Un monde enclavé
  1. 439 pages
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À propos de ce livre

La chute du mur de Berlin a fait miroiter un monde où tous les murs tomberaient, mais jamais l'humanité n'en a érigés autant qu'aujourd'hui. Dans un reportage de terrain vivant et sensible, Un monde enclavé nous amène à la rencontre des femmes et des hommes qui vivent à l'ombre du béton armé. Du Sahara occidental, à la clôture qui sépare un quartier riche d'un quartier pauvre dans la ville de Montréal, en passant par Ceuta et Melilla, Chypre, le Bangladesh, la Palestine, l'Irlande et le Mexique, Marcello Di Cintio donne à voir l'étendue des ravages causés par la construction d'enclaves. Qu'elles soient hérissées de barbelés ou faites de ciment et de pierres, ces barrières échouent généralement dans leurs prétentions sécuritaires, et nourrissent la peur et la haine. Mais paradoxalement, comme le montrent ceux et celles qui ont le courage de les surmonter et l'imagination pour les transformer, les murs inspirent aussi leur propre subversion.

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Informations

Éditeur
Lux Éditeur
Année
2017
ISBN
9782895967187

LA VILLE MUTILÉE

Belfast

Les psychiatres croient qu’il existe de nombreux facteurs qui poussent les gens à se mutiler. Certains s’entaillent les bras et les jambes pour exprimer leur rage ou leur douleur émotionnelle. Certains se font saigner pour apaiser un sentiment permanent de vacuité; la douleur semble réelle lorsque rien d’autre ne l’est. D’autres se coupent par besoin de contrôle et gravent des lignes dans la seule chose qu’ils croient gouverner, leur chair. Chez d’autres encore, les incisions causent même du plaisir. Les blessures peu profondes stimulent l’émission d’endorphines et créent une euphorie sanguinolente. Cette sensation, toutefois, peut causer une dépendance. Ceux qui se mutilent finissent par désirer ce plaisir que la lame leur procure. Ils multiplient les plaies et font de leur corps des cartes en relief. Une topographie humaine faite de cicatrices.
Les murs, les clôtures d’acier et les barrières tailladent la carte de Belfast. Certains tranchent plusieurs kilomètres de routes importantes. D’autres bloquent des chemins étroits sur quelques mètres ou lacèrent des cours d’école et des parcs. Les murs découpent des quartiers en petites enclaves catholiques ou protestantes. De la peinture aux couleurs vives tente d’embellir certaines parties des murs, mais les graffitis injurieux qu’on y peint gâchent cette tentative. Les murs, en effet, sont barbouillés de «KAH» et de «KAT» – «Kill All Huns» et «Kill All Taigs», des termes péjoratifs anglais pour désigner, respectivement, les protestants et les catholiques. Les barbelés s’étendent comme une calligraphie cruelle au-dessus des clôtures d’acier. La ville entière semble hérissée de pics. Je suis arrivé à Belfast en juin 2011 et j’ai passé un mois à marcher le long de ses barrières. Nulle part ailleurs n’avais-je vu les murs créer des incisions aussi intimes qu’à cet endroit. Aucune des autres villes que j’avais visitées ne s’était mutilée de façon aussi compulsive. Et nulle part ailleurs n’avais-je vu des murs aussi peu susceptibles de tomber.
*
* *
Lors de mon premier matin à Belfast, j’ai marché de mon auberge du centre-ville jusqu’aux limites de Falls Road, à l’est. De là, une série presque continue de barrières tracent une ligne vers l’ouest entre le quartier catholique appelé les «Falls» et le faubourg majoritairement protestant de Shankill. J’ai vu le «Mur de la solidarité», où des fresques célébraient l’abolitionniste du XIXe siècle Frederick Douglass, portaient des messages de soutien aux séparatistes basques et réclamaient la libération de la Palestine. J’ai pris la rue Northumberland, où j’ai marché le long d’une peinture représentant Barack Obama. Ce dernier avait d’ailleurs déclaré en 2008, lors d’un discours adressé à des Berlinois charmés: «Les murs sont tombés non seulement à Berlin, mais ils sont tombés aussi à Belfast, où les catholiques et les protestants ont réussi à vivre ensemble[26].» J’ai eu du mal à cacher mon sourire moqueur en traversant le portail en acier de deux mètres qui séparait les protestants de Shankill des catholiques de Falls pour me rendre jusqu’à Cupar Way.
