L'ombre d'Octobre
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L'ombre d'Octobre

La Révolution russe et le spectre des soviets

  1. 295 pages
  2. French
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L'ombre d'Octobre

La Révolution russe et le spectre des soviets

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À propos de ce livre

Ce qui s'est affublé du nom de communisme depuis 1917 est une catastrophe historique qui continue à produire ses effets les plus sombres sur l'humanité en la privant d'alternative. Si l'avenir est confisqué par le néolibéralisme, c'est en grande partie dû à la figure odieuse de la forme hyper-étatique du communisme au XXe siècle qui hypothèque toute sortie émancipatrice du capitalisme. Or l'idéal communiste de l'auto-émancipation n'était pas vain. Pour le raviver, il faut se défaire de toute illusion rétrospective, étudier les pratiques des bolcheviks et comprendre comment le communisme en est arrivé à ce retournement étatiste. On sera dès lors à même de trouver les nouvelles pratiques et théories qui permettent d'envisager une ouverture des futurs.

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C H A P I T R E 1

De la révolution de Février à l’insurrection d’Octobre

«TOUT LE POUVOIR AUX SOVIETS!» voilà le mot d’ordre au nom duquel se fit l’insurrection d’octobre 1917. Pourtant, dans les deux lettres qu’il adressa aux dirigeants du Parti les 12 et 14 septembre, et que ceux-ci reçurent le 15 septembre, c’est aux bolcheviks que Lénine enjoignit de prendre eux-mêmes le pouvoir: «Ayant obtenu la majorité aux soviets des députés ouvriers et soldats des deux capitales, Petrograd et Moscou, les bolcheviks peuvent et doivent prendre en main le pouvoir», non pas dans plusieurs semaines, mais «précisément aujourd’hui[1]». De fait, le 25 octobre – soit un mois et dix jours après avoir reçu les lettres de Lénine –, ce sont bien les bolcheviks qui s’emparèrent eux-mêmes du pouvoir et mirent le Congrès des soviets devant le fait accompli. La prise du pouvoir par les bolcheviks au nom des soviets se substitua ainsi pratiquement à la prise du pouvoir par les soviets eux-mêmes. Quelle signification faut-il accorder à ce fait? Les dirigeants bolcheviks faisaient-ils vraiment cas des soviets, pourtant considérés comme les institutions du pouvoir prolétarien et paysan? Pour le saisir, il faut rappeler les grandes lignes des tournants et réorientations qui ont marqué la stratégie du Parti bolchevik entre juillet et octobre 1917. Si Lénine a joué un rôle aussi décisif, c’est parce qu’il est parvenu, non sans peine et à force d’opiniâtreté, à faire taire ceux qui, à l’intérieur même de son parti, résistaient à la stratégie de conquête directe du pouvoir par les bolcheviks.
LA RÉVOLUTION DE FÉVRIER
La légende d’Octobre voudrait que la révolution, la vraie, s’identifie à la prise du pouvoir par les bolcheviks. Par contraste, la révolution de Février ne serait essentiellement qu’une révolution politique trouvant son accomplissement dans la «révolution d’Octobre», qui, seule, aurait été une révolution sociale. Cependant, contrairement à cette légende, la révolution sociale a bien précédé la révolution politique, et non l’inverse: c’est bien la société qui procéda d’elle-même au renversement de toutes les autorités avant la mise en place du nouveau gouvernement. Comme le rappelle Marc Ferro, «on a fini par l’oublier, Février fut la révolution la plus violente de tous les temps. En quelques semaines, une société se débarrasse de tous ses dirigeants: le monarque et ses hommes de loi, la police et les prêtres, les propriétaires et les fonctionnaires, les officiers et les patrons. Il n’est plus un citoyen qui ne se sente libre, libre de décider à chaque instant de sa conduite et de son avenir. Il n’en est bientôt plus un seul qui n’aît aussi dans sa poche, un plan tout prêt pour régénérer le monde[2]». Pour les citoyens, loin de constituer un «aboutissement inéluctable du passé», la révolution rompait avec tout le passé et ouvrait «une nouvelle ère de l’histoire des hommes». Elle était véritablement «le monde renversé[3]». La légende d’Octobre nous l’a fait oublier, mais Février fut en premier lieu une prodigieuse libération de l’imaginaire. Et c’est d’égalitarisme que se nourrissait «le rêve de Février[4]»: le cocher comme le dandy, le simple soldat comme l’officier, le pauvre comme le riche avaient le même droit à la parole, ce qui impliquait que tous les statuts et privilèges hérités du passé devenaient nuls et non avenus du jour au lendemain.
