Mater la meute
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Mater la meute

La militarisation de la gestion policiĂšre des manifestations

  1. 320 pages
  2. French
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Mater la meute

La militarisation de la gestion policiĂšre des manifestations

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À propos de ce livre

La restructuration nĂ©olibĂ©rale des institutions Ă©conomiques et politiques entraĂźne une militarisation progressive des forces policiĂšres et de leurs tactiques de maintien de l'ordre. Surveillance, infiltration, brigades spĂ©ciales, armes sublĂ©tales, arrestations prĂ©ventives... en AmĂ©rique du Nord comme en Europe, il semble que tous les moyens soient bons pour neutraliser la contestation sociale.Refusant de cĂ©der au schĂ©matisme habituel qui fait des forces de l'ordre un simple instrument des Ă©lites politiques, la sociologue Lesley J. Wood revient sur l'histoire rĂ©cente de la police nord-amĂ©ricaine pour mettre au jour les dynamiques complexes qui la traversent. S'appuyant sur des sources directes, ainsi que sur les travaux de Bourdieu, Boltanski, Wacquant, et d'autres, elle Ă©tudie l'influence croissante du secteur privĂ© – multinationales et consultants en sĂ©curitĂ© –, de l'armĂ©e et des grandes associations professionnelles sur les pratiques policiĂšres et leur diffusion. Car mieux comprendre les raisons de l'escalade de la violence dans les rĂ©ponses policiĂšres, c'est se donner les moyens, collectivement, de mieux y rĂ©sister.Dans « Le marchĂ© global de la violence » en fin d'ouvrage, Mathieu Rigouste revient sur les mutations du maintien de l'ordre en France.

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Informations

Chapitre 1

GĂ©rer les vagues de manifestations (1995-2013)

