Le procès de Hissein Habré
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Le procès de Hissein Habré

Comment les Tchadiens ont traduit un tyrant en justice

  1. 224 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Le procès de Hissein Habré

Comment les Tchadiens ont traduit un tyrant en justice

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À propos de ce livre

La condamnation de Hissein Habré pour crimes contre l'humanité a été décrite comme "un tournant pour la justice des droits humains en Afrique et au-delà". Pour la première fois, un criminel de guerre africain était condamné sur le sol africain. Pour avoir, dès le début, suivi le procès et interrogé de nombreuses personnes impliquées, la journaliste Celeste Hicks raconte la remarquable histoire de la manière dont Habré a été traduit en justice. Sa condamnation fait suite à une campagne héroïque de 25 ans menée par des militants et des survivants des atrocités de Habré qui a abouti, malgré l'indifférence internationale, l'opposition des alliés de Habré et plusieurs tentatives infructueuses de le traduire en justice en Europe et ailleurs. Face à de telles difficultés, la condamnation d'un dirigeant, autrefois intouchable, représente un tournant majeur, et a de profondes implications pour la justice africaine et l'avenir de l'activisme pour les droits humains dans le monde.

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Informations

Éditeur
Amalion
Année
2021
ISBN
9782359260991

1

DU PALAIS PRÉSIDENTIEL À OUAKAM

L’accès à l’indépendance ne devait pas être chose facile pour le Tchad. Très peu utile à la France pendant son occupation coloniale de l’Afrique centrale et occidentale, il a été intégré dans l’Afrique Équatoriale française en 1920. Toute la moitié nord du pays, zone rocailleuse du Sahara en grande partie, était catégorisée « Tchad inutile », et le développement, l’amélioration du niveau de scolarisation en particulier, étaient plus accentués dans la partie sud plus fertile et « utile ». Le Tchad était à la traîne par rapport aux autres colonies africaines, comme le Sénégal ou la Côte d’Ivoire. Le pays n’avait pas de chemin de fer, presque pas de routes et n’était perçu que comme source de matières premières telles que le coton. Politiquement, le pays était très instable et à son indépendance survenue en même temps que celle de la plupart des autres ex-colonies françaises en 1960, son gouvernement était fragile. Les partis politiques existaient, mais ils étaient divisés, mal organisés et mal financés ; des rivalités ethniques existaient entre le nord majoritairement musulman et pastoral et les fermiers sédentaires du sud majoritairement chrétien.
C’est dans cette brèche que s’engouffra François Tombalbaye, un Sara originaire de la bande sahélienne la plus fertile du Tchad qui a reçu un enseignement français. Il était le leader du PPT (Parti progressiste tchadien), qui avait dirigé le gouvernement symbolique sous la domination française. Bien qu’il se soit attribué le pouvoir en 1960 sans opposition, il ne lui fallut pas longtemps pour se mettre à dos la classe politique tchadienne.1
Dès les débuts de son règne, sa tendance à promouvoir et à concentrer le pouvoir entre les mains des sudistes a exacerbé les tensions régionales et ethniques qui existaient pendant la domination française. La démocratie prenait un mauvais départ. Deux ans seulement après l’indépendance, en 1962, il prit la décision majeure de dissoudre tous les partis politiques sauf le PPT, puis l’Assemblée nationale quelques jours plus tard. L’apparente dépendance de Tombalbaye à la France était source de ressentiment et de tension, même si sa politique vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale n’était jamais cohérente. Même si la France l’avait officiellement décolonisé, en pratique elle maintenait une forte présence au Tchad principalement pour garantir le coton tchadien bon marché pour les usines françaises. La situation s’est envenimée en 1964 quand Tombalbaye a soudainement ordonné à l’ancienne puissance coloniale de réduire sa présence militaire dans la province du BET (Bornou-Ennedi-Tibesti) – le vaste désert du nord du Tchad. Tout d’un coup, la masse d’anciens fonctionnaires coloniaux fut mise de côté en faveur de sudistes moins qualifiés. Parallèlement à sa politique d’« africanisation » qui impliquait de remplacer les noms de personnes et de rues par des appellations traditionnelles africaines, ceci a suscité du ressentiment parmi les nordistes qui trouvaient que les fonctionnaires sudistes ne comprenaient que très peu la vie dans le désert. En réaction, le premier acte d’une liste presque interminable de révoltes dans le désert tchadien allait commencer au début des années 60 à Bardai, dans les zones Teda-Daza du désert et très vite se propager aux alentours de Zouar (Ibid : 33).2 La grogne populaire se répandit dans les autres parties du pays. En novembre 1965, une hausse des taxes incita les populations de Mangalme, une ville du centre, à descendre dans la rue. Une visite du ministre de l’Intérieur visant à réprimer les manifestations a conduit à des émeutes dans les rues au cours desquelles environ 500 personnes ont été tuées par les forces de sécurité, l’un des pires massacres de l’histoire du Tchad.
Les différentes rébellions qui éclataient sur différents fronts de Guera à Ouaddeï en passant par le lac Tchad pendant les années 60 et le début des années 70 s’avérèrent extrêmement problématiques pour Tombalbaye et son armée, en grande partie inefficace. Finalement, certaines de ces factions se sont regroupées et se sont coalisées pour former un nouveau groupe rebelle, le Front de libération nationale du Tchad, fondé à Nyala au Darfour en juin 1966. Le FROLINAT allait dominer la vie politique tchadienne pour les années à venir. Initialement dirigé par le dissident Ibrahim Abatcha, le groupe s’est rapidement élargi, intégrant d’autres mécontents issus de communautés du nord et de l’est telles que les Zaghawa, les Massalit et les Toubou. Pendant les années qui suivirent, des affrontements récurrents entre le gouvernement et les rebelles se sont succédé et le Tchad oriental commença à échapper au contrôle du gouvernement central. Alors que la révolte grandissait, Tombalbaye ne tenait que de justesse après avoir été obligé de solliciter l’assistance militaire de la France, laquelle fut fournie à contrecœur. En échange de celle-ci, il souscrit, contre son gré, à un programme de réformes politiques et fiscales modérées qui ont brièvement calmé les tensions. En 1969, il gagna un autre mandat présidentiel, mais était le seul candidat au scrutin. Toutefois ce bref répit dans le chaos politique du Tchad n’allait pas durer. Les ennuis s’annonçaient à la frontière nord. En 1969, un groupe d’officiers de l’armée libyenne dirigé par le colonel Mouammar Khadafi, inconnu à l’époque, avait déposé le Roi Idris en Libye. Presque aussitôt après, l’agenda imprévisible et expansionniste panarabe de Khadafi se précisait et il manifestait un intérêt pour le Tchad et l’exacerbation des rébellions. La première base permanente du FROLINAT fut ouverte à Tripoli en 1969 et Khadafi accueillait beaucoup de leaders Toubou. À la grande surprise de beaucoup d’observateurs, il a aussi repris les revendications territoriales de la Libye sur la bande d’Aouzou, un morceau de désert de 114.000 km2 situé au nord du