Sir Ian Freeland, un officier de l’armée britannique, a érigé la première «ligne de paix» dans la rue Cupar Way en août 1969. Ses soldats ont déroulé une ligne de barbelés pour séparer les émeutiers protestants et catholiques, comme d’autres l’avaient fait six ans plus tôt dans la rue Ledra, à Nicosie. Une fois les barbelés installés, Freeland a déclaré: «Tout ça est très, très temporaire. Nous n’aurons pas un émule du mur de Berlin dans cette ville[27].» Jamais Freeland n’aurait pu s’imaginer que les quelques lignes de barbelés, en plus de survivre au mur de Berlin, se transformeraient un jour en un mur de béton haut de trois mètres. Le mur de Cupar Way a pris encore plus d’ampleur avec l’ajout de plaques de tôle ondulée, et finalement avec l’installation de hauts grillages métalliques. En 2011, le mur de trois étages s’élevait à plus de six mètres et s’étendait sur plus d’un demi-kilomètre.
En plus de croître, le mur s’est aussi multiplié. Depuis 1969, le Northern Ireland Office (NIO) a érigé plus de 40 autres lignes de paix «officielles». Le comité exécutif pour le logement public y a également construit des barrières. Comme bien d’autres promoteurs immobiliers et agences, d’ailleurs. Si l’on compte tous les exemples d’«architecture défensive» construits pour séparer les catholiques des protestants – portails, haies plantées stratégiquement, terrains vagues qui créent des no man’s land entre les communautés –, le nombre de barrières fracturant Belfast frôle la centaine. Leur prolifération, toutefois, est peu documentée. Personne ne connaît l’emplacement de toutes les barrières, pas plus que leur instigateur et la date de leur érection. Les barrières ont poussé de façon constante au cours des quarante dernières années, mais peu de traces à leur sujet ont été conservées. Ce qui est certain, néanmoins, c’est que le président Obama s’est trompé sur toute la ligne. Aucune des barrières érigées à Belfast n’est tombée. Elles se sont même plutôt propagées et ont grandi.
Si Freeland a inventé le terme «ligne de paix» à l’époque, bien peu de gens l’utilisent encore à Belfast aujourd’hui. Le terme est en effet aussi mal choisi que l’expression «Troubles», qui renvoie davantage à un mal de ventre qu’à un conflit de trente ans ayant tué plus de 3 500 personnes. Les protestants et les catholiques se disputent l’Irlande depuis le XVIe siècle. Les Troubles, toutefois, désignent une période de conflit bien distincte, qui débute avec les émeutes de 1969 opposant les unionistes protestants qui soutenaient le gouvernement britannique en Irlande du Nord et les nationalistes catholiques qui désiraient que le Nord rompe tout lien avec Londres et s’unisse à la République d’Irlande. Les civils ont constitué la majorité des victimes du conflit, même si plusieurs bataillons des forces armées britanniques, des corps policiers et des organisations paramilitaires loyalistes et républicaines y ont participé. Les acronymes de ces organisations ont donné naissance à un véritable alphabet de la violence en Irlande: UVF, UDA, UFF, UDR, RHC, INLA et, en plusieurs versions, IRA. Ne pas confondre ces initiales était pour moi un défi de tous les instants.
