Le sens du social
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Le sens du social

Les puissances de la coopération

  1. 266 pages
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Le sens du social

Les puissances de la coopération

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À propos de ce livre

Nous vivons depuis quelques dĂ©cennies une privatisation et une atomisation de la sociĂ©tĂ©, qui instituent les individus en concurrents et leur font perdre le vĂ©ritable sens du social: la coopĂ©ration. En philosophie aussi, le concept de « social », auquel on prĂ©fĂšre souvent les idĂ©es de « commun » ou de « communautĂ© », peine aujourd'hui encore Ă  ĂȘtre reconnu. Cet essai propose donc, Ă  la suite de Dewey, de dĂ©fendre « la valeur du social en tant que catĂ©gorie » de la pensĂ©e.Il s'agit d'analyser les raisons qui ont conduit Ă  ce discrĂ©dit, puis de reconstruire un concept qui possĂšde Ă  la fois une fonction descriptive et une portĂ©e morale et politique. Le livre avance la thĂšse que le travail, en tant qu'association et coopĂ©ration, est porteur d'une exigence proprement dĂ©mocratique, et que cette exigence n'est autre que l'expression politique de la structure sociale. Sur cette base, devient possible une critique des dispositifs qui privent concrĂštement le travail de sa dimension dĂ©mocratique et rĂ©priment sa logique coopĂ©rative.