LE 1er OCTOBRE 2011, le New York Police Department (NYPD) procĂ©da Ă  l’arrestation de 700 manifestants du mouvement Occupy Wall Street au moment oĂč ils s’engageaient sur le pont de Brooklyn depuis les rues de Lower Manhattan. Au cours des mois qui ont suivi, les services de police amĂ©ricains, canadiens, australiens et europĂ©ens firent pression sur des centaines de personnes qui refusaient de quitter leurs campements «Occupy». Ces interventions policiĂšres illustraient de maniĂšre tout Ă  fait patente Ă  quel point la militarisation des stratĂ©gies policiĂšres avait Ă©tĂ© banalisĂ©e depuis les manifestations contre le Sommet de la CoopĂ©ration Ă©conomique Asie-Pacifique (APEC) Ă  Vancouver en 1997 et les manifestations contre l’OMC en 1999. Le recours de la police au gaz poivre et aux arrestations de masse lors de ces Ă©vĂ©nements a Ă©tĂ© largement dĂ©noncĂ©.
Pendant le Sommet de l’APEC, la police procĂ©da Ă  l’arrestation prĂ©ventive de l’organisateur Jaggi Singh, contint les manifestants derriĂšre des clĂŽtures et les aspergea de gaz poivre. Dans le sillage de ces Ă©vĂ©nements, une vaste enquĂȘte fut dĂ©clenchĂ©e sur l’utilisation par la GRC du gaz poivre et l’encerclement des manifestants, mais aussi pour dĂ©terminer si les stratĂ©gies de la police avaient Ă©tĂ© directement influencĂ©es par le Cabinet du premier ministre. Les conclusions du rapport de 453 pages ont rĂ©vĂ©lĂ© que le comportement de la police «n’a pas Ă©tĂ© Ă  la hauteur des standards acceptĂ©s et attendus de compĂ©tence et de professionnalisme[1]» et ont soulignĂ© l’imprĂ©paration de la GRC. Ce rapport prouvait aussi que le directeur des opĂ©rations du Cabinet du premier ministre Ă©tait intervenu directement dans les activitĂ©s de surveillance, remettant en question l’indĂ©pendance de la police.
Deux ans plus tard, entre le 29 novembre et le 2 dĂ©cembre 1999, des manifestations se dĂ©roulĂšrent en marge du Sommet de l’OMC Ă  Seattle. La police pensait pouvoir gĂ©rer les importants rassemblements sans perturber le Sommet. Toutefois, quand les manifestants commencĂšrent Ă  Ă©riger des barriĂšres, perturbant la circulation et bloquant l’accĂšs au Sommet, les forces de l’ordre, dĂ©passĂ©es par les Ă©vĂ©nements, se mirent Ă  repousser les militants altermondialistes Ă  coups de gaz poivre, gaz lacrymogĂšne et balles de caoutchouc[2]. Le maire dĂ©clara l’état d’urgence et le gouverneur demanda Ă  la Garde nationale d’intervenir. Les manifestations devant se poursuivre le lendemain, le maire instaura une «aire de couvre-feu limitĂ©e» couvrant 25 pĂątĂ©s de maisons. À partir de ce moment-lĂ , ce secteur de la ville fut considĂ©rĂ© comme «zone interdite aux manifestations» autant par la police que par les manifestants. Les policiers se servirent d’armes sublĂ©tales et arrĂȘtĂšrent des centaines de personnes ayant pĂ©nĂ©trĂ© dans ce pĂ©rimĂštre.
Les affrontements entre les manifestants et la police firent la une des journaux. AprĂšs la fin du Sommet, le chef de la police de Seattle, Norm Stamper, dĂ©missionna en dĂ©clarant: «J’ai commis de graves erreurs[3].» Finalement, sur plus de 600 arrestations, presque aucune ne se solda par des condamnations. Certains manifestants qui avaient engagĂ© des poursuites pour arrestation illĂ©gale reçurent plus d’un million de dollars au terme de diverses actions de groupe[4].
Les affrontements de Seattle ont surtout Ă©tĂ© perçus comme la naissance d’une nouvelle vague de manifestations du mouvement altermondialiste, mais aussi comme comme un dĂ©sastre en matiĂšre de gestion policiĂšre, une sorte de «Pearl Harbor» des forces de l’ordre, qui a dĂ©clenchĂ© une pĂ©riode de rĂ©Ă©valuation et a justifiĂ© l’émergence d’un nouveau modĂšle de gestion policiĂšre des manifestations, surtout aux États-Unis et au Canada[5].
Le prĂ©sent chapitre est consacrĂ© Ă  l’examen du nouveau modĂšle qui a Ă©mergĂ© de cette vague de manifestations et Ă  l’historique de l’évolution des tactiques et outils qui y sont associĂ©s: armes sublĂ©tales (vaporisateurs de gaz poivre, pistolets Taser, canons Ă  son, balles de caoutchouc, etc.), barriĂšres (pĂ©rimĂštres de sĂ©curitĂ©, encerclements, enclos pour les manifestants), infiltration et arrestations sĂ©lectives et massives. Mon intention n’est pas, cependant, de laisser entendre que le contrĂŽle des mouvements collectifs a complĂštement changĂ©, de prĂ©tendre qu’il Ă©tait exempt de brutalitĂ© dans le passĂ©, ou encore qu’il s’est complĂštement militarisĂ© depuis les annĂ©es 1990. À ce jour, la vaste majoritĂ© des manifestations au Canada et aux États-Unis ne sont accompagnĂ©es que d’une surveillance policiĂšre «souple», oĂč les agents de police nĂ©gocient avec les organisateurs de l’évĂ©nement et leur fournissent assistance avec des ressources policiĂšres minimales et sans confrontation. En revanche, particuliĂšrement Ă  l’égard des militants qui refusent de nĂ©gocier ou qui sont perçus comme menaçants, peu coopĂ©ratifs ou imprĂ©visibles, la police opte pour ce que nous avons nommĂ© la «neutralisation stratĂ©gique» (expression reprise de Gillham et Noakes) parce qu’elle tend Ă  rĂ©duire la capacitĂ© de mobilisation des militants opposĂ©s au statu quo.
