Un très mauvais ami
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Un très mauvais ami

  1. 269 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Citations

À propos de ce livre

Les lettres que Pierre Falardeau adresse au peintre hollandais Léon Spierenburg parlent en toute franchise de ses films, de ses combats, de ses passions et de ses idées. Ses amours et ses amitiés y occupent aussi une belle place, à l'image de celle que le cinéaste leur accordait dans la vie. Écrites entre 1972 et 2009, ces lettres forment une fresque autobiographique qui n'était pas destinée à être publiée. S'y révèle la genèse d'un être que l'on savait déjà épris d'absolu, de liberté, un être volontaire et capable d'un grand enthousiasme. S'y dévoilent aussi les fêlures et les doutes – ceux-là, Pierre Falardeau ne les a jamais laissés prendre le dessus, réussissant toujours à demeurer impitoyable et généreux. Rédigées initialement en anglais, ces lettres forment un cri d'espoir envers la vie et l'humanité, envers l'engagement malgré tout. Même si cela doit se faire au prix d'une rage permanente et d'une existence incandescente.

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Informations

Éditeur
Lux Éditeur
Année
2013
ISBN
9782895966494

Lettres

Montréal, le [23] mai 1972[1]
Salut Léon,
J’ai été surpris et heureux de recevoir ta longue lettre. Alors, tu te sens comme si tu avais 87 ans, mon gars! Wow, tu es dans une mauvaise passe. Mais ça ira. Parfois, lorsqu’on se sent triste, on apprend beaucoup de choses à propos de soi et du monde. Je crois que ça fait partie de la vie d’être triste. Et lorsque tu arrives à maîtriser ta tristesse, tu peux réaliser des choses qu’il t’est impossible de faire lorsque tout va bien. Mais tu as l’air d’aller… Si t’as encore envie de regarder les oiseaux, les arbres et les fleurs, ça va.
Lorsque mon film a été terminé, je me suis senti abattu pendant deux ou trois mois. Mon gars, j’avais le moral à terre. J’avais tellement travaillé sur ce film! J’avais mis là-dedans quatre mois de ma vie. J’étais fatigué. Pendant quatre mois, je n’avais plus regardé les arbres, les oiseaux ou les fleurs. Je regardais un écran. C’est dur, ça, mon gars. J’étais si déprimé à la suite de tout ça que j’étais incapable de regarder un arbre ou n’importe quoi d’autre.
Puis, après un moment, j’ai commencé à regarder les filles. C’était le printemps. Je suis revenu à la vie, comme la nature. Et depuis ce temps, je me sens bien. En ce moment, je monte un nouveau film. Je n’ai pas un sou, mais je me sens bien. Tout ça à cause des filles et du printemps.
J’ai une nouvelle maison. J’habite en ville, dans un des coins les plus pauvres. Mais c’est formidable. Vivent là les travailleurs canadiens-français. Je me sens bien avec mon peuple. Et j’y apprends énormément à propos des gens et de moi-même. Je crois que je serai en mesure de produire des choses meilleures d’ici quelques années à cause de cela.
Je ne sais pas si tu as entendu ce qui s’est passé au Québec au cours des dernières semaines. Le gouvernement a mis en prison 35 leaders syndicaux[2]. Tout le pays (le Québec) a fait la grève pendant quelques jours. Quatre ou cinq villes ont été occupées par les travailleurs. C’était bien. À Montréal, avec quelques amis, nous avons occupé une station de radio[3]. Après une demi-heure, les policiers sont arrivés et ils ont coupé le courant. À partir de là, nous n’étions plus en ondes, alors nous avons tout simplement quitté les lieux. C’était la première occupation du genre à Montréal. La prochaine fois, nous serons mieux organisés. Ils ne pourront pas couper l’électricité aussi facilement. Nous apprenons. Mais c’est difficile.
J’attends Jérôme et Gilles[4]. J’ai commencé à faire pousser de la marijuana il y a deux semaines. Le vieil homme qui habite à côté adore les fleurs, alors il m’aide. Il ne sait pas que c’est de l’herbe, mais je lui en ai donné deux plants. Il les a plantés dans sa cour. À la fin de l’été, il aura deux arbres magiques dans son jardin. Alors j’attends des amis, je t’attends. Le vieil homme est très bien. Je crois que j’aurai environ 40 plants d’ici la fin de l’été. Je ne pourrai pas fumer ça tout seul.