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Informations

Éditeur
Lux Éditeur
Année
2015
ISBN
9782895966869

C H A P I T R E 1

Le mépris du social

APRÈS LA PÉRIODE des annĂ©es 1960 et 1970, durant laquelle ce qui s’est fait d’important en philosophie en France l’a Ă©tĂ© dans un constant dĂ©bat de la philosophie avec les sciences sociales, nous avons vĂ©cu ensuite, Ă  partir de la fin des annĂ©es 1970 et surtout durant les annĂ©es 1980, une pĂ©riode durant laquelle beaucoup de philosophes français ont pensĂ© devoir restaurer la «pureté» de leur discipline et ont Ă©tĂ© tentĂ©s de le faire essentiellement contre les sciences sociales.
Un exemple suffira, parmi tant d’autres possibles, celui de Michel Henry et de ce qu’il Ă©crivait dans l’introduction de sa PhĂ©nomĂ©nologie matĂ©rielle, dont la premiĂšre publication date de 1990:
Avec l’effondrement des modes parisiennes des derniĂšres dĂ©cennies et notamment du structuralisme qui en prĂ©sente la forme la plus extensive parce que la plus superficielle, avec la remise Ă  leur place des sciences sociales qui entendaient se substituer Ă  la philosophie mais qui n’offrent jamais de l’homme qu’une vue extĂ©rieure, la phĂ©nomĂ©nologie apparaĂźt de plus en plus comme le principal mouvement de pensĂ©e de notre temps[1].
Et, comme la suite du texte nous explique que la phĂ©nomĂ©nologie aura Ă©tĂ© pour le XXe siĂšcle ce que l’idĂ©alisme allemand avait Ă©tĂ© pour XIXe, le cartĂ©sianisme pour le XVIIe, Thomas d’Aquin pour la scolastique et Platon et Aristote pour l’AntiquitĂ©, on comprend que par «phĂ©nomĂ©nologie», Michel Henry entendait la philosophie elle-mĂȘme, dont il cĂ©lĂšbre le retour en 1990 contre les sciences sociales, et contre les diffĂ©rentes philosophies qui se sont compromises avec les sciences sociales dans les dĂ©cennies prĂ©cĂ©dentes. Or, comme par hasard, ce mĂȘme livre qui commence par un discrĂ©dit jetĂ© sur les sciences sociales et, Ă  travers elles, sur leur objet, le social – comme par hasard, donc, ce livre s’achĂšve sur un texte consacrĂ© Ă  l’idĂ©e de communautĂ© et intitulĂ© «Pour une phĂ©nomĂ©nologie de la communauté». Mais ce n’est Ă©videmment pas un hasard et nous verrons qu’il y a lĂ  quelque chose comme une constante du discours philosophique, Ă  savoir que chaque fois qu’un philosophe dĂ©nigre le social et les sciences sociales, c’est pour faire l’apologie du commun et de la communautĂ©. Dans toute pensĂ©e de type binaire, on peut constater que les vertus tombent toujours du cĂŽtĂ© de la communautĂ© ou du commun, et les vices toujours du cĂŽtĂ© du social ou de la sociĂ©tĂ©: dans le cadre de l’opposition du naturel et de l’artificiel, on dira que le commun est naturel tandis que le social est artificiel[2]; mais si c’est cette fois dans les termes de l’opposition entre le volontaire et le contraint que l’on pense, alors on dira (mĂȘme si cela contredit la prĂ©cĂ©dente thĂšse, mais ce n’est pas si grave...) que l’adhĂ©sion Ă  la communautĂ© est libre et volontaire, tandis que le social est toujours de l’ordre du contraignant et du nĂ©cessaire. De mĂȘme avec une autre opposition, celle de l’intĂ©rieur et de l’extĂ©rieur: la communautĂ© sera Ă©videmment interne, alors que le social est extĂ©rieur, ce qui rejoint la dimension de la contrainte et de la nĂ©cessitĂ©. Et que dire de l’opposition du spirituel et du matĂ©riel? Le social sera forcĂ©ment matĂ©riel quand la communautĂ© ne peut Ă©videmment ĂȘtre que spirituelle. Et l’on pourrait continuer longtemps comme cela: la communautĂ© est organique quand le social est mĂ©canique, le commun est vivant et subjectif tandis que le social est mort et chosifiant[3], etc.
On peut penser que toutes les pensĂ©es modernes du social, au-delĂ  de tout ce qui peut les opposer entre elles, ont en commun de s’ĂȘtre toutes efforcĂ©es, dĂšs Weber et Durkheim, de s’extraire de ces dualismes simplistes et d’en contester la pertinence[4] – avec, il faut bien le constater, assez peu de succĂšs auprĂšs des philosophes, toujours prompts Ă  cĂ©der de nouveau Ă  leurs vieux rĂ©flexes de mĂ©pris du social et de valorisation du commun.