Tchad et contenant une petite oasis. Ce territoire avait été attribué par le gouvernement colonial français à la présence coloniale de Benito Mussolini en Libye, mais ce traité n’avait jamais été ratifié par la France et pendant le chaos de la seconde guerre mondiale, il a été oublié de tous. Excepté de Khadafi. Peu de temps après son accession au pouvoir, ses cartographes produisirent de nouvelles cartes qui montrent que la frontière entre la Libye et le Tchad a été déplacée d’environ 96 kilomètres au sud. En 1971, Tombalbaye échappa de justesse à un coup d’État dans lequel beaucoup suspectèrent l’implication de la Libye. En 1972, pendant les incursions du FROLINAT dans le BET, des preuves flagrantes du soutien et de l’armement libyen furent découvertes chez les rebelles. Mais les ambitions de la Libye étaient beaucoup plus grandes que cela, et en 1973, juste six mois après que le Tchad et la Libye eurent signé un simulacre de traité d’amitié, les soldats libyens pénétraient dans la bande d’Aouzou sur la base de l’Accord franco-italien de 1935. Tombalbaye était furieux, mais clairement dans l’incapacité d’agir. Son seul recours fut de soumettre une plainte auprès de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), qui s’interdisait d’intervenir dans les conflits de frontières coloniales. C’est au milieu de cette querelle de frontière postcoloniale que Hissein Habré entre en jeu, lui le fils illégitime d’un éleveur, né à Faya-Largeau en 1942, la même année que le colonel Khadafi. C’est un Toubou (Gorane est le nom en arabe de ce groupe aussi appelé Teda) du sous-clan Anakaza des Daza, une branche du groupe des grands nomades Toubou, non aristocratique et originaire des plaines, un héritage qui l’a opposé toute sa vie aux chefs traditionnels du groupe ayant un statut supérieur. Après une formation à l’école primaire, il est devenu sous-préfet de Faya-Largeau. Son intelligence fut remarquée par les administrateurs coloniaux de la province du BET, et il a été choisi pour aller étudier à l’Institut de Droit public de Paris, puis à l’Institut des Sciences politiques où il se distingue (Ibid. : 88)3. À son retour au Tchad en 1971, alors qu’il était encore au début de la vingtaine, il impressionnait tellement que selon certains, Tombalbaye lui aurait personnellement demandé de rentrer pour mener une mission secrète en Libye.4 Mais il n’a pas tardé à révéler son vrai visage et à prendre contact avec les dirigeants du FROLINAT.
Très vite, le « Derdé », chef élu non héréditaire des Toubou, lui confia la direction de la seconde armée du FROLINAT. Cette nomination allait engendrer une inévitable rivalité entre lui et le fils du « Derdé », Goukouni Oueddei, un autre éminent commandant des forces du FROLINAT, qui allait perdurer pendant les prochaines quinze années.
Hissein Habré a attiré l’attention de la communauté internationale pour la première fois en 1974, quand ses combattants ont attaqué l’oasis de Bardaï et pris en otage trois jeunes européens qui travaillaient sur un projet archéologique dans les grottes et oasis du Sahara. Les médias français se firent l’écho des demandes audacieuses de rançon et de la situation critique de la jeune archéologue Françoise Claustre, dont le mari a également été kidnappé lorsqu’il se précipita au Tibesti pour l’aider. Un intermédiaire français, le capitaine Pierre Galopin fut exécuté par les rebelles lorsqu’il fut envoyé négocier la libération des otages. Habré réalisa vite la valeur de ses captifs et demanda une rançon plus importante et des armes pour sa cause. Les otages créèrent une crise politique sensible et prolongée avec la France, qui allait perdurer jusqu’à leur libération finale en 1977.