Autre chose: lorsque j’ai vu l’an dernier la Citroën de Gilles, je suis vraiment tombé amoureux de cette voiture. Alors j’en ai acheté une à Montréal. La semaine dernière, j’ai enlevé les portes. Mon gars, avec ma 2 CV peinte couleur aluminium, tout le monde à Montréal devient fou! Mais c’est difficile à vivre. Tu ne peux pas conduire tranquille. Il y a toujours 20 personnes pour rire de toi chaque fois que tu t’arrêtes à un feu rouge.
J’espère que tu vas mieux maintenant, Léon (pas à cause de la lettre, mais si la lettre te fais tu bien, tant mieux), que tu réalises de bonnes choses en peinture. Enfin je n’espère pas: je suis certain que tu fais de bonnes choses. Avec le genre d’amis que tu as, tu fais sûrement de bonnes choses. Ouais, on est comme ça! Nous faisons seulement de super bonnes choses. Nous n’avons pas à être humbles.
Je ne sais pas quand je serai en mesure de retourner en Hollande pour fumer un petit joint avec Gilles et toi, et je ne sais pas quand tu seras en mesure de venir ici. Mon seul regret est que nous n’ayons pas eu assez de temps pour discuter et nous connaître mieux lorsque je t’ai rencontré.
Essaye de vivre tout doucement, mon gars. Et continue de sourire.
Ton ami,
Pierre
P.S. Je vais essayer de t’envoyer de mon herbe à l’automne. Mon anglais est si mauvais que parfois je n’arrive pas à dire ce que j’ai en tête. C’est terrible.
[15 mai 1973[5]]
Salut Léon,
J’espère que ça ne te dérange pas que je t’écrive sur du papier officiel[6]. J’ai reçu hier ta carte postale. Je n’étais pas fâché que tu me bottes le cul. Je n’étais pas fâché non plus de ne pas t’avoir écrit plus tôt.
J’ai écrit une petite lettre à ta sœur, non pas parce que c’est ta stupide sœur. J’étais juste tellement heureux de recevoir des baisers d’une blonde de Hollande. Lorsque tu es dans le Nord, peut-être que la chose dont tu as le plus besoin ce sont des baisers, plein de baisers. Dans le Nord, tu te sens parfois comme en prison. Alors lorsqu’il y a un baiser quelque part tu le prends, le plus vite possible. Et comme j’aime beaucoup les femmes, je prends tout ce qui passe. Parce que la vie est courte.
Il est aussi plus facile de répondre à un baiser. Mais lorsque j’ai reçu ta lettre, j’étais très heureux aussi parce que je ne reçois pas souvent des lettres dans le Nord. La plupart sont des lettres stupides. La tienne et celle de Jérôme étaient peut-être de bonnes lettres. J’en ai aussi reçu une de ma mère. Ce n’était pas une lettre extraordinaire, mais de la part de ma mère c’était très surprenant.
J’ai lu ta lettre à quelques reprises. J’en ai lu des passages à mes amis esquimaux. Je l’ai lue à quelques reprises parce que ce que tu me dis me touche profondément. Tel que tu le dis, c’est ainsi que je me sens d’ordinaire. Après trois semaines, je peux encore me souvenir de certains passages de ta lettre. «Pas un seul être humain. Juste de gros morceaux de viande buvant de la bière.» C’est ainsi que je me sentais en quittant Montréal. Et au Nord, les seuls êtres humains que j’ai rencontrés sont des Esquimaux. Les Blancs sont juste une bande de racistes abrutis à gros cul. Ils pensent être bien intelligents parce qu’ils savent utiliser une radio ou réparer le moteur d’un bulldozer. Ils pensent être le peuple le plus important, le plus courageux et le meilleur du monde. Ils ne comprennent rien. Les seuls êtres humains que j’ai rencontrés étaient pratiquement noirs, ils étaient bruns, jaune-brun, c’étaient des Esquimaux. Les Blancs étaient juste de gros morceaux de viande buvant de la bière, assis sur leur gros cul. Partout où je vais dans le monde, je me sens de plus en plus gêné d’être blanc parce que l’homme blanc est un bâtard.
