Révolutionnaires du Nouveau Monde
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Révolutionnaires du Nouveau Monde

Une brève histoire du mouvement socialiste aux Etats-Unis (1885-1922)

  1. 217 pages
  2. French
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  4. Disponible sur iOS et Android
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Révolutionnaires du Nouveau Monde

Une brève histoire du mouvement socialiste aux Etats-Unis (1885-1922)

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Le socialisme eut son heure de gloire aux États-Unis entre 1885 et 1922. Cette histoire est connue. Ce qui l'est moins, toutefois, c'est la contribution de l'immigration française à ce mouvement politique. Des exilés de la Commune de Paris aux mineurs du nord de la France, nombreux sont les ouvriers et militants francophones qui ont poursuivi leurs luttes politiques aux États-Unis après y avoir élu domicile.L'historien Michel Cordillot nous rappelle dans ce livre les luttes, les espoirs et la vie quotidienne de ces socialistes français d'Amérique.

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CHAPITRE 1

LA MATRICE ANARCHISTE DU MOUVEMENT

EN NOVEMBRE 1885, après la longue éclipse qui a suivi la désagrégation des sections francophones de la Première Internationale et la dispersion progressive des communards réfugiés aux États-Unis, c’est un événement presque anodin et sans doute passé largement inaperçu sur le moment qui donne le signal de la résurgence dans le paysage social américain d’un mouvement militant de langue française. À New-foundland, petite bourgade de Pennsylvanie, paraît alors le premier numéro de La Torpille, modeste journal imprimé à quelques centaines d’exemplaires sur du mauvais papier, et qui ne compte que 8 pages de format in-32.
L’auteur de ce brûlot journalistique, Édouard David, n’est pas un nouveau venu. Blanquiste convaincu, il a pris part à la Commune de Paris avant de réussir à échapper à la répression. Réfugié aux États-Unis, il a joué un rôle important dans la Première Internationale, en participant notamment à la rédaction de son principal organe francophone, Le Socialiste. Témoin du déclin irrémédiable des sections françaises de l’Internationale après 1874, il s’est progressivement rapproché des anarchistes révolutionnaires de l’International Working People’s Association (Association internationale des ouvriers) au début des années 1880, sans renoncer à ses idées blanquistes. Rongeant son frein, il continue de croire en la stratégie du «coup de torchon» politique, convaincu qu’un mouvement mené par une minorité agissante résolue suffira à jeter bas l’édifice vermoulu d’une société inégalitaire forcément condamnée à s’effondrer.
L’optimisme de David n’est pas complètement dénué de fondements; il fait d’ailleurs écho à celui du vieux compagnon de Marx, Friedrich Engels, qui, en observateur attentif de la situation aux États-Unis, se déclare en 1886 convaincu que c’est dans ce pays neuf que se produira la première révolution socialiste. Après de longues années de marasme économique, la reprise se fait enfin sentir et le chômage recule. Du même coup, les revendications sociales réapparaissent: en juin 1877 a éclaté un formidable mouvement de grèves dans les chemins de fer, qui a débouché sur une situation quasi insurrectionnelle. Plusieurs dizaines de milliers de grévistes ont défié les puissantes compagnies ferroviaires, et ont été accusés par la grande presse de vouloir instaurer en Amérique une nouvelle Commune de Paris. Pour la première fois, il s’est avéré nécessaire de faire appel à des troupes fédérales pour briser un mouvement de grève national marqué par des violences et des destructions de biens jusqu’alors inconnues[7].
En dépit de leur échec, les cheminots ont fait bouger les choses. Le mouvement ouvrier a commencé à relever la tête, et à se réorganiser. Si bien que quelques années plus tard, beaucoup de militants syndicaux, ainsi que des milliers de membres de la Chevalerie du travail bien décidés à passer outre au refus de leur Grand Maître de s’engager, sont prêts à se lancer dans la bataille pour la journée de huit heures en se ralliant au mot d’ordre de grève générale – même si l’expression n’est pas utilisée – lancé deux années à l’avance pour le 1er mai 1886 par la Federation of Organized Trades and Labor Unions (FOTLU, qui deviendra quelques années plus tard l’American Federation of Labor, AFL).
Simultanément, une scission survenue en 1880 au sein du Socialist Labor Party (marxiste) a conduit à la constitution d’un pôle regroupant «socialistes révolutionnaires» et anarchistes en rupture avec l’orientation social-démocrate du SLP, qui se déclarent favorables à l’action directe et à l’autonomie des groupes militants. C’est dans ces conditions qu’a été fondée en 1883 l’International Working People’s Association (IWPA), une organisation à la fois syndicale et révolutionnaire rattachée à «l’Internationale noire» des anarchistes. À son apogée, entre l’automne 1885 et le printemps 1886, cette organisation rassemble une centaine de groupes répartis dans une cinquantaine de localités, avec une implantation particulièrement dynamique à Chicago, où elle compte un millier de membres et dix fois plus de sympathisants, et où elle exerce une forte influence à la tête des organisations ouvrières existantes[8].
