Entre le Savoir et le Culte
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Entre le Savoir et le Culte

Activisme et mouvements religieux dans les universités du Sahel

  1. 224 pages
  2. French
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  4. Disponible sur iOS et Android
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Entre le Savoir et le Culte

Activisme et mouvements religieux dans les universités du Sahel

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À propos de ce livre


« Entre le Savoir et le Culte présente des études et documents originaux qui mettent à jour l'évolution de l'islam et du christianisme parmi les étudiants d'universités des pays du Sahel. Il révèle les fissures et les conflits entre les groupes, et analyse leurs modes oraux, écrits et vestimentaires d'affichage et de performance. Cet ouvrage apporte ainsi un puissant éclairage sur l'emprise du religieux sur l'élite en formation, et examine les deux interrogations qui alimentent l'activisme religieux universitaire: la signification de la revendication d'une identité musulmane ou chrétienne, et comment celle-ci façonne la modernité des deux religions et vice-versa. A lire pour comprendre le dynamisme des terribles crises qui amènent la région sahélienne à se tourner sur elle-même. » – Mamadou Diouf, Leitner Family Professor of African Studies, Columbia University, États-Unis.
« Quelquefois négligées ou mal comprises par les analystes étrangers, les universités sahéliennes sont le théâtre de débats profonds sur l'identité nationale, et d'importantes négociations autour de la religiosité et de l'ethnicité. Cette collection rassemble les travaux d'éminents spécialistes dans ce domaine, et propose une perspective riche et comparative de leur travail collectif, ancrée dans leur recherche sur le terrain. L'ouvrage sera indispensable à tous les chercheurs, analystes, et décideurs politiques qui travaillent sur le Sahel. Ces chapitres contribueront beaucoup à la compréhension des expériences et priorités d'une génération d'activistes et de leaders qui marqueront la région dans les années à venir. »– Alex Thurston, Assistant Professor of Political Science, Université de Cincinnati, États-Unis

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Informations

Éditeur
Amalion
Année
2021
ISBN
9782359260915

1.

