Pierre Guyotat politique
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Pierre Guyotat politique

Mesurer la vie Ă  l'aune de l'histoire

  1. 297 pages
  2. French
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Pierre Guyotat politique

Mesurer la vie Ă  l'aune de l'histoire

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À propos de ce livre

Que peut la littĂ©rature? Quelle est la portĂ©e politique de l'Ă©criture dite « expĂ©rimentale »? De ses dĂ©buts avec Tombeau pour cinq cent mille soldats et Éden, Éden, Éden, vĂ©ritables rĂ©quisitoires contre la violence colonialiste française, jusqu'Ă  sa rĂ©cente trilogie autobiographique qui tĂ©moigne d'une sensibilitĂ© Ă  toutes les formes de domination sociale, l'ensemble du travail de Pierre Guyotat est caractĂ©risĂ© par une prĂ©occupation constante pour le politique.Plus que de proposer une simple monographie sur un auteur qualifiĂ© aussi bien d'hermĂ©tique que de scandaleux, Julien Lefort-Favreau met ici en Ă©vidence la cohĂ©rence politique et esthĂ©tique de l'Ɠuvre de Guyotat. Il dĂ©montre ainsi l'importance de cette littĂ©rature française contemporaine qui pense et remet en question la place de l'art dans l'espace social en alliant contestation et recherche formelle, reconnaissance des dĂ©faites historiques et espĂ©rance, affirmation de soi et dĂ©sir d'anonymat, autobiographie et Ă©criture de l'histoire. En empruntant aux pensĂ©es de Jacques RanciĂšre et de Judith Butler, cet essai trouve dans l'Ɠuvre de Guyotat une matiĂšre pour repenser les mots du politique Ă  l'aide de la littĂ©rature.