Par conséquent, l’idée selon laquelle Février aurait été une «révolution bourgeoise», relativement pacifique, dépourvue de dynamique populaire et sans effets sociaux réels, est une idée fausse. Le récit le plus convenu en fait une affaire strictement politique de rivalité ou d’antagonisme entre partis. Après les journées du 26 et 27 février, s’ouvre en effet une situation de double pouvoir entre le Comité provisoire de la Douma, dominée par les libéraux, et le Soviet de Petrograd, dominé par les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires. Mais la révolution dite «de Février» ne se résume pas pour autant au conflit entre une Douma bourgeoise et un Soviet à dominante socialiste modérée. Ces organes, qui se mirent plus ou moins d’accord pour prendre des mesures libérales contre l’autocratie, furent vite dépassés et submergés par la spontanéité de fractions entières de la population et, loin de le déclencher, ils durent réagir au processus révolutionnaire qui était à l’initiative de la rue. L’invention politique n’était pas le fait des partis, elle était en quelque sorte anonyme, comme le laissait entendre Trotsky à propos du rôle joué par le Soviet de Petrograd le 27 février: «[L]’expérience des soviets de 1905 s’était gravée pour toujours dans la conscience ouvrière. À chaque montée du mouvement, même au cours de la guerre, l’idée de constituer des soviets renaissait presque automatiquement[5]
Le printemps 1917 vit l’éclosion ou le réveil d’institutions indépendantes des partis et même des soviets de députés contrôlés par les partis: comités d’usine composés de délégués d’ateliers, comités de quartier, comités de village, d’immeubles, milices, gardes rouges, syndicats, coopératives. Le processus révolutionnaire prit spontanément les formes d’un autogouvernement généralisé à tous les niveaux de la société, comme cela avait été le cas de façon plus embryonnaire en 1905. C’était une immense prise de parole qui surgissait soudainement, une insurrection nourrie des revendications les plus diverses: d’exigences démocratiques dans le cadre du travail, d’occupations d’usine et de pratiques d’autogestion, de remise en cause généralisée de la hiérarchie, en particulier dans les armées, de partage des terres dans les campagnes révélant toute la force des revendications de la démocratie agraire, de revendications des nationalités opprimées par le centralisme tsariste. Sans suivre de mot d’ordre des partis ou des syndicats, souvent hostiles, indifférents ou débordés par le mouvement, un véritable pouvoir populaire autonome se développait qui se donna ses propres institutions, en dehors du gouvernement provisoire et du Soviet des députés, contrôlés par les partis «conciliateurs». La Conférence des comités d’usine de Petrograd ou la Conférence interquartiers ou encore la Garde rouge en sont quelques exemples parmi d’autres[6].
Dans les campagnes où les réformes de Stolypine, premier ministre du tsar, avaient tenté de dissoudre les communautés rurales, ou mirs, on assista à une sorte de résurrection de ce modèle villageois et à une redéfinition pratique des institutions anciennes, comme les «comités agraires» qui deviennent des «organes de la révolution paysanne»[7]. Les paysans se rassemblèrent pour revendiquer et bientôt organiser la répartition des terres dès le printemps. Notons, et ce point est remarquable même s’il a été peu souligné, la référence omniprésente à la kommouna, nom de l’une des revues du mouvement socialiste-révolutionnaire (SR). À partir de février, on utilisa le terme de «commune» pour désigner des villes, des régions (on parlait par exemple de la commune laborieuse de Petrograd), et le mot désignait même parfois des services municipaux. Le monde était appelé à devenir «la commune mondiale[8]». Dans les campagnes, l’autorité du vieil État se défaisait en même temps qu’apparaissaient, de façon spontanée et désordonnée, des formes politiques autonomes. Mais ce sont surtout les soviets qui attirèrent les fractions les plus actives des classes populaires, comme l’écrit Trotsky: «[L]es masses affluent dans les soviets comme sous les arcs de triomphe de la révolution. Tout ce qui restait en dehors des soviets retombait en quelque sorte à l’écart de la révolution et semblait appartenir à un autre monde[9]