Dans les années 1990, une série de cessez-le-feu a permis de désarmer les organisations paramilitaires et, en 1998, les deux camps ont signé l’Accord du Vendredi saint, qui a mis fin aux Troubles. Ni documents signés ni poignées de main officielles, cependant, ne pouvaient réunir soudainement ces deux communautés qui s’étaient battues depuis près de quatre siècles. Rien non plus n’a empêché que des murs s’élèvent, et il existe aujourd’hui plus de barrières qu’il n’y en avait à la signature de l’Accord. Le dernier mur construit par le NIO, une grille en acier soudé de 4,5 mètres de hauteur, a été construit en 2007 au milieu de la cour de l’école primaire Hazelwood à la suite d’attaques contre des maisons appartenant à des catholiques dans le quartier. Le mur le plus récent, toutefois, est l’œuvre du comité exécutif pour le logement public du quartier qui a érigé, en 2010, une barrière le long de Hillview Road, près d’un développement immobilier en construction. Le mur s’est élevé avant même qu’il y ait quiconque à protéger.
Des graffitis colorés et des affiches sur le mur de Cupar Way ont tenté d’égayer le gris sévère du béton et ont fait de la barrière une attraction touristique. En m’y promenant, j’ai vu un quatuor de jeunes Américains gribouiller sur le mur avec des marqueurs noirs. Des autobus touristiques et des taxis vont et viennent régulièrement le long de Cupar Way et invitent leurs passagers à ajouter leur nom ainsi qu’un message de paix aux milliers d’autres déjà inscrits sur le béton. «Lorsque les fusils se taisent, on entend les oiseaux de la liberté», a écrit une certaine Maeve, d’Australie. Adam, de Houston, implorait quant à lui: «Que Dieu nous vienne en aide.» Mes voyages le long des frontières contestées m’avaient peut-être rendu cynique, mais je n’avais plus aucune patience devant ces clichés condescendants qui appellent à la fraternité et à la paix. (Je me suis toutefois esclaffé devant la suggestion d’un touriste anonyme: «Faites ce que John Lennon a dit.») Après tout, tout cet art mural et ces absurdités pleines de bons sentiments n’empêchaient personne de lever les yeux et d’imaginer, au-dessus des grillages, une brique propulsée de l’autre côté.
*
* *
«J’abhorre le jour où je me suis promenée de porte en porte avec une pétition réclamant l’érection de ce mur», m’a confié Teena Patrick.
J’ai connu Teena par l’intermédiaire du Interface Residents Group, l’une des nombreuses organisations à Belfast qui promeuvent la cohabitation pacifique entre ceux qui vivent aux «interfaces» – le mot qui désigne la zone frontalière entre les quartiers catholiques et les quartiers protestants de Belfast. Teena est venue me chercher dans sa Nissan jaune et a roulé le long de la barrière de l’interface, dans Springfield Road. Le mur divisait les communautés nationalistes, à l’ouest, et les unionistes, à l’est. La barrière était un mur de briques couvert d’une peinture «anti-escalade» huileuse et surmonté de panneaux grillagés qui me rappelaient le papier quadrillé que j’utilisais dans mes cours de chimie au secondaire. Le mur s’étendait sur environ 400 mètres, du portail de Lanark Way à la barrière bloquant l’avenue Workman. Là, une porte en métal ondulé permettait aux piétons de traverser, mais seulement le jour: la porte était verrouillée à la tombée de la nuit. Le mur amputait quatre rues résidentielles qui reliaient autrefois le quartier aux commerces et aux pubs de Springfield Road.