La neutralisation stratĂ©gique repose sur des activitĂ©s de renseignement (collecte et analyse), le but Ă©tant de prĂ©venir la tenue des manifestations en maĂźtrisant ou en dissuadant les militants. Mais dans le cas oĂč la police s’avĂšre incapable d’empĂȘcher la mobilisation et que les manifestants sont toujours perçus comme «menaçants» ou «imprĂ©visibles», elle choisira une approche privilĂ©giant les arrestations massives, appuyĂ©e par l’utilisation d’armes sublĂ©tales et les unitĂ©s antiĂ©meutes. Noakes, Gillham et Edwards[6] soutiennent que depuis les manifestations de Seattle en 1999, la police utilise plus frĂ©quemment les tactiques suivantes:
  • l’amĂ©nagement de vastes aires interdites aux manifestations, souvent par l’érection de grandes barriĂšres faites de bĂ©ton et de clĂŽtures en mĂ©tal;
  • la perturbation d’espaces sĂ©curitaires, tels les lieux de rencontre oĂč les manifestants convergent pour dormir, se restaurer ou s’informer;
  • l’utilisation d’armes sublĂ©tales pour neutraliser temporairement les manifestants afin de permettre Ă  la police de reprendre le contrĂŽle des aires de contention;
  • l’utilisation de technologie de surveillance Ă©lectronique permettant de relayer Ă  la police des renseignements en temps rĂ©el sur les activitĂ©s des manifestants;
  • les arrestations prĂ©ventives de leaders et de grands nombres de manifestants.
Noakes et Gillham soutiennent que, depuis 1999, ces pratiques ont Ă©tĂ© intĂ©grĂ©es dans un modĂšle de gestion policiĂšre militarisĂ©e qui s’est Ă©tendu Ă  de nouveaux sites et contextes et dont la mise en Ɠuvre est diffĂ©renciĂ©e selon le moment, le lieu et le mode de rĂ©alisation desdites pratiques.
Si Donatella della Porta et ses collaborateurs[7] ont, dĂšs le dĂ©but des annĂ©es 2000, attirĂ© l’attention sur la combinaison des actions prĂ©ventives et des armes sublĂ©tales dans la gestion policiĂšre des sommets internationaux en Europe et en AmĂ©rique du Nord, Alex Vitale lui, a observĂ© l’utilisation par la police d’une forme particuliĂšre de neutralisation stratĂ©gique contre des nationalistes noirs Ă  New York fin 1998. Vitale soutient que le modĂšle de gestion policiĂšre command-and-control adoptĂ© par le NYPD n’est qu’une extension du modĂšle gĂ©nĂ©ral appelĂ© «thĂ©orie de la vitre brisĂ©e», qui prĂ©conise une rĂ©ponse rapide aux petits dĂ©lits dans le but d’en prĂ©venir de plus grands. Dans le contexte de la gestion des manifestations, il s’agit en fait de garder la maĂźtrise complĂšte de toutes les rues au moyen d’un systĂšme d’autorisation et de faire appliquer la loi rapidement par l’érection de barriĂšres et les arrestations de masse. Vitale avance qu’aprĂšs le 11 septembre 2011, l’approche command-and-control a Ă©tĂ© combinĂ©e Ă  des stratĂ©gies militarisĂ©es et axĂ©es sur le renseignement pour crĂ©er le «modĂšle de Miami», ainsi nommĂ© en l’honneur des actions du chef de police Timoney pendant les manifestations contre la Zone de libre-Ă©change des AmĂ©riques (ZLEA) en 2003[8]. Cette approche est caractĂ©risĂ©e par la crĂ©ation d’un rĂ©seau de commande unifiĂ© et multi-agences, qui apprĂ©hende les activitĂ©s militantes comme des actes criminels. Dans cette optique, les autoritĂ©s rĂ©agissent aux manifestations en dĂ©ployant des unitĂ©s militarisĂ©es de contrĂŽle des foules, en ayant recours Ă  des armes sublĂ©tales et en crĂ©ant des aires fermĂ©es. La surveillance, les arrestations prĂ©ventives et les campagnes intensives de relations publiques et mĂ©diatiques font aussi partie de cette panoplie[9].
Bien qu’il existe des variations dans leur portĂ©e, leur interprĂ©tation et leur intensitĂ©, ces diffĂ©rentes explications du modĂšle de gestion des mouvements collectifs actuellement privilĂ©giĂ© au Canada et aux États-Unis font toutes Ă©tat d’une stratĂ©gie axĂ©e sur le renseignement, visant Ă  Ă©valuer, prĂ©dire et prĂ©venir les activitĂ©s contestataires, et assortie de l’utilisation de mĂ©thodes, de formes organisationnelles et de technologies militaires. Si les racines de cette stratĂ©gie remontent au dĂ©but des annĂ©es 1990, c’est depuis 1999 que le modĂšle de neutralisation stratĂ©gique est devenu courant au Canada et aux États-Unis pour gĂ©rer les manifestations importantes, rĂ©fractaires Ă  la coopĂ©ration. Ce chapitre se penche sur l’introduction et la diffusion de ce modĂšle au cours des vingt derniĂšres annĂ©es.