Panaït Istrati rapporte un propos de Christian Rakowski, éminent dirigeant bolchevik et ami de Léon Trotsky, à propos du rôle réel des bolcheviks dans la révolution et la guerre civile: «Ce n’est pas nous qui avons été partout, c’est la révolte. C’est elle qui s’est battue et qui a vaincu. Nous n’avons su que lui donner son expression, sa figure, et nous y livrer corps et âme[10].» Voilà qui dit bien ce que les dirigeants bolcheviks ont su accomplir: enfourcher au bon moment un mouvement qui les précédait et les dépassait dans les campagnes comme dans les usines. Rakowski oubliait tout de même un point essentiel: de son côté, la révolte a créé des formes politiques indépendantes des partis. Même le Parti bolchevik a été à la traîne. Dans les premières journées de Février, symptomatiquement, les bolcheviks demandèrent la création d’un gouvernement révolutionnaire provisoire issu des élections, sans tenir compte des soviets[11]. «Il est de fait que la Russie fut couverte d’un réseau de soviets avant qu’un seul parti politique ait réuni ses assises[12]», écrit Marc Ferro, et il ajoute plus loin: «[D]ans les villes comme dans les campagnes, les nouvelles institutions révolutionnaires portaient la marque du génie des travailleurs de Russie. Mode de représentation, organes constitutifs (bureau, commissions, etc.), moyens d’action (milices ouvrières, pétitions, etc.), autant de créations qui donnèrent un style à la révolution russe. Un droit nouveau naquit, fondé sur l’équité, le respect de l’individu et de son travail[13]
La révolution de Février donna ainsi lieu à une prolifération des formes de gouvernement direct à tous les niveaux, pratiquant un égalitarisme qui bouleversait toutes les relations sociales[14]. Il y eut aussi des passages à l’acte: au lock-out des patrons, les ouvriers répondirent par l’occupation et l’autogestion de l’usine, aux atermoiements du gouvernement provisoire, les paysans opposèrent la saisie et le partage des domaines. Le plus étonnant fut la vitesse fulgurante à laquelle s’écroula l’ancien système et naquirent les nouvelles institutions. Dès le mois de mars, des comités d’usine prirent en main le contrôle de la production, la paysannerie révolutionnaire s’empara des grands domaines et les allogènes, Géorgiens, Lettons, Ukrainiens, formulèrent leurs revendications d’autonomie. La lutte sociale était générale, elle débordait complètement les forces politiques portées au pouvoir, qui tardaient d’ailleurs terriblement à satisfaire les revendications des ouvriers, paysans et soldats.
Lénine, rejoignant en cela les idées de Trotsky sur la révolution permanente, comprit que l’émergence spontanée des comités d’usine et des soviets ouvriers, soldats et paysans, montrait que la phase dite «bourgeoise» de la révolution avait été dépassée, que le temps était venu de rompre avec le gouvernement provisoire et la majorité du Soviet, aussi sourds l’un que l’autre aux aspirations populaires et ne voulant au fond qu’assurer le pouvoir de la bourgeoisie en échange de quelques réformes sociales limitées pour ne pas effrayer les classes dominantes. Le «paradoxe de la révolution de Février[15]», analysé par Trotsky dans son Histoire de la révolution russe, résidait dans ce que les socialistes qui étaient à la tête du Soviet refusaient absolument d’en proclamer la souveraineté et faisaient tout, au contraire, pour assurer la Douma et le gouvernement de leur entière soumission. De son côté, la bourgeoisie cherchait à étouffer la dynamique révolutionnaire en continuant la guerre et en reportant les réformes de structure. Victimes de leur propre doctrine «étapiste» et évolutionniste selon laquelle la révolution était