Le sentiment général – y compris dans les milieux conservateurs, effrayés par l’apologie de la violence de classe et la vision apocalyptique de la Révolution professée par l’IWPA dans son célèbre «Manifeste de Pittsburg»[9] – est qu’en dépit de sa sauvage vitalité, le capitalisme américain n’est plus invulnérable.
Dans ce contexte, les partisans de la Sociale et tous les révolutionnaires commencent à reprendre espoir. L’objectif immédiat de David est de renouer avec les militants francophones d’hier en profitant d’un contexte redevenu politiquement plus favorable. Il a gardé quelques contacts. Preuve en est le fait que le lancement de La Torpille a été rendu possible par deux apports financiers conséquents: le premier, de $50, est venu de la Société communiste révolutionnaire de New York, laquelle n’est autre que l’ancienne Société des réfugiés de la Commune, désormais largement vidée de ses forces vives depuis le retour en France de nombreux proscrits à la suite de l’amnistie de 1880. Le deuxième, de $10, lui a été adressé par Arsène Sauva. Venu une première fois aux États-Unis en 1860 pour renforcer la communauté communiste icarienne de Cheltenham (Missouri), ce dernier est retourné en France en 1864, a adhéré à l’Internationale et pris part à la Commune; réfugié à New York, allié aux blanquistes, il a finalement choisi de renouer avec son passé en 1876 en rejoignant au sein de la communauté de l’Iowa la dernière phalange des vétérans communistes icariens qui continuent de cultiver collectivement leurs terres en se réclamant des idéaux quarante-huitards de leur inspirateur Étienne Cabet.
Il y a encore un peu partout dans le pays des convaincus que la désagrégation des sections françaises de l’AIT (15 sur les 50 qui se sont constituées aux États-Unis) a isolés, mais qui n’ont pas renoncé: en renouant avec eux, David espère parvenir à reconstituer un réseau de correspondants et d’abonnés afin de repartir de l’avant. Il a placé la barre assez haut, puisqu’il s’est fixé pour objectif de constituer un fichier de 10 000 adresses – objectif qui ne sera bien sûr jamais atteint. Mais en l’espace de 15 mois, il réussira quand même à reprendre langue avec des militants francophones résidant dans une vingtaine de villes, y compris quelques-unes où l’Internationale n’avait pas réussi à s’implanter durablement.
Surtout, David a lui-même déménagé, quittant la grande métropole de New York pour s’installer dans une petite bourgade de Pennsylvanie. Or, cet État connaît alors un développement industriel spectaculaire, lié à l’exploitation de ses ressources minières, et en premier lieu de l’anthracite. De 20 millions de tonnes extraites en 1870, la production ne cessera d’augmenter jusqu’en 1917, avant de se stabiliser alors autour de 100 millions de tonnes par an. Du même coup, la Pennsylvanie est devenue le principal centre nord-américain de l’industrie métallurgique, dont le symbole est l’empire d’Andrew Carnegie, avec pour fleuron à partir de 1901 la US Steel Corporation.
Pour ce qui est des relations entre patrons et ouvriers, cet État fait encore figure de véritable Far West social, où la loi qui s’applique par défaut est celle du rapport de forces. Les salaires, les conditions de travail et les mesures de sécurité ne s’amélioreront que très lentement, et toujours à la suite de conflits durs et souvent sanglants: entre 1886 et 1890, on n’y relève pas moins de 6 000 grèves impliquant 9 millions d’ouvriers.
Or, la grande surprise de David est de découvrir qu’il y a dans cette population de mineurs qui comptera jusqu’à 150 000 hommes au total, un important contingent de Français et de Belges – on avance alors le chiffre de 3 à 4 000 mineurs francophones pour la seule région de Pittsburg –, qui sont venus chercher outre-Atlantique des conditions de vie plus décentes que dans la Vieille Europe. Beaucoup ont déjà une expérience syndicale, et parfois politique. Des petits noyaux de militants anarchistes se sont constitués localement, qui, dès le milieu des années 1880, sont en contact épistolaire avec les journaux communistes anarchistes français, La Révolte, puis Le Révolté.
Cette réalité nouvelle va entraîner une évolution majeure pour le mouvement social francophone. Alors que jusqu’au milieu des années 1870, ce dernier a essentiellement puisé dans le vivier des républicains avancés et des révolutionnaires condamnés à l’exil par les vicissitudes de la politique intérieure française, il va désormais recruter ses militants en priorité parmi ces mineurs de charbon qui continuent d’arriver en nombre pour travailler dans les mines de Pennsylvanie, avant de partir s’installer, par suite de phénomènes de migrations en chaîne, dans un certain nombre de localités minières réparties sur l’ensemble du territoire américain.