LIEUX DE PRIÈRES, LIEUX D’APPRENTISSAGE : LES UNIVERSITÉS DU SAHEL AU CŒUR DE LEUR ÉCOSYSTÈME SOCIAL

Mamadou Bodian & Leonardo A. Villalón

Au cours des trois dernières décennies, les six pays qui constituent la région sahélienne de l’Afrique de l’Ouest – Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal et Tchad – ont été marqués par des changements socioreligieux profonds. La religion, l’islam en particulier, influence de plus en plus tous les segments de la société, y compris des lieux auparavant connus plutôt comme des bastions de la laïcité, notamment les universités. Cette influence est si profonde et si visible qu’un collègue professeur nous exprimait sa frustration au cours de notre recherche en nous disant : « Nos universités sont devenues des lieux de prière plus que des lieux d’apprentissage ! » Les mouvements d’étudiants, qui étaient surtout des défenseurs d’idées libérales et de gauche au cours des premières décennies après les indépendances, ont été progressivement éclipsés par d’autres mouvements, plus enclins à embrasser et promouvoir les idées et les pratiques religieuses, et de s’organiser autour des identités et institutions religieuses.
Ce livre a pour objectif d’appréhender ce phénomène du développement de la religion et de la religiosité dans les universités publiques du Sahel. Il tente de répondre aux questions importantes soulevées par ces développements : pourquoi et comment la religion a-t-elle pris une place aussi importante dans la sphère universitaire aujourd’hui ? Quelles formes a pris cette résurgence de la religion ? Quelles sont les conséquences possibles et l’impact de l’évolution du phénomène dans l’espace universitaire et la société en général ?
Pour répondre à ces questions, cet ouvrage procède à un examen comparatif des facteurs qui influencent ces changements ainsi que les raisons, les formes, et les dynamiques de la religiosité croissante dans les grandes universités publiques de ces six pays. Il se focalise plus particulièrement sur l’Université Ouaga 1 Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou au Burkina Faso, l’Université de N’Djaména et l’Université Roi Fayçal au Tchad, l’Université Abdou Moumouni au Niger, l’Université de Bamako au Mali (aujourd’hui scindée en quatre universités correspondant aux anciennes facultés), l’Université de Nouakchott al-Aasriya en Mauritanie et, enfin, l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar au Sénégal – la plus ancienne université francophone d’Afrique l’Ouest. Chacune de ces institutions fait l’objet d’une étude de cas basée sur des recherches approfondies, intégrant des données archivistiques, des observations de terrain, et surtout des entretiens formels et informels réalisés aussi bien auprès des structures estudiantines les plus représentatives qu’auprès des administrations universitaires. Collectivement, les recherches menées par les membres de notre équipe – chacun disposant d’une longue expérience et d’une connaissance approfondie du contexte social de son institution – nous présentent un large panorama des dynamiques complexes de la religion dans le monde universitaire, ainsi que des tendances et variations dans les manifestations du phénomène de la religiosité estudiantine au Sahel
Nous avons constaté, au début de notre travail, que les groupes religieux d’étudiants représentaient et continuent de représenter, en grande partie, un microcosme de la diversification religieuse en cours dans l’ensemble des sociétés sahéliennes. En d’autres termes, le foisonnement des activités et mouvements religieux sur les campus sahéliens doivent être compris à la fois comme le reflet de changements sociaux endogènes au niveau universitaire, mais aussi et surtout comme l’expression localisée de transformations qui affectent la sphère religieuse dans les sociétés sahéliennes en général.
Ces dynamiques s’inscrivent dans un processus graduel qui a débuté après les indépendances, en 1960. Le processus d’affirmation du religieux à l’échelle mondiale précipité par le boom économique des années 1970 dans les États pétroliers arabes s’est ressenti dans les pays sahéliens majoritairement musulmans. En effet, les flux de capitaux en provenance des pays pétroliers arabes et les diverses formes de soutien de la Banque islamique de développement, de la Banque arabe du développement économique pour l’Afrique, et de l’Organisation de la conférence islamique ont contribué à promouvoir l’éducation arabo-islamique et la culture arabe en Afrique de l’Ouest (Kaag 2007 ; LeBlanc & Gosselin 2016). Comme ailleurs dans le monde musulman, les mutations sociales et religieuses marquant les sociétés sahéliennes dans les années 1970 et 1980 ont milité en faveur de l’apparition d’une nouvelle catégorie d’élite religieuse, issue de cette génération de jeunes sans aucune expérience directe du colonialisme. Frustrés par le marasme économique qui a érodé l’optimisme né des indépendances, cette nouvelle génération s’est parfois inspirée des mouvements contestataires du monde musulman – en particulier, le modèle révolutionnaire iranien de 1979 – qui ont suscité une prise de conscience du potentiel révolutionnaire de l’islam en tant que système politique et idéologique.
Dans un contexte où les politiques d’ajustement structurel des années 1980 ont remis en cause la capacité de l’État à fournir des services publics, notamment en matière de santé et d’éducation, les organisations caritatives musulmanes et les ONG islamiques ont tenté de se positionner comme fournisseurs de services de base, en particulier dans le secteur éducatif (Kaag 2008 ; Hugon 2016). Dans ces nouvelles situations, les signes de religiosité se sont multipliés et ont conduit à une présence croissante de la religion dans la sphère publique, y compris dans les milieux scolaires (voir e.g. Holder 2009 ; Soares 2005 ; Hassane et al 2006 ; Camara & Bodian 2016). Ainsi, au début des indépendances, les élèves et les étudiants étaient plus enclins à épouser les diverses tendances idéologiques des partis de gauche. Ce qui avaient fait des syndicats d’étudiants et d’enseignants des instruments permettant de contourner l’espace politique contrôlé par la classe dirigeante. Ainsi, les lycées et les universités sont progressivement devenus, à partir des années 1980, des espaces où prolifèrent associations et mouvements religieux d’étudiants.
A cette évolution sociale et culturelle est venue s’ajouter une rupture politique fondamentale, qui est elle-même issue des dynamiques globales. Malgré l’éruption périodique de vagues de contestation contre les régimes en place, les modèles politique de gouvernance au Sahel n’avaient en fait pas étés fondamentalement remis en cause pendant les trois premières décennies après les indépendances. Mais dans un contexte de stagnation économique et de mécontentement populaire profond, les régimes à parti unique et les dictatures militaires, qui avaient prospéré dans la majeure partie des pays de la région au cours de ces décennies, se sont retrouvés au début des années 1990s soudainement mis à l’épreuve par les étudiants, les syndicats de travailleurs et une « société civile » en plein essor (Monga 1995). Confrontés à ces dynamiques, les gouvernements non-démocratiques de l’époque ont tenté, à des degrés divers, de contrôler ces dynamiques sociales et de les exploiter afin de préserver leur légitimité. Mais la « troisième vague » de démocratisation mondiale (Huntington 1991) a finalement eu raison d’eux. C’est avec l’évolution de la lutte pour la démocratie des années 1990 que les changements ont commencé à s’opérer, ouvrant la porte à une présence beaucoup plus affichée du phénomène religieux dans l’espace public sahélien (Madore 2016 ; Villalón 2010).