La fin de Tombalbaye

En 1975, les jeux étaient faits pour le président François Tombalbaye qui s’était rebaptisé Ngarta (chef) Tombalbaye dans le cadre de sa campagne d’« africanisation » et d’authenticité. Il continuait d’attiser la colère des nordistes par sa répression brutale de la révolte du FROLINAT et l’imposition de ce qui était perçu comme un rite d’initiation sudiste pour toute nouvelle prise de fonctions à un poste gouvernemental. Les Français étaient excédés par son refus d’introduire des réformes politiques et par son alliance vraisemblablement schizophrénique avec Khadafi. À la fin, la sécheresse au Sahel, la crise économique et les difficultés à payer les salaires se sont agrégées dans une vague de mécontentement dans le pays sous son administration. Lorsqu’il commença à réprimer la dissidence en arrêtant un certain nombre d’officiers de l’armée, dont le populaire général Félix Malloum, ce n’était plus qu’une question de temps avant qu’un coup d’État militaire ne soit lancé. Le 12 avril 1975, des soldats rebelles pénétrèrent dans le palais présidentiel sur les rives du fleuve Chari à N’Djaména et Tombalbaye fut tué. Malloum, l’ancien commandant en chef des forces armées du Tchad, devint le nouveau président du pays (Burr & Collins 2008 : 107).5
Mais il ne fit guère mieux que Tombalbaye dans la résolution des conflits naturels sur une terre marquée par les contrastes géographiques et démographiques, où la pauvreté, l’absence de développement et les rivalités tribales continuaient de défier la capacité du gouvernement central à contrôler l’arrière-pays. Le colonel Khadafi de Libye ne lui offrait aucun répit. En août 1975, La Libye annexa officiellement la bande d’Aouzou, et devant la situation qui se détériorait, Malloum fut, contre son gré, contraint de se tourner vers la France pour obtenir son aide. La France, suite à l’engagement de Charles de Gaulle avec ses anciennes colonies africaines, répondit favorablement et déploya un contingent de soldats pour préserver l’intégrité territoriale du Tchad. Une fois les tensions calmées, les négociations commencèrent ; et en 1978, sous la pression du Soudan qui s’inquiétait des activités rebelles dans la région ouest du Darfour, Malloum, visiblement sans grand discernement, accepta que Hissein Habré, à l’ambition impitoyable, devienne Premier ministre. Encore une fois, cet accord politique ne sera pas durable, et en 1979 la loyauté de Habré se révéla : des affrontements éclatèrent entre ses forces, les FAN (Forces armées du Nord), et l’armée nationale de Malloum dans les rues de N’Djaména. Goukouni Oueddei, le grand rival toubou qui s’était opposé à la décision de Habré de servir sous Malloum et qui bénéficiait du soutien de la Libye, voyait là une opportunité d’attaquer. Il mena ses forces nouvellement formées, les FAP (Forces armées populaires), vestiges du FROLINAT, dans une bataille contre les forces du FAN de Hissein Habré. N’Djaména fut mise à genoux par une sanglante et déroutante bataille à trois. Alors que des accrochages battaient leur plein, ce chaos d’alliances instables sapait progressivement l’autorité de Malloum et du gouvernement de transition tchadien. Lors d’une conférence de paix en 1979 à Kano au Nigeria, Malloum fut forcé à l’exil. Finalement Goukouni Oueddei en ressortit président d’un nouveau gouvernement d’Union nationale de transition (GUNT) avec Habré comme ministre de la Défense et des membres du FROLINAT aux postes-clés.
Mais la rivalité entre Goukouni et Habré était toujours irrépressible. Moins d’un an plus tard, à l’aube de l’année 1980, des combats acharnés entre les FAN de Habré et les FAP de Goukouni éclataient dans les rues de N’Djaména. Dans une vague brutale de tueries et de déplacements, au moins 3.000 personnes auraient été tuées. Des milliers de personnes se sont réfugiées dans les pays voisins alors que les milices rivales s’affrontaient, et N’Djaména fut lourdement endommagée. Le carnage ne prit fin que lorsque Khadafi envoya 4.000 soldats depuis Aouzou pour aider le président Goukouni – ce qui fut considéré par beaucoup de Tchadiens comme une profonde humiliation et une trahison. Incapable de tenir tête aux Libyens, Habré fut forcé à l’exil au Cameroun en fin 1980.
Mais il était loin d’avoir dit son dernier mot. Il planifia sa revanche à partir de son exil. Fervent opposant de la Libye depuis toujours, sa résolution fut renforcée par la déclaration de Khadafi en janvier 1981 qui faisait que la Libye et le Tchad de Goukouni et son GUNT étaient désormais unifiés en un seul pays. Cette nouvelle inquiéta également les leaders régionaux, qui proposèrent sous les auspices de l’OUA l’organisation d’une mission africaine de maintien de la paix, destinée à remplacer les...

Table des matières

  1. Cover
  2. À propos de l’auteure
  3. Title Page
  4. Copyright
  5. Sommaire
  6. Introduction
  7. 1. Du palais présidentiel à Ouakam
  8. 2. Le long chemin vers Dakar
  9. 3. Les Chambres africaines extraordinaires
  10. 4. Guérison à domicile
  11. 5. Le contexte international
  12. Conclusion
  13. Bibliographie
  14. Entretiens
  15. Remerciements