Dans les années 1980, avant le mur, des gens lançaient couramment des briques et des cocktails Molotov en direction des demeures protestantes de Springfield Road. Lorsque les résidents apeurés fuyaient, les pyromanes républicains incendiaient leurs maisons. Toute une rangée de maisons protestantes a été détruite ainsi. Le gouvernement a peut-être construit une petite clôture, mais celle-ci ne bloquait pas les briques lancées presque quotidiennement sur les maisons. Teena et les autres protestants dans le quartier se sont rapidement rendu compte qu’ils continueraient à perdre leurs maisons sans la présence d’une véritable barricade. Elle a donc sollicité des signatures, de porte en porte, pour une pétition réclamant au gouvernement la construction d’une barrière le long de la rue. Au départ, les résidents voulaient une clôture en tôle ondulée, mais ils ont finalement décidé qu’ils avaient besoin d’un mur.
Certains résidents ont refusé de signer la pétition, ne voulant pas d’un mur dans leur quartier. Teena comprenait leurs inquiétudes. Elle n’aimait pas non plus les barricades ailleurs à Belfast, pas plus que les divisions que celles-ci imposaient, mais sa communauté avait besoin d’être protégée. «Lorsque les choses ne vont plus, il faut une solution rapide», m’a-t-elle dit. Après avoir récolté suffisamment de signatures, Teena a remis sa pétition au NIO. «Il n’a pas fallu attendre bien longtemps avant que le mur soit construit.» Un mur, après tout, était rentable. Ériger une barrière était beaucoup plus facile et économique que surveiller le territoire. En 2005, le NIO a fortifié le mur de Springfield en le surmontant d’une clôture d’acier pour protéger les nouvelles maisons des pierres et des bouteilles lancées.
Rétrospectivement, Teena se demandait si ses voisins et elle n’auraient pas dû combattre la violence d’une autre façon. Sa communauté aurait sans doute pu tenir les autorités policières et les politiciens responsables des dommages subis dans le quartier. Elle hésitait à trancher sur la question, toutefois: «Le mur nous a protégés des dommages, mais maintenant nous sommes emprisonnés.» Les policiers verrouillaient en effet les portes de l’avenue Workman et de Lanark Way lorsque la tension montait dans le quartier, et souvent sans avertissement, ce qui forçait les résidents en voiture à faire de longs détours pour rejoindre Springfield Road. Les piétons, en particulier les personnes âgées et handicapées, se retrouvaient piégés soit à l’intérieur, soit à l’extérieur du mur. Teena recevait régulièrement des appels de ses voisins qui, après être descendus d’un autobus en provenance du centre-ville, se retrouvaient coincés sur le seuil de leur propre quartier.
Les résidents de Belfast, comme ceux des autres communautés emmurées que j’avais visitées, avaient construit leurs murs pour s’assurer une tranquillité d’esprit – pour se sentir en sécurité et à l’abri des dangers extérieurs. Mais les murs s’étaient désormais retournés contre eux. Une porte soudainement verrouillée forçait parfois les gens à un exil du «mauvais côté». Pour ceux qui vivaient aux abords des interfaces, les murs étaient des monstres de Frankenstein: plus faciles à fabriquer qu’à commander.
Malgré tout, bien peu réclamaient la destruction du mur de Springfield. Les résidents des deux côtés voyaient la protection offerte par le mur comme nécessaire. Dans le meilleur des cas, Teena espérait qu’on embellisse le mur pour lui enlever son apparence crûment militaire. Je n’ai pas osé dire à Teena que je trouvais l’idée profondément déprimante. Je doutais qu’égayer les barrières à grands coups de pinceau ou avec des briques décoratives ne réussisse à adoucir le drame qu’elles représentaient. Il ne s’agissait pas de subvertir le mur par l’art, comme le faisaient Gleen Weyant en Arizona et Faris et Yusul à Ramallah. L’embellissement des barrières de Belfast n’était qu’une tentative pitoyable pour oublier l’intention sordide des murs. Je me suis souvenu de ce que Faris m’avait dit à propos de la peinture qu’on appliquait au mur de Cisjordanie: «On ne remarque pas le vernis à ongles sur la main qui nous frappe en plein visage.»
