Tenir tête
eBook - ePub

Tenir tête

  1. 226 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
Détails du livre
Aperçu du livre
Table des matières
Citations

À propos de ce livre

Dans ce livre, écrit avec le style qu'on lui connaît, on suit pas à pas Gabriel Nadeau-Dubois au fil des luttes, des rencontres décisives, des assemblées générales, des confrontations avec journalistes, ministres, juges et policiers, mais aussi dans son analyse de la grève de 2012.

Foire aux questions

Il vous suffit de vous rendre dans la section compte dans paramètres et de cliquer sur « Résilier l’abonnement ». C’est aussi simple que cela ! Une fois que vous aurez résilié votre abonnement, il restera actif pour le reste de la période pour laquelle vous avez payé. Découvrez-en plus ici.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptés aux mobiles peuvent être téléchargés via l’application. La plupart de nos PDF sont également disponibles en téléchargement et les autres seront téléchargeables très prochainement. Découvrez-en plus ici.
Les deux abonnements vous donnent un accès complet à la bibliothèque et à toutes les fonctionnalités de Perlego. Les seules différences sont les tarifs ainsi que la période d’abonnement : avec l’abonnement annuel, vous économiserez environ 30 % par rapport à 12 mois d’abonnement mensuel.
Nous sommes un service d’abonnement à des ouvrages universitaires en ligne, où vous pouvez accéder à toute une bibliothèque pour un prix inférieur à celui d’un seul livre par mois. Avec plus d’un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu’il vous faut ! Découvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l’écouter. L’outil Écouter lit le texte à haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l’accélérer ou le ralentir. Découvrez-en plus ici.
Oui, vous pouvez accéder à Tenir tête par Gabriel Nadeau-Dubois en format PDF et/ou ePUB ainsi qu’à d’autres livres populaires dans Éducation et Théorie et pratique de l'éducation. Nous disposons de plus d’un million d’ouvrages à découvrir dans notre catalogue.

Informations

Éditeur
Lux Éditeur
Année
2013
ISBN
9782895966661

UNE LUTTE

CHAPITRE 6

DES INDIENS SANS CHEF?