DÉMOCRATISATION ET ÉMERGENCE D’UNE SPHÈRE PUBLIQUE ISLAMIQUE

Au début des années 1990, presque tous les pays du continent africain se sont trouvés à un tournant critique de leurs trajectoires. Il était évident que les modèles existants ne seraient plus valables, à la suite des pressions externes importantes consécutives à l’effondrement de l’ordre mondial bipolaire, et devant une mobilisation sociale sans précédent et des manifestations populaires alimentées par les conditions économiques précaires. Alors que certaines autorités en place avaient tenté de garder le contrôle d’un processus irréversible de transition au point de plonger leur pays dans l’anarchie, une grande partie du continent – y compris les six pays sahéliens considérés dans cet ouvrage – a été balayé par la « troisième vague » de démocratisation. Néanmoins, les réponses initiales des gouvernements en place face à cette vague démocratique dans la région ont varié considérablement.
Dans deux de nos cas – le Mali et le Niger – les transitions vers la démocratie qui seront largement considérées comme « réussies », ont été accomplies via une « conférence nationale », un modèle de transition inspiré du Bénin et mis en œuvre avec des succès variables dans une grande partie de l’Afrique francophone (Nzouankeu 1993 ; Robinson 1994). Au Mali, le processus a été initié après l’effondrement du régime autoritaire de Moussa Traoré, tandis qu’au Niger le régime d’Ali Saïbou a pris les devants en convoquant la conférence nationale, même s’il s’est rapidement retrouvé marginalisé dans le processus (Villalón et Idrissa 2005a ; Villalón et Idrissa 2005b). Au Tchad, le nouveau et fragile régime d’Idriss Déby, qui avait pris le pouvoir par la force en 1990, s’est également vu obligé de convoquer une conférence nationale en 1993 (Buijtenhuijs 1993). Mais, à la différence de Saïbou au Niger, Déby a réussi à garder le contrôle sur le processus de transition et a imposé sa victoire lors de la toute première élection présidentielle démocratique du pays en 1996.
Dans deux autres pays, le Burkina Faso et la Mauritanie, les régimes en place ont réussi à éviter une conférence nationale, et ont su garder un contrôle suffisant de la situation pour tenir les premières élections de l’ère démocratique – tout en réunissant les conditions de leur propre victoire (Ould Ahmed Salem 1999 ; Harsch 2017). Alors que le Sénégal était souvent décrit comme l’exception, les trente ans de domination du Parti socialiste ont également été mis à l’épreuve par d’intenses pressions en faveur du changement, au début des années 1990. Les séries d’importantes réformes engagées par le régime d’Abdou Diouf ont permis la tenue d’élections régulières en 1993 qui pouvaient, pour la première fois, être raisonnablement qualifiées de « démocratiques » (Villalón 1994). On pourrait en dire beaucoup sur les formes et la substance de ces processus de démocratisation, de même que sur leurs succès et limites (voir les études réunies dans Villalón & Idrissa 2020), mais deux points importants méritent une attention particulière.
Premièrement, il est vrai que les processus de démocratisation dans ces six pays étaient alimentés par des soulèvements populaires urbains (et particulièrement les jeunes). Mais la composition de ces mouvements illustre bien, qu’en réalité, ils représentaient surtout une élite instruite et francophone désenchantée des régimes au pouvoir. Les étudiants, les enseignants, les avocats, les journalistes et les jeunes au chômage qui aspiraient à de telles professions étaient devenus les animateurs des organisations pro-démocratie de la « société civile » qui étaient à l’avant-garde de la demande de changement politique en Afrique (Kafsir 1998). Dans les années tumultueuses qui ont suivi la période d’après-guerre froide, l’espoir incarné par ces organisations sociales avait suscité un vif enthousiasme de la part de la communauté internationale. L’argent visant à renforcer la démocratie affluait de partout pour soutenir les efforts des nombreuses associations féminines, associations de défense de droits humains, journalistes et médias indépendants, et d’autres acteurs d’une société civile promue comme vecteur clé de la démocratisation (Brown 2005 ; Hearn 2001). En outre, ces acteurs qui constituaient l’élite francophone se sont imaginé un idéal de nouveau système démocratique en partant du modèle qu’ils connaissaient le mieux : la Vème République française. Ainsi, dans les anciennes colonies françaises d’Afrique de l’Ouest, les nouvelles constitutions qui ont défini les contours de la démocratie se sont réapproprié les institutions françaises dans une sorte de continuité, plutôt qu’une rupture définitive avec l’héritage colonial (Cabanis & Martin 1999).