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Informations

Éditeur
Lux Éditeur
Année
2018
ISBN
9782895967446
PREMIÈRE PARTIE

La fabrique du sujet

CHAPITRE 1

Guyotat textualiste, les années Tel Quel: la littérature comme contre-idéologie

PIERRE GUYOTAT PUBLIE son premier livre au milieu des annĂ©es 1960 alors qu’il a Ă  peine 21 ans. Sur un cheval (1961) et Ashby (1964) sont les premiĂšres tentatives d’un jeune auteur qui porte en germe une insoumission qui ne se dĂ©mentira pas au fil des annĂ©es. Dans Ashby, roman libertin qui doit beaucoup Ă  Sade, il est dĂ©jĂ  mention d’évĂ©nements ou de figures qui deviendront rĂ©currentes dans l’ensemble de l’Ɠuvre: le colonialisme français en Indochine, les personnages vivant dans la «crainte de Dieu[1]», les «peuples martyrs[2]» du Moyen-Orient ou encore les «grands dĂ©sirs de saintetĂ©[3]», comme ceux auxquels est en proie le personnage d’Angus. Sur un cheval adopte pour sa part les traits d’un rĂ©cit d’apprentissage amoureux et social polyphonique, ponctuĂ© de rĂ©fĂ©rences Ă  la prostitution et Ă  la rĂ©pression. Il permet de saisir jusqu’à quel point les figures de soumission et la force d’évocation des Ă©vĂ©nements historiques trouvent leur ancrage dĂšs les toutes premiĂšres tentatives d’écriture[4].
Tombeau pour cinq cent mille soldats, paru en 1967, aborde la question politique de façon plus frontale. Ces «sept chants», inspirĂ©s par la guerre d’AlgĂ©rie, sont nettement plus ambitieux, sur le plan formel, que les deux prĂ©cĂ©dents ouvrages. MalgrĂ© les longs paragraphes peu ponctuĂ©s, la langue reste relativement classique, empreinte d’un lyrisme mis au service d’une forme Ă©pique. Le roman se situe dans la ville d’Ecbatane, oĂč une guerre sĂ©vit: des esclaves s’échappent, les pouvoirs militaires et religieux exercent une domination Ă©conomique et sexuelle, des viols sont perpĂ©trĂ©s – l’état de servitude est sans limites. Par exemple, le personnage d’IĂ©rissos, se promenant dans le «faubourg des esclaves», entend l’appel Ă  la rĂ©sistance d’un officier: «Ce combat menĂ© contre un ennemi capable d’asservir vos maĂźtres, gagnez-le avec moi. Ainsi, vous dĂ©livrerez vos enfants d’une plus profonde servitude, et vos maĂźtres libĂ©rĂ©s par vous, je les forcerai alors Ă  vous affranchir tous[5].» Le livre est traversĂ© par des scĂšnes de domination et de libĂ©ration, oĂč les parts de chacun sont sans arrĂȘt redistribuĂ©es. Si la guerre est le moment de domination par excellence, elle est aussi la possibilitĂ© d’une remise en jeu des servitudes, des libĂ©rations provisoires:
Ecbatane maĂźtrise, Ă©touffe les rĂ©voltes de ses colonies. Le capitaine est rejetĂ© hors de l’État. Autrefois tactique, la force armĂ©e devient policiĂšre. L’État est aux mains de rĂ©sistants qui, dans la libĂ©ration d’Ecbatane, ne voyaient que le rejet et le meurtre de l’occupant extĂ©rieur; ceux qui espĂ©raient une libĂ©ration de l’occupant intĂ©rieur, déçus, dĂ©sarmĂ©s, suspects de leurs familles, se retirent dans l’action Ă©ducatrice et sportive. Peu Ă  peu, les moins purs d’entre eux acceptent de retourner dans l’État; les voici aussitĂŽt compromis dans les rĂ©pressions coloniales ou dans les alliances d’urgence[6].