J’y reviendrai, mais je constate que cette entreprise de dĂ©faire les liens qui avaient Ă©tĂ© nouĂ©s dans la pĂ©riode antĂ©rieure entre la philosophie et les sciences sociales nous a donnĂ© Ă  partir des annĂ©es 1980 la restauration de la philosophie politique sous une forme qui, Ă  bien des Ă©gards, a Ă©tĂ© en dĂ©finitive celle d’une philosophie de la restauration politique. Je reviendrai briĂšvement sur cet Ă©pisode historique pour le moins malheureux. Mais je voudrais aussi attirer l’attention sur le fait que ce mĂ©pris philosophique du social et des sciences sociales[5] va parfois se loger lĂ  oĂč on ne l’attend pas forcĂ©ment, je veux dire chez des auteurs dont on pourrait penser qu’ils sont relativement immunisĂ©s Ă  son Ă©gard. C’est le cas notamment des philosophes qui sont, depuis quelques annĂ©es, les acteurs d’un dĂ©bat autour de l’idĂ©e du communisme: le retour rĂ©cent de ou Ă  l’idĂ©e du communisme chez les philosophes[6], en ce qu’il s’accompagne du discrĂ©dit jetĂ© sur l’idĂ©e concurrente de socialisme, me paraĂźt ĂȘtre la derniĂšre en date des formes prises par le mĂ©pris philosophique du social et l’amour philosophique du commun. À l’horizon de ces rĂ©flexions, il y a la question de savoir pourquoi, lorsque la philosophie se recentre sur elle-mĂȘme (notamment en se rĂ©affirmant comme philosophie politique), elle est tentĂ©e de le faire dans un geste de dĂ©ni du social et de dĂ©nigrement des sciences sociales.
RETOUR DE LA POLITIQUE ET RETRAIT DU SOCIAL
Pour mieux comprendre les raisons de ce geste, opĂ©rons un bref retour sur ce qui s’est passĂ© dans la philosophie française durant les annĂ©es 1980 et jusqu’à la moitiĂ© des annĂ©es 1990. C’est l’époque oĂč l’on a assistĂ© au retour de et Ă  la philosophie politique: il faut se rappeler l’emprise qu’a eu et le rĂŽle politique et idĂ©ologique majeur qu’a jouĂ© Ă  cette Ă©poque la restauration de la philosophie politique, notamment par l’intermĂ©diaire d’un certain nombre de revues particuliĂšrement puissantes et influentes, qui ont durablement donnĂ© le ton du dĂ©bat non pas seulement philosophique, mais aussi politique. Je pense en particulier au DĂ©bat, Ă  Philosophie politique[7] ou Ă  La pensĂ©e politique, dont je ne rĂ©siste pas Ă  citer un passage que j’extrais de l’avant-propos du premier numĂ©ro sorti en 1993, soit au sommet de la vague du retour Ă  la philosophie politique: «Le titre de cette revue dit la conviction de ses initiateurs[8]: la politique est pensable, elle est objet de connaissance. Cela signifie d’abord que [...] la rĂ©flexion politique n’est pas essentiellement partisane.» Tout est dit, dans les termes d’un positivisme bien Ă©trange puisqu’il est pro-philosophie et anti-sciences sociales: la politique est objet de science, donc la philosophie politique est impartiale! Et comme le thĂšme de cette premiĂšre livraison Ă©tait «la dĂ©mocratie», on est incitĂ© Ă  penser que la dĂ©mocratie (dans sa forme instituĂ©e) n’est plus l’objet d’une prise de parti ni d’un engagement politique: dĂ©sormais sans rival (nous sommes en 1993, aprĂšs la chute du Mur et l’effondrement de l’URSS), «la dĂ©mocratie» n’est plus qu’objet de science. VoilĂ  comment la philosophie politique fut mise pour un bail au rĂ©gime sec de la «science-politisation», selon l’heureuse formule de Pierre Bourdieu[9].
Relativement Ă  ce retour Ă  la philosophie politique dans les annĂ©es 1980, mon diagnostic se formule en des termes trĂšs proches de ceux utilisĂ©s par Miguel Abensour dans l’avant-propos qu’il a donnĂ© Ă  un recueil de ses textes des annĂ©es 1970 Ă  aujourd’hui. Sous le nom de «renouveau de la philosophie politique», on n’a eu droit, constate-t-il, «qu’à une pensĂ©e frileuse de la modĂ©ration, pire: de la normalisation; la restauration de la philosophie politique a donnĂ© naissance Ă  une philosophie de la restauration, ou de la conservation de ce qui est[10]». Et il s’est en effet agi d’une normalisation, c’est-Ă -dire de la pure et simple imposition d’une identification de ce qui est avec ce qui doit ĂȘtre: ce qui doit ĂȘtre, c’est prĂ©cisĂ©ment ce qui est. Aussi, note encore Miguel Abensour, «l’univers politique existant paraĂźt-il dĂ©sormais aller de soi»; «grĂące Ă  une sacralisation acritique de la dĂ©mocratie telle qu’elle est», grĂące Ă  une identification de la dĂ©mocratie au rĂ©gime reprĂ©sentatif et Ă  l’État de droit, c’est le potentiel Ă©mancipateur et critique de l’idĂ©e mĂȘme de dĂ©mocratie qui Ă©tait occultĂ©, et notamment l’idĂ©e que la dĂ©mocratie puisse ĂȘtre non pas une forme pour l’État, mais au contraire – comme chez Marx en 1843[11] – le titre pour une exigence et une aspiration Ă©mancipatrices qui se forment dans la sociĂ©tĂ© et qui peuvent s’orienter contre l’État.