Les tactiques

Les armes sublétales
Dans le sillage de la diffusion, en 1991, de vidĂ©os incendiaires oĂč l’on voit des policiers de Los Angeles matraquer l’automobiliste Rodney King, la police s’est mise Ă  la recherche d’une arme dont la force de frappe se situerait entre celle d’une matraque et celle d’une arme Ă  feu. Cette annĂ©e-lĂ , le National Institute of Justice (NIJ) organisa une sĂ©ance de consultation afin d’explorer les possibilitĂ©s de diverses technologies non lĂ©tales. Pour Ă©valuer tout nouveau dispositif, une sĂ©rie de paramĂštres Ă  considĂ©rer Ă©tait prĂ©sentĂ©e aux participants: ce dispositif devait ĂȘtre bon marchĂ© et reprĂ©senter l’amĂ©lioration d’une pratique existante; il ne devait pas surcharger l’agent de police, ni nĂ©cessiter une formation trop longue, ni requĂ©rir l’affectation de nouveau personnel; son utilisation ne devait pas ĂȘtre trop difficile Ă  justifier et, bien sĂ»r, il fallait qu’il fonctionne[10].
Dans le contexte de l’aprĂšs-guerre froide, ces discussions avaient aussi cours ailleurs. Les stratĂšges militaires Ă©tudiaient avec attention les options et technologies nouvelles. Le gĂ©nĂ©ral Anthony Zinni, notamment, directeur des opĂ©rations des troupes amĂ©ricaines en Somalie en 1992, Ă©tant insatisfait des choix offerts aux soldats chargĂ©s de contrer des Ă©meutes et des manifestations, commença Ă  faire des essais. ConsĂ©quence de ses expĂ©riences et de celles d’autres militaires, le CongrĂšs amĂ©ricain crĂ©a, en 1996, le Joint Non-Lethal Weapons Program (JNLWP), qu’il finirait par doter d’un budget annuel de 25 millions de dollars. Bien que placĂ©e sous la coordination des Marines, l’élaboration du programme nĂ©cessita la contribution de chaque division de l’armĂ©e et de reprĂ©sentants de la police[11].
En 1999, une ConfĂ©rence des directeurs nationaux des armements eut pour but de conseiller la direction de l’OTAN en matiĂšre d’acquisition d’armes. Elle Ă©tablit l’Initiative sur les capacitĂ©s de dĂ©fense de l’OTAN afin d’étudier le potentiel de chaque arme et d’élaborer des modĂšles partagĂ©s d’efficacitĂ©[12].
En 2001, la Pennsylvania State University organisa un Forum international policier sur les options de force minimale. Pendant ce colloque – ainsi que dans les rĂ©seaux policiers Ă©largis –, des dĂ©cideurs importants se sont entendus sur le fait que ces outils Ă©taient souhaitables; outils dont l’adoption Ă©tait d’ailleurs encouragĂ©e depuis les annĂ©es 1990. Dans la liste figurent les vaporisateurs de gaz poivre, les dispositifs Ă  impulsion Ă©lectrique tels que le Taser, les canons Ă  son, les balles de caoutchouc, les grenades incapacitantes et le gaz lacrymogĂšne. Les militaires et la police en Afrique du Sud et en IsraĂ«l, deux États caractĂ©risĂ©s par une tradition Ă©tablie de rĂ©pression Ă©tatique, ont abondamment utilisĂ© ces instruments. Dans les États sans conflit gĂ©nĂ©ralisĂ©, ce sont plutĂŽt des rĂ©gions ou des populations spĂ©cifiques (telles que les Autochtones au Canada, particuliĂšrement s’ils opposent une rĂ©sistance armĂ©e Ă  la lĂ©gitimitĂ© de l’État) qui en ont Ă©tĂ© la cible.