Ici, les rebelles ne sont pas systĂ©matiquement du «bon cĂŽté», la barbarie Ă©tant Ă©quitablement rĂ©partie entre les camps. L’«alternance entre asservissement et dĂ©livrance[7]» se manifeste dans l’amer constat qu’aux libĂ©rations succĂšdent toujours de nouvelles dominations. Notons que, mĂȘme si Tombeau n’est pas proprement dit un livre sur l’AlgĂ©rie[8], Guyotat y Ă©tablit tout de mĂȘme une Ă©quivalence entre domination gĂ©nĂ©rale et pouvoir colonial. Il est par ailleurs difficile de ne pas faire de parallĂšle avec la biographie de l’auteur: l’expĂ©rience de la captivitĂ© est encore rĂ©cente au moment de la rĂ©daction de Tombeau. Il reviendra de façon plus directe sur cette pĂ©riode dans le trĂšs beau «IndĂ©pendance», publiĂ© en 2011 dans la Nouvelle Revue française[9], avec une forme et un ton tout Ă  fait semblables Ă  ceux de la trilogie autobiographique.
Alors que la mention «sept chants» dĂ©finit le genre de Tombeau, c’est le mot «roman» qui revĂȘt la premiĂšre Ă©dition d’Éden, Éden, Éden, mention qui disparaĂźtra Ă  sa rĂ©Ă©dition en 1985. Une inscription touarĂšgue en caractĂšres tifinagh[10] est placĂ©e en exergue; elle est indĂ©chiffrable pour le lecteur non informĂ© et Guyotat en donne la signification dans un entretien avec ThĂ©rĂšse RĂ©veillĂ© dans Tel Quel[11]: «Et maintenant, nous ne sommes plus esclaves.» Bien que le texte intĂšgre des donnĂ©es ethnographiques qui permettent de situer l’action en Kabylie, le temps de l’action de ce «roman» Ă©crit d’un bout Ă  l’autre Ă  l’indicatif prĂ©sent est indĂ©terminable. Par exemple, il est difficile de savoir si l’indĂ©pendance a Ă©tĂ© rĂ©cemment acquise ou si le pouvoir colonial est encore en place. Alors que dans Tombeau, les scĂšnes d’esclavage, de prostitution et de guerre s’entremĂȘlaient, ici, elles sont distinctes, dĂ©crites dans des sĂ©quences successives. Ce sont principalement les rapports monnayĂ©s entre humains qui sont mis en scĂšne dans Éden: l’ouvrier, asservi Ă  son patron, touche sa paie et va la dĂ©penser au bordel, enrichissant le maquereau. Le traitement du corps est diffĂ©rent dans Tombeau et dans Éden. Dans le premier, les corps sont reprĂ©sentĂ©s de façon excessive (seins qui dĂ©bordent, phallus qui dĂ©passent des shorts), confĂ©rant Ă  l’ensemble du livre un caractĂšre sexuel outrancier; dans le second, ce sont les scĂšnes de viol qui dominent, le sexuel est tout entier rĂ©duit Ă  un mĂ©lange de violence et de fonctions vitales (faim, besoins excrĂ©mentiels) ou encore assimilĂ© Ă  une forme d’avilissement. La sexualitĂ© humaine est complĂštement rĂ©gie par une domination gĂ©nĂ©ralisĂ©e. C’est «l’homme tout entier» qui fait l’objet d’une soumission sexuelle. À sa parution, Éden est accompagnĂ© de trois prĂ©faces prestigieuses Ă©crites par Michel Leiris, Roland Barthes et Philippe Sollers, qui n’empĂȘcheront toutefois pas le livre d’ĂȘtre censurĂ©. La censure d’Éden est un Ă©vĂ©nement majeur dans le monde des lettres et permet de mesurer deux choses. D’abord, elle rend compte de l’importance de Guyotat dans le champ littĂ©raire de l’époque. D’autre part, elle met au jour le moment de cristallisation d’un discours critique Ă  forte teneur politique sur son Ɠuvre dont on trouve des ramifications jusque dans la critique contemporaine, et que nous poursuivons Ă  notre modeste maniĂšre, dans ce livre. Nous reviendrons sur cette censure un peu plus loin.
THÉORIE D’ENSEMBLE
À la fin de l’annĂ©e 1968, dans la foulĂ©e des Ă©vĂ©nements de mai, Tel Quel fait Ă©galement paraĂźtre un ouvrage qui marquera l’histoire de la revue. ThĂ©orie d’ensemble constitue une sorte de suite Ă  ThĂ©orie de la littĂ©rature, publiĂ© trois ans plus tĂŽt par Tzvetan Todorov. ThĂ©orie d’ensemble poursuit les rĂ©flexions entamĂ©es dans le premier livre, qui avait comme objectif de situer l’importance du formalisme russe dans la naissance du structuralisme et marquait «une rupture dans l’approche du texte littĂ©raire[12]». Le livre apparaĂźt comme un condensĂ© de la doxa textualiste exposĂ©e dans la revue au fil des annĂ©es 1960, permet de voir