les termes: si les humains sont «naturels», la nature, elle, est aussi «humaine». D’abord, elle est transformée par l’activité humaine – c’est le moins qu’on puisse dire. Mais il y a plus. En tant que catégorie de la pensée, la «nature» porte la marque des idées et des pratiques humaines. La façon dont les humains appréhendent la nature et agissent envers elle est toujours médiatisée par des constructions culturelles. Enfin, dès lors qu’on affirme que les humains doivent transformer la nature pour vivre (cette dernière ne se présentant pas d’emblée sous une forme adaptée à leur survie), il faut reconnaître que cette activité de transformation les façonne en retour. Elle modèle à la fois les acteurs et leur monde, et contribue à faire des êtres humains une espèce particulière. Autrement dit, la nature et les humains sont reliés de l’intérieur, même s’il est toujours possible de les distinguer puisqu’ils ne sont pas pareils. Il n’est donc pas question de concevoir les humains et la nature comme sujet et objet, comme des identités séparées à priori, pas plus qu’on ne pourrait les appréhender comme des entités identiques.
On peut ici dégager un autre élément essentiel: les êtres humains inscrivant leur activité productive dans le cadre de groupes organisés, il est dès lors impossible de les considérer au départ comme des atomes séparés. Faisant écho à Aristote, Marx affirme: «L’homme est, au sens le plus littéral, un zoon politikon, non seulement un animal social, mais un animal qui ne peut se constituer comme individu singulier que dans la société[10].» La socialité précède donc l’individualité: en tant qu’êtres génériques, les humains sont des animaux politiques et sociaux. La socialité et l’activité font naître la culture, les systèmes de signification qui mettent les êtres humains en rapport les uns avec les autres et qui médiatisent les relations étroites entre les humains et leur monde. Les humains sont ce qu’ils sont grâce à leur activité de travail, leurs relations internes avec la nature, leur socialité et leur culture. Leur être générique repose sur l’organisation sociale qu’ils partagent avec d’autres, dans le cadre de l’interaction qui s’établit entre la nature et leur milieu et que la culture médiatise; cela pour reproduire leurs moyens d’existence, leur environnement, leur «monde objectif», leurs significations, bref pour se développer en tant que faiseurs de monde. C’est précisément dans ce rapport entre les humains et leur monde, et en fin de compte dans ce qui est le propre de l’humain, qu’il faut situer le concept d’aliénation chez Marx.
Dans son acception la plus simple et la plus générale, l’«aliénation» renvoie à l’acte de se départir de quelque chose qui nous appartient – en le vendant, en le cédant, en s’en séparant, en en faisant quelque chose d’étranger. Cela évoque une perte, une séparation de quelque chose qui est nôtre et se pose comme étranger, et acquiert en même temps un pouvoir autonome face à nous et notre existence. Chez Marx, le concept d’aliénation atteint un haut niveau de généralité, bien qu’il ne soit jamais, c’est important de le rappeler, de portée universelle ou transhistorique. Le concept marxiste d’aliénation s’applique aux sociétés de classes.
Dans les Manuscrits économico-philosophiques de 1844, Marx examine trois formes étroitement liées d’aliénation[11]. La première est l’aliénation du producteur face au produit de son travail, qui lui fait maintenant face comme étranger, extérieur.
La deuxième forme est l’aliénation du travail lui-même, de cette activité proprement humaine ou, si l’on veut, «l’aliénation de soi» par laquelle l’activité devient extérieure au producteur. Cette activité humaine objectivée échappe au pouvoir de ses producteurs et engendre des rapports aliénés: «Par le travail aliéné, l’homme ne fait donc pas qu’engendrer son rapport à l’objet et à l’acte de production comme à des hommes qui lui sont étrangers et hostiles; il engendre aussi le rapport dans lequel se trouvent d’autres hommes à l’égard de sa production et de son produit, ainsi que le rapport dans lequel il se tient lui-même à l’égard de ces autres hommes[12]
Enfin, ce travail, en aliénant l’objet du travail et de l’activité humaine, aliène les producteurs de leur être générique: «Si bien qu’en arrachant à l’homme l’objet de sa production, le travail aliéné lui arrache sa vie générique [...][13].» Là où Marx croit que l’activité humaine devrait être une fin en soi, une libre création du monde par les producteurs eux-mêmes, le travail aliéné transforme cette activité en une simple affaire de subsistance. Dans les sociétés de classes, les producteurs se voient limités dans la mesure où ils ne peuvent pas développer totalement leurs aptitudes et leur potentiel. Ils sont également incapables d’interagir pleinement avec leurs semblables en tant qu’êtres génériques. En d’autres mots, l’aliénation empêche les humains de s’accomplir en tant qu’êtres dans les activités qui leur sont propres, d’éprouver le monde objectif qui les entoure comme leur œuvre et de développer leur potentiel en tant qu’êtres sociaux faiseurs de monde.