On trouve le mĂȘme diagnostic chez Jacques RanciĂšre. Ce dernier note ainsi que «la restauration conservatrice s’est faite au nom du “retour de la politique” ou du “retour de la philosophie politique” contre les “utopies” du mouvement social[12]». Et il ajoute que, «au nom de penseurs comme Leo Strauss ou Hannah Arendt, on a appelĂ© Ă  restaurer la politique dans sa puretĂ© de manifestation de la libertĂ©, opposĂ©e Ă  la nĂ©cessitĂ© Ă©conomique et sociale dont avait arguĂ© le marxisme[13]». Jacques RanciĂšre remarque que tout cela n’a finalement servi qu’à imposer une autre nĂ©cessitĂ© Ă©conomique, Ă  savoir celle de la globalisation nĂ©olibĂ©rale, et Ă  dĂ©samorcer les possibilitĂ©s de rĂ©sistance, l’émergence d’alternatives Ă  cette nĂ©cessitĂ© Ă©conomique, c’est-Ă -dire Ă  empĂȘcher toute «politique», au sens oĂč Jacques RanciĂšre l’entend. Bref, le retour Ă  la philosophie politique a jouĂ© un rĂŽle fondamental au sein de ce que Jacques RanciĂšre appelle Ă  juste titre «l’intense contre-rĂ©volution intellectuelle» dont les annĂ©es 1980 et 1990 ont Ă©tĂ© le thĂ©Ăątre, et qui a consistĂ© Ă  restaurer «la vieille sagesse rĂ©actionnaire assurant que toute tentative de justice sociale ne peut conduire qu’à la terreur totalitaire[14]».
Je m’accorde avec Miguel Abensour et Jacques RanciĂšre pour ce qui regarde le diagnostic portĂ© sur la nature et sur les effets du retour de et Ă  la philosophie politique des annĂ©es 1980 et 1990[15]. En revanche, je pense nĂ©cessaire de devoir prendre des distances en ce qui concerne les consĂ©quences qu’il faut tirer de ce diagnostic commun. Jacques RanciĂšre et Miguel Abensour concluent l’un comme l’autre Ă  l’exigence de maintenir un certain type de philosophie politique, mais je constate que, chez l’un comme chez l’autre, cette exigence fait fond sur un dĂ©ni du social dont il est nĂ©cessaire de prĂ©ciser la nature et les raisons.
L’INSTITUTION POLITIQUE DU SOCIAL SELON MIGUEL ABENSOUR
Du cĂŽtĂ© de Miguel Abensour, on trouve la tentative d’articuler l’une Ă  l’autre la philosophie politique et une thĂ©orie critique de la sociĂ©tĂ© directement issue de l’École de Francfort. Évidemment, la philosophie politique en question n’est pas celle dont les annĂ©es 1980 avaient cĂ©lĂ©brĂ© le retour, et dont on vient de voir ce que Miguel Abensour en pense. Non, la philosophie politique dont il se rĂ©clame, c’est celle qui est ordonnĂ©e Ă  la plus ancienne des questions, Ă  savoir celle de la rĂ©alisation de la libertĂ© humaine, c’est-Ă -dire la question de l’émancipation humaine. Or cette question, le fameux retour de la philosophie politique a prĂ©cisĂ©ment eu sinon pour projet du moins pour rĂ©sultat de l’occulter, et cela au bĂ©nĂ©fice d’une conception du «domaine politique» comme d’un «univers lisse d’oĂč aurait disparu toute forme de domination[16]». Miguel Abensour entend rouvrir la perspective d’une «critique de la domination» dont il emprunte les termes Ă  l’École de Francfort. Mais Miguel Abensour sait bien en mĂȘme temps non seulement qu’une telle critique de la domination n’est pas en elle-mĂȘme une philosophie politique, mais qu’en outre, elle s’accompagne au contraire le plus souvent, chez les philosophes de Francfort, d’une critique de la politique, dans la mesure oĂč la politique est elle-mĂȘme comprise comme jouant un rĂŽle central au sein des dispositifs de domination. Aussi Abensour ne cache-t-il pas les difficultĂ©s qu’il y a Ă  «remonter d’une critique de la domination Ă  une pensĂ©e de la politique, puisque la