Il apporte partout sa culture de crétin. Juste avant de quitter mes amis Esquimaux, j’ai passé quatre jours dans l’endroit le plus raciste que j’ai jamais vu: Grande-Rivière-de-la-Baleine. J’étais réellement heureux de quitter cet endroit. Mais lorsque j’ai pris l’avion pour retourner à ce qu’ils sont très fiers d’appeler la civilisation, j’ai paniqué. J’ai lu le journal et j’ai appris ce qui se produisait au Chili[7]. Près de moi il y avait un gars avec son enfant. Il le poussait sans cesse: «Fais ça, ferme-la, reste là, arrête de boire ça.» Les Esquimaux ne se comportent pas ainsi avec leurs enfants. Ils les laissent vivre un petit peu plus (un gros petit peu sans doute). Ils les respectent comme un autre individu. Ça m’a fâché, l’attitude de ce gars-là.
Lorsque je suis arrivé à Montréal, j’ai encore paniqué. Toutes ces routes, ces autoroutes et ces stupides voitures, tous ces magasins géants (tout pour être heureux, achetez plus et plus et vous trouverez le bonheur), des gens qui courent partout. (Tu ne sais pas trop pourquoi ils courent, mais ils courent. Ils ne le savent pas eux-mêmes, mais ils courent comme tous les autres.)
Lorsque nous avons touché le sol et tout le temps que nous avons marché dans l’aéroport, j’avais peur et je tremblais comme une feuille. La fille esquimaude qui m’accompagnait était moins effrayée que moi. Elle a été surprise de me voir trembler comme ça. Elle a dit: «Je croyais que c’était chez toi, ici, Pierre.» «Désormais, je ne sais pas exactement où se trouve ma maison», ai-je répondu.
Je tremblais de voir tous ces néons, ce plastique, ce verre, ce béton. C’était si propre que j’avais l’impression de marcher dans un grand hôpital ou dans un bain après qu’il ait été nettoyé. Tout était si propre qu’on se serait cru dans un hôpital pour malades mentaux. Peut-être que c’est un endroit pour les fous. Je suis certain que c’est un endroit pour les fous. On a marché peut-être trois kilomètres dans cet hôpital de fous et la fille esquimaude a dit: «On a marché aussi loin que si nous avions traversé tout le village et nous sommes toujours dans la même maison.» Une maudite grosse maison pour les fous. J’en tremble encore.
Lorsque tu as vécu dans un village esquimau, c’est certainement débile, la ville. Les deux premières semaines, je me suis senti le moral très bas, très dépressif. Puis je suis parti dans les bois avec mon frère pour faire du canot et me sortir de cet endroit de fou. Mais dans les bois aussi cet imbécile d’homme blanc apporte sa stupide civilisation. J’ai vu des gens avec leur tondeuse à gazon, leur scie à chaîne, brûlant des feuilles, etc. J’étais dégoûté. Chaque fois que je sors de cette merde, je vois de plus en plus que cette civilisation de Blancs est malade, tordue, et mourra bientôt d’elle-même. Plus je la regarde et plus je considère que c’est con. Mais ce ne sont pas seulement mes impressions. C’est vrai. Elle mourra bientôt. C’est trop fou pour survivre.
Alors c’est ainsi que je me sens désormais. Mais en même temps, je me sens bien. Je me sens heureux. Au début, je courais moins vite que les autres, maintenant je cours à la même vitesse. Voilà pourquoi je suis heureux. Je ne sais pas pourquoi je cours, mais je cours. Le bonheur est de faire comme les autres. C’est pourquoi toi et moi nous ne sommes pas vraiment des gars très heureux.
Maintenant, je me sens bien. Et la seule façon pour moi de ne pas mourir écrasé par mes problèmes, mes pensées, est de produire. Produire contre cette civilisation, se battre pour la tuer. Je produis pour ne pas me tuer. J’ai toujours été un homme en colère. C’est ça qui me fait travailler. Je travaille pour ne pas être tué par ma propre colère. Ce n’est pas pour avoir lu trop de livres à propos des systèmes que je suis révolutionnaire. C’est juste que je suis fatigué de toute cette merde. Je ne suis pas un révolutionnaire à cause de mon cerveau, mais à cause de mes couilles. Qu’ils aillent se...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Faux-titre
  3. Page de titre
  4. Crédits
  5. Introduction
  6. Lettres
  7. Chronologie
  8. Table des matières
  9. Quatrième de couverture