Il ne faut surtout pas lire chez Marx l’idée que le travail aliéné sépare les êtres humains d’une «nature humaine» qui serait à priori universelle et transhistorique. L’aliénation les coupe plutôt de possibilités humaines particulières, de formes spécifiques de créativité et de liberté. Les humains ne sont pas aliénés au regard de leur «véritable nature humaine», «éternelle», «universelle», «immuable», mais au regard des possibilités d’accomplissement et de développement créées par le contexte sociohistorique. Ce qui relève de la nature humaine est peut-être un potentiel de créativité, d’épanouissement, d’expression et de liberté, mais il ne peut s’actualiser que dans un contexte sociohistorique particulier. Si on excepte ces potentialités et ces aptitudes à transformer le monde, la «nature humaine» est variable d’un point de vue sociohistorique, elle ne possède pas de contenu universel ou transhistorique.
Cet examen préliminaire du concept d’aliénation indique que le travail aliéné est propre aux sociétés de classes dans lesquelles un groupe s’approprie le travail et ses produits grâce à divers moyens d’exploitation socialement et historiquement constitués. Avec ce processus d’appropriation, on coupe les producteurs des caractéristiques potentielles liées à leur statut d’êtres naturels et sociaux, et qui se dressent désormais devant eux comme des forces étrangères. Bref, dans les sociétés de classes, les producteurs sont dépouillés de ce qui leur appartient. J’aborderai plus loin la question de l’aliénation du temps – le fait que les humains soient privés de leur temps – et j’évaluerai les différences, du point de vue de leur généralité, entre le travail aliéné, typique des sociétés de classes, et le temps aliéné, qui pourrait bien être une caractéristique particulière au capitalisme.
La réification et le fétichisme de la marchandise
Si l’aliénation caractérise les sociétés de classes, la réification appartient plutôt à une forme particulière de ces sociétés: le capitalisme. En bref, la réification consiste à transformer systématiquement les processus et les relations en choses. La réification renvoie tout autant au processus objectif fondé sur le fonctionnement des marchés capitalistes qu’à l’expérience subjective par laquelle les agents perçoivent les processus et les relations comme des choses. Dans une formule célèbre, Marx décrit la dimension expérientielle de la réification comme «le caractère fétiche de la marchandise[14]». Il emploie cette notion pour souligner comment les opérations des marchés capitalistes occultent les rapports sociaux. Bien qu’on rencontre le fétichisme dans différentes formes de sociétés, où les gens confèrent aux choses des propriétés humaines, surnaturelles ou divines, le fétichisme de la marchandise sous le capitalisme, quant à lui, fait en sorte que les producteurs considèrent leurs propres puissances créatrices et productives comme des propriétés des marchandises, ces «chose[s] extrêmement embrouillée[s], pleine[s] de subtilités métaphysiques et de lubies théologiques[15]». Autrement dit, dans les sociétés capitalistes, les relations entre les producteurs se présentent comme des relations entre les marchandises. Ce mode d’apparence est nécessaire; les sociétés capitalistes sont structurées autour de la production de marchandises destinées à l’échange. À cause de cette particularité structurelle, les marchandises sont produites et mises en circulation par des mécanismes de marché impersonnels et, de ce fait, séparées de leurs producteurs. Puis, des gens les achètent et les consomment non pas en fonction de leurs besoins, mais plutôt selon leur capacité de paiement; ils ignorent tout des rapports sociaux et du travail humain grâce auxquels ces marchandises ont été produites et peuvent circuler.
Ce qu’il y a de mystérieux dans la forme marchandise, consiste donc simplement en ceci qu’elle renvoie aux hommes l’image des caractères sociaux de leur propre travail comme des caractères objectifs des produits du travail eux-mêmes, comme des qualités sociales que ces choses posséderaient par nature: elle leur renvoie ainsi l’image du rapport social des producteurs au travail global, comme un rapport social existant en dehors d’eux, entre des objets. C’est ce quiproquo qui fait que les produits du travail deviennent des marchandises, des choses sensibles suprasensibles, des choses sociales. [...] C’est seulement le rapport social déterminé des hommes eux-mêmes qui prend ici pour eux la forme fantasmagorique d’un rapport entre choses. [...]
C’est pourquoi les relations sociales qu’entretiennent leurs travaux privés apparaissent aux producteurs pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire, non pas comme des rapports immédiatement sociaux entre les personnes dans leur travail même, mais au contraire comme rapports impersonnels entre des personnes et rapports sociaux entre des choses impersonnelles[16].
Le caractère fétiche du monde des marchandises, la dimension expérientielle de la réification, apparaît dès lors comme le résultat des processus de marchandisation qui découlent de la forme valeur capitaliste. Cela révèle, comme le souligne Lukács, que, sous le capitalisme, le rapport marchand ne se réduit pas à la transformation de toutes les «valeurs d’usage» en marchandises. Dans la mesure où le rapport marchand et les structures du marché deviennent les principales formes de valorisation, les humains – force de travail – deviennent eux-mêmes des marchandises et le processus de réification affecte tout autant leurs corps que leurs consciences:
[La réification] imprime sa structure à toute la conscience de l’homme; les propriétés et les facultés de cette conscience ne se relie...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Faux-titre
  3. Crédits
  4. Introduction: Le paradoxe des temps modernes
  5. 1. Faiseurs de monde et faiseurs de temps: l’étude des relations sociales de temps
  6. 2. L’origine du temps horloge, l’origine du capitalisme
  7. 3. Capitalisme et aliénation temporelle
  8. Conclusion
  9. Remerciements
  10. Bibliographie
  11. Table
  12. Quatrième de couverture