Deuxièmement, cette démocratie exigée par l’élite francophone était adossée à la conception française d’une « République laïque, démocratique et sociale », et bâtie sur une vision centrée sur la poursuite de la transformation, plutôt que la représentation des sociétés africaines. En d’autres termes, les dirigeants des organisations pro-démocratie de la société civile (et leurs alliés extérieurs) estimaient que l’édification d’un système démocratique nécessiterait surtout un changement social et culturel profond qui procéderait d’un remplacement des normes et des valeurs en vigueur dans leurs sociétés – essentiellement musulmanes – par d’autres valeurs dites « démocratiques » et « laïques ». La démarche alternative – c’est-à-dire celle de tenter d’ériger des institutions conçues pour représenter les valeurs sociales dominantes – ne figurait pas au premier plan. Inévitablement, la mise en œuvre de cette version décontextualisée de la démocratie allait rencontrer des résistances. Ainsi, l’ouverture démocratique du début des années 1990 au Sahel, comme ailleurs en Afrique, avait également entraîné – à la grande surprise de beaucoup – une floraison de mouvements religieux, suivie d’une démocratisation graduelle de la sphère religieuse elle-même. La fin des régimes à parti unique et des dictatures militaires a provoqué un déclin du contrôle de l’État sur les organisations religieuses, ouvrant ainsi la porte à une nouvelle dynamique religieuse.
Le processus de démocratisation a ainsi mis en selle les groupes et acteurs religieux qui se sont rapidement approprié les règles du jeu démocratique comme des instruments permettant de renégocier leur place, surtout dans ces pays à majorité musulmane où les constitutions ont maintenu une version française de la laïcité basée sur la séparation de la religion et de l’État. Évidemment, les groupes religieux n’allaient pas tarder à protester contre les systèmes qualifiés de « démocratiques » mais qui ne reflétaient pas forcement les vues et positions de la majorité des citoyens de ces pays fondés sur un socle religieux. Au début, les acteurs religieux se sont donc demandé si la démocratie était même souhaitable. Mais paradoxalement, c’est le fait même de la démocratisation qui a permis aux groupes religieux de se faire entendre (Sounaye 2005 ; Villalón 2010). En vérité, partant de leur contestation initiale de la démocratie comme un modèle qu’ils trouvaient inapproprié pour les sociétés musulmanes ou « incompatible » avec l’islam, les groupes religieux ont très rapidement changé de perspective en soutenant plutôt que, si la démocratie suppose la loi de la majorité, alors les sociétés musulmanes devaient refléter les valeurs et les intérêts de populations majoritairement musulmanes.
Dans les cas du Mali et du Niger où les transitions furent rapides et spectaculaires, ce changement de perspective était particulièrement apparent. Au Niger, par exemple, le « code de la famille » d’inspiration française – que les activistes de la société civile qui avaient conduit le processus de démocratisation avaient qualifié de « texte fondamental » pour le nouveau régime – a rapidement été bloqué par les groupes religieux qui avaient exigé, au nom de la démocratie, que le droit de la famille fasse l’objet d’un débat public et qu’il reflète la volonté populaire des nigériens (Villalón 1996).
Par ailleurs, si la démocratie a ouvert la porte aux initiatives religieuses, elle a également permis à un nouveau pluralisme religieux de se faire entendre. Avec l’effondrement des anciennes organisations musulmanes au Mali et au Niger, et la fragmentation de l’autorité centrale des élites soufies au Sénégal, la démocratisation a ouvert la porte à des acteurs religieux nouveaux et variés, balisant ainsi la voie à un débat public sur la religion elle-même. Des groupes diversement qualifiés de « réformistes », « islamistes » ou « salafistes » ont contesté les orthodoxies établies qui, à leur tour, ont commencé à produire une réflexion consciente d’un discours et d’identité soufis en réponse aux critiques des réformistes. Les organisations de femmes et les prédicatrices musulmanes de diverses tendances idéologiques se sont également multipliées (Alidou & Alidou 2008 ; Ba 2017). Et des intellectuels musulmans de formation « arabisante » (plutôt que francophone) sont apparus pour la première fois en tant qu’importants commentateurs des affaires publiques (Bodian & Camara 2015).
On observe donc un processus évolutif par lequel le débat démocratique est passé assez rapidement d’un débat qui aurait ressemblé à une lutte opposant acteurs « laïcs » et « islamiques », à un débat beaucoup plus fluide et axé plutôt sur ce que devrait être le contenu et la signification de la démocratie dans des sociétés musulmanes (Idrissa 2017). Ainsi, les discussions internes parmi les musulmans tournaient principalement autour de la « bonne » position de l’islam sur des questions données : la polygamie devrait-elle être interdite ? La peine de mort est-elle acceptable ou nécessaire ? Ces questions et bien d’autres similaires sont devenues non seulement des sujets de controverse entre groupes laïques et religieux, mais aussi des débats internes parmi les acteurs religieux eux-mêmes sur la manière de négocier la démocratie dans des contextes musulmans.
La question la plus fondamentale de cette controverse a peut-être été la discussion sur la nature de la laïcité elle-même (Sounaye 2009). La connotation négative du terme « laïc » aux yeux de certains groupes religieux a p...