diffĂ©rence de la politique est non pensĂ©e[17]». Et si cette «diffĂ©rence de la politique» n’est pas pensĂ©e par une thĂ©orie critique, c’est, explique Abensour, parce que «le paradigme de la critique de la domination est entravĂ© par l’identification de dĂ©part entre politique et domination[18]». Raison pour laquelle Miguel Abensour rĂ©clame qu’il y ait, «au prĂ©alable, reconnaissance de la spĂ©cificitĂ© et de l’hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© des choses politiques[19]». Mais que sont ces «choses politiques», et relativement Ă  quoi sont-elles dites «hĂ©tĂ©rogĂšnes»? Ces «choses politiques» sont celles qui sont signifiĂ©es par l’ouverture d’un horizon utopico-idĂ©al d’émancipation et de libĂ©ration humaine, et par la perspective de l’institution d’une communautĂ© politique libre. Et ce sur quoi, selon Miguel Abensour, on ne peut rabattre cet horizon sans le refermer aussitĂŽt, ce Ă  quoi on ne peut assimiler les «choses politiques» sans les manquer, voire les nier comme telles, c’est prĂ©cisĂ©ment le social. Mais si la critique de la domination a, comme dit Miguel Abensour, du mal Ă  «remonter Ă  une pensĂ©e de la politique», c’est bien parce que la critique de la domination n’a jamais prĂ©tendu ĂȘtre une pensĂ©e de la politique sĂ©parĂ©e du social, c’est parce que la critique de la domination est d’abord la critique d’une sociĂ©tĂ© en tant qu’elle engendre en son sein des formes multiples de domination, bref, c’est parce que le paradigme d’une critique de la domination relĂšve d’une philosophie sociale, et prĂ©cisĂ©ment pas d’une philosophie strictement et abstraitement politique.
Il vaut la peine de se demander pourquoi Miguel Abensour veut ainsi Ă  tout prix maintenir cette thĂšse d’une hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© du politique par rapport au social – une thĂšse qu’il a Ă©videmment le plus grand mal Ă  articuler avec sa volontĂ©, tout aussi ferme, de maintenir une rĂ©fĂ©rence aux thĂ©oriciens de l’École de Francfort pour lesquels, comme Abensour le rappelle lui-mĂȘme, «l’émancipation consistait non Ă  instituer une communautĂ© politique libre, mais Ă  se libĂ©rer de la politique, c’est-Ă -dire Ă  transcender une organisation de la sociĂ©tĂ© reposant sur la domination[20]». Il ne peut pas dire plus clairement qu’une thĂ©orie critique de la sociĂ©tĂ© rĂ©cuse toute idĂ©e d’une autonomie de la politique par rapport au social, ce qui ne veut pas dire qu’elle nie la politique, mais qu’elle pose que la politique est toujours portĂ©e par des agents sociaux, incarnĂ©e par des pratiques sociales telles que le travail, la production, l’échange marchand, et que, selon les agents et les rapports sociaux qui la portent, elle sera une politique de la domination ou bien une politique de l’émancipation. Or c’est cette immanence de la politique Ă  une rĂ©alitĂ© sociale clivĂ©e entre dominants et dominĂ©s que refuse Miguel Abensour. Contre cela, il affirme, plus qu’il ne le dĂ©montre, que «le politique doit ĂȘtre pensĂ© comme non dĂ©rivĂ©, mieux, comme indĂ©rivable par rapport Ă  quelque instance que ce soit, l’économique, le social, le militaire, le religieux[21]». Et si le politique est indĂ©rivable du social, c’est, nous dit Miguel Abensour suivant en cela Claude Lefort[22], parce que «le politique institue le social».
Voyons donc ce qu’Abensour entend par cette affirmation selon laquelle «la politique institue le social». Il prĂ©cise lui-mĂȘme la chose de la façon suivante: «entendons que le politique et le social forment un couple indissoluble, dans la mesure oĂč le politique, en tant que “schĂ©ma directeur” d’un mode de la coexistence humaine est rĂ©ponse, pr...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Faux-titre
  3. Crédits
  4. Introduction – Refaire le social
  5. Chapitre 1 – Le mĂ©pris du social
  6. Chapitre 2 – La philosophie du social
  7. Chapitre 3 – Critique de l’économie dĂ©socialisĂ©e
  8. Chapitre 4 – Le social, le travail, le marchĂ©
  9. Chapitre 5 – La dynamique de coopĂ©ration
  10. Conclusion – Agir coopĂ©ratif et dĂ©mocratie
  11. Notes
  12. Table
  13. QuatriĂšme de couverture