le lien entre littĂ©rature et politique qui se joue dans la revue et prĂ©sage mĂȘme, Ă  certains Ă©gards, sa conversion maoĂŻste, dĂ©jĂ  latente avant mĂȘme l’adhĂ©sion des membres de la rĂ©daction au Parti communiste français (PCF). Mais au-delĂ  des positions politiques engagĂ©es dans ce texte dont la valeur manifestaire est indĂ©niable, celui-ci nous permet d’identifier les caractĂ©ristiques principales de l’écriture textuelle. Souvent rĂ©duite Ă  ses apparats formalistes, elle est pourtant sous-tendue par une rĂ©flexion sur le pouvoir, le politique, le dĂ©sir, le corps, le sujet et l’histoire, rĂ©flexion dont on ne peut faire abstraction pour comprendre l’Ɠuvre ancienne et rĂ©cente de Pierre Guyotat.
Le recueil s’ouvre sur des contributions de Michel Foucault, Roland Barthes et Jacques Derrida, suivies de textes signĂ©s par les collaborateurs habituels de la revue[13]. L’omniprĂ©sence de Philippe Sollers tĂ©moigne de son influence sur les orientations de la rĂ©daction. Dans la prĂ©face, le collectif affirme sa volontĂ© d’«articuler une politique liĂ©e logiquement Ă  une dynamique non reprĂ©sentative de l’écriture, c’est-Ă -dire [...] la construction des rapports de cette Ă©criture avec le matĂ©rialisme historique et le matĂ©rialisme dialectique[14]». Le mandat que se donne Tel Quel est clair: l’écriture textuelle doit contribuer Ă  la rĂ©volution, plus encore, Ă  la lutte des classes. Il est tout aussi clair que pour parvenir Ă  l’émancipation des masses, il est nĂ©cessaire de se dĂ©partir des notions bourgeoises de reprĂ©sentation et des codes traditionnels du roman. Sollers y dĂ©clare: «Nous appelons Ă©criture textuelle le lieu de ce travail entre une Ă©criture scripturale et sa thĂ©orie. Deux sĂ©ries de travaux viennent en ce point soutenir notre tentative: ceux de Jacques Derrida qui viennent de bouleverser pour longtemps toute la tradition de la pensĂ©e mĂ©taphysique de l’écriture, et ceux de Julia Kristeva visant Ă  fonder thĂ©oriquement la recherche sĂ©miotique[15].»
L’appel Ă  la «recherche sĂ©miotique» s’ajoute Ă  la scientificitĂ© affichĂ©e dans le sous-titre de la revue, «Science/LittĂ©rature»[16]. En effet, l’écriture textuelle a des ancrages philosophiques caractĂ©risĂ©s par la vaste ambition, inspirĂ©e par l’Ɠuvre de Jacques Derrida, de renverser la tradition mĂ©taphysique. Cette ambition se manifeste par une analyse scientifique du langage (linguistique, sĂ©miotique), mais aussi par l’application d’une grille marxiste d’analyse de l’histoire. Si Tel Quel est peu portĂ© sur le militantisme, le groupe fait pourtant la promotion de l’idĂ©e que la littĂ©rature est politique, qu’elle agit sur le monde et qu’elle a le pouvoir de le transformer. D’ailleurs, le premier texte de ThĂ©orie d’ensemble, «Division d’ensemble», s’ouvre sur deux citations qui placent leurs auteurs dans le petit panthĂ©on telquelien et qui montrent bien les liens entre thĂ©orie politique et praxis littĂ©raire. D’abord, une citation de StĂ©phane MallarmĂ© tirĂ©e de la «PrĂ©face Ă  Vathek»: «Rien d’aisĂ© comme de devancer, par voie d’abstraction, et purement, des verdicts inclus dans l’avenir, lequel n’est que la lenteur Ă  concevoir la foule»; puis, une citation de Karl Marx, tirĂ©e d’Économie: «Les idĂ©es ne sont pas transformĂ©es dans le langage de telle sorte que leur particularitĂ© s’y trouve dissoute ou que leur caractĂšre social figure Ă  cĂŽtĂ© d’elles dans le langage, comme les prix Ă  cĂŽtĂ© des marchandises. Les idĂ©es n’existent pas sĂ©parĂ©es du langage.»