Les promoteurs privĂ©s et publics ont dĂ©fendu chacune des nouvelles armes en les prĂ©sentant comme devant servir dans des «circonstances extraordinaires» et en s’appuyant sur des jugements ou controverses ayant frappĂ© les armes existantes d’inefficacitĂ© ou d’illĂ©galitĂ©. Les premiĂšres utilisations de ces nouveautĂ©s ont souvent engendrĂ© des poursuites judiciaires, des enquĂȘtes et des Ă©tudes, sans parler de l’attention mĂ©diatique qui leur a Ă©tĂ© consacrĂ©e. C’est d’ailleurs Ă  cause de ces critiques que l’appellation de ces armes est passĂ©e d’«armes non lĂ©tales» Ă  «armes sublĂ©tales». NĂ©anmoins, ces armes continuent Ă  se rĂ©pandre et Ă  ĂȘtre adoptĂ©es par de nouvelles agences. Encore plus inquiĂ©tant, une fois que les agences de police les ont adoptĂ©es, on observe qu’elles tendent Ă  en faire un usage qui s’écarte de leur fonction premiĂšre pour s’en servir dans une gamme Ă©largie de tĂąches ou dans d’autres contextes. Voici une liste des principales armes sublĂ©tales.
Les vaporisateurs de gaz poivre
Le vaporisateur de gaz poivre[*], aussi appelĂ© OC (olĂ©orĂ©sine de capsicum), projette un produit dĂ©rivĂ© des plantes du genre Capsicum, souvent associĂ©es au poivre de Cayenne. D’abord utilisĂ© comme rĂ©pulsif contre les ours au Canada, le vaporisateur de gaz poivre a d’abord Ă©tĂ© commercialisĂ© Ă  des fins de protection personnelle dans les annĂ©es 1980. Le Federal Bureau of Investigation (FBI) l’a rĂ©pertoriĂ© comme «agent chimique officiel» en 1987. L’OC semblant correspondre Ă  tous les critĂšres d’une arme sublĂ©tale efficace, son usage s’est alors largement rĂ©pandu, autant au Canada qu’aux États-Unis. La GRC a commencĂ© Ă  s’en servir pour le contrĂŽle des foules dĂšs 1992 et, en 1993, 70 % des forces policiĂšres amĂ©ricaines l’avait adoptĂ©. Rapidement devenu un outil privilĂ©giĂ© pour neutraliser les suspects les plus combatifs, Ă  la fin des annĂ©es 1990, le gaz poivre avait pratiquement remplacĂ© les matraques, le Mace et le gaz lacrymogĂšne Ă  cette fin. ParallĂšlement, il a Ă©tĂ© adoptĂ© comme instrument de contrĂŽle des foules.
Il est aisĂ© de suivre les Ă©tapes de cette derniĂšre intĂ©gration Ă  la lecture des mĂ©dias ayant couvert des manifestations entre 1993 et 2012[13]. Ces donnĂ©es rĂ©vĂšlent que le gaz poivre a Ă©tĂ© utilisĂ© pour la premiĂšre fois au Canada et aux États-Unis en 1993, le 31 mai, date Ă  laquelle la police d’Ottawa l’a utilisĂ© pour mettre fin Ă  des bagarres entre nĂ©onazis et militants antiracistes. Ensuite, en septembre 1993, des policiers californiens y ont eu recours pour disperser une manifestation tenue Ă  l’occasion du Jour de l’indĂ©pendance mexicaine en protestation contre le manque d’enseignants hispaniques et l’absence de contenu mexicain dans le programme scolaire des universitĂ©s et lycĂ©es locaux. Le quotidien Orange County Register souligne que la police a eu raison de l’utiliser pour disperser la foule, qui bloquait la circulation. «S’ils recommencent, nous allons leur en servir encore. Nous n’allons pas permettre Ă  ...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Faux-titre
  3. Crédits
  4. Liste des sigles et acronymes
  5. Introduction
  6. 1. GĂ©rer les vagues de manifestations (1995-2013)
  7. 2. Protéger et servir qui?
  8. 3. Légitimité locale et luttes de pouvoir
  9. 4. Attaques sur la premiÚre ligne de défense
  10. 5. Les experts, les agences, le secteur sĂ©curitaire privĂ© et l’intĂ©gration
  11. 6. La menace des manifestations
  12. 7. Des fusils à eau remplis d’urine
  13. 8. Crise et contrĂŽle
  14. Annexe
  15. Remerciements pour Mater la meute
  16. Notes
  17. Table des matiĂšres
  18. QuatriĂšme de couverture