Il y a en permanence une orthodoxie, un ensemble d’idées que les bien-pensants sont censés partager et ne jamais remettre en question. Dire telle ou telle chose n’est pas exactement interdit mais «cela ne se fait pas», exactement comme à l’époque victorienne cela «ne se faisait pas» de prononcer le mot «pantalon» en présence d’une dame. Quiconque défie l’orthodoxie en place se voit réduit au silence avec une surprenante efficacité. Une opinion qui va à l’encontre de la mode du moment aura le plus grand mal à se faire entendre, que ce soit dans la presse populaire ou dans les périodiques destinés aux intellectuels.
George ORWELL
Le lundi 23 avril, les événements se bousculent. La fin de semaine précédente, après de longues tergiversations, la CLASSE a adopté en congrès une proposition condamnant la violence physique délibérée envers les individus, tout en réaffirmant son adhésion aux principes de la désobéissance civile. En matinée, le chef de cabinet de Line Beauchamp, Philippe Cannon, a annoncé au négociateur de la CLASSE, Philippe Lapointe, que nous étions acceptés à la table de négociation. Après des mois d’attente, le gouvernement libéral se décide enfin à discuter. Sur l’heure du midi, la ministre de l’Éducation Line Beauchamp tient une conférence de presse. Pendant qu’elle parle, je suis en ligne avec RDI, à l’émission de Simon Durivage, où l’on me demandera de réagir à ses propos. Dans son point de presse, la ministre demande aux trois associations étudiantes nationales de décréter une «trêve» de 48 heures, pour «permettre l’établissement d’un climat propice aux discussions». Plus précisément, elle exige que nous renoncions à toute action de perturbation, mais spécifie que les manifestations «classiques» peuvent continuer. Je suis dans l’autobus avec l’attaché de presse de la CLASSE, Renaud Poirier St-Pierre, et nous regardons la conférence de presse... sur un écran de téléphone cellulaire. Nous sommes pour le moins surpris d’apprendre ces nouvelles exigences de la ministre Beauchamp puisque trois heures plus tôt, son chef de cabinet nous avait dit que nous étions invités aux négociations sans aucune condition. La ministre tient-elle réellement à ce qu’ait lieu ce rapprochement que la population réclame?
À 12h40, mon entretien téléphonique avec Simon Durivage débute. Bien sûr, celui-ci démarre l’entrevue en me demandant si j’accepte cette trêve. Je suis pris de court par cette question. Comme on m’a dit que la conférence de presse annoncerait simplement notre inclusion à la table de négociation, je n’ai pas consulté mon exécutif au sujet d’un éventuel et improbable ultimatum du gouvernement. En tant que porte-parole, je me suis vu confier un rôle bien précis, celui de défendre les positions du congrès dans la sphère publique, une responsabilité qui ne confère aucun pouvoir décisionnel, pas plus à moi qu’à ma collègue Jeanne Reynolds. Au sein du congrès hebdomadaire, chaque association étudiante membre de la coalition détient un droit de parole et de vote: les décisions ainsi prises doivent être appliquées et défendues par les élus nationaux, notamment les porte-parole. Les décisions politiques et les orientations stratégiques sont exclusivement adoptées par le congrès. Au moment où cet animateur me demande si j’accepte la demande de trêve du gouvernement libéral, il y a quatre ans que je milite dans le mouvement étudiant et je sais pertinemment que je n’ai pas le pouvoir de lui répondre.
Je sais aussi, en revanche, que le plan d’action officiel de la CLASSE, adopté par le congrès, ne prévoit aucune action de perturbation ou de blocage dans les 48 heures à venir. Je décide donc de me sortir de cette impasse en disant la plus pure vérité à l’animateur. Si, en tant que porte-parole, je n’ai pas l’autorité de décréter une trêve, je peux cependant informer le public et la ministre de l’Éducation que l’organisation que je représente ne prévoit aucune action de perturbation ou de blocage. En ce sens, la trêve est de facto en vigueur. Que la ministre soit rassurée: aucune action de la coalition ne viendra troubler les négociations. Manifestement, mon raisonnement irrite Simon Durivage. Il répète sa question et moi ma réponse. Cette fois, il m’interrompt, me reprochant d’esquiver le problème. Au contraire, lui dis-je, mes propos sont très clairs: la coalition n’a prévu aucune action de perturbation ou de blocage dans le délai fixé par Line Beauchamp, la question de la trêve est par conséquent sans importance. À quoi bon signer un cessez-le-feu s’il n’y a pas de bataille? Il me demande sèchement de prendre mes responsabilités, d’arrêter de me défiler. Je tente de lui réexpliquer les limites que m’impose mon rôle de porte-parole et c’est alors qu’il me raccroche tout simplement la ligne au nez. Je suis bouche bée. J’aurais pu m’attendre à un tel traitement de la part de certains médias privés, mais à Radio-Canada? Cela me dépasse. Raccrocher au nez d’un invité? Je me retourne vers mon attaché de presse et je lui raconte l’entrevue. Nous sommes tous deux estomaqués.
Pendant que Simon Durivage me passe un savon, Philippe Lapointe s’empresse de rappeler le chef de cabinet de Line Beauchamp pour s’enquérir de leurs intentions. On le rassure: les négociations commenceront bel et bien dans les prochaines heures. Malgré ma réponse ambigüe et mon refus de prononcer en ondes le sésame de la ministre, les négociations débuteront ce jour-là entre le gouvernement et les associations étudiantes. Voilà qui confirme mes doutes: la demande de trêve n’est qu’un prétexte pour donner une énième conférence de presse et montrer les étudiants comme des perturbateurs, une mise en scène pour gagner l’opinion publique à l’idée que les grévistes seraient les seuls responsables des tensions sociales et du «désordre». Voilà qui montre à quel point le discours des libéraux sur la «violence» des étudiants n’était rien d’autre qu’une opération de communication vide, une indignation morale de façade, probablement planifiée longtemps avant que la première association étudiante n’entre en grève.