par essence bourgeoise, une doctrine qui montre combien ils avaient intégré la domination des puissants détenteurs «naturels» de l’hégémonie politique, les mencheviks très influents dans le Soviet de Petrograd refusaient d’assumer le fait que celui-ci était devenu le centre de la révolution et que la haute bourgeoisie, de son côté, n’entendait nullement recevoir le pouvoir des mains des ouvriers et des soldats... sauf pour résister à la poussée révolutionnaire[16]. Autrement dit, les forces démocratiques socialistes portées par une immense vague révolutionnaire se refusaient à prendre la tête de la révolution. Même les bolcheviks étaient hésitants, il faut bien le dire. Parmi les dirigeants, il s’en trouvait peu pour engager une lutte ouverte contre le gouvernement et la direction socialiste modérée du Soviet. De retour à Petrograd début avril, Lénine fut obligé de se battre pied à pied contre ses camarades pour défendre sa position: le Soviet devait exercer tout le pouvoir d’État et ne plus être un organe de surveillance ou de contrôle du gouvernement, et pour cela, il devait se doter d’une police et d’une administration qui lui soient propres. En somme, il s’agissait de contester au Comité exécutif central panrusse des soviets, élu par le premier Congrès des soviets (29 mars-3 avril) et chargé de les représenter auprès des autres organes de pouvoir, le rôle de conciliation que celui-ci tentait de jouer de façon de plus en plus contraire au mouvement révolutionnaire.
Les événements de mai lui donnèrent raison, notamment le ralliement des socialistes et des SR à la politique dite «de coalition» qui entendait différer les réformes de structure jusqu’à la tenue de l’Assemblée constituante. En attendant, les modérés du gouvernement provisoire cherchaient à démobiliser les ouvriers, à leur opposer les soldats, et à continuer une guerre qui tourna au désastre en juin. Face à la contre-offensive allemande de juillet, les soldats russes désertèrent par centaines de milliers.
La politique de conciliation s’avéra un échec, aussi incapable de satisfaire les fractions de la population mobilisées que de restaurer l’autorité d’un pouvoir central. Comme l’écrit Marc Ferro, «la révolution, c’était le gouvernement direct[17]». Même le premier Congrès panrusse des soviets ne parvint pas à juguler le foisonnement des formes d’autogouvernement. La révolution continuait, l’opinion des groupes actifs était nettement plus radicale que celle des élus au Soviet et les thèses bolcheviques trouvaient un écho grandissant dans une partie de la classe ouvrière.
L’ATTITUDE DES BOLCHEVIKS À L’ÉGARD DES SOVIETS
Un tournant dans la révolution survint au début juillet 1917. En déclenchant l’offensive du 18 juin contre l’armée allemande, le gouvernement tenta de reprendre l’armée russe en main et les soldats de l’arrière réagirent à ce qu’ils voyaient comme un acte contre-révolutionnaire par les manifestations des «journées de Juillet». Ils se tournèrent vers la direction du Parti bolchevik pour organiser la mobilisation. Jugeant ce mouvement «prématuré», le Comité central s’y opposa dans un premier temps, avant de se solidariser avec les soldats et les ouvriers qui agissaient de leur propre initiative et avec le soutien des dirigeants de l’Organisation militaire et du Comité de Pétersbourg du Parti. Les 3 et 4 juillet, des dizaines de milliers de manifestants menacèrent les leaders des soviets, leur reprochant de ne pas se saisir du pouvoir. Il y eut des affrontements entre les soldats mutinés, dont les marins de Cronstadt, et les troupes fidèles au Soviet et au gouvernement, affrontements qui firent de nombreux morts et blessés. La répression s’abattit sur les bolcheviks accusés par le gouvernem...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Faux-titre
  3. Crédits
  4. Introduction: Lumière des soviets, ombre d’Octobre
  5. 1. De la révolution de Février à l’insurrection d’Octobre
  6. 2. Le Parti souverain
  7. 3. L’État contre les soviets
  8. 4. L’ombre d’Octobre et les révolutions occultées
  9. 5. Quel communisme?
  10. Repères biographiques des personnages cités
  11. Bibliographie
  12. Table
  13. Quatrième de couverture