À bord de la voiture, Teena et moi avons traversé le portail de Lanark Way. Teena s’est garée à proximité d’un terrain vague où un groupe d’adolescents protestants s’envoyaient un ballon de foot. Ces garçons étaient les plus affectés par les murs. «À cause des portails et des barrières, m’a dit Teena, les jeunes ont peur de traverser.» Les structures elles-mêmes nourrissaient la peur. Comme les clôtures le long de la frontière indo-bangladaise, les murs de Belfast laissaient présager qu’un danger se cachait de l’autre côté, et que ceux qui y habitaient nous voulaient du mal. Que la menace soit réelle ou non n’avait pas d’importance; l’impression persistait. «Si on vous dit: “Restez chez vous. Gardez l’œil ouvert. Faites attention”, vous ne voudrez pas traverser, m’a expliqué Teena. Ni pour rendre visite à vos proches ni même pour aller travailler.»
Les jeunes Belfastois n’avaient jamais connu la ville sans ses murs. «Ils n’ont jamais partagé l’espace», a affirmé Teena. Ils n’ont pas la force psychologique de traverser l’ombre des lignes fortifiées. Avant de traverser, les jeunes vérifient toujours si quelqu’un de l’autre côté les observe.
— Où apprennent-ils à avoir peur de la sorte? ai-je demandé.
Teena s’est esclaffée en entendant ma question:
— La peur leur est apprise aux interfaces. Vous ne pouvez pas vivre aux interfaces sans qu’on vous fasse remarquer que vous vivez d’un côté ou de l’autre.
Les jeunes de chaque communauté ne se connaissaient qu’à la lumière du conflit, un conflit fondé exclusivement sur le principe d’une géographie relative. Plus que la religion, à Belfast, c’est le quartier qui vous définissait. Quelques jours plus tôt, une vingtaine d’adolescents catholiques avait traversé l’interface à Lanark Way et avait commencé à lancer des pierres sur les maisons. Les jeunes protestants s’étaient alors rassemblés à leur tour pour lancer des pierres à leurs assaillants. J’ai demandé à Teena pourquoi une telle «invasion» avait eu lieu. Elle m’a répondu qu’il n’y avait pas vraiment d’explication. Parfois les jeunes traversaient simplement pour provoquer une réaction. «Je ne comprends pas d’où vient la moitié de leur colère. Ou la moitié de leur haine. Ils viennent pourtant de familles charmantes.»
Teena cherchait à éloigner ces jeunes de la violence qu’ils voyaient dans les rues. «J’essaie d’inciter les jeunes à agir différemment.» Avec les jeunes, Teena utilise des techniques de médiation qu’elle a acquises pendant son service auprès du Ulster Defence Regiment (UDR), un régiment d’infanterie de l’armée britannique formé pour défendre l’Irlande du Nord des poseurs de bombes et des tireurs. Teena s’était enrôlée dans l’UDR lorsqu’elle était jeune. «J’ai toujours cru qu’il était important de défendre son pays», m’a-t-elle dit. Elle voulait rejoindre les rangs de l’armée régulière, mais ces tatouages l’en avaient écartée; elle avait fait inscrire le nom de son mari dans un cœur sur un poignet et son propre nom sur l’autr...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Faux-titre
  3. Dépôt légal
  4. Introduction. La maladie du mur
  5. Tracer une ligne dans le sable. Le Sahara occidental
  6. La menace du croque-mitaine. Ceuta et Melilla
  7. Les gens de nulle part à la ligne zéro. La clôture à la frontière de l’Inde et du Bangladesh
  8. La Nakbat des oliviers. Le mur d’Israël en Cisjordanie
  9. Emmurer l’absurde. Nicosie et Lefkosa
  10. Mépriser son voisin. La frontière États-Unis–Mexique
  11. La ville mutilée. Belfast
  12. La Grande Muraille de Montréal. La clôture du boulevard de l’Acadie
  13. Remerciements
  14. Crédits
  15. Table
  16. Quatrième de couverture