Table des matières

  1. Cover
  2. Title Page
  3. Copyright
  4. Contents
  5. Tableaux
  6. Contributeurs
  7. Préface par—Benjamin Soares
  8. Remerciements
  9. 1. Lieux de prières, lieux d’apprentissage : Les universités du Sahel au cœur de leur écosystème social—Mamadou Bodian & Leonardo A. Villalón
  10. 2. Entre activisme post-colonialiste et réveil du religieux : Le campus universitaire de Ouagadougou—Magloire Somé & Koudbi Kaboré
  11. 3. L’activisme religieux dans les universités maliennes : De l’ombre à la lumière ?—Mamadou Lamine Dembélé & Mamadou Ballo
  12. 4. Islamisme, tribalisme et ethnocentrisme sur le campus de l’Université de Nouakchott—Elemine Ould Mohamed Baba Moustapha
  13. 5. « Les étudiants aussi sont des enfants de Dieu » : La religiosité à l’Université Abdou Moumouni de Niamey—Abdoulaye Sounaye
  14. 6. Des idéologies révolutionnaires à l’activisme religieux : Le mouvement estudiantin à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar—Mamadou Bodian
  15. 7. Arabisants, françisants ; musulmans et chrétiens : Pluralisme social et mouvements religieux dans les universités du Tchad—Ladiba Gondeu & Abakar Walar Modou