La vie de La Torpille sera brève. Ce journal se veut un organe d’information révolutionnaire général. Son but est «d’éclairer et de guider [les travailleurs de langue française] au milieu des difficultés (...) qui aboutiront inévitablement – c’est dans la force des choses – à une révolution dont les conséquences dépendront de plus ou moins de clairvoyance et de fermeté des prolétaires.» Il traite des questions politiques et sociales du point de vue des opprimés, prône la Révolution par le recours à la force, mais aussi l’émancipation des femmes – tout en déniant une quelconque importance au fait que le droit de vote puisse leur être attribué («L’émancipation de la femme est inséparable de celle des hommes, et ne peut s’accomplir que par la révolution») –, aborde même quelques questions théoriques, comme le mode de formation du capital.
Sa dimension franco-américaine est évidente. Il consacre une place importante aux commémorations de la Commune en 1886 (on compte plus de 20 000 participants rien que pour le rassemblement organisé à Chicago sous les auspices de l’IWPA, et des dizaines de milliers d’autres dans l’ensemble des États-Unis) puis en 1887. Il suit surtout avec attention les événements qui font trembler l’Amérique durant cette période. Cela commence avec la montée en puissance du mouvement pour les huit heures, puis la grève qui touche toute l’Amérique le samedi 1er mai 1886, et qui voit notamment plusieurs dizaines de milliers de travailleurs défiler derrière une nuée de drapeaux rouges à Chicago, dans une ville en état de siège avec des policiers armés postés sur les toits et des troupes équipées de mitrailleuses maintenues en état d’alerte. Et cela débouche pour finir sur le moment paroxystique de la tragédie du Haymarket, survenue le 4 mai, toujours à Chicago, quand, à l’issue d’un meeting anarchiste, une bombe, jetée dans les rangs de la police qui charge les derniers manifestants, fait sept morts et une cinquantaine de blessés. Dans la terrible confusion qui s’ensuit, les forces de l’ordre font feu à volonté, tuant et blessant un grand nombre de militants. Une chasse à l’homme est aussitôt ouverte pour s’emparer des dirigeants locaux du mouvement (que la presse locale avait déjà désignés à la vindicte publique avant même la grève du 1er mai[10]). Sept de ces militants, qui n’étaient pourtant pas présents sur les lieux lors de l’affrontement, sont arrêtés, puis jugés dans des conditions totalement iniques. À l’issue d’une parodie de procès, cinq d’entre eux – Parsons, Spies, Lingg, Fielden et Fischer – seront condamnés à mort pour «complicité morale» et toutes les tentatives de les sauver de l’exécution (qui aura lieu le 11 novembre 1887) resteront vaines, en dépit d’un mouvement de protestation d’ampleur internationale. Effrayées par l’idée de voir la Commune se rééditer dans leurs grandes villes, les autorités américaines – mais aussi la grande presse «libre» – ont réagi avec une brutalité et une fureur non contenues en lançant une véritable «chasse aux rouges», de telle sorte que les conséquences des événements de Chicago vont s’avérer historiquement incalculables. Décapité par la répression, le mouvement anarchiste-révolutionnaire américain est anéanti pour des longues années. Bien que n’ayant pas été directement impliqués dans les événements, les socialistes sont eux-aussi englobés dans l’opprobre. La sanction est immédiate: ils échouent à conquérir à l’automne 1886 la mairie de New York, qui leur semblait pourtant acquise d’avance. Plus généralement, toutes les organisations ouvrières sont touchées par l’onde de choc. Nombre de dirigeants syndicaux vont retirer de cette affaire la conviction que seul est viable un mouvement ouvrier renonçant publiquement à contester l’ordre social existant, ce qui les amènera en l’espace de quelques années à se rallier aux valeurs du système de libre entreprise, entraînant la masse des ouvriers organisés vers une action purement revendicative de type trade-unioniste. Tant et si bien qu’après Haymarket, la gauche socialiste et révolutionnaire restera cantonnée dans le rôle de force de contestation, certes toujours très active et parfois entendue, mais irrémédiablement minoritaire au sein du mouvement ouvrier américain.
Directement victime de ces mêmes événements, La Torpille cesse de paraître en avril 1887.
*
* *
Cette première tentative de relancer un mouvement social francophone a donc été de courte durée, mais David a suffisamment de ressources pour se montrer capable de rebondir. D’autant qu’il a au moins partiellement atteint son but en réussissant à reconstituer un réseau de correspondants. Cette première tentative lui a également ouvert les yeux sur la voie à suivre pour relancer le mouvement sur...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Faux-titre
  3. Page de titre
  4. Crédits
  5. Dédicace
  6. Liste des sigles
  7. Avant-propos
  8. Introduction
  9. 1. La matrice anarchiste du mouvement
  10. 2. L’émergence d’un mouvement socialiste multiforme
  11. 3. L’Union des travailleurs et ses lecteurs
  12. 4. Élargir et fédérer l’action des socialistes de langue française
  13. 5. L’ultime moment de vérité: le déchirement de l’été 1914
  14. En guise de conclusion
  15. Table des matières
  16. Résumé de production
  17. Quatrième de couverture