Cette juxtaposition des mots de MallarmĂ© et ceux de Marx n’a rien d’étonnant dans ce contexte. L’aura d’auteur difficile du premier, le rapport au langage qu’il impose Ă  la langue commune et la dimension fortement rĂ©flexive de son Ɠuvre font de lui un reprĂ©sentant de choix parmi les ancĂȘtres de l’écriture textuelle. Dans le numĂ©ro de Tel Quel de l’étĂ© 1966, Sollers Ă©crit que dans la constellation de noms qui, depuis une centaine d’annĂ©es, ont libĂ©rĂ© le rapport Ă  l’écriture de la tradition rhĂ©torique (qualifiĂ©e de «parole partagĂ©e, juridique, propriĂ©taire[17]»), MallarmĂ© a une place Ă  part, son expĂ©rience du langage Ă©tant la plus «explicite»[18]. Il donne tout son sens au verbe «écrire» et lui confĂšre une fonction intransitive, mais il n’éclaire pas seulement la fonction rĂ©elle du langage. Son Ɠuvre incarne Ă©galement un systĂšme Ă©conomique oĂč l’auteur disparaĂźt et abandonne la parole pour l’écriture, affirmant ainsi l’autonomie de l’écriture et s’inscrivant en faux contre une parole de l’«universel reportage».
Au-delĂ  de ce double exergue qui le transforme en compagnon de route de MallarmĂ©, Marx est citĂ© plusieurs fois dans ThĂ©orie d’ensemble en tant que reprĂ©sentant d’une «pensĂ©e formelle[19]». Le meilleur exemple de la critique marxiste mise en place se trouve dans le texte intitulĂ© «Marx et l’inscription du travail» de Jean-Joseph Goux. Ici, toujours en exergue, une phrase de Marx («Dans sa forme valeur, la marchandise ne conserve pas la moindre trace de sa valeur d’usage premiĂšre ni du travail utile particulier qui lui a donnĂ© naissance») est accompagnĂ©e d’une citation de Jacques Derrida («Ce logocentrisme, cette Ă©poque de la parole pleine a toujours mis entre parenthĂšses, suspendu, rĂ©primĂ©, pour des raisons essentielles, toute rĂ©flexion libre sur l’origine et le statut de l’écriture»). Goux provoque ainsi la rencontre entre deux systĂšmes philosophiques: d’une part le renversement de la mĂ©taphysique formulĂ© par Derrida et qui remet en question la primautĂ© de la parole sur l’écriture, et de l’autre, le matĂ©rialisme marxiste, selon lequel la valeur d’échange, au sein des sociĂ©tĂ©s bourgeoises, prend le dessus sur la valeur d’usage. Ce type de recoupement revient dans ThĂ©orie d’ensemble avec une sĂ©rie de comparaisons conceptuelles: la notion d’écriture rĂ©volutionnaire est valorisĂ©e au dĂ©triment de la littĂ©rature bourgeoise, le texte est supĂ©rieur Ă  l’Ɠuvre de mĂȘme que le signifiant prime la signification. L’association de MallarmĂ© et de Marx dans «Division d’ensemble» n’a donc rien d’étonnant dans un contexte oĂč les notions d’économie politique servent Ă  comprendre la place du langage dans l’ordre symbolique, mais Goux va plus loin en soumettant le discours sur l’écriture et le langage au vocabulaire de l’économie politique:
L’asservissement du travailleur, par le capital, perpĂ©tuĂ© par l’intermĂ©diaire de la forme argent, est donc identique Ă  la servitude de l’écriture opĂ©ratoire abaissĂ©e par l’élĂ©ment du sens, rĂ©primĂ©e par la subsomption logocentrique. Assujettir l’écriture Ă  la sphĂšre de l’échange (du langage) alors que l’efficace et la rĂ©alitĂ© de son action appartiennent Ă  la production et Ă  l’usage (Ă©criture productive: «poĂ©sie», mathĂ©matiques, sciences) c’est occulter, par l’éclat du discours marchand, le travail (ou le jeu) qui permet et entretient ce discours[20].
Ce que Goux so...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Faux-titre
  3. Crédits
  4. Introduction. Changer l’ordre des choses
  5. Premiùre partie – La fabrique du sujet
  6. Deuxiùme partie – Jouer à l’histoire
  7. Conclusion. Fidélité à soi
  8. Remerciements
  9. Notes et références
  10. Table
  11. QuatriĂšme de couverture