Le soir même, cette affaire absurde atteint de nouveaux sommets. Des militants montréalais organisent, grâce aux réseaux sociaux, un rassemblement spontané sous le slogan «Fuck la trêve», une des premières manifestations nocturnes. Quelques vitrines sont brisées le long du parcours et Line Beauchamp saute sur l’occasion pour rejouer le mauvais film de 2005. À l’époque, le gouvernement n’avait négocié qu’avec la FEUQ et la FECQ, invoquant le prétexte de la violence pour se débarrasser de l’association étudiante moins docile (la CASSÉÉ[41]). Finalement, la FECQ et la FEUQ avaient réglé le conflit de 2005 en signant une entente discutable, que plusieurs grévistes avaient d’ailleurs rejetée. Le lendemain de la manifestation nocturne, donc, Line Beauchamp s’empresse d’exclure la CLASSE de la table des négociations, arguant que celle-ci aurait «brisé la trêve». Le jeu de la ministre est d’un ridicule achevé. Line Beauchamp nous renvoie de la table de négociation sous prétexte que la manifestation de la veille aurait été inscrite au calendrier du site web de la CLASSE – un babillard public, comme c’est souvent le cas sur le web. Elle en déduit que la coalition a fait la promotion de l’événement, aussi bien dire qu’elle l’a organisé, et que par conséquent nous avons rompu une trêve que nous n’avons pourtant jamais signée. Comble de l’ironie, la manifestation qui a tant ulcéré la ministre a été organisée pour protester contre ma réponse à Simon Durivage qui, selon certains, frôlait l’acceptation de l’ultimatum ministériel et outrepassait mes mandats. Leur «Fuck la trêve» m’était en partie adressé.
Cette histoire est un mauvais vaudeville. D’abord, cet appel à la trêve était une comédie jouée pour les journalistes qui ont été les seuls à y croire: personne n’a jamais réellement exigé de la CLASSE qu’elle s’y plie – autrement, on ne nous aurait pas confirmé notre participation aux négociations comme on l’a fait avant et après la conférence de presse de la ministre. Ensuite, n’ayant jamais accepté cette trêve, comment pouvions-nous la rompre? Sans compter le fait que le grabuge qu’on nous reprochait d’avoir initié était en outre une réaction contre mes prises de position.
Ces événements se sont déroulés alors que l’anxiété s’emparait d’une partie de la population. Il devenait évident que face à la détermination des étudiants, l’inertie du gouvernement menait le Québec dans une impasse. C’est alors que j’ai réalisé l’ampleur du fossé qui séparait la CLASSE du monde médiatique et politique traditionnel. J’ai aussi pris conscience que les libéraux feraient bon usage de la difficulté qu’éprouvaient les journalistes à comprendre cette grève, particulièrement le fonctionnement de la CLASSE.
Tout au long du conflit, on a reproché à la coalition sa lenteur, son idéalisme et ses procédures alambiquées. Comment réagir aux propositions gouvernementales avec une structure si lourde? Comment prendre des décisions rapides avec des représentants aux mains liées? Plus le conflit se polarisait, plus la pression s’accumulait sur les structures de la CLASSE et, peu à peu, on m’a imputé la responsabilité de l’enlisement du conflit. Selon certains, si la crise s’envenimait, c’était parce que je prétendais ne pas avoir de pouvoir, parce que je refusais d’assumer mon rôle de leader. Même ceux qui prétendaient connaître et comprendre la structure organisationnelle de la CLASSE m’ont, à un moment ou un autre, demandé de me «compromettre» et de prendre l’initiative d’un règlement de la crise.
Il est saisissant de constater que la culture politique de la coalition a suscité davantage de réprobations publiques que la désinvolture de Jean Charest pendant le conflit. Son gouvernement a boudé les étudiants pendant 73 jours, il a ensuite cherché par tous les moyens d’empêcher la tenue d’une négociation honnête, ses ministres ont déployé des trésors de rhétorique pour détourner l’attention des enjeux réels. Tout ce beau monde a travaillé très fort pour s’assurer que le débat public aboutisse dans le caniveau. Mais qu’importe! Pour nos analystes de la vie politique, ce cynisme est de bonne guerre. S’en étonner, ce serait manquer de réalisme, et le dénoncer, manquer de sérieux. La CLASSE voulait aller au fond des choses, débattre des finalités de l’université, remettre à l’ordre du jour une promesse que le Québec s’était faite 40 ans plus tôt: la gratuité des études universitaires. Tandis que d’aucuns ont qualifié cet engagement de radical et de dogmatique, les libéraux se sont lancés dans une «révolution culturelle», ils ont abandonné le principe de l’impôt progressif pour celui de la tarification, transfiguré les principes de l’administration publique, tondu la classe moyenne pour habiller les plus fortunés. Sous leur gouverne, la cupidité a gangréné l’ensemble du corps politique. On dit pourtant d’eux qu’ils étaient pragmatiques, que Jean Charest et consorts agissaient en politiques responsables: ils avaient pris une décision qu’ils imposaient coûte que coûte, envers et contre tous, comme d’authentiques dirigeants. Jeanne Reynolds et moi-même manquions pour notre part à nos obligations parce que nous refusions d’imposer nos vues aux étudiants et que nous soumettions chaque enjeu d’importance, chaque décision cruciale, au jugement démocratique de ceux et celles qu’ils concernaient.
Je me souviens d’une entrevue qu’a accordée à la télévision française Antoine Robitaille, un journaliste du Devoir qui est loin d’être sot. Le journaliste de l’Hexagone demandait à son collègue québécois de décrir...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Faux-titre
  3. Page de titre
  4. Crédits
  5. Introduction
  6. PREMIÈRE PARTIE: TROIS ASSEMBLÉES GÉNÉRALES
  7. DEUXIÈME PARTIE: DEUX IDÉES: LA «JUSTE PART» ET L’«EXCELLENCE»
  8. TROISIÈME PARTIE: UNE LUTTE
  9. Épilogue
  10. Remerciements
  11. Chronologie
  12. Table des matières
  13. Quatrième de couverture